Chapitre 8
J'essaye de forcer mes yeux à ne pas le suivre quand il repousse sa chaise et quitte la pièce de sa démarche féline sans un mot pour personne. Je suis pratiquement certaine que c'est très impoli et même lors de mes quelques rébellions à table pendant l'adolescence, jamais je n'aurais osé le faire. Mais personne ne semble s'offusquer de son comportement ici, je ne pense même pas que quelqu'un ait remarqué qu'il est sorti.
Maintenant que j'y pense, je ne l'ai pas vu participer aux discussions. Je prend conscience que j'ai encore les yeux fixés sur la porte qui vient de se refermer derrière lui quand une main ferme se pose sur mon épaule pour attirer mon attention. Je me retourne vers Dallas et le reste de la tablée soudain silencieuse. Plusieurs paires d'yeux sont braquées sur moi. Quoi? Qu'est-ce qu'il se passe? J'ai du manquer une question, réalisé-je.
- Euh...pardon?
- Jace te demandais si tu veux faire une balade à cheval sur la plage, me sauve Dallas.
- Oh...hum, j'ai déjà dis que je ne voulais pas...
- Avec les autres, me coupe un Jace narquois.
- Les autres?
- Oui, mon club d'admiratrices.
Il hausse plusieurs fois les sourcils de manière comique pour souligner ses propos. J'hésite. Je ne sais pas si j'ai vraiment envie de me mélanger avec un groupe de filles inconnues. Surtout si elles sont d'ici, elles auront surement entendue parler de l'affaire Williams. Et je sais que certaines personnes ne se gênent pas pour être indiscrètes.
- Tu devrais y aller Lily, lâche Dallas devinant surement le cheminement de mes pensées, tu sais, te faire des amies de ton âge. Ce genre de chose...
Je n'ai jamais vraiment eu d'amis à part Nathan. Évidemment, je maîtrise assez bien l'art de vivre en société qui m'a rapidement été enseigné dans le milieu de mes parents.
En Angleterre, j'avais une ribambelle de "connaissances", des filles avec qui je me tenais lors des galas de maman et autres mondanités toutes plus fatigantes les unes que les autres, des personnes à qui je jetais mon sourire parfait de petite fille modèle, d'autres avec qui je devais parler mode ou m'offusquer de tel ou tel fait d'actualité. Mais jamais rien de profond. En fait je trouvais les filles de mon école et de mon entourage très superficielles, mais j'imagine que je ne devais pas renvoyer meilleure image non plus.
- D'accord, j'accepte sans vraiment l'avoir décidé, juste parce qu'on attend ma réponse et parce que je suis impatiente de monter à nouveau à cheval.
- Cool! On y va, lance Jace en tapant du plat des mains sur la table pour marquer le coup.
Je salue Rose et Dallas qui m'adresse un hochement de tête encourageant, avant de le suivre dans la chaleur étouffante de la cour. Il prend la direction des écuries et l'excitation me gagne. Je pénètre dans le bâtiment derrière lui et la sensation d'avoir remonté le temps me chatouille l'esprit. L'endroit est comme dans mes lointains souvenirs, ni sombre ni lumineux.
Une sorte de pénombre règne dans l'espace mais des filets de soleil traversent les petites fenêtres et éclairent des rais de poussières dorées flottant dans l'air. Cet endroit a l'air magique. J'emplis mes poumons de mon odeur préférée: un mélange de cheval, de poussière, de foin et de cuir propre. Deux longues rangées de boxes s'étendent devant moi et des sons de sabots ainsi que des renaclements me parviennent.
- Tu devrais monter Lolita, elle est douce et facile à diriger, me lance Jace en me regardant par dessus son épaule.
- Oh, j'aurais...est-ce que je pourrais monter le jeune noir, plutôt?
- Quoi, son étoile te fait craquer toi aussi? Ah les filles, vous êtes toutes pareilles.
- Euh...Non, c'est juste que je connaissais son géniteur. C'était mon cheval en fait.
Je ne précise pas que je trouve bien son étoile très mignonne.
- Archibald? C'était ton cheval?
Cette fois, il me dévisage avec surprise.
- Oui. Tu l'as connu?
- Non. Mais ton oncle et Dallas ne jurent que par ce cheval. Il parait qu'il était très bon pour la saillie.
- Oui. Il était très bon pour tout.
- Bon, tu peux monter Brutus, mais je te préviens, il est un peu agité. La crise d'adolescence tout ça...
- Brutus? Qui lui a donné un nom pareil? je m'offusque.
- Moi, répond-il très fier de lui, bon je vais attendre les filles dehors, tu peux préparer ton cheval, il est dans le box 7.
Je le regarde quitter le bâtiment puis me faufile dans l'allée entre les différents boxes. La plupart sont occupés. Je m'arrête devant le septième et jette un coup d'oeil à l'intérieur. Brutus me montre gracieusement son postérieur.
- Salut toi, je susurre d'une voix cajoleuse.
Il fait mine de ne pas m'avoir entendue mais ses oreilles pointues qui s'agitent dans ma direction le trahissent. Je me dirige vers le fond des écuries où se trouvaient les équipements dans mon souvenir. Bingo! Ils y sont toujours. Ici l'odeur de savon pour le cuir est plus forte. Les selles et les brides sont suspendues au mur avec sous chacune des étiquettes portant le nom du cheval correspondant.
Je repère celle de Brutus et me dresse sur la pointe des pieds pour m'emparer de son équipement. La selle est assez lourde mais je parviens à la glisser sur mon épaule droite. De retour devant le boxe de Brutus- je grimace en pensant à son prénom- je déverrouille le loquet et m'approche doucement de lui en évitant de m'attarder derrière sa croupe: on ne sait jamais, des fois que l'envie lui prenne de me donner un coup de sabot. Je défais le nœud de son licol comme je l'ai fait des centaines de fois par le passé.
C'est étrange comme certains gestes peuvent nous rester parfaitement naturel malgré le temps écoulé. Brutus se laisse faire sans rechigner quand je dépose la lourde selle sur son dos. Je passe la sangle et vérifiant qu'il reste un peu d'espace entre la peau douce de son ventre et la lanière de cuire puis m'approche de sa tête et lui enfile la bride.
Sans surprise, il garde la bouche fermée et refuse le mors mais avec Nathan, on avait développé une technique infaillible dans ces cas là. Je passe mes doigts à la commissures de ses lèvres et le chatouille légèrement. Ça marche. Je termine d'attacher la bride quand un brouhaha de voix féminines me fait tourner la tête.
Un groupe de filles pénètre dans les écuries accompagnées par Jace. Elles ont l'air légèrement plus âgées que moi et si je me sentais décalée avec mes vêtements, j'ai plutôt envie de rire maintenant. La plupart de ces filles sont en mini short, j'en repère même une en jupe courte. Elles comptent vraiment monter à cheval comme ça? Bonjour les brûlures après une heure en frottant contre la selle.
- Salut.
Je lève les yeux vers celle qui s'adresse à moi, une jolie blonde aux ongles manucurés qui ne vont, d'après mon expérience, pas faire long feu.
- Bonjour.
Je lui souris.
- T'es nouvelle ici?
- Pas vraiment. Chris est mon oncle.
Elle hausse ses sourcils parfaits.
- C'est toi Lily?
Qu'est-ce que cela veut dire? Je ne la connais pas. Je suis aussitôt sur mes gardes. Qu'est-ce qu'elle sait?
- Oui. Je m'appelle Lily.
- Oh. Moi c'est Bridget.
Notre petite conversation à attiré l'intérêt des autres qui se sont rapprochées, curieuses.
- C'est Lily, leur lance Bridget avec un haussement de sourcil.
Les filles me saluent en cœur et je leur répond poliment en essayant de repousser le malaise qui me gagne. Elles ne sont pas d'ici. Pas vraiment, elles viennent juste pour les vacances. Donc il y a peu de chance qu'elles aient entendu parler de...
- Toute mes condoléances pour ton père, lance une brune à ma gauche.
Je déglutis. Si, elles sont toutes au courant.
- Merci.
Je ne vois pas quoi dire d'autre mais je trouve quand même cela étrange d'aborder ce sujet des années après. Je me tourne vers Brutus pour éviter leurs regards et retrouver mes repères.
- Bon, vous êtes la pour monter ou pour papoter? lâche Jace pour rappeler sa présence, Allez on se bouge!
Il me jette un coup d'œil et pour une fois ne sourit pas.
Je me contente de caresser l'étoile blanche de mon cheval en attendant que les filles préparent les leurs. C'était une mauvaise idée cette sortie en bande, j'aurais du m'écouter. Je préfère largement monter seule. Adossée à la porte du boxe j'intercepte les regards enjôleurs de certaines filles vers Jace. Ce dernier est occupé à brider la monture de l'une d'entre elle qui se plaint parce que le cheval la mordue.
Je soupire et dirige le mien vers l'extérieur de l'écurie. Je préfère attendre dehors. J'entend des bruits de sabots derrière moi mais je ne me retourne pas. Je ne cherche pas à être impolie mais je tiens à éviter de faire la conversation si c'est pour assouvir leur curiosité morbide.
La fille vient placer son cheval à côté du mien. Je suis obligée de la regarder. Elle est brune avec une jolie peau couleur cappuccino. Avec ce genre de peau, je pourrais rougir à ma guise sans avoir l'air d'un clignotant. Je m'arrête sur le piercing en forme d'anneau à sa lèvre.
Son sourcil gauche est discontinu comme si elle en avait rasé un bout. Elle ne ressemble pas vraiment aux autres filles, elle porte une chemise de flanelle qu'elle a noué à la taille et un jean élimé. Au moins elle n'est pas en short.
- Alors, toi aussi t'es la pour draguer le rouquin? elle lache de but en blanc.
Je rougis.
- Non! Pas du tout!
- Ça va je demandais juste. Toutes les autres sont la pour se le faire.
- Ah.
Oui, je suis déjà au courant.
- Donc, t'es la pour les chevaux? elle insiste.
Elle a une voix un peu rauque.
- Oui.
- Cool.
- Alors...toi, tu es la pour monter?
Elle me lance un sourire en coin.
- Monter les chevaux tu veux dire?
Je hausse les sourcils sans comprendre avant de saisir l'allusion. Oh! D'accord. Je m'empourpre encore plus et fixe mes chaussures.
- Ça va détend toi, oui je suis la pour les chevaux. Je payerai pas une blinde pour me faire un mec moi.
Elle jette un regard dégoutté vers les écuries d'où nous parviennent des gloussements féminins. A ce moment Jace émerge en tirant derrière lui un pommelé. La brune à côté de moi fait la moue:
- Quoi que je ne dirai pas non à un coup rapide avec le cowboy. Bon ok, il est roux. Mais avec un bonnet, il ferait carrément l'affaire.
Je la fixe éberluée en essayant de deviner si elle plaisante. Elle n'en a pas l'air. Elle éclate de rire en croisant mon regard choquée.
- Tu verrais ta tête! D'où est-ce que tu sors gentille fille?
- De Londres.
- Ouais j'aurais deviné toute seule, dit elle en imitant-assez mal-mon accent anglais.
Je lui souris sans me vexer. Quelque chose chez cette fille m'inspire confiance. Et elle ne me parle pas de papa.
- Comment est-ce que tu t'appelles ? je lui demande.
- Mia.
J'attends qu'elle me retourne la question mais elle n'en fait rien. Je suppose qu'elle sait déjà qui je suis et je ne suis pas sure que ça me plaise. Autour de nous les filles commencent à affluer avec les chevaux qui leurs sont attribués. Je mets le pied dans l'étrier et me hisse sur la selle. Brutus piaffe et fait un écart mais je raccourcie aussitôt les rênes pour l'empêcher d'aller plus loin.
Je regarde par dessus mon épaule les autres se mettre en selle. Je suppose que je dois attendre le signal de Jace. Cette idée me donne envie de rire, j'ai l'impression d'avoir de nouveau cinq ans quand Dallas nous faisait faire de petites balades à poney à Nathan et moi. Au bout de cinq minutes notre "moniteur" lance son cheval au trot. Je soupire de soulagement en indiquant au mien le chemin.
Toutes les sensations me reviennent et font gonfler mon cœur d'euphorie, les mouvements de l'animal s'impriment dans mon corps comme si l'on ne faisait qu'un. Je plane. J'épouse sont trot en me hissant en rythme sur les étrillés.
On quitte la propriété au petit trot et le clapotement des sabots sur le chemin de pierre retentit comme une musique ou à mes oreilles. Il ne nous faut pas plus de quelques minutes pour apercevoir la plage.
Au loin, les vagues azurées semblent prêtes à avaler l'étendue de sable. L'odeur de l'océan saturée de sel me chatouille les narines et une légère brise marine soulève mes boucles.
Brutus s'agite sous moi en piaffant d'impatience. Je ne le retiens plus et on décolle au grand galop en dépassant Jace. Je l'entend m'appeler derrière moi mais je suis déjà loin, ailleurs, euphorique.
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