Royce
J'aurais pas dû accepter. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de suivre la petite troupe de labradors bien dressés de Chris. Je devrais être à l'ombre dans le garage, à bosser sur un nouveau moteur, à faire quelque chose de constructif.
Au lieu de ça, je suis coincé dans un putain de pré pour participer à la construction d'un abri pour chevaux mentalement handicapés. Si quelqu'un m'avait dit ça il y a quelques semaines, je l'aurais sûrement cogné par principe, je pense en ajustant l'angle de la bétonnière avec le volant.
Derrière moi, les employés de la propriété Williams s'activent comme des putains de fourmis ouvrières, motivés par l'appât du gain ou juste par la perspective d'être dans les petits papiers du "boss". J'aimerais pouvoir les regarder de haut mais je fais pareil. Même si faire plaisir à Chris est le dernier de mes problèmes.
Je me penche pour ramasser un des énormes sacs de sable qui viennent d'être livrés et en vide la moitié dans la machine avant de compléter avec un seau d'eau et du ciment. Mes muscles me tirent légèrement à cause de la course et de ma nuit blanche mais la douleur ne me dérange pas, au contraire, elle me tient éveillé.
Ce qui m'emmerde par contre, c'est la chaleur écrasante qui fait suinter l'air et me vrille le crâne. Je regarde la matière grisâtre se mélanger en essuyant mon front mouillé du dos de la main.
Évidemment, il faut qu'on fasse ça un jour de canicule. On doit approcher les quarante degrés. Je vois pas où est l'urgence, ce cheval peut survivre encore quelques jours sans toit. Mais Chris en a décidé autrement et je suis obligé de me cramer la tête sous le soleil comme les autres parce que, sans aucune raison valable, j'ai accepté de participer. Ça doit être les augmentations qu'a promis Williams qui m'ont convaincu. Je ne crache jamais sur du cash supplémentaire.
Ouais, on va essayer d'y croire, ça n'a surement rien avoir avec la petite blonde qui est à l'origine de ce projet de construction. Rien du tout.
Je ne sais pas comment elle l'aurait pris si tous les employés se tuaient à la tâche pour aider son putain de cheval, sauf moi. Je vois déjà la déception dans ses grands yeux d'un bleu absurde accompagnée de ce pli en forme de v qu'elle a entre les sourcils quand on la contrarie.
Personne n'a envie d'être l'origine de cette expression sur son visage, surtout quand on a déjà aperçu son sourire. Le genre de sourire qui vous donne l'impression d'être le roi du monde alors que vous n'avez rien fait, qui rend presque impossible de lui dire non.
Je déteste ça.
Je déteste savoir que d'une manière ou d'une autre, elle a réussi à avoir une espèce d'emprise sur moi. Je me demande si elle est au courant du pouvoir qu'elle a sur les gens, si elle en joue. Mais ça lui ressemble tellement peu que ça m'étonnerait.
Elle est assise depuis une bonne heure en équilibre sur la barrière du pré, en plein soleil, comme pour nous surveiller. Je voudrais qu'elle rentre parce qu'elle me déconcentre. Parce que de toute façon, elle est d'aucune utilité par ici. Et parce qu'elle va se choper une putain d'insolation pour rien. Je ne veux même pas savoir pourquoi je me préoccupe de ce dernier point. C'est le cas, c'est tout.
Mais je sais déjà qu'aller lui ordonner de dégager serait une perte de temps. Elle va sûrement hausser le menton et s'indigner avec son air de bébé animal en colère, mais m'obéir? Ça non, je crois pas.
Tel que je commence à la connaître, elle s'est sûrement plantée là pour compatir avec les employés et elle regrette de ne pas pouvoir nous aider. Une vraie martyre née, cette fille.
Quand on pense que l'un de mes passe-temps les plus fréquents est d'infliger de la douleur aux gens alors qu'elle essaye de partager la souffrance des autres, j'aimerais bien savoir pourquoi elle m'adresse la parole. Cette question m'obsède. Elle tourne et retourne dans ma tête à chaque fois que j'ai deux minutes pour penser.
Qu'est-ce qu'elle me veut?
Elle doit être maso pour traîner en permanence autour de moi. Ou alors, elle est juste naïve. C'est peut-être de la curiosité mal placée mais ça ne lui ressemble pas vraiment.
Ah parce que tu sais ce qui lui ressemble ou non, maintenant? Redescends sur terre, Walters.
Je m'écarte de la bétonnière et laisse Dallas vider son contenu dans une brouette pour retourner m'accroupir près des fondations du nouveau mur. J'ai l'impression de sentir le regard de Lily sur ma nuque mais c'est probablement mon imagination. Ça ne coûte rien de vérifier.
Je me retourne pour lui jeter un coup d'œil et intercepte aussitôt son regard clair. Ok. Je me trompais pas. À l'instant où elle se rend compte que je l'ai cramée, ses joues virent au rose foncé, je peux le voir même à cette distance. Mais elle ne baisse pas les yeux, on progresse.
Elle me fixe en se mordant la lèvre, l'air gêné comme si je l'avais surprise à faire une connerie. Quoi? Parce qu'elle me regardait? Vu la couleur de son teint, elle devait avoir des pensées pas très chrétiennes. Cette idée me paraît aussi peu probable que perturbante et je l'écarte aussitôt. C'est pas son genre.
Pourtant, elle était en train de me mater. Tous les mecs autour de moi sont à moitié à poil. Je suis le seul à ne pas avoir viré mon haut, je galère comme un con dans mon débardeur trempé de sueur mais c'est moi qu'elle regarde, comme si les autres n'étaient pas là.
Faut qu'elle arrête de faire ça. Ça me donne des idées qui lui plairaient sûrement beaucoup moins que l'enveloppe corporelle qu'elle semble apprécier.
Je ne suis pas con ni aveugle, je sais que je lui plais physiquement. Le plus beau mec de cette île à ce qu'on dit, je pense sans parvenir à réprimer un sourire amusé. J'écarte rapidement la pointe de fierté un peu déplacée qui me parcourt et me détourne de la fille qui commence à me faire virer cinglé pour me concentrer sur le chantier ou au moins, en donner l'impression.
Cette gamine... c'est un vrai poison, pire que de la drogue. J'aurais jamais dû l'emmener à la course hier, ni au feu de camp. Et je pense pas ça à cause des avertissements incessants de son oncle. Non, ce que Chris pense, je m'en branle.
Mais la voir s'adapter dans mon univers comme si elle y avait grandi, surprendre ses coups d'œil curieux et fascinés qu'elle pose un peu partout comme si assister à une course illégale en pleine nuit au milieu de putes et de délinquants était plus palpitant qu'être assis dans les tribunes d'un vrai match de baseball. Comme si lui proposer de l'emmener à un feu de camp sur une plage miteuse avec des gars du Nord était un cadeau. Comme si j'étais un homme encore entier et pas les restes calcinés du mec que j'aurais dû être.
Et je me mets à vouloir des trucs auxquels je devrais même pas penser. Je me mets à la vouloir elle. Je retourne vers la bétonnière parce qu'elle est assez proche de la barrière et que ça me donne un prétexte pour la regarder.
De toute façon, entre être dans la merde et se vautrer dedans, ça fait pas une grande différence.
Elle a pas bougé de son perchoir. Ses cheveux humides se sont collés à son front et à ses tempes et elle passe la main dedans pour les écarter.
Elle est vraiment jolie, je ne peux plus le nier. Je parie qu'elle s'en rend même pas compte et qu'elle s'en fout. Elle a sûrement pas non plus remarqué l'indien qui la bouffe en permanence du regard. Ou les mecs qui gravitaient autour d'elle hier soir comme des félins affamés autour d'une biche égarée.
Elle balance ses jambes nues dans le vide comme je l'ai déjà vue faire plusieurs fois. Mes yeux restent un moment bloqués sur ses membres de coureuse que ses petits shorts dissimulent à peine et je me passe une main sur la nuque en clignant des yeux pour faire disparaître les images qui se mettent à me polluer le crâne. Des images de ces longues jambes là autour de ma taille mais sans le short...
Putain de merde!
Comme si passer mon temps à m'inquiéter pour elle suffisait pas à m'enterrer, il faut que je me mette à avoir envie d'elle par dessus le marché. Je vais droit dans le mur. Ce genre de pensées ne mèneront à rien sauf peut-être à une bonne dose de frustration.
J'ai l'habitude de prendre ce que je veux. Quand j'ai envie d'une chose, je me sers sans hésiter, qu'il s'agisse d'une voiture, d'un territoire, ou d'une vie.
Mais je ne la prendrais pas elle.
J'ai beau avoir tué sans l'ombre d'un remords, je ne pense pas que je me le pardonnerais si je salissais la seule chose belle et pure que ma chienne de vie ait été en mesure de me montrer.
De toute façon, la question ne se pose même pas et, vu la réaction de Lily quand je me suis mis à bander sous son petit cul hier, elle n'est pas prête de se poser. C'est juste une gamine, rentre toi ça dans le crâne une bonne fois pour toutes, Walters.
Qu'elle vienne de fêter ses dix-huit ans n'y change rien. Sur certains aspects, c'est encore une enfant, ça crève les yeux. En plus baiser des vierges, c'est pas du tout ma came. Je préfère les meufs sûres et expérimentées qui ne me font pas attendre. J'empile les briques une à une après avoir passé des couches de ciment en réfléchissant à des trucs qui ne me concernent absolument pas. Je me demande qui sera le mec qu'elle choisira pour la dépuceler. Probablement son pote anglais qui doit attendre patiemment qu'elle se décide depuis des années.
Une bile acide et infâme me monte à la gorge quand des images m'apparaissent et je déglutis pour la faire passer. Mes doigts se crispent à l'extrême sur la truelle que je tiens toujours et mes jointures blanchissent à tel point que le jardinier qui bosse à côté de moi s'écarte avec un air inquiet. Comme si je risquais de lui fendre le crâne avec mon outil en plein milieu d'un pré noir de monde.
En principe, je m'amuserais sûrement de sa réaction mais je ne suis pas d'humeur. Des images de Lily posant ses petites mains fraîches sur un autre mec défilent en boucle dans ma tête et mon estomac se crispe de rage.
Qu'est-ce que je disais? Un putain de poison.
Je commence à développer une obsession, ça devient ingérable. Comment une si petite chose peut prendre autant de place dans ma tête, bordel?
Par réflexe plus qu'autre chose, je me tourne pour jeter un coup d'œil à Lily, comme pour vérifier qu'elle est toujours là. Un léger soulagement m'envahit en la retrouvant assise au même endroit. Je remarque quand même qu'elle ne me regarde plus. En tournant légèrement la tête, je constate que son attention est braquée sur Quinn. Plus précisément, sur le torse nu de Quinn.
Quoi? Il lui plaît?
C'est possible. Son air de clébard joyeux doit sûrement avoir de l'effet sur une fille comme elle. Elle est du genre hyper timide, je suppose qu'elle doit chercher un gars loquace et marrant pour lui redonner confiance en elle. Comme pour me faire chier un peu plus, ce bouffon de roux choisit cet instant pour lui faire un clin d'œil auquel Lily répond par un sourire indulgent.
Je serre les dents et me détourne. Je me demande si Quinn aurait toujours envie de faire du charme si je lui pétais le nez. Mais je ne suis pas sûr que Lily accepterait encore de m'adresser la parole si je faisais un truc pareil donc je laisse tomber mon plan et me concentre sur ma tâche, pressé d'en finir avec cette corvée.
Je suis soulagé de voir Lily s'éloigner en direction de la maison même si la quitter des yeux commence à devenir ridiculement désagréable. J'ai pas besoin de distractions pour le moment et je préfère la savoir à l'intérieur qu'en plein soleil à sourire à Quinn - ouais, ça commence à devenir le gros bordel dans ma tête.
Mais j'imagine que ça aurait été trop beau parce qu'elle revient un quart d'heure plus tard distribuer de la bouffe et des boissons aux employés qui se précipitent vers elle comme si elle tenait la clef de leur salut entre les mains. C'est un peu ça, en fait.
Je crève de soif mais j'ai moyennement envie d'aller me mêler au troupeau. Je m'adosse à la pile de briques qu'on n'a pas encore casées et observe de loin Lily sourire poliment à tous les employés en leur tendant leurs sandwichs.
Ils finissent par s'éloigner en la remerciant, l'indien rougit comme un môme en s'adressant à elle et je me demande comment elle peut louper ça. Elle est aveugle ou quoi?
Je grince des dents en comprenant que Quinn n'a pas l'intention de s'écarter. Toujours torse nu, il se tient un peu trop près d'elle et tape la discute avec son air de paon qui fait la roue. Pauvre con.
Je prends sur moi pour ne pas tracer vers eux et faire de la bouillie de rouquin même si, intérieurement, je bous. Je serre les poings et croise les bras sur mon torse sans les lâcher des yeux. Lily ne me regarde pas une seconde, toute son attention braquée sur Quinn. J'ai beau jouer la carte du mec exaspéré quand ses grands yeux naïfs me suivent, je le supporte mal quand c'est plus le cas. Ça sent la merde pour moi.
Même à cette distance, je l'entends rigoler. Elle a l'air détendue. Je ne crois pas qu'elle soit comme ça avec moi. La plupart du temps, elle semble sur la réserve quand je suis dans les parages. Elle est soit gênée et rougit pour un oui ou pour un non en évitant mon regard, soit distante et triste comme hier, près de l'eau.
Tu t'attendais à quoi, Walters? C'est vrai que depuis le début, tu fais tout pour la mettre à l'aise.
Elle avait quand même l'air heureuse de participer à la course. Quand j'ai cédé et accepté de la prendre avec moi, elle m'a regardé comme si je venais de lui offrir la lune sur un plateau et pas juste de lui permettre de monter à l'arrière de ma bécane.
Je lui aurais au moins fait plaisir une fois même si ça doit pas peser des masses dans la balance.
J'avais prévu de lui laisser de l'espace mais ma résolution tombe à l'eau quand Quinn réduit d'un nouveau mètre la distance qui les sépare.
Le mètre de trop.
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