Royce
Lily sursaute et pivote vers moi, interpellée par ma voix sèche. Si je comptais jouer les indifférents, c'est raté.
On s'en tape.
Je me reprends rapidement et m'assure de ne rien laisser paraître.
Les yeux et la bouche arrondis façon personnage de dessin animé, Lily m'ausculte de la tête aux pieds comme elle a l'habitude de le faire. Son regard candide se ballade partout sur moi et elle rougit d'un seul coup. Ah. Peut-être pas si candide que ça en fin de compte.
Je l'attire, c'est pas vraiment un secret. Un autre jour, à un autre moment, son attitude m'amuserait sûrement. Je m'autoriserais même à jubiler un peu. Mais là, je ne peux penser à rien d'autre qu'à son projet de sortie avec Boyd. Qu'est-ce que ça veut dire une promenade à cheval pour eux?
Pas ton problème, Walters.
J'ai aucun mal à imaginer la scène. Un truc digne d'une comédie romantique à deux balles. Foireux mais efficace.
Eux deux, sur la plage avec leurs canassons. Les bêtes qui se rafraichissent dans l'eau. Lily debout au milieu des vagues. L'autre con qui s'amuse à l'arroser, ce sera pas la première fois. En toute innocence, bien sûr. Après ça jouera à qui coulera l'autre le premier. Encore une fois, en toute innocence. Comme par hasard, Boyd qui trébuche sur elle et ils se retrouvent trempés et emmêlés dans l'océan. Je me demande s'il aura les couilles de l'embrasser. Je me demande si elle le laissera faire.
J'ai la poitrine en feu. Comme si les flammes d'encre qui lèchent ma peau avaient pénétré mes barrières pour bruler à l'intérieur. Et aucun camion citerne au monde ne peut éteindre ce genre d'incendie. Je peux juste fermer ma gueule et endurer.
J'ai des problèmes plus importants à gérer. Que ces conneries d'adolescents m'emmerdent à ce point... c'est pas normal. C'est la preuve que j'ai poussé le délire beaucoup trop loin. Je ne suis pas du genre possessif, comme mec. C'est même le contraire.
Les meufs qui défilent dans mon lit - façon de parler parce qu'aucune d'elles ne voit jamais la couleur de mon plumard - n'ont ni visages, ni prénoms. Elles sont toutes interchangeables. C'est souvent arrivé qu'Hunter passe derrière moi après que j'aie sauté l'une d'entre elles ou que je partage avec Diego. J'ai jamais eu le moindre problème avec ça.
Mais je suppose qu'encore une fois, il faut que Lily fasse exception.
C'est la merde. La dernière chose dont cette fille a besoin, c'est d'être mon exception. Entre ceux qui me haïssent en attendant la plus petite perche que je leur tendrais pour me descendre et les autres qui ont patienté, tapis dans l'ombre comme des chiens, que je sorte de taule et reprenne du service, je ne peux pas me permettre ce genre de faiblesse.
Mais rien qu'imaginer Lily embrasser un autre mec... poser ses mains sur lui...
Bordel!
Evidement, maintenant que je l'ai invoquée, cette image s'étire pour prendre toute la place dans ma cervelle comme un putain de fond d'écran. Pour le moment, elle a même éclipsé l'autre portrait, cent fois pire. C'est mauvais. J'ai besoin de me concentrer sur le cauchemar qu'Hunter m'a foutu dans le crane pour rester lucide et prendre les bonnes décisions.
Pour une fois, une seule fois dans toute ma putain de vie, j'ai intérêt à prendre la bonne décision.
L'estomac à l'envers et l'œsophage plein d'une bile infecte, je ne cille pas quand Lily relève finalement son regard pour croiser le mien. Ses grands yeux scrutent mon visage, pleins d'espoir et je ne suis pas sûr de savoir comment réagir. Qu'est-ce que cette fille attend de moi, merde?
Qu'est-ce qui a pu se passer dans son cerveau bizarre pour qu'elle m'invite à aller voir cette comète avec elle? À quel moment elle s'est dit que ce serait une bonne idée? Elle doit bien se rendre compte que c'est carrément pas normal. La fête foraine était vraiment une mauvaise idée, je le savais mais je me suis laissé influencer. Maintenant elle doit croire que... je sais pas trop ce qu'elle s'imagine mais je suis pas du tout ce genre de mec.
Qu'est-ce qu'elle veut?
La question m'obsède. Devient la musique de fond de toutes mes pensées.
Il lui reste à peu près deux mois sur cette île et après elle se barre. Elle pense peut-être que je pourrais être son coup de l'été. Pas "coup" dans le sens où je l'entends moi évidement, c'est de Lily qu'on parle. Ce serait plutôt un genre d'aventure sans prise de tête.
Et sans sexe.
Les ados aiment ça, je crois. Pendant une minuscule seconde, j'envisage l'idée et un poids dont j'avais même pas conscience semble se retirer de ma cage thoracique remplacé par un espoir ridicule. Après tout, si c'est ce qu'elle veut, je perds quoi à jouer le jeu? Je pourrais continuer de trainer avec elle, profiter de son exubérance vivifiante, l'embrasser...
La seconde est terminée, Walters.
Lily morte. Sa poitrine trouée par une lame. Son sang partout.
À l'intérieur, la bête râle et donne des coups de griffes mais je la tiens bien muselée. C'est vraiment pas le moment de craquer. Je me demande si elle est visible de dehors, si Lily la perçoit. Je ne sais pas quelle expression j'affiche mais ça ne doit pas être joli parce qu'elle pâlit. Son regard se ternit de déception et l'espoir se dilue rapidement dans son bleu.
Boyd soupire et je saute sur l'occasion pour me détourner de la mine perdue de Lily. Il frissonne un peu quand ses yeux croisent les miens mais se garde bien de reculer et reste collé à Lily. Est-ce qu'il se rend compte que je suis en train de me figurer les sons que feraient les os de son visage si je pouvais lui exploser la tronche ?
Moi en tout cas, je me rends très bien compte de la tête que ferait Lily si je mettais le projet à exécution. Je me dépêche de classer cette vision agréable au rang de simple fantasme.
- Tu peux y aller, je crache dans la direction de Boyd, faute de mieux.
Lily tressaille à la brutalité de mon ton comme si c'était à elle que je venais de m'adresser mais je m'interdis de regarder dans sa direction. L'autre con par contre, ne bouge pas d'un pouce. Il cherche la merde ou quoi? Comme si mes nerfs n'étaient pas déjà assez malmenés, il se penche vers Lily pour sonder son regard, l'air inquiet.
- Lily? l'interroge-t-il, le front plissé d'anxiété.
Je grince des dents.
Qu'est-ce qu'il s'imagine, putain? Que je m'apprête à la kidnapper, la séquestrer et la violer? Je me crispe de rage, m'obligeant à rester parfaitement immobile malgré mes doigts qui me chatouillent dangereusement.
Mon poing fermé qui s'écrase sur son visage. Un bruit de craquement d'os quand sa pommette cède. Sa tête qui part brutalement en arrière sous le choc. Du sang qui s'échappe d'une entaille neuve. Son odeur métallique et rassurante qui emplit l'air.
Je me concentre sur cette vision fantaisiste pour garder mon calme. J'ai conscience de réagir comme un con de première catégorie. Ce type n'est qu'un gosse et ses intentions envers Lily sont probablement bien plus honorables que les miennes.
Mais en cet instant, je le hais. Chaque putain de fibre de mon corps n'aspire plus qu'à le haïr. C'est complètement débile. Délirant. J'ai même pas d'explication logique.
Te raconte pas de conneries, Walters. Tu sais parfaitement pourquoi tu peux pas blairer ce mec.
C'est vrai.
Je vais pas prétendre être con au point d'ignorer ce que c'est. Cette rage immonde, presque honteuse, qui me ravage le ventre. Cette sensation gerbante de frustration et d'impuissance mêlées. J'ai pas besoin de l'avoir déjà ressenti pour mettre un nom dessus.
Mais hors de question de le prononcer, même pas mentalement.
Parce que si je l'avoue, ne serait-ce qu'à moi même... si je reconnais que c'est le fait qu'il puisse l'avoir - même pas en fait, qu'il soit simplement autorisé à la convoiter - qui me met dans cet état, alors là je serais vraiment, définitivement dans la merde. À un point de non retour que j'ai aucune envie d'atteindre. Jamais.
- C'est bon, Boyd, lâche Lily d'une voix apaisante qui me ramène à l'instant présent. Ça va aller. Passe une bonne soirée!
Elle lui adresse un petit sourire tendre et je me console en pensant que, de toute façon, casier vierge ou non, l'indien n'a pas beaucoup plus de chance que moi d'être le type qui l'aura pour lui. Pas juste un mec de passage qu'elle aura embrassé à un moment de sa jeunesse ou pour qui elle aura eu un vague béguin.
Non, je veux dire LE mec.
Celui qui aura une vraie place dans l'existence de cette fille. Celui qui pourra se promener dans les rues en lui tenant la main, récupérer tous ses sourires, la prendre lentement comme comme dans les films romantiques qu'elle regarde sûrement, s'assurer qu'elle ne saute pas de repas, la revendiquer comme sienne, mettre son poing dans la gueule de ceux qui s'approchent de trop près sans que ça ait l'air louche.
Celui a qui elle dira oui, quoi.
Pendant une seconde, j'essaye de me le visualiser. Ce gars qui aura sa préférence. Non pas que ça ait vraiment d'importance mais je suis curieux. J'abandonne presque aussitôt parce que l'exercice est trop désagréable.
Ça ne devrait pas pourtant: je ne suis pas candidat pour le poste et je veux bien qu'on me brise les rotules si je l'envisage une seconde. Ce mec ne sera certainement pas moi. Ce sera pas Boyd non plus. J'imagine que le job reviendra à son British Boy ou un type dans le genre. Je me demande si ce petit merdeux se rendra compte de la chance qu'il a, les filles comme Lily courent pas les rues.
Je chasse ce sujet parasite de mes pensées et crispe un peu plus les poings en voyant Boyd tergiverser, même si je me garde de les sortir de mes poches.
Putain! Qu'est-ce que t'attends, elle t'a dit de bouger!
Il finit par acquiescer en direction de Lily avant de reculer. Alléluia. Il pivote sans me jeter un seul coup d'œil. À cet instant, je suis presque certain que mon mépris est réciproque. Je le devine à sa façon ostentatoire et un peu puérile de m'ignorer, à la raideur de ses épaules.
Je ne sais pas trop pourquoi mais l'idée de lui inspirer le même genre d'hostilité qu'il suscite en moi me procure une vague satisfaction. Il finit par décamper, l'échine courbée de déception.
Je ne perds pas mon temps à le regarder disparaitre et me concentre sur Lily. Elle n'a pas bougé. Toujours debout près de la barrière du pré, elle tremble très légèrement alors qu'il ne fait pas froid du tout et ses grands yeux me dévisagent avec une pointe d'anxiété.
Pourquoi?
Est-ce que je lui fais peur, finalement? Pendant un instant, j'ai bien l'impression que oui. La peau de son visage semble trop pâle et même ses lèvres ont blêmi légèrement. Je devrais m'en taper complètement, être soulagé même : ça me faciliterait clairement la tache. Mais c'est pas du tout le cas. L'idée me met juste très mal à l'aise.
Qu'est-ce que ça peut bien me foutre qu'elle flippe ou non devant moi? C'est l'effet que je fais aux gens. J'ai été sculpté par des pros du crime pour inspirer ce sentiment. Une arme de dissuasion parfaitement affutée. J'ai bossé dur pour obtenir ce résultat, toute mon adolescence était consacrée entre autre à cet objectif.
Mais visiblement, je me bile pour rien. Faut croire que c'est pas encore ce soir que Lily commencera à avoir les jetons, je pense avec un rictus mental en la voyant plisser les yeux et redresser le menton pour m'adresser un regard de reproche. Le même genre de regard que celui auquel j'ai eu droit le jour où j'ai suggéré que jouer les asiles pour chevaux déglingués était une perte de temps.
- Tu n'étais pas obligé d'être aussi désagréable avec lui, lâche-t-elle sur un ton qu'elle imagine sûrement dur avec une toute petite moue de désapprobation.
Franchement, à part Diego, elle est vraiment la seule personne qui se risque à me faire la morale.
Je me concentre sur sa question. Lui ? Ah, elle parle de Boyd.
Elle prend sa défense comme avec ce canasson blanc. Avec un peu de chance, elle les classe tous les deux au même rang : celui d'animaux de compagnie. Mais bon, je me fais pas trop d'illusion. Après tout, cette fille prend la défense de tout le monde, y compris de ceux qui ne le méritent pas. Y compris la mienne.
Mon cerveau vagabonde et je me mets à repenser à son attitude quand elle a croisé mon agent de probation tout à l'heure. De gentille fille timide elle est passée en une seconde à maitresse de maison glaciale. C'était... inattendu. Je ne sais pas trop ce que ça m'a fait, sur le coup.
Menteur.
Comme pour me rafraichir les idées et sans prendre la peine de prévenir, mon esprit me balance la scène d'horreur qu'il a créée à partir d'un vieux souvenir insipide. Cette fois, c'est pire parce que la principale intéressée est juste en face de moi, son regard rivé au mien.
Pendant une horrible seconde, la Lily bien vivante qui m'observe en silence et celle de mes pensées, cadavérique et tout aussi silencieuse, se superposent pour ne faire qu'une personne. Mon corps se refroidit d'un coup, comme couvert de givre.
Ça a le mérite de me remettre les idées à l'endroit. Lily n'essayerait pas de me "protéger" avec autant d'application si elle savait le risque que je suis en train de lui faire courir par pur égoïsme. Par lâcheté.
- Non. Mais j'en avais envie, je réponds d'une voix égale sans détourner les yeux.
Le visage incliné dans sa direction, je la scrute de mon regard le plus froid pour bien faire passer le message. Elle déglutit et frissonne encore. Ses paupières papillonnent de surprise et les quelques goute d'hémoglobines qui coloraient encore son visage se font la malle.
Putain! Pourquoi est-ce qu'il faut qu'elle ait l'air aussi vulnérable, merde? Je me force à maintenir ma façade, contient la pulsion ridicule qui me pousse à la rassurer. C'est pas le moment de merder.
Si elle renonce maintenant, tout sera plus simple.
Allez, ma belle. Envoie moi me faire foutre.
Ses yeux bleus ressemblent à deux vitres transparentes. Ils ne cachent rien, vous offrent la moindre de ses émotions sur un plateau d'argent. Par contre, pour essayer de capter les pensées qu'il y a derrière, c'est un autre chantier.
Je fixe la petite ride d'anxiété qui se creuse entre ses sourcils blonds. Son regard brille sans que je sache si c'est l'effet du reflet de la lune sur une couleur aussi pâle ou d'une émotion qui m'échappe. Elle soupire, détourne les yeux avant de les reposer sur moi la seconde d'après.
À quoi est-ce qu'elle pense?
Y a pas grand chose que je ne donnerais pas pour le savoir. Je m'arrange pour ne montrer aucun signe d'impatience, histoire de lui laisser le temps de se décider. Je continue quand même de la toiser sans douceur pour faire pencher la balance du bon côté.
Refuse, Lily. Ne m'oblige pas à te faire endurer mon seul plan de secours.
Elle recule d'un pas et affiche soudain une expression résignée, presque abattue. Pendant une toute petite seconde, j'ai l'impression qu'elle a entendu ma prière et s'apprête à m'envoyer chier. C'est la seconde qu'il me faut pour me rendre compte que j'en éprouve pas autant de soulagement que je le devrais.
De toute façon, je me suis encore planté. Elle n'a pas l'intention de se tirer. Elle hésite encore une seconde, ouvre la bouche, la referme, l'ouvre encore. Elle relève le menton pour me parler et m'offre encore une fois son air buté. Ça n'empêche pas sa voix de trembler légèrement quand elle pose sa question:
- Pourquoi est-ce que tu veux aller voir cette comète avec moi?
Je ne veux pas.
Je ne veux plus. Pas avec ce que je sais.
Je lui épargne cette vérité. À la place, je lâche d'un voix blanche.
- C'est toi qui m'as invité, je te rappelle.
Elle tressaille et se mordille la lèvre inferieur. Je m'interdis formellement de regarder dans cette direction. Son regard complètement paumé semble essayer de sonder le mien. Dommage pour elle qu'il n'y ait rien à trouver. Cacher de sales vérités n'a rien de compliqué pour moi. Je suis un menteur pro.
- Oui, je sais. Mais tu avais dit non, elle m'oppose plutôt calmement quand on considère son agitation apparente. Tu as dit que tu ne voulais pas brouiller les limi...
- Je sais ce que j'ai dit. J'ai changé d'avis, je mens.
- Mais pourquoi? elle s'écrie.
Pour écraser tes illusions ridicules d'adolescente naïve. Parce que tu allais dire oui à Boyd.
Encore une fois, aucune de ces vérités ne m'échappent, je me garde bien d'ouvrir ma gueule pour les lui dire.
Qu'est-ce qu'elle s'imagine? Que j'ai envie de me retrouver sur cette plage avec elle en sachant que j'ai pas intérêt à la toucher, même si elle le demande? Que ça me branche de passer ma soirée à attendre une putain d'étoile filante et à lui faire regretter de m'avoir choisi?
Pourquoi moi, d'ailleurs? Elle est stupide ou quoi? À quel moment je lui ai donné l'impression d'être le genre de type qu'on invite à une soirée romantique? Parce que c'est de ça qu'il s'agit, non? Je suis pas un expert mais les sorties à la belle étoile, il me semble que c'est pas fait pour discuter boulot.
- Qu'est-ce que tu veux entendre? je demande d'une voix narquoise comme si ce qu'elle pourrait dire n'avait de toute façon pas vraiment d'importance même si, en vérité, ça m'arrangerait qu'elle réponde clairement à la question.
Ses traits s'affaissent brusquement et elle recule la tête comme si je l'avais giflée. Pourtant là, j'essayais pas spécialement d'être blessant. Elle a l'air tellement mal, putain. Putain! J'inspire par le nez et m'arrange pour ne rien laisser paraître.
Comment est-ce que je vais tenir toute la soirée?
Elle déglutit, cligne plusieurs fois des yeux. Elle ne me lâche pas du regard et sa détresse est aussi visible que si elle portait un drapeau au-dessus de la tête. J'aurais jamais cru que jouer les connards puisse être aussi fatiguant. Je vais pas le supporter très longtemps, je sens déjà ma détermination faiblir, mes résolutions s'éloigner.
Merde! Je tressaille en prenant conscience d'à quel point Vadim est proche de la vérité. Cette fille n'est pas ma Bianca mais elle reste mon point faible. L'évocation de mon ancien boss ramène à la surface le souvenir truqué, celui dans lequel j'ai remplacé Bianca par Lily, et je reprends illico mes esprits.
Une soirée, c'est pas la mort. Lily préfèrera sûrement passer une sale soirée qu'elle finira par oublier que devenir le moyen de pression le plus efficace pour me faire flancher aux yeux des pires ordures de l'île.
De toute façon, Vadim ou non, elle survivrait pas deux jours dans mon monde, je songe amèrement en observant sa peau pâle, ses grands yeux naïfs et son visage plein d'une innocence que je pensais pas exister. Non pas que j'ai déjà pensé à le lui faire intégrer, c'était juste une remarque en l'air.
Fais moi plaisir, arrête les remarques en l'air, Walters.
Je pose un regard distant sur la fille qui, sans le savoir, est en train de foutre en l'air tous mes plans. Elle a passé ses deux bras autour de sa poitrine comme pour se protéger du froid. Je ne sais pas trop ce qu'elle a mais ça n'a sûrement rien avoir avec la température parce que l'air est aussi sec que moi, limite étouffant .
Je me retiens de faire une connerie du style aller chercher ma jacket dans ma bagnole pour la lui passer et jette un coup d'œil distrait à sa tenue, histoire de voir si je devrais l'obliger à aller chercher un sweat. C'est là que je remarque ce que la présence irritante de Boyd et mes emmerdes personnelles m'ont fait manquer.
Elle porte une robe. Lily porte une robe.
Je retiens ma respiration.
Bordel. De. Merde.
Comme si j'avais pas déjà assez de mal à garder la tête froide, il a fallut qu'elle mette une putain de robe. Elle va vraiment me compliquer la tache jusqu'au bout. Cette fille est toujours jolie, j'ai pas mis très longtemps à m'en rendre compte - même moi je suis pas buté au point de faire semblant de l'ignorer. Mais là c'est cent fois pire!
La robe est plutôt sage: simple, blanche, pas très décolletée. Aucune surprise de ce côté là. N'empêche, je m'en serais bien passé. Si je croyais au destin ou a une connerie du genre, je dirais qu'il se fout de ma gueule. Je sais déjà ce que je loupe, pas la peine de me l'agiter sous le nez.
Pendant quelques secondes qui s'écoulent à une vitesse infernale, je m'autorise à la regarder vraiment. Ça reste quelques secondes de trop mais tant pis. Ses boucles pales tombent en cascade sur ses épaules, frôlent ses clavicules frêles dévoilées par le col. J'évite de lorgner sur sa petite poitrine que cette robe met joliment en valeur.
Lily n'a jamais autant ressemblé à un putain d'ange qu'en ce moment. Elle ne m'a jamais parue aussi inaccessible non plus. C'est plutôt marrant quand on pense qu'en générale, j'aime bien que les meufs portent des robes parce que ça les rend justement plus accessibles. Zéro barrières, suffit juste de remonter les doigts et...
Merde!
Putain, Walters! Va pas dans cette direction!
Je serre les dents et relève les yeux en vitesse. Lily me dévisage avec une espèce d'appréhension et pendant un instant, j'ai peur qu'elle ait cramé la direction qu'étaient en train de prendre mes pensées. Mais la connaissant, c'est très peu probable.
Bon, vu qu'elle a pas l'air sur le point de renoncer à son projet de soirée, autant en finir rapidement.
- On y va?
Elle hoche la tête, l'air vaguement soulagée.
Si elle savait...
- D'accord.
Je patiente une seconde, le temps qu'elle ramasse son sac-à-dos ours en peluche, et trace vers la sortie. Je ne prends pas la peine de ralentir, la laisse accélérer le pas pour rester à mon niveau. Elle semble quand même maintenir une distance de sécurité entre nous. Je ne perds pas de temps à m'interroger sur ses raisons, j'y serais encore demain.
Je l'attends pour traverser la grande route, me place comme par réflexe entre les véhicules et elle. Je marche devant elle et, pendant tous le trajet jusqu'à la plage, je la sens me fixer. Son regard me réchauffe l'arrière de la nuque. Qu'est-ce qu'elle regarde comme ça? J'essaye de faire abstraction de la sensation persistante d'être épié. C'est pas si désagréable quand c'est elle qui mate. De toute façon...
Bordel de merde!
Je stoppe net en haut de la volée de marches qui mènent au sable. Lily s'immobilise à côté de moi. J'aurais dû m'y attendre: tout le monde ne parle que de cette connerie de comète depuis plusieurs jours. N'empêche en voyant la foule grouillante et monstrueuse qui s'est amassée sur la plage, j'hésite sérieusement à faire demi-tour aussi sec pour me tirer de là.
Je me crispe en balayant la masse du regard. On dirait un troupeau de moutons, sans personnalité ni différences, aussi prévisibles que la météo, chiants à crever. Des mioches qui gesticulent dans tous les sens en gueulant comme s'ils s'étaient donné pour mission de niquer tous les tympans à proximité, leurs bourges de parents qui leur crient après, des serviettes collées les unes aux autres, des ados en rut qui se roulent des pelles un peu partout, à peine la place pour circuler sans marcher sur un bras ou une jambe.
En clair, tout ce que je déteste.
T'aimes pas grand chose, Walters.
Je suis en train de considérer très sérieusement la possibilité de me tailler quand Lily me double sans un mot et commence à traverser la plage, pieds nus. Je la regarde se frayer un passage entre les gens sans jamais bousculer personne. C'est fou comme elle se démarque, même là sur son terrain, au milieu de ses paires. Comme si on avait foutu un papillon dans une boîte pleine de mouches.
Tu viens vraiment de la comparer à un putain de papillon?
Je soupire et me frotte les paupières d'une main. Et si je la laissais seule et que je m'en allais? Ça m'éviterais d'avoir à jouer les connards toute la soirée et ce serait sûrement assez crade pour la dissuader de trainer dans mes pattes.
Lily est déjà à plusieurs mètres. Elle ne remarque pas les quelques mecs qui se retournent pour la suivre des yeux en échangeant des sourires entendus et des clins d'œil enthousiastes. Mais moi si. C'est suffisant pour me décider.
Je me lance à sa suite, bouscule d'un coup d'épaule le mec qui continue de lui mater le cul. Il trébuche sur une glacière et se casse la gueule.
- Fais gaffe mec! T'es pas... il commence avant de s'étouffer avec sa salive quand je me retourne pour croiser son regard.
Je secoue la jambe pour me dégager du gosse haut comme un tabouret qui vient de s'accrocher à mon fute et rejoins Lily en quelques enjambées. Je lui colle au train pendant qu'elle cherche un emplacement. Je suis tellement proche que je peux sentir sa chaleur m'effleurer. C'est pas vraiment la meilleure chose à faire vis à vis de mes plans mais si ça peut éviter que d'autres types la reluquent...
Soulagé, je note qu'elle a pris une place plutôt éloignée de la foule. Elle me jette un coup d'œil incertain, sourcils haussés, comme pour guetter mon approbation et je me demande si c'est pour moi qu'elle veut se poser à l'écart. J'espère que non. De toute façon, comment elle pourrait savoir que les foules me donnent la gerbe?
Elle fouille dans son sac-à-dos et je me laisse tomber dans le sable avant qu'elle n'essaye de me proposer une serviette. Si je dois jouer au con, autant commencer tout de suite. Elle a l'air légèrement déçue mais ne se démonte pas et s'assied en tailleur sur son rectangle de tissu.
Je fais mine de ne pas remarquer qu'elle me regarde. Les yeux braqués sur la ligne très mince et presque imperceptible qui sépare l'océan du ciel, j'essaye de parier sur le temps qu'elle tiendra. Pas trop longtemps, j'espère. J'ai pas non plus envie de lui pourrir toute sa soirée.
Si elle se décide pas trop tard à lâcher l'affaire, je pourrais toujours appeler Mia pour lui dire de rappliquer. L'idée me plaît pas des masses mais je préfère savoir Lily avec elle plutôt que près de Boyd ou Quinn. Mia dira sûrement pas non, pour je ne sais quelle raison, elle semble avoir pris Lily sous son aile. C'est tout juste si elle la vénère pas.
J'imagine qu'elle trouvera mieux que moi quoi dire pour la dérider. Elle lui fera sûrement l'inventaire de toutes les raisons pour lesquelles je suis un sale con et celles qui font que Lily devrait pas m'approcher, je songe en grinçant des dents. Et elle aurait raison.
Je pige toujours pas comment cette peste peut être amie avec Lily. Et je suis pas sûr d'apprécier. Non, je suis sûr de pas apprécier.
Mia fait partie des gens qui en savent un peu - beaucoup - trop sur moi, et pas les trucs les plus jolis. Plutôt ceux que j'essaye d'oublier mais qui reviennent me pourrir l'existence à la moindre occasion. Le pire c'est qu'elle est parfaitement consciente du pouvoir qu'elle a. Elle sait très bien que la voir trainer avec Lily me met mal-à-l'aise et elle prend son pied à m'emmerder.
Elle me fait penser à une espèce de carricature que j'ai vue sur une affiche dans un bar. On y voyait une version encore plus moche du taré qui nous sert de président, le doigt en suspens au dessus du bouton nucléaire, un sourire de cinglé aux lèvres. Pas besoin de texte, c'est parfaitement explicite.
J'appuie? J'appuie pas?
Je lui dis? Je lui dis pas?
Et moi comme un con, je reste là à me demander ce qu'elle a balancé à Lily, ce qu'elle compte balancer. Si je pouvais faire en sorte qu'elle se tienne à distance, je le ferais. Mais j'ai pas vraiment mon mot à dire là-dedans. Et pour une raison qui m'échappe, Lily a l'air d'apprécier sa compagnie alors...
Je suppose que je devrais pas être surpris, après tout, elle semble aussi apprécier la mienne.
Plus pour très longtemps, Walters.
Je serre les paupières. En tout cas, que je la tolère ou non, Mia sera ma meilleure option en fin de soirée. Je finis par relever la tête et croiser le regard de Lily en essayant de comprendre pourquoi il s'attarde à ce point sur moi. J'ai à peine le temps de capter une lueur triste dans ses yeux qu'ils me fuient aussitôt.
Qu'est-ce qu'elle a?
Encore une fois, pas ton problème, Walters.
Je ne pose pas de question. C'est pas comme si je pouvais l'aider de toute façon. Je ne suis pas ce mec là moi, le type censé la consoler. Je fais pas dans ce genre de délires. Non, moi je suis juste la raison pour laquelle elle a besoin d'être consolée.
J'imagine que Boyd se fera un plaisir de s'en charger, je songe, un goût amer sur la langue. Ou alors elle appellera son British Boy au téléphone et il lui dira qu'il l'aime en espérant qu'elle l'entende vraiment. Ça finira par arriver. À un moment donné, elle l'entendra.
Mes idées noires sont brusquement balayées comme un coup de vent éparpille les feuilles mortes sur un trottoir. Lily vient de pivoter à demi, me tournant presque le dos pour avoir un meilleur point de vue sur la plage et j'écarquille les yeux, ravalant ma salive avec difficulté.
C'est pas vrai!
Je retiens ma respiration, ahuri. Si sa robe paraissait toute innocente de devant avec le petit petit ruban de gamine et le col sage, c'est pas la même histoire de derrière. La limite du tissus qui devrait normalement suivre la ligne de ses épaules fait un écart, contourne ses omoplates et descend en arc de cercle, laissant son dos presque entièrement visible.
Encore sous le choc, je m'autorise à respirer de nouveau. Je ne parviens pas à détacher les yeux de sa peau laiteuse et sans défaut. Je n'essaye même pas pour être honnête. C'est juste... inattendu.
Même comme ça, le vêtement reste très décent, on est a des kilomètres de la vulgarité. Les meufs que je "fréquente" auraient l'air de nonnes, là-dedans. Mais pas Lily. Elle, elle est juste... belle. Trop pour être vraie. N'empêche, je l'imaginais pas porter ce genre de trucs. Elle est beaucoup trop réservée. Et pudique.
Il y a quelque jours, j'aurais kiffé la voir habillée comme ça. Mais là, je me passerais vraiment de ce genre de distractions. Le regard toujours rivé à son dos dénudé, j'essaye de trouver la motivation pour me détourner, de me rappeler pourquoi ça vaut mieux. Ça a pas trop l'air de fonctionner.
Je crève d'envie de la toucher. Tellement que j'ai l'impression d'avoir les doigts qui brulent, comme parcourus d'un courant électrique.
N'y pense même pas, Walters.
Merde. Merde. Merde.
Je serre les dents et coince mes mains sous mes genoux, juste pour pas être tenté. Je m'oblige à écarter le regard de sa peau et m'exécute de mauvaise grâce. Pour quelle raison il a fallu qu'elle se sape comme ça? Elle le fait exprès ou quoi?
À ton avis, ducon?
La pensée, absurde mais presque plausible, fuse de nulle part. Je fronce les sourcils. Alors elle... quoi? Elle aurait mis cette robe pour moi? Pour me plaire? Je me passe une main dans les cheveux, complètement paumé.
Je ne vais pas jouer les hypocrites et prétendre que l'idée ne me fait rien du tout. D'une certaine manière, c'est... touchant. Complètement inutile - cette fille me plait déjà bien trop pour son bien - mais touchant. Sauf que ça ne fait que me compliquer la tâche.
Je me concentre sur son visage pour reprendre mes esprits. Elle ne fait plus du tout attention à moi, trop concentrée sur l'animation autour de nous. Elle regarde le bordel qui nous entoure comme si elle était en train d'assister à un putain de spectacle.
Ses yeux se posent partout avec intérêt. Elle suit du regard les gosses turbulents, une moue attendrie plaquée sur ses jolies lèvres, sourit sans raisons, observe les familles avec une espèce d'envie. Je me détourne rapidement, le temps de jeter un coup d'œil à ce qui peut bien susciter autant d'émotions.
Mais comme je m'y attendais, y a rien à voir. Juste un troupeau d'humains pathétiques qui veulent croire que leur vie est pas si merdique, le temps d'une soirée. Se convaincre qu'ils regrettent pas d'avoir fait des mômes, que leur mariage est pas si foireux que ça, que leur partenaire baise pas avec la voisine, que le plus important est qu'ils ont bien réussi leur vie alors que toute leur thune changera rien au fait que leur existence est à chier.
Je reviens sans regret à Lily qui continue d'épier le monde, les yeux grands ouverts, de la lumière plein le regard. Elle fait ça souvent. Donner l'impression que ce qui l'entoure n'est pas aussi merdique que ça en à l'air. Mais ça l'est. Rien n'a d'intérêt sur cette plage grouillante. Rien ne mérite qu'on s'y attarde plus de trente secondes.
Rien mis à part elle.
Je secoue la tête d'exaspération, probablement poussé par la partie de moi encore lucide. C'est pas avec ce genre de pensées que je vais réussir à la chasser de mon esprit. Mon portable vibre discrètement et je saute sur l'occasion de me distraire. Je le déverrouille et ouvre le message.
Il est d'un numéro inconnu mais j'ai qu'à parcourir les premiers mots pour deviner l'identité de l'expéditeur. Qu'est-ce qu'elle me veut, celle-là?
Si je voulais virer Lily de mon cerveau, c'est mort.
Numéro inconnu: ecoute moi bien espèce de sale racaille, t'as interet a te tenir a carreaux ou tu vas sentir ta douleur. Je kiffe cette fille et je sais pas pourquoi elle s'accroche a toi mais si tu te fous de sa gueule je te coupe les boules et je les donnes a bouffer a ton clebs. je lui ai quasiment rien dit sur toi parce que D me l'a interdit mais je peux encore changer d'avis alors me tente pas.
Clair et concis.
Je parcoure d'un regard blasé les sept émoticônes tête de mort et les trois couteaux qui viennent étayer le message, juste au cas où j'en aurais pas déjà saisi la teneur. Saleté de gamine prétentieuse.
Elle a de la chance d'être la sœur de Diego, sinon ça ferait un bail que je l'aurais baisée et jetée comme un kleenex sans le moindre état d'âme. Mais là, rien que l'idée de me la faire me donne mal au crâne. Je préfère encore me planter désarmé devant les mecs de mon ancien gang et leur dire de shooter.
Je prends pas la peine de la texter. Le silence répond aux conasses. J'ai pas le temps de ranger mon portable qu'un nouveau message le fait vibrer dans ma main. Quoi encore?
Numéro inconnu: au passage, la robe est pas une invitation espèce de sale clochard, c'est juste pour que Lily se sente bien. alors tu gardes tes mains d'obsédé pour toi
Emoji pierre tombale. Emoji pierre tombale. Emoji pierre tombale.
Ah. C'est Mia qui lui a choisi sa tenue. Au temps pour moi, maintenant que j'y pense c'est plutôt évident. Lily aurait jamais mis cette robe toute seule. J'aurais dû m'en douter au lieu de partir dans mes hypothèse foireuses.
Lily n'a toujours pas bougé, la tête basculée en arrière elle fixe le ciel avec un air béat qui serait complètement ridicule sur quelqu'un d'autre. Je suppose qu'elle attend sa comète, après tout c'est pour ça qu'on est là.
Troisième vibration. Putain de harceleuse, je pense avant de me rendre compte que le message n'est pas d'elle cette fois. Elle reste une putain d'harceleuse.
Diego: J'essaye de joindre Mike depuis une h mais il repond pas. Tu sais ou il est ?
Je tapote les touches du pouces pour lui répondre. Absorbée par sa contemplation, Lily ne remarque rien.
Moi: Pas dans ma poche. Pourquoi t'as filé mon num a ta sœur?
Diego: Elle me l'a demandé.
C'est tout. Comme si la justification suffisait.
On dirait toi si tu devais expliquer pourquoi t'as pris Lily à l'arrière de ta bécane, pourquoi tu l'as embrassée et pourquoi tu l'as laissée te trainer à une fête foraine.
Moi: Achete toi des couilles.
Diego: Et toi arrange toi pour garder ta queue dans ton froc. Ce serait pas une bonne idée de te faire cette fille en ce moment.
Je réprime un sifflement de rage qui manquerait pas d'alerter Lily. Les yeux rivés à l'écran de mon portable, je le fusille du regard comme si Diego pouvait me voir. J'ai mal aux doigts à force de les crisper sur l'appareil. Il est con, putain! À lire son message, on dirait que Lily est comparable à toutes les autres meufs et que je pourrais me la taper comme ça, juste parce que ça me tente. Il a rien compris, il est complètement à côté de la plaque!
Sur les nerfs, j'effleure les touches de mon portable à toute vitesse.
Moi : C'est ta sœur que je vais me faire espece d encule de mes 2. C est pas parce que t'as besoin de payer pour te faire sucer que toutes les meufs sont des putes. C est sympa de t'inquieter pour Lily mais figure toi qu'y a encore des filles sur cette terre qui ecartent pas les jambes juste parce qu'on leur demande. Je sais que tu peux pas comprendre parce que Mia en fait pas partie mais Lily ne...
J'ai pas le temps de terminer parce qu'une nouvelle notification apparait sur ma barre d'écran.
Diego: ok avant que tu te mettes a insulter ma sœur ou ma daronne, je prefere mettre les choses au clair. j'étais pas en train d'insinuer que ta chica est une fille facile. juste qu'elle t'aime bien et que t'auras plus de mal a faire croire a Vadim qu'elle est rien pour toi si tu l'as mise dans ton pieux
Je me prends un courant d'air froid dans les poumons. Evidement, il a fallu qu'il mentionne Vadim, comme si ce putain de nom était pas déjà inscrit au fer rouge dans mon crâne, en majuscule en arrière-plan de toutes mes pensées comme un panneau d'avertissement depuis que je sais qu'il s'intéresse à elle.
Je relis son message d'un œil morne. J'ai envie de lui répondre que Lily coucherait pas avec moi juste parce qu'elle "m'aime bien", comme il dit. Mais je ferme ma gueule parce je préfère éviter de réfléchir au mec qu'elle aimera assez pour ça. J'aimerais aussi lui dire que j'ai pas besoin de faire croire quoi que ce soit à qui que ce soit parce qu'elle n'est rien pour moi. Sauf que même moi, je suis pas d'aussi mauvaise foi.
Lily n'est pas rien. À mon avis, elle a arrêté d'être rien dès le premier jour, quand elle m'est rentrée dedans avec sa valise trop grosse, ses joues colorées et ses vouvoiements complètement hors de propos. Qu'est-ce qu'elle est dans ce cas?
Je pose les yeux sur elle pour la centième fois de la soirée en me demandant ce qui la rend différente au point de lui valoir cette place à part dans le néant de mon existence. Je renonce aussitôt, la liste est beaucoup trop longue.
Elle a remonté ses jambes contre elle et posé son menton sur ses genoux comme une petite fille. Ses boucles à peine plus foncées que sa robe retombent par dessus son épaule et me cachent une partie de son visage. Ca ne m'empêche pas de distinguer son teint pale, ses yeux clairs habituellement curieux qui interrogent le ciel avec une sorte de mélancolie résignée. Les miens restent braqués sur elle et une sorte de douleur me compresse les poumons.
Je capte encore une fois l'ampleur du désastre vers lequel je me suis mené tout seul comme un grand. Ça venait droit sur moi, gros comme un camion. Je comprends toujours pas comment j'ai pu mettre aussi longtemps pour m'en rendre compte, je suis bouché ou quoi?
Diego l'avait cramé depuis un bail, lui. Toutes ses allusions pas si discrètes que ça me reviennent en pleine face et j'ai l'impression qu'on vient de me jeter un sceau d'eau glacée sur la tête.
"Qu'est-ce que ça peut te foutre, ce qu'elle veut ?"
" T'aurais joué les taxis pour une autre qu'elle ?"
"T'avais pas l'air bien tout à l'heure en tout cas. Quand t'as capté qu'elle était plus là."
"Non mais c'était pas de vraies questions, de toute façon. Je voulais juste t'emmerder. J'ai déjà mes réponses en fait".
Comment j'ai pu gober mes excuses aussi longtemps? Qu'est-ce que c'était, d'ailleurs? Elle est sexy, c'est pour ça que je la regarde? Ça veut rien dire, je vais juste lui rendre service? Elle est mignonne, c'est dur de lui dire non?
La vérité c'est qu'elle s'est infiltrée à l'intérieur de moi pour y prendre sa place sans que je m'en aperçoive. Ou alors si et je l'ai laissé faire. Je me suis attaché à cette fille comme les gens normaux s'attachent à d'autres gens normaux.
Mais je ne suis pas quelqu'un de normal. Comment j'ai pu laisser un truc pareil arriver, bordel?
Mais c'est même pas encore ça le plus inquiétant. Non, ce qui me fait baliser à mort, c'est la sensation oppressante que ça pourrait être cent fois pire. C'est comme si j'étais assis sur une pente à soixante degrés, à glisser un peu plus à chaque minute que je passe avec elle. Rien pour m'accrocher ou freiner ma chute. Et en bas, le gouffre. Ce putain de point de non retour que je voulais éviter. Si je me laisse tomber, je suis pas certain de pouvoir remonter.
Jolie métaphore pour évoquer le fait que tu t'es entiché de la petite Williams, ducon.
Mon cœur démarre dans un dérapage, fait gicler le gravier et part à deux-cent à l'heure. Un vent de panique - ou alors, c'est de l'impuissance - me gèle les poumons. Je me prends la tête dans les mains et agrippe sèchement une poignée de mèches à la racine pour garder un lien avec la réalité. J'ai envie de cogner dans un mur. Avec ma tête de préférence, des fois que ça puisse me remettre les idées en place.
De son côté, Lily n'a pas bougé. Elle a juste posée la joue sur le sommet de ses genoux. Le regard las, le front un peu plissé, elle a l'air perdue dans son petit monde. Elle se rend pas compte que le mien est en train de se fissurer, suintant la pourriture. Elle a aucune putain d'idée de la merde noire dans laquelle elle m'a foutu. Dans laquelle je l'ai foutue.
Je me laisse basculer en arrière en expirant par le nez pour retrouver un semblant de mon sang froid et me cache derrière mon bras. Le regard de Lily pèse aussitôt sur moi mais je n'ai pas du tout envie de le croiser en ce moment.
Je suis pas du tout certain de ce qu'elle pourrait lire dans le mien. Sûrement un truc semblable à ce qu'elle déchiffre chez les autres mecs. Boyd. British Boy. Et un tas d'autres dont je n'ai même pas envie de connaitre l'existence. Je me pensais pas aussi faible.
Si Vadim apprend que... s'il comprend sur quoi il a mis le doigt...
La vision ensanglantée me traverse l'esprit avec la subtilité d'une lame qui fouillerait mon cerveau.
Lily, étendue sur un carrelage sale, le regard figé, les cheveux tachés d'hémoglobine, la poitrine déchirée. Son sang partout.
Je me sentirais pas plus mal si on venait de me planter des ciseaux dans le sternum.
Ça n'arrivera pas. Je ne le permettrais pas. Lily n'a rien à voir avec Bianca. La meuf de Nolan n'était personne, sa mort est passée aussi inaperçue qu'une fausse note dans un concert de métal. Mais Lily est une Williams. Son oncle est le mec le plus influent de l'île, son père était un flic reconnu. Vadim a beau être impulsif, il est certainement pas con. Il n'a probablement pas envie de se retrouver avec le FBI sur le dos. Il ne prendrait pas autant de risques sans être sûr de lui.
Je ferais en sorte qu'il ne le soit jamais. Je suis un pro du bluff, à ce jeu je suis même meilleur que lui. Il n'a pas besoin d'être au courant. Personne n'a besoin de savoir. Même moi, je ferais mieux de l'ignorer. C'est jamais bon d'alimenter ses délires.
Je me détends, résigné mais conforté dans mon objectif. La sortir de ma vie.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro