Chapitre 47
Je suis réveillée par le bip strident qui me sert de sonnerie de téléphone. Encore engourdie de sommeil, j'attrape mon oreiller à deux bras et le plaque sur ma tête, le visage enfoncé dans mon matelas d'où se dégagent des effluves de lavandes. Dans cette position, j'entends toujours le son mais il me parvient comme assourdi. Je soupire et attend qu'il se taise, ce qui arrive au bout de deux minutes environ. Bien.
Je me tourne sur l'autre flanc pour me rendormir mais ce satané appareil recommence son boucan. Bon sang! Je me redresse et m'en empare pour jeter un coup d'oeil à l'écran. Qui que ce soit, il peut bien attendre que j'ai achevé ma nuit de sommeil complète, non?
C'est ma mère.
Encore.
Pour le coup, je suis parfaitement réveillée. Je devrais peut-être lui répondre, en fin de compte. L'ignorer aussi longtemps n'est pas sérieux, me crie avec indignation la Lily raisonnable dans mon crâne. Mais je voudrais trois jours de pause. Est-ce trop demander? Non, je ne crois pas.
J'ignore la sonnerie et reste allongée sur le dos, les yeux fixés au plafond et mes jambes s'agitant nerveusement. Mon regard se perd dans celui, identique, de mon père qui me sourit dans son costume de lieutenant de police.
Le bruit s'éteint enfin et je retiens mon souffle en attendant de voir si elle va persévérer, poussant un soupir de soulagement en constatant que ce n'est pas le cas. Par contre, impossible de me rendormir à présent que le stress a chassé les dernières brumes de sommeil. Mon portable indique 7h11. Je ne pense pas m'être déjà levée aussi tôt depuis que je suis ici.
Je me laisse rouler jusqu'au bord de mon lit sans entrain et glisse les orteils dans mes tongues avant de me rendre à la salle de bain. Je passe sous la douche pour éloigner les dernières infimes traces de fatigue et enfile distraitement un short et une chemise en jean sans manches, puis m'assied sur un tabouret pour lacer mes Stan Smith.
Je me demande si Jace sera là, je n'ai pas vraiment envie de passer ma journée seule à réfléchir à ce que je dois faire en ce qui concerne ma mère, ou pire, à mon cerveau qui débloque. Parce que, si la sonnerie de mon portable m'a brutalement tirée du sommeil, je me souviens très bien du visage masculin qui peuplait mes pensées endormies. Bien sûr, je préfère de loin cette option à mes cauchemars habituels mais je ne dois surtout pas encourager cette nouvelle lubie. La reconnaître est déjà bien suffisant.
Je dévale les escaliers en me demandant si quelqu'un d'autre sera réveillé. Sûrement que oui, c'est moi la grosse dormeuse depuis le début de l'été, je suis certaine que Dallas se lève à l'aube, lui.
Pourtant, les cuisines sont désertes quand j'y pénètre. Idem pour la salle des employés. Je comprends que quelque chose cloche en poussant la porte qui donne sur la cour arrière. Un groupe est attroupé dans le fond du parc, près du garage.
Je m'avance aussitôt dans leur direction. Dallas, Jace et Boyd me tournent le dos et juste à côté d'eux, Chris est en pleine conversation avec deux agents de police. Des agents de police? Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire? Inquiète, je m'approche du petit attroupement et remarque celui que- une fois n'est pas coutume- j'ai manqué.
Un peu plus loin, adossé contre le grillage qui délimite la propriété Williams, Royce observe la scène avec l'air neutre qui le caractérise. Je ne comprends pas...
Chris est le premier à se rendre compte de ma présence quand je me retrouve à quelques mètres de lui et une grimace déforme ses traits alors qu'il s'avance rapidement dans ma direction. Sa main se pose sur mon épaule et il lâche:
- Lily, retourne dans la maison, s'il-te-plait.
- Qu'est-ce qu'il se...
Et puis je vois. Maintenant que les deux policiers et mon oncle se sont écartés, je distingue facilement les grandes écritures grossières qui ont étés taguées sur la façade ardoise du garage. Au fur et à mesure que je les décrypte, mon cœur se crispe pour finalement tomber dans mes chaussettes.
À l'encre rouge, on peut lire plusieurs phrases et mots isolés comme "Assassin", "À mort Walters", "Walters a buté l'oncle de Matt" et " Lily williams suce les meurtriers".
Ma trachée se referme brusquement et je ne peux soudain plus respirer. Des voix brouillées me parviennent, comme de très loin, et il me semble que quelqu'un pose sa main sur mon dos alors que je me penche en avant pour reprendre mon souffle. La nausée me saisit mais je serre les dents pour la faire redescendre. Quand je me redresse, c'est pour tomber sur une paire d'yeux orageux qui me fixe d'un air grave.
Royce n'est plus adossé au grillage et s'est même rapproché de quelques pas sans pour autant se mêler au groupe qui s'est formé autour de moi. Son air indécis capte mon attention un instant de plus avant que la voix de mon oncle ne perce le brouillard dans lequel je me suis retranchée.
- Lily? Lily!
- Oui, je répond faiblement en relevant le menton vers Chris, qui pose sur moi un regard préoccupé.
- Ne t'inquiète pas, d'accord. On va régler ce problème. C'est juste des cons qui n'ont aucune idée de la merde dans laquelle ils viennent de poser les pieds, lâche-t-il, la mâchoire crispée et les yeux animés d'une lueur colérique et déterminée.
Je hoche simplement la tête en empêchant les miens de converger de nouveau vers la façade du garage. Jace et Dallas discutent à mi voix et pour une fois, le visage du premier est dépourvu de toute trace d'humour.
Chris me somme une nouvelle fois de regagner la maison avant de retourner auprès des deux agents de police mais je ne l'écoute pas et reste plantée, hébétée au milieu de la cour.
Evidemment, je suis presque certaine de savoir qui a fait ça, il s'agit sûrement de Matt et de ses amis mais, à part pour Abercrombie, je ne connais aucun nom. Ma suspicion n'est donc pas d'une grande utilité.
Royce n'a pas bougé, dans la même position figée qu'il y a quelques minutes, son regard vague donne l'impression qu'il n'est pas vraiment présent, comme si cette scène l'indifférait. Mais je sais que c'est un leurre, il suffit de regarder ses poings et ses mâchoires crispés pour le comprendre.
Au dessus de nous, le ciel est de la même couleur que ses yeux et semble refléter mon état d'esprit. Des nuages sombres s'amoncellent comme l'interprétation météorologique d'un mauvais présage. Au bout de quelques minutes, Dallas, Boyd et Jace montent dans le pick-up du premier après que le rouquin m'ait salué avec un air désolé, puis le véhicule démarre et s'éloigne en quittant la propriété.
Je suis tellement absorbée par les écritures sanglantes qui envahissent mes pensées que je met un moment à me souvenir que mon palefrenier m'avait prévenu qu'ils devraient se rendre en ville, hier.
- Lily, lance Chris qui est revenu près de moi et me fixe, le front plissé.
- Mmh.
- Je vais devoir sortir en ville régler cette histoire.
- Comment est-ce que tu vas t'y prendre, je demande simplement, sans être sûre de vouloir connaître la réponse.
Je ne vois vraiment pas ce qu'il peut faire, de toute façon.
- Ne t'occupe pas de ça. Je vais aller au poste de police et retrouver ces connards. Toi tu restes sagement ici. Tu peux faire ça?
- Mmh, je souffle, distraite par les tags qui attirent toujours mon attention comme des aimants.
Il me semble entendre Chris soupirer mais je ne jette pas de coup d'œil dans sa direction pour vérifier. Jusqu'à ce que je l'entende héler Royce.
- Walters! lance-t-il, me faisant tressaillir comme si c'était mon propre prénom.
Je pivote trop vivement la tête et me passe une main sur la nuque en sentant poindre le torticolis.
Royce avance dans notre direction avec sa démarche de fauve, le visage impénétrable. Il se plante devant mon oncle.
- Il faut que je sorte en ville. Je ne veux pas la laisser seule, précise ce dernier en me désignant d'un mouvement sec du menton, à ma grande horreur. J'ai besoin que tu restes.
Quoi? C'est une blague? Je suis qui, une gosse de sept ans? Et puis, depuis quand est-ce que Chris fait confiance à Royce en ce qui me concerne? Je pensais qu'il n'était pas censé m'approcher, ordre du maître des lieux. Je m'attend à ce que Royce proteste et l'envoie promener mais comme il reste silencieux, je m'en charge.
- Je n'ai pas besoin de baby-sitter, Chris. Sérieusement, Royce peut rentrer chez lui, je ne ferai rien de stupide.
Les deux hommes échangent un regard et j'ai soudain l'impression désagréable que quelque chose m'échappe.
Je croise les bras sur ma poitrine et attend des explications.
- Lily, j'ai confiance en toi mais tant que je n'ai pas sécurisé la propriété, je ne veux pas te laisser ici sans surveillance.
Ses paroles me glacent le sang avec la même efficacité qu'un seau d'eau froide.
- Alors tu... tu penses qu'ils pourraient revenir? Ceux qui ont fait ça? je l'interroge sans parvenir à empêcher une saleté de trémolo de s'infiltrer dans ma voix.
- Je n'en sais rien, Lily. Ce genre de chose ne m'est jamais arrivé. Je n'ai pas dit que Walters allait camper dans ta chambre, précise-t-il sans se soucier du rictus de l'intéressé, il sera dans le garage, comme d'habitude. Et si quelqu'un pénètre dans le domaine, il le verra.
J'essaye de faire abstraction des billes dures qui me fixent de profile et siffle à mon oncle.
- Oui et il fera quoi, d'après toi? Tu penses qu'il appellera la police?
J'use de l'ironie pour lui souligner l'absurdité de cette perspective. Il doit quand même assez connaître Royce pour savoir que cela ne peut que mal se terminer. Mais avant même qu'il ne me réponde, en observant son échange de regard avec son mécanicien, je comprends avec horreur qu'il le sait parfaitement.
- Non, j'espère qu'il sera plus inventif, lâche-t-il d'un air féroce sans quitter Royce des yeux.
Ce dernier hoche simplement la tête, ce qui me paraît de mauvaise augure.
- Bon, j'y vais, me préviens mon oncle sans tenir compte de mon regard désapprobateur. À tout à l'heure.
Je le regarde disparaître dans une Jaguar sombre et reste immobile jusqu'à ce qu'elle passe le grand portail en fer forgé de la propriété. Quand je pivote vers Royce, c'est pour remarquer qu'il me dévisage en silence.
Evidemment, je suis gênée qu'il se retrouve de corvée pour me surveiller -même si ce n'est pas ainsi que mon oncle l'a présenté- mais une plus grande partie de moi est tout simplement soulagée de ne pas se retrouver complètement seule après ce que l'on vient de découvrir. Bien sûr, je ne l'avouerai pour rien au monde.
- Tu n'es pas obligé de faire ça, je lance même en direction de mon nouveau garde du corps provisoire. C'est vrai, je compte juste m'occuper dans la maison...
Je n'ose pas le regarder dans les yeux en sachant que j'ai rêvé de lui cette nuit.
- J'ai des trucs à terminer au garage, coupe-t-il en haussant les épaules.
Je n'ai pas le temps de relever qu'il retourne déjà vers le bâtiment profané.
Après m'être attribuée une bruyante claque mentale pour être restée presque une minute entière à le regarder s'éloigner, je reprends le chemin de la grande bâtisse blanche à l'allure victorienne. Je me demande combien de temps les autres vont mettre avant de rentrer alors que l'ennui s'abat sur moi. Décidément, pour une fille habituée à la solitude, je commence à un peu trop prendre goût à cette maison surpeuplée, je songe en rejoignant ma chambre rose. Et je ne suis pas certaine que ce soit une si bonne idée. Je ne veux pas penser à ce que je ressentirai lorsque je quitterai de nouveau les Keys. Partir une première fois m'avait déjà brisé le cœur...
Toujours peu rassurée à propos des intrus qui se sont introduits chez nous en pleine nuit, je m'assieds sur la banquette de fenêtre pour garder une vue d'ensemble sur la cour après avoir retiré mes tennis. De mon poste d'observation, les lettres sanglantes qui décorent le garage me font de l'œil. Chaque mot me semble un coup de poignard aiguisé, si bien que je me détourne rapidement, la nuque en sueur.
Le nez collé contre la vitre fraîche, j'observe les nuages vaporeux qui envahissent la voûte céleste et avale son étendue bleutée. Il va sûrement pleuvoir.
Une vibration familière contre ma cuisse m'oblige à mettre fin à mes prévisions météorologiques pour jeter un coup d'œil à mon mobile. Le numéro qui s'affiche ne me dit rien mais le message me permet facilement d'identifier mon correspondant.
Numéro inconnu: Tu lui a transmis le message?
Sec et concis, ça a au moins le mérite d'être clair, je remarque avec ironie.
Je ne réponds pas au frère de Mia, convaincue qu'il m'occirait à distance en constatant ma réponse négative et appelle directement sa sœur pour m'acquitter de ma tâche.
En collant le portable à mon oreille, j'ai un sursaut de lucidité et me demande s'il n'y a pas un risque que je la dérange en plein boulot, et, connaissant le charmant caractère de son patron...
Mais elle répond au bout de seulement deux tonalités, coupant court à mes doutes.
- Salut toi, lâche-t-elle d'une voix un peu rocailleuse. Y a une raison qui explique pourquoi tu me réveille le jour de ma matinée de congé? bougonne-t-elle.
- Mince! C'est vrai qu'il n'est même pas encore huit heure.
- Mia, je suis vraiment désolée! Je ne savais pas que c'était ta... ok, rendors toi, je te rappelle plus tard.
Un rire rauque me parvient à l'autre bout du fil, si je puis dire.
- Oh, putain! c'est vraiment drôle comment tu pars au quart de tour! T'inquiètes, j'étais presque levée de toute façon. Attends raccroche pas, ajoute-t-elle et je devine qu'elle a posé son téléphone.
J'entend une voix masculine un peu lointaine, puis celle de mon amie, plus proche, lâcher un "faut que tu t'en ailles, désolée mec. C'était cool." auquel le "mec" répond par un vague grognement.
Les pieds posés sur le mur attenant à la fenêtre, je fixe mes orteils en attendant qu'elle reprenne la conversation.
- C'est bon, je suis là!
- Est-ce que tu viens vraiment de virer un garçon de chez toi sans la moindre considération? je demande, mi sidérée, mi amusée.
- Ouaip.
- Et qu'est-ce qu'il faisait chez toi? j'ose demander.
- Tu veux vraiment le savoir? se marre-t-elle.
- Euh...non, tout compte fait.
- Alors? Tu voulais me parler d'un truc? elle demande alors qu'un froissement de tissu en bruit de fond m'indique qu'elle est en train de s'habiller.
Je reste silencieuse un moment, m'interrogeant sur la meilleure manière d'aborder le sujet. En fait, pour être tout à fait honnête, je suis un peu inquiète à l'idée qu'elle m'en veuille d'avoir parlé d'elle à son frère. Le ton qu'elle utilise lorsqu'elle parle de lui m'a bien fait comprendre qu'elle ne souhaite plus faire partie de sa vie.
- Lily?
- Oui. Hum, je me demandais si tu pouvais passer cet après-midi, je me dégonfle.
- Ouais, ça peut se faire mais pas avant 17 heures, je suis de service. Ça te va?
- Attend, laisse-moi vérifier mon agenda de rendez-vous, j'ironise, oui, ça me semble faisable mais tout juste.
Son rire grave me donne envie de sourire. C'est comme un bonheur diffus et innocent, proche de celui que je ressens en présence de Nathan.
- T'es vraiment un sacré numéro, la môme!
Je ne peux pas m'empêcher de tressaillir en l'entendant utiliser le surnom que Royce me donne. Qu'est-ce qu'ils ont tous avec ça, à la fin?
- J'ai à peine deux ans de moins que toi, je proteste.
- Je sais, la môme. Bon, je dois te laisser, je crois que le gros lourd n'a pas compris le deal, il est en train de maltraiter ma cafetière.
- Ok, salut. Essaye de ne tuer personne, je me marre.
- Ouais, mais je ne promet rien.
Je la laisse raccrocher, un sourire aux lèvres, surprise de ressentir autant d'affection pour une fille dont les mœurs sont plus éloignés des miens que deux planètes du système solaire.
Je jette un nouveau coup d'œil en direction de la cour. Quelques chevaux interagissent dans le pré, les grands palmiers s'agitent brutalement, malmenés par le vent. Mis à part ça, rien à signaler mon commandant... en dehors du fait que je déraille à force de scruter les environs avec un regard paranoïaque.
Pour apaiser la poussée de stress qui me démange, je me penche pour attraper les écouteurs qui pendent sur le bord de mon lit et les branche à mon portable avant de les enfoncer dans mes oreilles. La tête posée sur un des coussins moelleux qui parsèment la banquette, je laisse la musique m'accaparer toute entière.
Elle s'infiltre dans la moindre de mes cellules, fait vibrer ma colonne vertébrale et recouvre ma peau comme un baume revigorant. Le sommeil qui m'avait quitté jusqu'alors revient en force et la dernière chose que j'entends avant de sombrer dans ses brumes sont les conseils post-rupture de Dua Lipa qui ne me sont d'aucune utilité.
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