Royce
Je suis de retour dans ce putain de placard fermé à clef dans lequel il m'a mis! Je suis dedans bordel, et je peux plus respirer! Ma trachée se ferme, mes poumons me font penser à deux éponges usagées. Il n'y a pas assez d'oxygène et j'étouffe.
Je suis sûr de les entendre de l'autre côté de la cloison trop fine. J'entends les bruits que font ces femmes alors que des hommes leur font leur fête. Je perçois ses gémissement à elle, ma... mère, et je ne veux pas les entendre, bordel! Ils me donnent envie de vomir et m'écrasent le cœur. Je veux sortir d'ici!
Alors je cogne comme un forcené dans la porte, sûr qu'elle va céder. À un moment ou un autre. Elle doit céder!
Mais elle ne bouge pas d'un pouce et, sans air, je m'épuise à une vitesse vertigineuse.
Une voix lointaine semble m'appeler et retient mon attention une fraction de seconde avant d'être emportée dans les méandres de ma folie. Une infime partie de mon esprit semble me crier que ce n'est pas en train d'arriver. Que je ne suis pas dans ce placard maudit et que je suis adulte. Mais la panique est plus forte. J'ai besoin d'oxygène.
Je lève mon poing, prêt à m'en servir pour démolir la barrière qui me sépare de ma liberté mais on m'empoigne le bras.
Je ne veux pas qu'on me touche, bordel! Je crois que je l'ai crié en me dégageant.
Puis, une chose vient percer le brouillard infâme dans lequel je suis piégé. Une petite main douce et fraîche effleure le bas de mon dos, faisant remonter une flopée de frisson dans ma colonne vertébrale.
- Royce, elle est blindée, ça ne sert à rien.
La voix fluette dont l'accent commence à me devenir bizarrement familier dissout l'obscurité et je me détourne enfin de cette foutue porte.
Je ne suis pas dans le placard mais dans la safe room du domaine des Williams. Et Lily se tient en face de moi, ses grands yeux bleus expressifs braqués sur moi et remplis d'inquiétude.
Mais ça ne change rien parce que je suis toujours enfermé. Il n'y a aucune issue et mes poumons restent en panne. Mon palpitant bat à deux-cent à l'heure pour essayer d'alimenter mon cerveau mais ça n'a pas l'air de fonctionner. Mon crâne va exploser, je le sens. J'ai besoin d'air.
Je dois sortir d'ici. Je dois sortir d'ici. Je dois sortir d'ici, bordel!
Ces mots sont comme une litanie de malheur dans ma tête et je crois même qu'ils s'échappent de ma bouche.
À côté de moi, la fille m'appelle. Bon sang, elle ne comprend pas que je suis à deux doigts de péter une durite? Qu'elle garde ses distances, merde! Des éclats lumineux, de vagues images fusent sous mes paupières à chaque clignement d'œil.
- Éloigne-toi, j'ordonne en utilisant le peu d'air qu'il me restait en réserve.
Évidemment, elle ne m'écoute pas.
- Royce, prend ça!
Je me concentre sur mon nom que son accent anglais transforme en mélodie. Son accent transforme tout en mélodie, c'est complètement dément. Je crois que je suis en train de virer cinglé. Mais elle aussi, sûrement, parce qu'elle me tend un sachet en papier. Qu'est-ce qu'elle veut que j'en fasse?
Elle s'empare de ma main en voyant que je ne réagis pas et fourre son foutu sac dedans.
- Respire dedans, ordonne-t-elle.
Elle veut que je... Je pourrais presque ricaner si j'avais assez d'oxygène pour.
- Fais-le!
J'ai envie de lui dire que je ne reçois d'ordre de personne et encore moins d'une gamine de dix-sept ans mais je ne suis pas sûr de pouvoir parler et je ne crois pas non plus être en position de refuser sa proposition de la dernière chance.
Certain que je me foutrais moi même de ma gueule en repensant à ce moment, je souffle dans ce putain de sac.
Evidemment, ça n'a aucun effet mais Lily m'intime de continuer avec son regard absolument sérieux et son expression grave. J'ai l'impression d'être un gosse assis sur une table d'examen, à qui le toubib dit " Ouvre la bouche. Tire la langue. Bien!"
Et le pire.... c'est que ça marche. Mes poumons reprennent leur taf, ma trachée se débloque et l'air circule de nouveau correctement.
Quand je suis sûr de ne plus m'étouffer comme un vieil homme presque périmé, je laisse tomber le sac au sol.
Lily me tire par le poignet pour que je pose mon cul, dos à la porte. Je vois très bien ce qu'elle fait: elle essaye de m'éloigner de ma source d'angoisse, de la dissimuler à ma vue. Et ça ne me plaît pas du tout. Parce que ça signifie aussi qu'elle a compris mon problème, et ça, je ne le supporte pas.
J'essaye de l'ignorer quand elle glisse son petit corps près de moi. Beaucoup plus près que ce à quoi elle m'a habitué. Je ne m'attarde pas là dessus et essaye de faire abstraction de la porte hermétiquement close derrière moi. Je sais que la crise n'est pas loin et qu'elle guette simplement mon prochain accès de faiblesse.
Cet endroit n'a rien d'un placard bordel! Et je ne suis même pas seul.
T'as plus dix ans Walters, alors arrêtes de faire le môme.
Je me dégoûte.
C'est dans ce genre de moment que j'aimerais arracher ma peau et me tirer de ce corps que je hais. De ce type qui me donne la gerbe. Ne plus être moi. Instinctivement, je tire sur mes cheveux pour soulager cette tension.
Pour une fois, la fille semble déterminée à la fermer. Je n'ai pas encore décidé si je préfère ça ou non, mais j'en profite pour mesurer mes respirations comme un putain d'asthmatique.
J'en suis à 817 quand je la sens bouger à côté de moi. Son corps glisse contre le mur et je n'ai pas le temps de comprendre ce qu'il se passe qu'elle s'écroule sur moi, raide endormie. Sa tête blonde repose sur mes cuisses encore imprégnées de pluie.
C'est pas vrai, manquait plus que ça.
Je devrais la redresser, ou même la réveiller, mais je ne le fais pas. J'essaye de me dire que c'est parce que son silence me permet d'avoir la paix. J'espère que c'est la véritable raison parce que sinon, je suis bien dans la merde.
Même les yeux fermés, son visage reflète toutes ses émotions comme une vitre transparente. Ses sourcils clairs se froncent dans le sommeil et cette ridule en forme de v que j'ai déjà vue plusieurs fois quand elle est contrariée - autant dire, souvent- se creuse au dessus de son nez. Elle a vraiment le visage d'un putain d'ange avec ses joues de poupée en porcelaine, ses paupières lilas et ses longs cils pâles qui dessinent des ombres sur ses pommettes. Ça doit être une mauvaise blague, je ne pensais même pas que ça existait. Le problème n'est pas là, des belles gueules, j'en ai déjà vu pas mal dans ma vie. C'est plutôt un tout, comme si l'intérieur s'accordait parfaitement à l'extérieur.
Et moi je déraille.
Mais arrêtes de la mater espèce de pervers, elle dort!
Je vais me gêner, tiens. Génial, il ne manquerait plus qu'un détournement de mineur pour parfaire le chef d'oeuvre à la Picasso qu'est mon casier judiciaire.
Putain, mais qui a parlé de détournement, connard! On disait mater.
On? Voilà que je deviens schizo en plus du reste.
Lily se retourne dans l'autre sens sur mes genoux et viens presque coller son nez contre mon ventre. Je serre les dents.
Non, évite de faire ce genre de choses, ma jolie.
Pour apaiser ma conscience, si tant est que j'en aie une, je détourne les yeux -pas trop tôt- et fixe les murs blancs de cette salle de malheur dans laquelle je suis coincé pour une durée indéterminée. La veine. Finalement, j'aurais peut-être dû écouter la petite ce matin et me tirer. Je ne suis pas sûr qu'il y ait de safe room dans mon immeuble mais ça m'aurait évité une crise d'angoisse devant témoins.
Par contre, Lily n'était pas au courant pour la salle de sécurité. Je ne veux même pas penser à ce qu'elle aurait fait, toute seule et paniquée dans cette immense baraque, pour se protéger du typhon. En admettant qu'elle ne se soit pas faite piétiner par une horde de chevaux avant, bien sûr, je songe amèrement.
De toute façon, ce débat est aussi stérile qu'une vieille ménopausée parce que je sais pertinemment que -pour une raison que je ne m'explique pas- je n'aurais jamais laissé la fille toute seule en sachant que l'autre enculé pouvait revenir à tout moment.
Je devrais m'en taper complètement. Avec tout ce que j'ai déjà à gérer, je n'ai pas besoin d'un nouveau poids sur les épaules. Le procès doit être ma seule préoccupation. Il faut que je termine cette période de probation en évitant les emmerdes, puis que je me tire une fois pour toute de cette île.
Je soupire et cale ma tête contre le mur. Lily s'agite une nouvelle fois sur mes genoux. Je préférerais qu'elle évite.
Quand je pense à l'état dans lequel elle m'a vu, j'ai envie de gerber. Je déteste que l'on assiste à mes moments de faiblesses, aussi rares soient-ils. Et c'est exactement ce dont elle a été témoin: un homme faible au bord de la rupture. Un homme qui me répugne au plus profond de mon être.
Et maintenant, elle me tient par les couilles. Il n'y a pas d'autres mots.
Qu'est-ce qu'elle va faire de cette information? Je n'en ai pas la moindre idée et ça me troue le ventre. Dans le Nord, c'est la jungle, et je ne compte pas le nombre de personnes qui attendent patiemment la moindre défaillance de ma part pour me mettre à terre. Je ne supporte pas l'idée qu'une autre personne que moi soit au courant de ce putain de handicap que je me traîne depuis l'enfance.
Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce n'est pas son genre, de retourner les faiblesses des gens contre eux. Encore une fois, je ne devrais pas. Qu'est-ce qui me permet d'affirmer une telle chose? Rien du tout.
Je suis bien placé pour savoir que, dans ce monde de merde rempli d'humains tout aussi merdiques, on ne peut faire confiance à personne. Pas même à une gueule d'ange au regard aussi pur que l'âme d'un nouveau né. Pas même à la seule fille que j'ai rencontrée qui ne me paraisse pas pourrie jusqu'à la moelle.
Merde. Du coup j'ai reporté mes yeux sur elle. Logique.
Sa bouche de poupon est entrouverte et laisse échapper un léger souffle, presque inaudible. Même quand elle dort, ses joues sont légèrement empourprées. Comment est-ce qu'on peut rougir en dormant? Et pourquoi est-ce que je me pose une question pareil?
C'est sur, la Terre ne tourne plus correctement, elle a dû heurter un astéroïde ou une autre merde du genre. Je n'arrive pas à détourner le regard.
De toute façon, personne ne peut me voir.
Qui ? Dieu? Laissez moi rire. Même si ce vieux con existe vraiment, mon ardoise est déjà bien assez pleine pour m'assurer une place près du barbecue céleste.
J'essaye de prendre une position plus confortable sans bouger les jambes. Ma crise de panique m'a vidé de toute ma force et l'épuisement s'abat sur moi comme une massue. Je ne me souviens pas de la dernière fois que c'est arrivé.
Mais je ne dois pas m'endormir. Il faut que je reste éveillé au cas où la radio se remettrait à causer pour annoncer la fin du confinement, ou même l'immersion de l'île. Pas une grande perte, d'après moi.
Ne pas m'endormir. Ne pas m'endormir. Ne pas m'endor...
Des bruits de pas autour de moi me font lentement émerger du sommeil. Je n'ai aucune idée de combien de temps j'ai pioncé mais tous mes muscles me donnent l'impression d'être passés au rouleau compresseur.
Je mets quelque secondes à retrouver mes repères. Je suis allongé sur un carrelage. Celui de la safe room. Et Lily est toujours endormie, la joue sur mon ventre.
Sauf qu'on est plus seuls dans la pièce. Quand je relève la tête, je tombe sur une version plus froide et plus dure du regard bleu qui m'a suivi tout l'après-midi.
Chris, se tient là, à quelques mètres de nous.
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