Chapitre 44
Tout le monde éclate de rire- moi comprise- sauf Royce qui affiche une mine sombre, pour changer.
- Y a quoi la-dedans? demande Hunter en s'emparant de mon sac-à-dos.
J'essaye de l'attraper avant lui mais il est plus rapide et le lève loin au dessus de ma tête. Je soupire et le laisse-faire, de toute façon, il n'y a rien d'intéressant dedans. Il sort mon dessin déjà un peu froissé et le balaye du regard.
- Tiens, t'as changé de modèle je vois, remarque-t-il d'un air narquois.
Je me fige et fixe le sol sans parvenir à croire qu'il ait lâché ça à voix haute. Ça ne veut rien dire, personne d'autre ne peut comprendre. N'est-ce-pas? J'essaye de m'en convaincre mais je sens le regard de Royce me brûler la nuque. Je suis certaine qu'il peut décrypter ce message à peine masqué. Comme si j'avais besoin d'avoir l'air encore plus obsédée par lui.
- Cool, j'ai super soif, s'extasie le grand blond déjà passé à autre chose en extirpant les deux bouteilles de thé glacé de mon sac. Je parie que tu les a mises là pour moi. Tu savais que j'allais venir n'est-ce pas? demande-t-il l'air presque sérieux.
Et je tombe dans son piège. Je saute même dedans à pieds joints.
- Mais, non, c'était pour...
Je m'interromps mais c'est sûrement trop tard.
- Pour? insiste le blond le plus pénible de la planète, l'air blagueur.
Comme je garde le silence, il se croit en droit d'ouvrir la bouche pour répondre à ma place, comme si la situation ne m'était pas déjà assez pénible. De toute façon, je ne vois pas ce qu'il peut ajouter de pire, je suis déjà à terre.
- Laisses moi deviner? Pour ton mécano aux yeux gris? Il ne faudrait pas qu'il soit déshydraté, s'esclaffe-t-il avant d'avaler une grande gorgée d'Ice Tea.
D'accord, erreur de jugement: c'est pire. Je suis à présent enterrée à plusieurs mètres de profondeur.
- Non, je...
Jolie, la répartie Lily! Bien! Une dizaine de Lily mesquines m'applaudissent ironiquement en cœur dans mon cerveau alors que je me mords l'intérieur de la joue en fixant le sol. Je n'ai jamais été aussi souvent gênée que ces dernières semaines. Ce sentiment commence à me mouler comme une seconde peau.
Je ne pivote pas pour jeter un coup d'œil à Royce sur ma gauche, même si je sais qu'il me fixe. Je le sais parce que quand il le fait, je ressens presque la même chose qu'au moment où le rideau de théâtre s'est ouvert sur moi lors de la pièce de fin d'année en sixième. J'étais restée figée en sentant tous les regards du public braqués sur moi comme des armes de snipers et on avait du me remplacer par ma doublure folle de joie.
Je rougis sans rien ajouter alors que Hunter se moque de moi. Finalement, Royce finit par intervenir et mettre fin à mon calvaire.
- Lâche l'affaire, lance-t-il à son acolyte d'une voix indéchiffrable.
Hunter continue de ricaner sous cape mais se détourne pour me laisser respirer. J'en profite pour récupérer mon sac et mes affaires.
C'est à ce moment que Jace débarque dans le garage. Il semble avoir définitivement rangé son costume de cow-boy maintenant qu'il n'organise plus de promenades et porte un T-shirt à l'effigie de l'équipe de hockey sur glace de Toronto, un jean taille basse et des baskets montantes.
Il fronce les sourcils et pince les lèvres en me découvrant entourée de tous ces hommes d'apparence peu fréquentable. Je m'avance vers lui et il reporte son attention sur moi après avoir fusillé les autres du regard comme s'il était de taille à les prendre au combat. Quoique, il pourrait tenter le coup avec l'albinos.
- Salut, je lance avant de me reprendre quand sa petite blague me revient à l'esprit.
- Hey. Rose m'envoie te chercher pour le déjeuner. Pareil pour toi, Walters, ajoute-t-il sans regarder les trois autres.
Je hoche la tête et lui emboîte le pas en le pressant dans le dos avant que sa langue trop bien pendue ne lui coûte de se faire casser la figure. Ce qui serait d'ailleurs bien dommage étant donné que de nombreuses filles semblent la trouver à leur goût.
Une fois dans la cour, j'accélère le pas pour le distancer mais sans succès.
- Tu t'es trouvé drôle tout à l'heure? je siffle.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Au contraire, tu vois très bien! Tu savais que mon oncle était dans le garage. Tu m'as tendu une embuscade, je l'accuse en pointant son torse du doigt.
- Si tu ne voulais pas que ton oncle te vois dans ce garage, c'est que tu savais que c'était une connerie d'y aller, contre-attaque-t-il.
Mince il a vraiment réponse à tout. Il n'empêche que je trouve que ce qu'il a fait n'était pas fair-play. Surtout le moment où il me fait croire que je suis assez mature pour prendre mes propres décisions.
Je hausse les épaules et répond sans le regarder.
- Peut-être, mais tu n'avais pas besoin de t'en mêler. Tu voulais juste me causer des problèmes ou quoi?
Je n'attend pas qu'il reprenne la parole et le devance en me dirigeant vers la salle à manger des employés. J'entend ses sneakers marteler le sol alors qu'il me court après mais j'évite de le regarder, même quand il pose une main sur mon épaule.
- Allez Lily, quoi...T'es pas vraiment fâchée, si?
Mon nouveau haussement d'épaule négligeant lui fait hausser les sourcils. Je ne sais pas pourquoi ça m'embête autant, après tout, je m'en suis sortie. Mais je pensais que les amis sont censés se couvrir entre eux, en tout cas, c'est ce que Nathan a toujours fait pour moi. Mais peut-être me suis-je tout simplement trompée en pensant que Jace est mon ami, ou se considère comme tel. Il est de nature sympathique avec tout le monde, il me semble, et je suis la nièce de son patron. J'ai peut-être pris son amabilité pour quelque chose qu'elle n'est pas. Nathan est et sera toujours l'unique personne à me comprendre. Il est comme une extension de moi et je n'ai besoin de rien de plus. Son amitié en vaut mille.
Après avoir compris cela, je pénètre dans la salle des employés sans me retourner et m'assieds sur la première chaise libre qui se présente. Évidemment, Jace prend la place voisine. Je continue d'éviter son regard.
Rose n'est pas encore là mais d'autres employés sont déjà installés et discutent avec animation après m'avoir saluée poliment. D'autres les rejoignent au bout de quelques minutes et Royce est le dernier à pénétrer dans la pièce alors que Rose est déjà en train de répartir les couverts et je me demande si ses trois acolytes sont rentrés chez eux ou s'ils sont en train de l'attendre dans le garage de Chris.
Il s'assied à ma diagonale et j'ai maintenant deux regards à éviter ce qui ne me laisse pas beaucoup de terrain pour promener mes yeux. Je me concentre sur la généreuse part de gratin dauphinois fumant que Rose vient de déposer dans mon assiette.
En avalant une première bouchée, je porte mon attention sur les conversations alentours. Deux hommes à ma gauche évoquent la tâche qui les attend cet après-midi et la manière dont ils vont s'y prendre pour débuter le chantier de l'annexe dont Chris leur a donné les plans. Dallas écoute le vieux jardinier -Jack, je crois- s'inquiéter à propos d'une éventuelle tempête à venir dont il a entendu parler aux informations et Boyd garde le silence alors qu'un de ses camarades semble vouloir lui inculquer l'art du football Américain. Pour ma part , je trouve ce sport particulièrement violent et ne comprend pas le plaisir que peuvent prendre des joueurs à se battre entre eux pour un ballon ovale.
- Tu ne va pas pouvoir me faire la gueule longtemps, assure Jace au moment où j'avale ma dernière bouchée de pommes de terre.
- Peut-être que si en fait, je rétorque, tu ne dois pas être aussi irrésistible que tu le penses.
Au fond, je sais qu'il a raison: dans quelques minutes je rigolerai surement de nouveau à ses blagues stupides. Je veux juste le faire mariner un peu.
- Allez, c'est pas comme si je t'avais balancée alors que tu faisais le mur, plaide-t-il sans relever la deuxième partie de ma phrase ce qui ne lui ressemble pas vraiment.
- Oui, parce que je ne fais pas le mur moi! Et arrête de parler de ça ici.
Royce est juste à côté et j'ai beau être quasiment sûre que mes petites histoires d'adolescente ne l'intéressent pas pour un sou -même si, en l'occurrence, elles le concernent- je préfère éviter qu'il ne comprenne de quoi on parle.
- C'est mignon tes petits bracelets, là, lance Jace en les pointant du doigts.
- Merci, c'est des bracelets brésilien, je réponds avant de comprendre son stratagème. N'essaye pas de changer de sujet.
- C'est toi qui viens de dire que tu ne voulais pas en parler ici!
- T'es vraiment agaçant comme garçon, je grommèle avec un vague sourire.
Il ne manque pas de le remarquer et enfonce même un doigt dans ce que je devine être ma fossette.
- Tu vois, tu n'arrives déjà plus à m'en vouloir.
- Pas sûr, ça, je le détrompe en balayant sa main.
- Mais si, je suis en train de grignoter ton mur de la haine, je le sens, insiste-il avec un sourire presque irrésistible alors que son nez couvert de taches de rousseurs se plisse.
- Ok, c'est bon.
- Sérieux?
- Oui, mais ne me refais plus un coup pareil, compris?
- Parole de scout, promet-il d'un air presque solennel. Tu veux que je crache dans ta main pour seller le pacte?
- Non, c'est bon comme ça, je te crois, répond-je précipitamment en éloignant mes mains.
Je jette un coup d'oeil en direction de Royce après une minute. Depuis le début de ma conversation avec le rouquin, je sens son regard sombre peser sur mes épaules. Effectivement, mes yeux se rivent aux siens au moment où je lève la tête mais je ne parviens pas à traduire son expression indéchiffrable. Il est le premier à se détourner. Rose vient de déposer des coupes de crème brûlée devant chacun d'entre nous. J'ai à peine planté ma petite cuillère dans mon dessert que Jace relance, l'air de rien:
- Et sinon, t'as des nouvelles de Barbie noire?
- Tu parles de Mia? Je ne suis pas sûre qu'elle apprécie le surnom. Non, je n'ai pas eu de nouvelle depuis... depuis le Lust.
- Ah.
- Pourquoi?
- Juste comme ça, répond-t-il en haussant les épaules dans un geste de décontraction feint que son sourire de chat de gouttière discrédite.
Je sais que les chats de gouttière ne sourient pas réellement mais bon, faisons comme si.
- Qu'est-ce que tu lui veux?
- Qu'est-ce qui te dis que je lui veux quelque chose?
- Tu veux dire, à part ton air de satan?
Il ne rétorque rien et se contente de me regarder manger, le menton posé sur son poing fermé. Je réfléchis à son attitude et une pensée me traverse avec la rapidité d'un éclair. Attendez... Ma cuillère s'arrête en plein vol à quelques centimètres de ma bouche.
- Est-ce que Mia te plaît? je demande après une hésitation alors que Jace s'est remis à manger son dessert.
- Ça dépend ce que t'entends par là. Développes, répond-t-il, la bouche pleine.
Qu'est-ce qu'il veut que je développe? Ça me parait pourtant clair même si je n'ai pas l'habitude de parler de ce genre de chose.
- Et bien, tu vois... Est-ce que tu es... amoureux d'elle?
Jace s'étouffe avec sa bouchée de crème brûlée et manque de tomber en arrière alors qu'il se balançait sur sa chaise avant de se rattraper de justesse à la table. Tant pis pour lui, les chaises ont quatre pieds. Je me demande ce qui lui prend avant de comprendre qu'il est hilare. Je crois même avoir vu un morceau de son dessert dégringoler gracieusement de sa bouche à son T-shirt. Je rougis légèrement en prenant conscience qu'il se paye ma tête, puis un ricanement rauque me parvient d'en face, léger et masculin, et mon teint prend un nouveau coup de soleil quand je comprends qu'il s'agit de Royce. Je devrais me satisfaire du fait qu'il participe à une conversation à table pour une fois -enfin, en quelques sorte- mais je ne trouve pas cela vraiment amusant.
- Qu'est-ce qui te prend? je chuchote en me tournant vers Jace.
Il se frotte les yeux et met du temps à se calmer, puis me lance un sourire indulgent qui ne me plaît que moyennement. C'est le sourire que l'on réserve aux enfants un peu drôles que leur naïveté pousse à dire des bêtises.
- Non Lily, je ne suis pas "amoureux" de Mia.
Il mime les guillemets avec les doigts.
- Alors, tu ne veux pas sortir avec elle? je demande, déçue alors que je commençais déjà à visualiser ce couple incongru mais mignon.
- Non plus, répond-il en ricanant.
- Qu'est-ce que tu veux?
- Euh... lui causer?
- Tu veux discuter avec elle?
Il doit remarquer mon air perplexe parce qu'il précise:
- Façon de parler.
Je suis sûre que je vais le regretter, j'ai un mauvais pressentiment, mais j'insiste quand même.
- Développes.
- À ton avis, que font les gens qui se plaisent?
- Ils sortent ensemble.
- Non, pas forcément. Ils couchent ensemble.
J'écarquille un instant les yeux, puis me reprend et le fusille du regard.
- Qu'est-ce que tu racontes? T'es vraiment un goujat!
- Mais non, je t'assure! Tu sors d'où Boucles d'or? La plupart des gens couchent ensemble juste comme ça, sans rien attendre. C'est seulement du sexe.
- Eh! Jace, qu'est-ce que t'es en train de raconter comme conneries à ma Lily? nous interrompt Dallas qui a visiblement écouté notre conversation.
Oups. Jace n'a pas l'air gêné le moins du monde et affiche même son sourire spécial rouquin des enfers:
- Mais rien, je lui apprend juste la vie.
- Et bien, sois gentil mon garçon et garde tes opinions pour toi. Va pas lui polluer la tête avec tes saletés. Lily, ne l'écoute pas, tu as raison, c'est mieux de faire ce genre de chose avec une personne respectable et qu'on connait depuis très, très longtemps. Tu m'entends ?
D'accord. Je crois que j'ai à présent un teint assorti aux coquelicots qui ornent la nappe. J'entend plusieurs employés se marrer autour de la table.
- Dallas!
- Quoi?
Il n'a pas l'air très à l'aise non plus.
- Tu n'as pas besoin de me faire la leçon. Et arrête de parler de ça!
- Mais c'est vous qui en parliez.
- Parce que Jace ne m'a jamais chanté de berceuses pour m'endormir, lui.
Dallas jette un regard embarrassé en direction des autres employés et nie aussitôt:
- C'est faux. Je n'ai jamais fait ça !
- Si, je suis sûre que je peux retrouver la preuve en cassette. Tu veux que je creuse? je ricane.
- Non, c'est bon, grommèle-t-il dans la barbe qu'il n'a pas. En tout cas, je voulais juste te dire que je sais que tu es une fille raisonnable et que tu ne vas pas...
- Dallas!
- Ok, j'arrête.
Je soupire de soulagement. Rien de plus étrange et gênant que de recevoir un sermon sur le sexe par Dallas et à la table du déjeuner devant les employés et devant...
Mon visage pivote de lui même vers Royce. Il est adossé au dossier de sa chaise et je suis surprise qu'il ne soit pas encore sorti. Je croise son regard dans lequel brille une lueur de curiosité qui se dissout presque aussitôt dans l'indifférence. Puis il repousse sa chaise sans rien dire et quitte la pièce. Je voudrais ne pas le suivre du regard, ne pas avoir envie de le faire. C'est vrai, je le voudrais vraiment. Mais je n'y parviens pas.
- Vu, murmure la voix de Jace à ma droite.
Et je ne peux pas rétorquer parce qu'il n'y a rien à ajouter. Je suis dans le pétrin.
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