Chapitre 38
J'ai l'impression que toutes les cellules de mon corps sont en état d'alerte alors que je regarde partout autour de moi pour parvenir à la source de la voix. Je ne met pas longtemps à la trouver.
À quelques boxs de nous, Royce est étendu sur une banquette, les deux bras sur le dossier et les jambes écartés devant lui, il m'apparaît de profil. Son corps d'Apollon est moulé dans un jean noir et une chemise de la même couleur, ouverte de plusieurs boutons. Je remarque rapidement son regard distant qui se promène sur les corps agglutinés au centre de la salle sans sembler vraiment les voir, l'albinos filiforme que j'ai déjà rencontré dans ma cuisine et Hunter assis sur la banquette d'en face ainsi que les bouteilles d'alcool entamées sur leur table.
Mais ce qui retient mon attention avec le plus de force, c'est la fille à peine vêtue, étendue à côté de Royce, qui promène ses doigts sur son torse et lui embrasse le cou. Le pire de tout, c'est la main de mon mécanicien qui disparaît sous sa jupe. Les quelques frites que j'ai mangées me paraissent soudain peser une tonne dans mon estomac alors que je ne parviens plus à détacher mes yeux de ces deux-là. Ce n'est pas la fille que j'ai surprise dans le bureau de Dallas, je remarque. Non, celle-ci est blonde et il ne faut pas être spécialiste capillaire pour deviner que ses cheveux sont teints. Elle porte une jupe minuscule et un haut que je n'enfilerais pas même pour dormir. Le tout révèle une silhouette on ne peut plus féminine.
- Lily? Tu m'écoutes?
- Qu'est-ce que tu regardes ma belle?
- Elle a l'air malade.
Je pivote vers mes amis pour les voir regarder tous les deux dans la direction qui avait retenu mon attention. Ils se figent de concert quand ils le voient.
- Merde, jure Jace. Qu'est-ce qu'il fout là, lui? Pire qu'un parasite, ce mec!
Mia reste silencieuse un moment avant de lâcher:
- En fait il vient souvent ici. Ça m'arrive de le croiser pendant mon service, même si la plupart du temps, je l'ignore.
- C'est bien ma veine.
- T'es vraiment pâle Lily, tu devrais bouffer quelque chose. Mange ton burger, lance Jace.
- Non, prends le toi, dis-je d'une voix distraite, mon attention toujours concentrée sur l'autre box, je suis végétarienne.
- Quoi? Sérieusement? Depuis quand? Rose est au courant?
- Ouais, t'inquiètes pas, Jace.
- Non mais je suis sérieux! Parce qu'on a fait que bouffer de l'animal depuis que t'es là. T'es sûre qu'elle sait?
- Oui, c'est réglé maintenant.
Je ne suis pas vraiment avec eux. Plus loin, Royce écoute Hunter qui parle de voitures. Leurs paroles me parviennent distinctement, comme si mon cerveau filtrait les sons de la salle qui m'intéressent. En tout cas, il n'a pas l'air de faire attention à la fille qui fait pourtant tout- je dis bien tout- pour qu'il la remarque.
À un moment elle se penche pour l'embrasser en plein sur la bouche et mon cœur se serre involontairement mais il la repousse sans douceur. Ses paroles insensibles me parviennent alors, claires comme de l'eau de roche:
- Désolé, j'embrasse pas de bouches qui ont sucé d'autres queues que la mienne.
Je tressaille sans prêter attention au "connard!" étouffé de Mia à ma droite qui a du entendre la même chose que moi. Est-ce qu'il a vraiment dit ça? Je ne l'ai pas rêvé. La fille s'énerve et se redresse:
- T'es sérieux? Tu te fous de moi? proteste-elle.
- La sortie est par là si t'es pas contente, se borne-t-il à répondre sans même la regarder.
Une partie de moi est soulagée que leurs bouches ne soient pas entrées en contact devant mes yeux mais le reste de ma personne est simplement écœurée par ses paroles.
Je suis encore en train d'y penser quand l'albinos pose son regard sur moi.
Mince. Mince. Mince! Faites qu'il ne m'ait pas reconnue !
Mais un sourire se peint sur son visage et je le regarde avec horreur se pencher vers Royce pour lui chuchoter une chose que je n'entend pas. Ce dernier, alors en train de passer une main dans ses cheveux déjà ébouriffés, se tend brusquement et pivote vers nous en fouillant la salle du regard. Il ne met pas trente secondes avant de tomber sur moi et ses yeux s'écarquillent de stupeur. Sa bouche est même entrouverte sous le coup de la surprise. Je pourrais être satisfaite de lui tirer une réaction, pour une fois, mais je suis encore obnubilée par ses paroles. Son expression passe toutefois rapidement de la confusion à la colère.
Je me renfonce dans mon siège en le voyant se lever en s'extirpant de son box pour marcher dans notre direction d'un pas déterminé et je ne peux pas m'empêcher de me rapprocher de Mia. Elle et Jace ont tous les deux enfilé un masque d'hostilité.
Royce s'arrête pile devant notre table, me jette un bref coup d'œil et se tourne vers Jace. Sa voix claque, furibonde:
- Qu'est-ce que vous foutez là?
- Je vois pas ce que tu veux dire, répond mon ami, l'innocence incarnée. Je passe mon temps ici. Pour les strip-teaseuses, tout ça. Et Mia bosse dans cette boîte.
Royce se penche sur la table, l'air menaçant:
- Commences pas à m'emmerder. Pourquoi tu l'as ramenée ici?
Je me ratatine un peu plus. J'imagines que je suis le "la" mais je ne vois pas pour quelle raison il en fait toute une histoire. Peut-être qu'il a l'impression que je le colle et ce serait légitime mais je ne savais pas qu'il serait ici. Sinon, je n'aurais jamais demandé- que dis-je- insisté pour venir.
- C'est elle qui voulait, répond Jace en haussant une épaule, la nonchalance incarnée.
- Et? demande Royce d'une voix tranchante.
- Euh... et quoi?
- Elle voulait et après? T'as pas une putain de langue pour lui dire non?
- Si mais je ne voyais pas de raison.
Je vois Royce souffler lentement par le nez comme pour essayer de se calmer. D'après son regard meurtrier, ça n'a pas l'air d'être une réussite.
- Depuis combien de temps vous êtes là?
Cette fois, c'est Mia qui répond:
- Assez longtemps pour assister à ton accès de romantisme.
Je pensais que Royce l'ignorerait ou lui lancerait une répartie cinglante mais il se fige un instant et son regard se pose sur moi une fraction de seconde alors que sa lèvre forme une fine ligne de contrariété. Puis il se reprend et lance à Jace:
- Est-ce que Chris sait où elle est?
- Je ne vois pas en quoi ça te regarde.
Sous la lumière rougeâtre du club, les yeux de Royce paraissent presque noir et ils brillent de colère. Je le regarde se ratisser les cheveux des deux mains comme pour se retenir de... je ne sais pas de quoi en fait, mais je crois que ce n'est pas bon.
- Ramène la chez elle, elle n'a rien à faire ici, ordonne-t-il finalement d'un ton froid et sans appel.
Un silence pesant s'abat sur la table, puis Jace rétorque:
- Non, je vois pas de raison. T'as pas de pouvoir sur ça mec. Cette boite t'appartient pas. Et Lily, encore moins, ajoute-il d'un ton dur, donc on va rester encore un peu.
Il a à peine terminé sa phrase que le poing énorme de Royce s'abat brutalement sur la table faisant voler des frites et un hamburger et surtout, causant un boucan d'enfer, malgré la musique. Je sursaute en même temps que Mia. Et que beaucoup d'autres personnes autour de nous. Je remarque que des gens se sont arrêtés de danser pour nous regarder, l'air curieux, et je ne parle même pas des tables aux alentours.
Royce est toujours debout devant nous, le corps rigide et vibrant d'énergie contenue. Et soudain, Hunter apparaît à ses côtés et le retient par l'épaule.
- Allez mec, reviens t'asseoir.
Royce ne bouge pas d'un poil, je ne suis même pas sûre qu'il cligne des paupières. Son regard noir est braqué sur moi, presque effrayant, et je détourne le mien vers les débris de sandwich qui jonchent à présent le sol près de notre table.
- Bouge mec, insiste Hunter, on va se faire jeter, le vigile te regarde. T'as pas besoin de plus de problèmes.
Ses paroles semblent faire réagir Royce qui retourne vers son box sans nous lâcher des yeux. Je garde les miens fixés sur notre table en calant mes mains tremblantes entre mes cuisses.
- C'était chaud, lâche Jace. Ce mec n'est pas tout seul dans sa tête.
- Mais il avait raison, concède Mia.
- Hin? Pourquoi tu dis ça?
- Parce que c'était n'importe quoi de l'emmener ici. Ça n'a aucun sens. Cet endroit n'est pas du tout pour elle -désolée Lily- et c'est bourré de types comme Royce, voire pire sur certains plans. Je le sais parce que je bosse ici presque tous les soirs et je peux vous dire que j'ai vu des trucs vraiment sales s'y passer. Faut que j'y retourne, ajoute-elle en voyant une autre serveuse débordée lui faire des signes, Jace tu la ramènes. Lily, on s'appelle plus tard.
Sur ce, elle me claque un baiser sur la joue et s'éloigne après avoir ramassé le plateau et les restes de nourritures qui jonchent notre table.
- On va devoir y aller, Boucles d'or.
- Oui. Il est quelle heure?
- Presque vingt heure.
- D'accord. Faut juste que j'aille au toilettes.
- Ok, c'est par là-bas, dit-il en me désignant l'extrémité de la salle. Je vais aller payer au bar et on se retrouve devant la porte.
Je hoche la tête et le regarde se diriger vers le comptoir. Puis je me lève et prend la direction qu'il m'a indiqué. Je suis épuisée et j'ai juste envie de me coucher. J'espère que Chris n'a pas l'intention de discuter ce soir parce que je ne suis pas certaine d'en être capable. Je passe devant la table de Royce d'un pas rapide et en évitant de les regarder mais je remarque tout de même que la fille n'est plus là.
Un couloir fin et mal éclairé mène aux toilettes et je m'y engouffre avant de pousser la porte portant le logo d'un petit bonhomme en robe. La pièce est vraiment sale. Le miroir est couvert de traces de doigts ou de rouge-à-lèvres et des emballages vides de serviettes hygiéniques traînent un peu partout sur un sol à la propreté douteuse. Je me dépêche de faire ce que j'ai à faire, puis me lave les mains- heureusement pour moi, il reste du savon- et les secoues pour les sécher, faute de mieux. Je m'apprête à sortir retrouver Jace quand la porte des toilettes s'ouvre... sur un homme.
- Je recule aussitôt d'un pas, mal-à-l'aise.
- Euh... ce sont les toilettes des femmes, ici, je lui précise au cas où il n'aurait pas vu l'écriteau.
Mais il m'ignore et un sourire paresseux étire lentement sa bouche, dévoilant une dent en argent. Une fausse, surement. Il s'approche de moi d'un pas incertain sans tenir compte de mon mouvement de recul instinctif. Il est saoul et des relents d'alcool bon marché émanent par effluves de lui. Mon cœur bat sourdement et me remonte à la gorge alors qu'un mauvais pressentiment me paralyse. Son regard se promène sur moi, empli d'une lueur malsaine. Ce regard je l'ai déjà vu de nombreuses fois chez la même personne et je m'étais promis de l'oublier. Je ne veux plus jamais le revoir mais il est là juste, devant moi, et je devine parfaitement ce qu'il se passe dans la tête de cet homme. Mon palpitant s'enflamme et bat tellement fort qu'il me fait mal. Je l'entend partout autour de moi comme un tambour géant. La musique fait un boucan d'enfer et je sais déjà que même si je cris, personne ne m'entendra.
Je déglutis alors que la panique et l'adrénaline se répandent dans mes veines et, au moment ou l'homme avance encore, me coinçant contre la cloison extérieure d'un des cabinets, la porte des toilettes s'ouvre à la volée. Mon regard affolé croise celui- gris et terrifiant- de Royce et un soulagement indescriptible manque de me couper les jambes.
Le type se retourne aussitôt en sentant une présence menaçante dans son dos et c'est à son tour de reculer. Je le contourne pour me planter près de Royce.
- Tu cherchais quelque chose? demande ce dernier d'une voix réfrigérante en s'adressant à l'homme.
- Non mec, je... je me suis trompé de chiotte, répond pitoyablement l'autre en titubant légèrement.
Il se dirige vers la porte mais Royce lui bloque aussitôt le passage. En voyant son regard déterminé, ses poings serrés comme deux étaux et le muscle qui tressaute à toute vitesse dans sa mâchoire, je sais déjà ce qu'il va se passer. Et il n'a vraiment pas besoin de ça en ce moment à mon avis.
L'homme -qui ne me paraît soudain plus du tout menaçant- se recroqueville alors que Royce avance vers lui. J'ai compris ce qu'il a en tête et je lui saisis le poing avant qu'il ne le balance sur le visage qui lui fait face. Il pivote aussitôt vers moi, un instant déstabilisé, et me fixe d'un air interrogateur.
- Laisse tomber, ça n'en vaut pas la peine.
Il fronce les sourcils et j'insiste:
- S'il te plait, je veux juste rentrer chez moi sans plus de problèmes.
Royce reste immobile et l'homme profite de son manque d'attention pour filer à toute vitesse, claquant la porte derrière lui.
- Pourquoi tu m'as empêché de lui régler son compte? s'énerve Royce les mâchoires toujours tellement crispées que je suis étonnée qu'il ne se soit pas cassé de dent.
- Parce qu'il n'a rien fait. Ou il n'a rien eut le temps de faire. Tout te serait retombé dessus si tu t'en étais pris à lui et tu aurais eu des problèmes pour rien, j'explique.
C'est pourtant évident. Mais ses yeux me fixent avec cette expression qu'il arbore souvent, comme s'il essayait de résoudre un puzzle compliqué. Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué dans mon raisonnement. C'est tout simplement logique.
- Comment tu as su? je demande pour changer de sujet.
Il pince les lèvres:
- Je l'ai vu te suivre jusqu'ici.
Je frissonne à ses mots et il continue.
- N'importe qui l'aurait vu mais toi, bien sur que non. C'est pour ça que t'as rien à faire ici. Quand on est une jolie fille dans ce genre d'endroit, on regarde toujours derrière son dos, retiens ça, lâche-t-il sur un ton dur.
Quelque chose doit clocher chez moi parce que la seule chose que mon cerveau retient avant de bugger est qu'il me trouve jolie. Et c'est comme si une nuée de papillons se mettait à battre des ailes dans mon estomac alors qu'une agréable chaleur me fait rougir et que mon cœur se met à battre plus vite. L'imbécile! La sensation de joie ne dure cependant qu'un instant, jusqu'à ce qu'il ajoute:
- Sauf si t'as envie de te faire violer dans les toilettes d'un club miteux.
Je sens aussitôt tout mon sang quitter mon visage et un courant d'air glacé m'envahit. Royce scrute mon expression et je ne sais pas ce qu'il y décèle mais il n'insiste pas.
La seconde d'après, quelqu'un frappe à la porte et elle s'ouvre sur le visage inquiet de Jace. Ce dernier écarquille les yeux en nous découvrant tous les deux dans les toilettes des femmes et je n'ai même pas envie de savoir ce qu'il va s'imaginer. Les paroles de Royce viennent de rendre encore plus réel ce qui a faillit m'arriver et ma voix est temporairement hors service.
Le regard de Jace fait la navette entre Royce et moi et un plis soucieux barre son front couvert de taches de rousseur.
- Lily? Est-ce que tout va bien?
Je hoche la tête en me mordant l'intérieur de la joue et il pivote vers Royce, l'air peu convaincu.
- Toi! Qu'est-ce t'as pas compris dans fous-lui la pai...
Il n'a pas le temps de terminer sa phrase que Royce l'a brutalement plaqué contre le mur de briques.
- Et toi, le bouffon, qu'est-ce t'as pas capté dans "la surveiller"? rugit mon mécanicien. T'es pas capable de la garder à portée de vue?
- Elle allait juste aux toilettes, se défend Jace.
- Ouais, et moi je me pointe et je trouve un mec sur le point de lui faire sa fête, crache Royce en le plaquant plus fort contre la paroi.
- Quoi?
Jace pâlit instantanément et écarquille les yeux en me jetant un coup d'œil horrifié.
- Lily?
Je croise son regard et déglutis. Royce le relâche et il se précipite vers moi pour m'attraper par les épaules.
- Ça va? Qu'est-ce que... On t'as... Est-ce que...
- Ça va Jace, c'est bon, plus de peur que de mal.
Il hoche la tête, l'air encore sous le choc.
- Ramène-la chez elle, lui lance Royce sur un ton hostile. Maintenant.
Pour une fois Jace ne proteste pas et se contente d'acquiescer.
- Viens, Lily, me dit-il doucement en m'entraînant vers la sortie des toilettes.
Je le suis mais au dernier moment, je me retourne vers Royce, toujours immobile, sombre statue de marbre.
Je songe à la manière dont aurait pu se terminer ma soirée si il n'était pas intervenu et j'essaye d'insuffler toute ma gratitude dans mes yeux:
- Merci, je souffle.
Il ne bronche pas et seul le muscle qui s'agite dans sa mâchoire m'indique qu'il a entendu. Puis la porte se referme sur lui.
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