Chapitre 32
Emmitouflée dans une serviette cotonneuse et allongée sur une chaise longue à côté de Mia, je regarde le soleil fondre lentement, déversant une flaque rougeâtre dans les cieux. On dirait une gigantesque couverture ensanglanté mais en un sens, c'est magnifique, comme toutes les couleurs éphémères. Bientôt, je pourrais dénombrer les étoiles.
- Tu te sens d'humeur poétique? demande soudain Mia.
Je pivote vers elle. Elle a retiré sa serviette, se fichant bien d'être presque dévêtue dans son minuscule bikini fluo. Peut-être même qu'elle l'a fait exprès au cas où un Dieu grec déciderait de pointer le bout de son nez, on ne sait jamais.
- Comment ça?
- Je ne sais pas, tu chuchotes des trucs incompréhensibles en fixant le coucher de soleil. C'était assez flippant pour te dire la vérité.
- Tu peux parler, toi, ça fait un quart d'heure que tu reluques le jardinier la-bas, retorqué-je en pointant la bonne direction avec un orteil pour ne pas retirer mes bras de sous la serviette.
Elle hausse les épaules, pas embarrassée pour un sou.
- Je ne vois pas le mal, il est canon.
- Il doit avoir... minimum trente ans.
- J'ai déjà eu des hommes plus vieux.
Je la fixe, choquée, sans demander toutefois de précision sur sa définition du verbe "avoir". Je replonge dans ma contemplation des cieux.
- Si je te pose des questions persos, tu vas encore te braquer? demande Mia au bout d'une minute.
Je me raidis aussitôt.
- Ça dépend de ce que c'est, je lâche entre mes dents, légérement méfiante.
- Tu en pince pour Walters? se lance-t-elle sans se faire prier.
Je détourne les yeux mais répond aussitôt:
- Non.
- Attend, je repose la question et tu répond sincèrement: Tu en pince pour Walters, Lily?
- Non.
- Est-ce que tu en pince p...
- Mais puisque je te dis que non, je m'écrie un peu plus sèchement que prévu.
Elle demeure silencieuse et je souffle lentement, légèrement perdu. Je n'ai pas du tout l'habitude de ce genre de conversations.
- Je... ce n'est pas comme ça. Il ne me plait pas... pas dans le sens où tu l'entend, je souffle.
- Comment est-ce que je l'entend?
- Tu sais. Comme quand un garçon plait à une fille et qu'elle veut... sortir avec lui, j'explique maladroitement.
- Ok alors comment il te plait? demande-t-elle avec une patience qui ne lui ressemble pourtant pas.
Je gigote sur mon transat, mal-à-l'aise, et réfléchis sérieusement à sa question. Je me rassérène en songeant que Mia n'est pas le genre de personne à émettre des jugements.
- Je ne sais pas. C'est comme si j'étais... en sécurité avec lui.
- En sécurité, s'écrie Mia sans parvenir à dissimuler son incrédulité, tu plaisantes?
- Je sais que ça à l'air fou. Il a fait de la prison et c'était un délinquant. Tu dois me prendre pour une idiote mais... il me voit comme une gamine. En fait, il ne me voit même pas alors, je n'ai pas à m'inquiéter de ce qu'il pourrait attendre de moi. Je ne l'intéresse pas du tout. Ça a quelque chose de rassurant.
Aussitôt, j'ai peur d'en avoir trop dit et que toutes mes inquiétudes tordues n'apparaissent au grand jour.
- Si je comprend bien, résume Mia, il te plait parce que tu ne lui plais pas.
- Dit comme ça, c'est vrai que ça a l'air bête. Et je t'ai déjà dit qu'il ne me plaisait pas.
- Ok, mettons de côté ton étrange besoin de distance masculine. Est-ce que tu le trouve beau par exemple? demande-t-elle avec un sourire qui expose ses dents parfaitement blanches.
J'ai l'impression qu'elle s'adresse à une enfant de huit ans.
- Oui, je souffle parce qu'on ne peux pas mentir sur une chose aussi flagrante.
- Tu aimes discuter avec lui?
- Je ne dirai pas qu'on puisse avoir de vrai conversation avec Royce, je biaise.
- Mais ça t'es déja arrivé de lui parler, ne dis pas le contraire, vous avez passé une journée ensemble.
- Ne dis pas ça comme ça, je proteste.
- Comme quoi?
- Comme si on était partis en ballade tous les deux!
- Ok. Alors?
- Oui, j'avoue en fixant le ciel rougeâtre, j'aime bien lui parler si ca me permet de comprendre un peu de ce qu'il se passe dans sa tête. Même si je ne pense pas que ce soit vraiment possible. Il est tellement fermé.
Cet homme devrait jouer au poker, il gagnerait à coup sûr: son visage est un vrai masque d'impassibilité la plupart du temps, même s'il lui arrive de se fêler légèrement. Je pivote de nouveau vers Mia, elle est allongée sur les flancs et me fixe, le menton dans la main, l'air plongée dans ses réflexions. J'espère qu'elle ne réfléchis pas à mon cas mais j'ai peu d'espoirs.
- Est-ce que quand tu le vois, ça te fait un truc, ici? demande-t-elle, mutine, en se penchant soudain vers moi pour me chatouiller le ventre.
Quelle folle! Je m'écarte brusquement et manque de dégringoler de mon transat, puis éjecte sa main d'une petite tape.
- Alors? demande-t-elle.
- Non je ne répondrai pas à cette question. Arretes de me parler comme si j'étais à l'école primaire! je râle en prenant une teinte de tomate trop mûre.
- Ben, c'est presque le cas, t'es jamais sortie avec un mec et il faut littéralement t'arracher les mots de la bouche. Je ne comprend pas comment on peut passer à côté de ce genre de trucs, ajoute-elle comme pour elle même, l'air incrédule.
Facile, je songe, il suffit de passer deux années à vivre dans la maison d'un pervers pédophile. À peine cette pensée m'effleure-telle, que le goût de la bile, amère et infecte, me remonte dans la gorge et mon estomac se tord de dégoût, prêt à rendre le gratin de légume de midi.
- Ça va? t'as l'air malade.
- Ça va.
- Alors, Docteur Mia t'informe du diagnostic suivant: tu es aujourd'hui atteinte d'une maladie difficilement curable.
Je hausse les sourcils.
- Qu'est-ce que c'est, je demande tout de même curieuse.
- Euh, ça s'appelle la pathologie du béguinpourlemécanicien.
J'éclate de rire et lui jette une serviette à la figure.
- Tu dis n'importe quoi!
- Mais non, je suis une spécialiste agrégée dans le domaine, répond elle en faisant mine de remonter des lunettes imaginaires le long de son petit nez. Tu aimerais bien l'embrasser? demande-t-elle tout à trac.
- Mia! Arrêtes avec tes questions!
- Allez, c'est la dernière. Oui ou non?
- Non.
Mais je ne peux pas empêcher cette idée parasite de se frayer un chemin jusqu'à mon cerveau qui, toujours aussi serviable, s'empresse de me fournir les images correspondantes. De simples chimères, bien sûr, mais impossible de les repousser. Tout d'un coup, je me prend à me demander ce que cela ferait d'effleurer ses lèvres à l'air si fermes que j'ai passé tant de temps à dessiner.
- Donc, tu en as envie, lâche Mia.
Je m'ébroue mentalement.
- Je viens de te dire que non.
- Mais tu pensais le contraire.
- Parce que t'es médium toi, maintenant? je rétorque piquée au vif.
- Non mais t'as ce tic quand tu mens, tes yeux circulent un peu partout dans l'air et te trahissent. C'est super drôle.
Je cesse de la contredire parce que ça ne sert à rien et le silence s'étend, paisible et détendu, seulement rompu par le vrombissement de la tondeuse qu'un employé est en train de passer et mes pensées bruyantes et embrumées.
- Qu'est-ce que cela dit de moi si... si je suis vraiment attirée par Royce? Avec tout ce qu'il a fait, la prison, les délits... et même pire surement, je chuchote, découragée.
- Juste que t'es une fille qui fonctionne à peu près normalement, raille Mia, c'est chimique, tu vois, on est toutes attirées d'une façon ou d'une autre par les mauvais garçons, les criminels, les durs à cuire, ce genre de gars... Ça date de l'époque préhistorique je crois, quand on draguait des chasseurs de mammouth.
J'éclate de rire, un brin soulagée.
- Mais je m'inquiète quand même pour toi, Lily. T'as vraiment un gentil coeur et je veux pas que quelqu'un comme Walters te l'abîme, lâche Mia, soudain grave.
Je l'observe en me demandant ce qu'ils ont tous avec mon coeur aujourd'hui tout en étant touchée. Je la rassure:
- Ne t'inquiètes pas, mon coeur est en sécurité. Je ne compte le donner à personne.
Et c'est la triste vérité, je songe. Même si Mia à raison et que Royce me plaît, cela ne sera jamais rien de plus que cela: un béguin. Tout d'abord parce qu'il n'y a pas la moindre chance pour que cette ridicule attirance soit réciproque mais également parce que je ne serais jamais capable de plus que réver. Le reste, il me l'a pris il y a des années.
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