Chapitre 94
Je sursaute mais Royce se retourne lentement sans paraître surpris. Ce n'est pas le cas de Diego, toujours planté dans l'entrée, qui nous fixe à tour de rôle, bouche entrouverte et sourcils froncés. Je mets quelques instants à me rendre compte que mon mécanicien est toujours debout entre mes jambes et le sang me remonte rapidement aux joues. Zut! Si je n'ai rien - absolument rien- contre sa proximité, je préfère éviter de me retrouver dans ce genre de positions devant un public.
Sans réfléchir, je me laisse glisser du coffre sur lequel je suis assise. La manœuvre m'oblige au passage à deviner avec une précision troublante le moindre muscle ferme du corps de Royce qui n'a pas encore bougé. Je me retrouve plaquée contre lui pendant une fraction de seconde - l'une des meilleures de ma vie - avant qu'il ne s'écarte de moi.
- Désolé, lâche Diego qui vient de se reprendre et fixe Royce, une lueur narquoise dans l'œil. J'aurais peut-être dû frapper.
Malgré son air vaguement moqueur, je note qu'il semble plutôt contrarié. À force de m'acharner à tenter de décrypter les expressions peu... expressives de Royce, je deviens plutôt bonne lectrice et, à côté de son camarade taciturne, Diego est presque un livre ouvert. Il a croisé les bras sur son torse, les jambes campées au sol. Son langage corporel semble crier "j'attends une explication". Il n'a pas l'air enchanté de me trouver là, c'est le moins qu'on puisse dire.
Mal à l'aise, je me contente de danser d'un pied sur l'autre en m'absorbant dans le laborieux dénombrement des clés à molettes qui traînent un peu partout. Il y en a vraiment de toutes tailles. Je me demande comment fait Royce pour s'y repérer.
- Non, on avait fini, répond laconiquement ce dernier sans plus me prêter attention.
Je me crispe en entendant sa voix dénuée d'intonation. Au bout d'un moment, je devrais être habituée à ses sautes d'humeurs - ou devrais-je dire ses chutes d'humeur - fréquentes. Mais non. À défaut de n'en avoir rien à faire, je me concentre de toutes mes forces pour contrôler mon expression et en donner l'illusion. Pour y parvenir, je me focalise sur Diego qui affiche à présent un air sceptique.
- T'as rien écouté de ce que je t'ai dit, hein? marmonne-t-il entre ses lèvres en fixant Royce d'une manière qui me donne l'impression de ne pas être dans la pièce.
Je me retiens de pincer mon bras histoire de vérifier que je ne me suis pas évaporée.
- J'ai entendu, répond fermement mon mécanicien en haussant sa sempiternelle épaule.
- La fête foraine, sérieux? rétorque Diego la mine sombre. T'as pas trouvé plus discret?
Je sens Royce se raidir à coté de moi en même temps que mes yeux se transforment en soucoupes.
Qu'est-ce que c'est sensé vouloir dire? Est-ce que Diego parle de moi? Non, ça doit être autre chose. Royce a beau avoir pris une place ridiculement centrale dans mon monde en ce moment, je suis très loin d'être le centre du sien. Diego est peut-être inquiet que son ami se ballade dans des lieux bondés pendant sa période probatoire quand la quasi-totalité des habitants de cette ville le haïssent. Et puis, comment peut-il être au courant d'abord? Mia était avec moi toute la journée et après mon petit laïus d'hier, je ne pense pas qu'elle aurait vendu la mèche aussi vite.
- Je sais ce que je fais, crache le fauve à coté de moi faisant voler en éclat mes pauvres réflexions.
- Non, je crois pas mec. Tu devrais serieusem...
- Tais toi. On va pas parler de ça maintenant, siffle Royce, une lueur de colère embrasant son regard de fauve.
- On devrait. J'ai croisé quelqu'un que tes... distractions ont l'air d'intéresser.
Si le sens de cette dernière phrase me paraît aussi vide que mon cerveau quand j'embrasse Royce, il doit tout de même évoquer quelque chose à ce dernier si j'en crois sa réaction. Ses traits se figent brusquement avant de se durcir sous mes yeux et il me semble qu'il pâlit imperceptiblement. Le choc est finalement remplacé par une expression qui me paraît presque déplacée sur ce visage volontaire. La résignation.
- Le sujet est clos. M'oblige pas à me répéter.
La voix de mon mécanicien vient de claquer, plus froide que la banquise et je me rends compte en croisant son regard à la même température que j'ai oublié de garder le mien baissé pour compter les outils. J'ai suivi la conversation comme un match de tennis dont je ne comprendrais pas les règles. Je suis pratiquement sûre que cette discussion d'apparence stérile tournera en boucle dans ma tête comme un vieux disque rayé dès que j'aurais du temps pour l'analyser.
Diego pince les lèvres mais semble décider d'abandonner ce mystérieux sujet, quel qu'il soit. Bonne initiative, je ferais pareil si Royce s'adressait à moi de cette manière. Je pense même que je débarrasserais le plancher, ça me semble plus sûr.
Je fixe un moment le bout de mes tennis. Est-ce que quelqu'un savait que les converses ont quatorze œillets ? Et bien moi oui, maintenant. Quand je relève la tête, c'est pour croiser le regard perçant et braqué sur ma petite personne du latino.
- Salut Diego, je lâche à son intention parce que mes bonnes manières me collent à la peau.
Il me répond par un hochement de tête mais ne sourit pas ce qui ne fait qu'accroître mon embarras. Son air sombre ne m'échappe pas non plus. Je ne comprends pas ce qui a pu causer cette réaction. Il me semble qu'il a eu presque la même attitude quand Royce m'a emmenée au feu de camp. Pourtant, avant ça, il ne semblait pas nourrir une quelconque animosité à mon égard.
Royce s'est adossé à la Cadillac juste à côté de moi et, malgré sa chaleur qui m'inonde le côté gauche, j'ai soudain l'impression qu'il est à des kilomètres. Son regard ne se pose plus une seule fois sur moi et son expression neutre exprime à présent un ennui profond.
De toute façon, la dernière chose dont j'ai envie est bien de croiser ses prunelles pierreuses après notre conversation. Bon, appelons un chat un chat, après qu'il m'ait jetée. Une boule de la taille d'une balle de ping-pong s'est logée dans ma gorge depuis ce moment et déglutir ne la fait pas disparaître.
Le latino a gardé sa position de vigile désapprobateur - même si sa tenue débraillée ne correspond pas tellement au profil - et Royce a adopté une posture nonchalante, les mains enfoncées dans les poches de son jean. Un silence désagréable se prolonge pendant lequel les deux hommes se dévisagent sans prendre la peine d'échanger un mot.
Leurs expressions ont beau demeurer impassibles, je remarque tout de même que Diego fronce légèrement les sourcils alors que Royce hausse les siens, l'air blasé. Je ne peux pas m'empêcher de trouver cette étrange manière qu'ils ont de communiquer plutôt fascinante. Par contre, si tous les deux ne semblent pas incommodés par cette absence de communication verbale, ce n'est pas mon cas.
Bon. Je suis venue ici chercher quelque chose et je ne l'ai pas obtenu. Je suppose qu'il faut savoir s'avouer vaincue quand c'est nécessaire, je songe même si j'ai toujours pensé que c'est une phrase de perdant. Il serait peut-être temps pour moi de tirer ma révérence. Je n'ai plus grand chose à faire dans ce garage et de toute évidence, Royce et Diego attendent d'être seuls pour converser. Je m'apprête à prendre congé quand ce dernier m'adresse finalement la parole.
- Alors, les bagnoles c'est ton truc? demande-t-il avec son léger accent hispanique qui fait chanter certaines voyelles.
Pourquoi est-ce qu'il me pose cette question? Je le dévisage, indécise. Il essaye peut-être de meubler pour m'éviter de me sentir exclue. Si c'est le cas, c'est gentil et bienveillant de sa part mais complètement inutile puisque je m'apprêtais à quitter cet endroit pour ne plus y remettre les pieds.
Comment ça, ce n'est pas la première fois que je le dis?
- Hum... pas spécialement non. Enfin, je n'ai rien contre, hein? Certaines sont plutôt jolies, j'affirme avec un hochement de tête avant de rectifier en remarquant les légères grimaces que tirent les deux hommes quand je prononce le mot "jolies". Je veux dire rapides, elles ont l'air rapides. Comme celle-ci, là-bas, je précise en désignant une voiture de sport gris métallique très basse avec des jantes bleues aux motifs originaux. Mais, sinon, je n'y connais pas grand-chose. Je n'ai même pas encore de permis de conduire parce que chez nous, on le passe à dix-huit ans. D'ailleurs je ne comprends toujours pas comment on peut laisser des adolescents de seize ans prendre le volant. C'est super imprudent! Et...
Je me tais brusquement en me rendant compte de ce que je suis en train de faire. Zut, j'ai recommencé. C'est le stress. Je me gratte le front, gênée en interceptant le regard incrédule de Diego mais il dissipe finalement mon malaise en m'adressant enfin un sourire. La blancheur de ses dents ressort particulièrement par contraste avec sa peau mate et je songe bêtement que les publicités de dentifrices devraient prendre comme figurants des gens bronzés.
- Pourquoi cette question? je demande pour faire oublier ma fontaine verbale en fixant les grosses bottines usées de Royce dont les lacets défaits traînent au sol.
- Je me demandais juste pourquoi une fille comme toi vient traîner dans un garage à voitures si elle est pas intéressée par les voitures.
Je déglutis et m'autorise un petit - tout petit - coup d'œil en direction de mon mécanicien mais il est occupé à observer le vide. Son expression est détendue, comme s'il s'ennuyait, et son regard ne fait pas montre d'une once d'intérêt.
- J'étais juste venue parler à Royce, je marmonne en espérant que Diego s'en contentera.
- Lui parler de quoi?
Zut. Remarque, il a les mêmes gènes que Mia alors j'aurais dû m'en douter. Je me racle inutilement la gorge avant de m'empêtrer dans des explications.
- Hum... de rien. Enfin, de rien de spécial. J'étais juste... je voulais juste...
- Occupe-toi de ton cul, intervient enfin Royce avec sa courtoisie habituelle en fixant son... ami. T'as une raison pour être ici ou tu viens juste taper la causette?
Diego ricane sans se laisser démonter par la mauvaise humeur du mécanicien.
- Je vois pas où est le problème si je veux taper la causette, lâche-t-il avec un rictus avant de prendre un ton plus sérieux en revenant à moi. Je suis venu chercher Mia. Je pensais qu'elle serait avec toi.
- Oui, elle est en train de se préparer mais elle ne devrait pas tarder.
- Tu crois? soupire-t-il avec une pointe d'ironie dans la voix en s'asseyant sur le capot le plus proche. À mon avis, elle en a pour des plombes. Je sais pas pourquoi elle se prend la tête, c'est juste une comète et ça durera pas deux minutes. En plus je suis son frère, elle a pas besoin de se peinturlurer la tête pour moi.
Malgré ses dires et son ton râleur, je surprends un léger sourire sur ses lèvres pleines. Je donnerais ma main à couper qu'il est surtout soulagé que sa sœur lui ait pardonné.
Mais franchement, "peinturlurer la tête"? Qui dit ça?
- Je suis sûre que ce sera amusant. C'est sympa d'y aller entre frères et sœurs, je réponds avec un sourire triste en songeant que Nathan ne m'aurait sûrement pas dit non pour aller voir cette comète, lui.
Je n'aurais d'ailleurs pas eu besoin de le proposer parce qu'il l'aurait fait à ma place. Un regard brun presque identique à celui de Mia mais en plus endurci se visse au mien et je le soutiens. Diego finit par hocher légèrement la tête pour me donner raison avant d'enchaîner.
- Toi, t'y vas avec qui? me demande-t-il en retrouvant sa mine impassible et je pourrais jurer que ses yeux dévient une fraction de seconde en direction de Royce, toujours adossé à la Cadillac.
- Avec personne, je réponds en redressant le menton malgré mes joues qui se mettent à chauffer.
- Comment ça se fait?
- Comment ça se fait quoi? je l'interroge, réticente à m'appesantir sur le sujet.
Je fixe les tatouages qui dépassent des bretelles de son débardeur blanc pour éviter d'avoir à le regarder dans les yeux. En plus, contrairement à ceux de Royce, les siens sont colorés et beaucoup plus lisibles, bien que les dessins soient très détaillés et s'enchevêtrent les uns avec les autres.
- Personne t'a invitée? demande-t-il.
Un dragon bleu dont la queue s'enroule autour de l'avant-bras. Une horloge brisée. Un lion en train de rugir, révélant ses crocs impressionnants.
Je tire nerveusement sur mes bracelets inachevés.
- De toute évidence, je réponds un peu sèchement sans lâcher ses bras des yeux.
Une jolie calligraphie de lettres bouclées mais difficilement lisibles à cette distance. Des ombres chinoises. Une tête de mort semblable à celles que l'on voit à l'arrière de bouteilles de produits toxiques.
- C'est pas grave, rien ne t'empêche d'aller sur la plage et de te trouver un petit gars là-bas, propose le porteur de tatouages colorés avec un air amusé.
Qu'est-ce qu'il trouve drôle? Le fait que personne n'ait proposé de m'accompagner voir cette stupide comète? Parce que Dallas l'a fait, ça compte non?
Pour la première fois depuis que Diego est entré dans ce garage, je sens le regard de Royce provoquer ces picotements familiers sur ma nuque qui se réchauffe en même temps que mon visage. Je me fais violence pour ne pas lever la tête vers lui et réponds à Diego en continuant à admirer ses tatouages.
- Je ne vais pas y aller. Comme tu l'as dit, c'est juste une comète et ça ne durera même pas deux minutes.
Si seulement j'y croyais vraiment.
Diego ne semble rien trouver à répondre et je me concentre sur son bras gauche.
Deux épées croisées. Un œil grand ouvert et assez intimidant dans le creux du coude. Sur le biceps, une version terrifiante de Mickey avec des yeux vides et des cicatrices ensanglantées partout.
- Qu'est-ce que tu regardes? s'amuse le latino en haussant un sourcil.
- Tes tatouages, je réponds rapidement parce que je préfère éviter qu'il ne s'imagine que je le reluque. Ils sont vraiment beaux, j'ajoute en le pensant sincèrement. Celui qui les a dessinés a du talent.
- Ouais. Tu peux venir regarder de plus près si tu veux.
- On voit très bien d'ici, coupe sèchement Royce avant que je n'aie pu décliner l'offre moi-même.
C'est moi ou l'ambiance est tendue entre ces deux-là? Diego sourit mais n'insiste pas.
- En tout cas je trou... Attends!
Je me redresse, le regard braqué sur l'épaule mate du grand bouclé et fais quelques pas dans sa direction. Est-ce que c'est...
Un bec incurvé, des plumes pales et ébouriffées, de grands yeux courroucés, le tout peint dans une encre sombre... c'est bien une chouette qui est tatouée sur la peau de Diego. Mieux, c'est la chouette!
- Mia et toi, vous vous êtes fait tatouer la même chose? je souffle en désignant l'oiseau sans parvenir à réprimer le sourire attendri qui me vient naturellement aux lèvres. C'est vraiment mignon!
Dans un coin de ma tête, l'idée improbable et complètement farfelue de faire la même chose avec Nathan m'effleure. On pourrait se faire tatouer un truc rigolo comme cette chenille bleue avec son narguilé dans Alice au pays des merveilles ou une réplique d'un de nos films préférés. J'écarte rapidement ces pensées ridicules même si je suis presque certaine que mon ami serait partant. Il l'est toujours.
L'expression confuse de Diego me ramène à la réalité.
- De quoi est-ce que tu parles?
- Euh... de la chouette, je réponds, un peu perdue. Vous avez la même.
- Mia n'a pas de tatouage, rétorque son frère sur un ton catégorique.
- Quoi? Mais...
Je me fige, horrifiée. Zut. Zut. Zut. Si c'est ce que je pense, Mia va m'étriper. J'espère vraiment que sa chouette n'était pas un secret. J'essaye de me déculpabiliser en songeant que ce ne serait que lui rendre la monnaie de sa pièce vu tout ce qu'elle a raconté sur moi à son frère mais je tente tout de même de rectifier le tir.
- Ah, je dois confondre avec quelqu'un d'autre. En plus, les tatouages de chouettes, c'est plutôt courant alors j'ai dû m'emmêler les pinceaux. Je ne dis pas que c'est pas original, pas du tout! Et puis, je me suis trompée de Mia, c'est une autre.
- Vous parlez de moi? lance la seule et unique Mia que je connaisse en pénétrant dans le bâtiment peu éclairé.
Elle a troqué ses éternels shorts élimés pour une petite jupe en jean et un top noir un peu plus habillés que ses sempiternelles tenues débraillées - même si elle a conservé ses Doc Martens. Elle se plante à côté de Diego sur le capot et m'adresse un regard désapprobateur tout en passant ses doigts dans ses boucles mouillées pour les faire sécher plus vite.
- On avait dit que tu m'attendais dans la maison, râle-t-elle.
- Euh, pas vraiment. Tu as décrété que je t'attendrais dans la maison, je rectifie avec un sourire même si, en fin de compte, il aurait été préférable pour moi de l'écouter.
Elle soupire mais n'insiste pas. Je remarque qu'elle se fait un point d'honneur à ignorer Royce. C'est comme s'il n'était pas dans la salle. J'essaye de ne pas m'offusquer de son attitude en me rappelant qu'elle le connait depuis bien plus longtemps que moi et a sûrement ses raisons de lui en vouloir.
J'écarquille les yeux en la voyant se pencher sur son frère pour le renifler et éclate de rire en voyant sa grimace.
- Tu sens l'essence, râle-t-elle, le nez plissé. C'était trop te demander de prendre une douche?
- Oui. Dis-toi que je t'accompagne déjà voir une putain d'étoile filante alors que les Yankees jouent ce soir.
Mia lui adresse un doigt d'honneur mais n'insiste pas.
- Alors, lance-t-elle avec un haussement de sourcil impérieux. J'ai entendu mon nom, de quoi vous parliez?
Mince! Je me creuse la cervelle le plus rapidement possible pour trouver un bon mensonge mais le grand frère me devance.
- Lily était en train de me dire que tu t'es faite tatouer, lâche-t-il pour ma plus grande horreur.
Mia m'adresse un coup d'œil surpris et je lui envoie mon regard le plus contrit, celui que j'ai affiché quand j'ai dû avouer à Nathan avoir utilisé sans m'en rendre compte un de ses maillots de football comme protège-vêtements pour peindre. Il se trouve qu'il était signé par l'un des joueurs vedettes de Manchester United.
Mais mon amie ne semble pas énervée, elle se reprend rapidement et acquiesce avec un air nonchalant comme si elle racontait être passée à la boulangerie.
Il faudrait vraiment qu'elle m'apprenne ce tour là.
- Ouais, c'est vrai, avoue-t-elle en s'adressant visiblement à son aîné. Je me le suis fait faire chez Luke.
Le visage de Diego s'assombrit alors que je devine la moutarde lui monter au nez.
- Quoi? Mais... Non! Tu ne peux pas te faire tatouer!
- Euh, si, c'est déjà fait.
- Putain Mia! s'énerve le latino en tapant brutalement du plat de la main contre le capot sur lequel il est assis.
- Ça te regarde pas de toute façon.
- J'arrive pas à croire que papa t'ait laissée faire ça.
- Papa est plus là, tranche mon amie d'une voix plate.
Leurs regards soudain sombres se croisent et je détourne le mien avec l'impression embarrassante d'écouter aux portes. Mes yeux se posent un instant sur Royce qui n'a pas bougé d'un millimètre depuis la dernière fois que je l'ai regardé. Il est toujours adossé à la même voiture, ses bras musclés croisés sur son torse imposant comme une barrière supplémentaire entre lui et le reste du monde. Je rencontre ses prunelle vides et n'y trouve pas l'ombre du Royce qui m'a emmenée à la fête foraine hier. Aucune trace de l'homme qui m'a embrassée au coin des lèvres devant Mia.
Abattue par ce constat, je pivote de nouveau vers les deux colombiens. Tout compte fait, je préfère écouter leur discussion privée que faire face à la version froide et robotique de l'homme dont je me suis stupidement amourachée.
- Et puis de toute façon, reprend Mia pour éloigner le malaise, t'es mal placé pour me faire la morale. Tu t'es vu? On va bientôt te confondre avec ce mec là... Zombie Boy.
- Il est gros? demande Diego avec un air inquiet sans relever les bizarreries de sa sœurette.
- Qui? Zombie Boy?
- Ton tatouage.
- Oui.
- Gros comment?
- Gros.
- Je peux voir?
Mon amie hésite et je m'attends à ce qu'elle refuse mais, après avoir ostensiblement tourné le dos à Royce sans se priver de lui adresser une œillade assassine que l'on pourrait traduire par "rince toi l'œil et t'es mort", elle lève légèrement son top sur son abdomen pour exhiber le dessin d'encre qui décore à présent sa peau mate au niveau des côtes. Un rapide coup d'œil me confirme ce que j'avais deviné: c'est l'exacte copie de la chouette qui orne l'épaule de Diego.
Ce dernier semble également avoir reconnu le motif et je le vois clairement déglutir alors que la surprise fait vibrer son regard. Je suis peut-être trop sentimentale mais je ne peux pas m'empêcher de trouver ce moment touchant.
Puis Mia remet son haut en place et Diego se racle la gorge en renouant son bandana autour de sa tignasse bouclée sans commenter.
La seconde d'après, il saute sur ses pieds et sa sœur l'imite.
- Bon, on va y aller nous, lance-t-elle à mon intention puisqu'elle s'arrange encore pour ignorer l'existence de Royce.
Remarque, il est tellement silencieux que si je n'étais pas obsédée par lui, si je n'étais pas aussi singulièrement consciente du moindre de ses mouvements, j'aurais peut-être oublié sa présence aussi. Mais dans l'état actuel des choses - à savoir, très mauvais pour moi - l'idée me parait tout bonnement inconcevable.
- Oui, amusez-vous bien, je lance en essayant d'insuffler de l'enthousiasme dans ma voix.
- Tu comptes faire quoi? me demande Mia.
Je retiens un soupir, exaspérée qu'on en revienne à cette question déprimante.
- Rien de spécial. Je vais sûrement traîner dans les écuries, regarder un film et me coucher tôt.
- Ça m'étonnerait. J'ai croisé l'indien tout à l'heure...
- L'indien à un nom, je la coupe en haussant les sourcils.
- Nuage-dansant?
- Boyd.
- Ok. J'ai croisé Boyd dans la cour. Je crois qu'il est en train de s'entraîner pour t'inviter, m'informe-t-elle avec un grand sourire de complotrice.
Je la dévisage, interdite, et me demande si elle essaye de me faire une blague.
- Boyd veut aller voir la comète avec moi? je répète sur un ton incrédule pour être sûre d'avoir bien compris.
- Yep! Il était en train de se parler tout seul, le pauvre. Je pensais que les gens faisaient ça seulement dans les films. Tu vas dire oui?
Je me tais, confuse. Pourquoi est-ce que Boyd voudrait qu'on aille voir cette comète ensemble? On ne se connait pas vraiment tous les deux, on discute chevaux de temps en temps mais ça ne va pas plus loin. Il ne m'a jamais donné l'impression d'être... intéressé. En même temps, c'est un peu présomptueux de ma part de foncer sur cette conclusion, il compte peut-être me proposer de l'accompagner en tant qu'amie. Comme je l'ai fait avec Royce sauf que moi, je n'étais pas vraiment sincère, je songe avec une pointe d'amertume. Si ça se trouve, il a entendu dire que je n'y allais pas et m'a prise en pitié. Bon, d'accord, cette hypothèse me semble peu probable.
Est-ce que je suis vraiment en train de réfléchir à sortir avec Boyd? Je sais qu'il n'y a qu'une seule personne avec qui je veux voir cette fichue comète mais si cette personne ne veut pas de moi, quel mal y aurait-t-il à passer du temps avec un garçon adorable qui partage mes centres d'intérêts?
Je n'en sais trop rien.
De toute façon, mon dilemme mental est rapidement écourté par la voix grave et implacable de Royce qui retentit derrière moi.
- Non. Elle y va déjà avec moi.
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