Vacances entre potes, ou presque
23 juin 2023
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Contexte :
Cette fois, on est allé à une battle de breakdance. Rudy et Zia y étaient déjà allés l'an dernier, et on les a rappelés cette année, à la différence que cette fois, il y a un pro en plus. Ça m'a étonné au début puisque Rudy dit souvent que les pros, il ne s'en mêle pas, il n'a pas les compétences et leur mentalité est souvent à chier. M'enfin on s'est quand même retrouvés là hier, et on n'en repart qu'après-demain.
On a tellement parlé hier soir, c'était ouf. On était tous les trois, Zia, Rudy et moi, avec la salle pour nous tous seuls car les autres étaient partis dormir. On a tapé dans le stock de tarte aux pommes, on a fait du skate sur les diables et on s'est douchés en chantant dans les vestiaires. Et donc, on a parlé. On s'est posés, dans la grande cuisine aux tables ridicules, et on a parlé de minuit à trois heures. C'était chouette. Je me sentais bien. Frustré, parce qu'ils ont jamais rien lâché sur les histoires – tiens mettons-leur une majuscule, les Histoires – et je leur donnais tout en retour.
On a fait le jeu de une question pour une question, et Rudy était très content d'en apprendre plus sur le phacochère (qui lui ne mérite pas de majuscule), et Zia se marrait. Vraiment, c'était chouette. Bonne ambiance, bon rythme de discussion, on avait notre équilibre. J'en ai appris plus sur Rudy, sur son rapport aux émotions et aux relations humaines, et j'ai découvert un milliard de nouveaux points communs avec Zia : comme quoi, Rudy n'a pas tort, on se ressemble beaucoup.
Hier on n'a pas fait grand chose, il y avait déjà le pro sur place et tout le montage était déjà fait. Zia et moi étions déçus, c'est notre partie préférée. Rudy a commencé à réaliser qu'ils ne l'avaient fait venir que pour son matos, ça ne lui a pas fait plaisir mais il l'a pris à la rigolade : c'est fun, ça nous fait une sortie entre potes au final. On a calé quelques PAR (projecteurs à lampes, faut suivre) pour éclairer l'endroit où les danseurs et danseuses s'échauffent, et c'est tout.
Bref, après avoir discuté on est retournés au camping-car pour dormir, sauf qu'on a encore parlé, du phacochère, de la vie trépidante de Zia, de la vie en général. À un moment Zia a rebondi sur quelque chose, puis a direct enchaîné avec un « bonne nuit ! » et a éteint la lumière. Puis le silence, et je suis resté quelques minutes immobile, à l'affut, à attendre une énième renaissance de la conversation. Mais non, tout le monde s'est mis à se retourner pour trouver la position parfaite pour s'endormir, faisant tanguer le camping-car au passage. Alors j'ai cherché le sommeil aussi. J'étais trop heureux pour ça, cela dit, je n'arrêtais pas de passer en mode « vue du dessus » sur ma journée et notre discussion et cet événement entier, et je me répétais en boucle à quel point j'avais de la chance et étais heureux et excité de faire tout ça avec eux deux. J'ai fini par sombrer une heure après, grâce à la magie de la respiration en carré.
Zia a parlé dans son sommeil, mais rien d'intelligible, et Rudy a été incroyablement silencieux toute la nuit. J'ai super mal dormi à partir de sept heures parce qu'il y avait du monde dehors qui parlait fort. Je me suis réveillé, rendormi, réveillé, rendormi, c'était long. Zia s'est réveillée aussi et a regardé ses admissions en master, et comme Rudy refusait d'ouvrir les yeux, j'ai mis mes chaussures et je suis sorti prendre l'air – il faisait une chaleur terrible dans le camping-car.
J'ai fait le tour du gymnase reconverti en salle de spectacle, puis je me suis posé dans l'herbe près du camping-car, j'ai écouté Parx et j'ai écrit la première partie de ce chapitre. Vers dix heures et demie, j'ai entendu un vague murmure venant du camping-car et j'ai rejoint Rudy et Zia qui discutaient, et Zia qui pleurait, et en les écoutant j'ai compris que c'était l'angoisse de l'écologie et la certitude qu'elle ne passerait pas la barre des trente ans. Elle ne parvient pas à imaginer un futur, elle ne peut pas se projeter car il y a la muraille érigée par la certitude qu'on va tous mourir d'ici quinze ou vingt ans. Et ça la fissure de partout, cette absence de futur, et sa colère militante, son si profond sentiment d'injustice, se transforment en cette peine infinie. Ils ont parlé des riches et des gens qui font des choses ou qui n'en font pas, de l'histoire du colibri, des hypocrisies et des aberrations. J'écoutais et j'apprenais. Elle a parlé de son sentiment de responsabilité, de la culpabilité venant du fait qu'elle a la sensation de ne pas faire assez, ou pas comme il faut. Elle était effondrée, et Rudy répondait en trouvant des solutions et en exposant des faits positifs, et c'était moyennement efficace, m'enfin ça leur convenait à tous les deux.
C'est devenu un peu moins lourd et déprimant à mesure que Zia se sentait mieux, elle avait besoin de vider son sac, s'exprimer, et une fois que c'était fait ils sont partis dans plus d'ironie et de sarcasme, c'était rigolo. Ils sont vraiment sur la même longueur d'onde, ils se comprennent et se connaissent par cœur. C'est beau à voir.
Bref, on est allés dans la salle de concert, on a mangé des viennoiseries que les bénévoles avaient achetés pour les techniciens, et on s'est posés dans les gradins, un peu désœuvrés, sentant qu'on ne servait à rien. L'ingé lights pro s'appelait Julien, et il avait un subordonné avec lui, Julien aussi, qu'on appellera Julien Jaune parce qu'il avait un t-shirt jaune la veille. Ils faisaient tout tous les deux et ne nous donnaient rien à faire quand on demandait, alors on a attendu. Et on a discuté de parentalité et d'accouchement. Rudy nous a raconté les trois accouchements d'Elise, l'intensité et la violence, l'amour et l'inquiétude. C'était touchant, la manière dont il racontait ça. Ça vibrait d'émotions sous la surface des mots. Ses souvenirs-là sont puissamment teintés de sensations fortes. Il a aussi parlé de ce lien, invisible et super costaud, pas tout à fait compréhensible, entre un parent et son enfant. Il a raconté les lapins dans les sous-marins. L'armée mettait la mère lapine au QG, avec des électrodes sur la tête, et ses lapereaux dans les sous-marins ; et quand le sous-marin avait un problème, ils zigouillaient un petit : et paf, ça faisant une irrégularité dans le cerveau de la lapine, et le QG savait qu'il y avait une couille. Magique ! (Et très peu vegan.)
On a parlé de ce lien qu'il ressent donc avec ses filles, et je sentais la colère bouillonner au fond de moi, cette frustration de ne pas pouvoir tout rompre avec mon propre père. Rudy était touchant, il aime vraiment fort ses filles et Elise en fait. Simplement, ça ne transparaît pas tout le temps, il n'est pas toujours à s'épancher sur le bonheur que lui procure sa famille.
Après ça, on est allés manger dans un de ces endroits qui préparent les JO 2024 en faisant de la pub, donc il y avait plein d'activités pour les enfants et de pancartes de propagande disant que c'est formidable les JO. On a joyeusement craché sur cet événement, on a imaginé tout ce qu'on pouvait écrire sur les pancartes pour retourner le message et sensibiliser un peu, sauf qu'on n'avait pas de marker donc on n'a pas écrit tout ça. Pendant qu'on mangeait on a bien bitché sur le phacochère à nouveau, en riant beaucoup parce qu'on n'y allait pas de main morte. Ça m'a fait du bien, franchement, de le démonter comme ça, d'avoir le droit de le faire en dehors de mes pensées. Et puis Rudy m'a appris des trucs en plus sur lui, qui viennent parfaire le tableau du con.
Vu qu'on avait repris une-question-pour-une-question, j'ai dû admettre le crush sur Alicia – apparemment ça s'est vu sur Alicia l'année dernière, vu qu'on parlait tout le temps, et Rudy a dit que c'était grâce à elle que j'avais rejoint le groupe (ce dont je doute fortement m'enfin s'il le dit ok) – et celui sur Chiara, ce qui a fait sourire Zia, qui a ensuite parlé de la petite histoire que Chiara a avec un gars du lycée.
(Je vais encore écrire 2000 mots, désolé lol)
Après manger on a fait un tour dans les activités des enfants, on a fait du tir à l'arc et du tir à la carabine. Rudy était très content de pulvériser les records des enfants. Ensuite ils ont parlé d'écologie à nouveau et de Zia dans les manifs, de fausse identité et de rage.
On est retournés dans la salle, et toujours personne n'avait besoin de nous ; donc on a cherché un cours d'eau et on est allés s'y baigner. J'avais le cœur qui battait très fort au moment de me mettre en sous-vêtements pour aller dans l'eau, pas à cause de leur regard mais du mien, à cause du corps. Pas le choix cela dit, faut suivre le mouvement dans un groupe. Alors plouf, je les ai rejoints. L'eau était glaciale, les cailloux piquaient les pieds et on s'est rendus compte après-coup qu'il y avait une station d'épuration cent mètres en amont. Nice !
Ça faisait du bien de se rafraîchir mais j'étais... comment on dit ? Trop conscient de moi ? Donc bof. On est ressortis bientôt, merci l'univers d'avoir inventé les vêtements, et Rudy s'est résolument posé dans l'herbe avec un magazine. Il était très clairement passé en mode « solitude » alors Zia et moi avons fait deux parties de Mastermind puis on a lu aussi. J'ai pioché un Roald Dahl dans la bibliothèque du camping-car et j'ai fait de mon mieux pour rester immobile pour lire, sauf qu'il y avait trop de bruits autour pour que mon cerveau se taise donc j'ai passé une heure à tourner dans tous les sens en cherchant une position confortable, sans succès.
Vers dix-huit heures, on est retournés à la salle, et ce coup-ci on avait besoin de nous et des lyres de Rudy, alors on les a installées, adressées (ça y est j'ai complètement pigé l'adressage), et Rudy les a programmées en se calant sur les réglages de couleurs du pro, Julien. Oh, décrivons Julien !
C'est un tekos (j'aime bien ce mot, il est marrant, et pour celleux qui ont pas compris c'est un dérivé de technicien) (tiens d'ailleurs Zia parlait à l'inclusif tout le temps c'était trop bien) bref, heu, recommençons la phrase. C'est un tekos blasé qui aimerait avoir les moyens de faire des shows à la Rammstein, sauf qu'il est coincé sur la même taille de scène depuis trente ans, alors il en a ras le bol. Il est bourru et fermé, c'est le genre de personne qui fait des blagues acides ou désagréablement ironiques auxquelles on ne sait jamais trop comment réagir. Il a des tatouages pas terribles partout et une casquette qui a vécu, une carrure spaghetti à la Rudy mais avec les avant-bras qui montrent qu'il est bien costaud quand même. En même temps, pour faire des lights, pas le choix. Il a fait son taff avec un minimum de motivation et d'engagement, juste ce qu'il faut pour de belles lumières sans faire quelque chose d'incroyable. Il parlait mal à tout le monde sauf à sa famille, et personne ne savait comment engager une relation correcte avec lui ou lui arracher un sourire, un peu de sympathie, ou encore un « merci ». Plus tard dans la nuit on a appris qu'il se la jouait un peu Monopoly-capitaliste en achetant des terrains ou bâtiments un peu partout, donc l'image du tekos qui galère a explosé en mille morceaux. Au final, c'était qu'un rôle, au final il sait très bien ce qu'il fait et il aimerait bien vivre uniquement de ses investissements plutôt que d'avoir à se traîner à des concerts ou événements de merde pour vivre confortablement. J'aurais bien aimé le décortiquer, mais pas le temps, pas l'occasion, et pas trop envie une fois face à son regard blasé. Tellement, tellement blasé qu'il en devenait dur comme de la pierre, ce regard.
Donc on a installé deux lyres, c'est allé plutôt vite, il n'y avait pas grand chose à faire au final. Évidemment il y a eu une galère de synchronisation, mais c'est pas grave, ça s'est réglé vite. À vingt heures trente, Zia et moi avons filé en cuisine prendre des trucs à manger, et on est revenus pour le début de la battle.
Ça a commencé très fort, j'étais ultra impressionné. En même temps, c'était la première fois que je voyais du breakdance en vrai, et il y a de quoi rester bouche bée.
En gros, il y avait des séries de matchs opposant deux équipes de trois danseurs et danseuses à chaque fois, une finale et une équipe victorieuse à la fin. Je crois bien que l'équipe de Fly a ouvert le bal.
Fly a mon âge, il est tout fin tout sec, léger, agile et fort comme un roc. Il a un regard qui transperce et une façon particulière de se mouvoir, comme si exister sans danser était incroyablement difficile, et cette lourdeur lente disparaît dès qu'il esquisse un pas de danse. Je l'avais vu du coin de l'œil aux entraînements, je le trouvais vachement attirant, il avait un je-ne-sais-quoi intéressant.
Donc les matchs se sont déroulés tranquillou, j'étais en charge du strobe (clignotements), Zia des mouvements et de la couleur, et Rudy manageait le tout. C'était fun mais pas très varié : à trois sur deux projecteurs, on s'ennuie vite.
À un moment, Julien le pro des lights m'a demandé de modifier l'inclinaison des machines à fumée, et je me suis senti vachement utile pendant deux minutes.
Plus tard, Zia a repéré une pile de pizzas qui arrivaient dans l'entrée, et on a filé pour aller manger. On a discuté avec une fille de mon âge qui avait de très beaux yeux et qui était la fille de Julien Jaune. On a apporté des parts de pizza à Rudy, puis on est retournés à notre poste. Je me suis mis debout sur une chaise pour regarder, puisque Rudy faisait tout tout seul à présent, et j'ai admiré les gens. Les danseurs et danseuses, évidemment, et puis le public, Julien le pro, Rudy et Zia. Les gens sont passionnants.
À un moment, il y a un petit de huit ans qui est passé, et qui était tout simplement incroyable. Il avait largement le niveau des autres, et cette énergie, ce désintérêt pour le regard des autres, qui caractérise l'enfance. Il nous a bien fait rire, et on a toustes été tristes quand il a été éliminé.
L'équipe de Fly est arrivée jusqu'en finale. Ils ont perdu à ce moment-là, et j'étais très déçu pour lui. Pendant tous les matchs, il affichait un air confiant un peu supérieur, qui faisait un peu mauvais joueur ; m'enfin c'était le jeu, ils étaient censés faire comme s'ils étaient vraiment adversaires, comme si l'équipe d'en face était leur ennemie. Je me suis dit que c'était juste un rôle.
Après la finale a commencé le démontage, et c'est allé si vite que j'en suis encore épaté. On devait être une vingtaine, alors tout est parti en un clin d'œil. Zia et moi avons enfin servi à quelque chose, et les gens étaient contents d'avoir de l'aide.
jamais terminé et c'est bien dommage
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