Chapitre 26
Je n'ai pas rêvé. Ou alors, si c'est le cas, je n'en garde pas le moindre souvenir ce qui me convient parfaitement. La première chose que je vois en ouvrant les yeux est un visage mutin entouré d'une couronne de boucles brunes, penché sur moi. Je me redresse brusquement en réalisant que cette situation n'est pas normale.
Hébétée, je regarde Mia qui m'observe avec un sourire de sorcière. Enfin, de gentille sorcière, j'entend.
- Salut, je lâche incertaine. Euh...je ne m'attendais pas à te trouver ici.
- Ouais, ton Dallas m'a ouvert, répond-elle comme si cela expliquait ce qu'elle fait assise sur mon lit.
Elle continue de m'observer et enfourne une poignée de mes oursons aux fruits. Elle suit mon regard et explique, la bouche pleine:
- Je les ai trouvés dans le sac, là-bas.
Elle pointe mon sac panda d'un doigt accusateur qui m'arrache un sourire.
- De toute façon, j'ai le droit de taper dans ton stock de bonbons maintenant qu'on est amies, se défend-elle, c'est même toi qui l'a dit.
- Euh...il me semble plutôt avoir dit que les bonbons faisaient juste parti du rite d'initiation, je la corrige, amusée.
- Ah. J'avais pas compris.
- Et donc, qu'est-ce qui t'amène ici à... il est quelle heure en fait?
- Midi.
- Midi?
- Ouais. Je pensais pas te trouver au lit, c'est pour ça que je suis passée. Je croyais que les gens comme toi se lèvent aux aurores pour... je sais pas moi, arroser les fleurs, lire dans un rocking-chair...
- Euh, tu décris des activités de personnes âgés, là, je lui signale en me dirigeant vers la salle de bain, comment je suis censée le prendre?
Je distingue sa voix par dessus le bruit d'eau alors que je me rafraîchis le visage.
- Mais non, je décris des activités de gentilles filles sages. Ce que tu es censée faire, quoi. Parce que les gentilles filles comme toi font du cheval et écrivent des journaux intimes. Elles ne montent pas dans des voitures de délinquants malgré les avertissements de leurs copines et ne les accompagne pas dans des quartier craignos.
Je sursaute vivement et me redresse. Je reviens dans la chambre et la fixe, les yeux ronds comme des soucoupes.
- Comment tu sais ça? je demande d'une voix blanche.
- J'en ai entendu parler, répond-elle, un brin évasive.
- Hin? Mais par qui?
- Des clients au resto dans lequel je bosse.
- C'est au Nord?
Elle hésite un instant:
- Non. Au Sud.
Je tombe assise sur mon lit, comme une marionnette désarticulée dont on aurait brusquement coupé les fils.
- Comment est-ce que c'est possible? Je ne comprend pas.
Mia fronce le nez avant de lâcher:
- Le seul truc qui circule plus vite que la drogue entre le Sud et le Nord, c'est les ragots.
- De quel ragot on parle, là?
- De Lily, la descendante des Williams, qui est allé s'encanailler dans les bas quartiers de l'île avec l'un de ses pires délinquants, répond-elle sans m'épargner.
- S'encanailler? je répète abasourdie. Mais ce n'est pas du tout ce qu'il s'est passé.
- Ma jolie, le téléphone arabe, ça ne te dis rien?
Je pousse un soupire découragé:
- Chris va l'apprendre, c'est sûr.
- Qu'est-ce qu'il risque de te faire?
- À moi, rien du tout.
- Alors?
J'hésite à lui confier le fond de mes pensées mais elle est ma seule amie ici, alors...
- Il pourrait virer Royce.
- Et alors, qu'est-ce que ça peut faire? C'est pas ton problème.
- Mais si, ce sera de ma faute! C'est moi qui ai insisté pour qu'il m'emmène en ville.
- Pfff. Pourquoi t'as fait un truc pareil?
- J'avais besoin d'aller en ville. Urgemment. Je n'ai pas trouvé d'autre solutions.
- Je t'ai donné mon numéro l'autre jour. C'était pas fait pour les chiens.
Je me rend compte que je n'y ai même pas songé. Pourtant, ça parait la solution la plus évidente. Je hausse les épaules:
- Je n'ai pas réfléchis.
- Mouais.
- En tout cas, il ne m'est rien arrivé, je lance en levant les deux bras devant moi pour preuve.
J'écarte dans un coin de ma tête le malencontreux incident devant le garage, au Nord.
- Si tu le dis.
- Comment ça?
- Ben, tu m'as pas l'air de bien supporter l'attention et là, tout le monde parle de toi en ville.
- Hin?
- Ouais, je crois même avoir vu ta tête dans le Washington Post, dit elle avec un hochement de tête sérieux.
- Pfff Mia! T'es pas drôle.
- Si. Trop.
- Tu savais que Royce sortait de prison?
- Ouais. Qui t'en as parlé?
- Un barman l'a laissé entendre quand j'étais dans le Nord.
- Quoi? C'est pas vrai! Parce qu'en plus t'as fait la tournée des bars avec lui? s'écrie-t-elle avec un rire incrédule.
- Mais non. On a juste mangé un burger.
- Vous avez...c'est n'importe quoi.
Je ne relève pas puis, n'y tenant plus, je demande:
- Qu'est-ce qu'il a fait, Mia?
- Mmh. Qui ça?
- Arrêtes. Tu sais très bien que je parle de Royce.
- On descend petit-dej?
- Il est midi, je suis sûre que tu as déjà mangé.
- Mais pas toi.
- Tu vas encore te défiler?
- Non.
- D'accord. Il faut que je m'habille.
- Ok.
J'attend une minute, puis comprend qu'elle n'a pas l'intention de sortir. Elle ne doit pas avoir l'habitude des filles pudiques. Je prend un short et un T-shirt et vais les enfiler dans la salle de bain, puis on descend toutes les deux dans les cuisines désertes. Je prend une brique de jus de fruit dans le réfrigérateur et une boite de cookies puis fais signe à Mia de me suivre.
Un quart d'heure plus tard, je mord dans un biscuit, bercée par le bruit des vagues. A côté de moi, Mia est assise dans le sable sec et me regarde, attendant patiemment que je reprenne mon interrogatoire là où le l'ai laissé. Je mastique lentement en réfléchissant à tout ce que je veux savoir et tout ce que je peux décemment demander sans avoir l'air obsédée par notre mécanicien.
- Ok, dis-je comme un signal en époussetant mon short pour en éliminer les miettes, pourquoi Royce à fait de la prison? Combien de temps il y est resté? Pourquoi tout le monde le déteste? Comment ça se fait que je suis la seule à ne rien savoir? Et toi, comment tu sais ces choses?
J'oblige ma bouche à se fermer. On avait dit doucement Lily!
- Wouah! Ok, euh...une question à la fois.
- Pourquoi est-ce que toute la ville le méprise? Parce qu'il a fait de la prison?
Mia fixe les enfants, un peu plus loin qui s'amusent à éviter les vagues en poussant de cris stridents mais tendres, remplis d'une innocence que seuls les tout petits détiennent encore.
- C'est un fils de pute, lâche-t-elle finalement.
J'en reste bouche-bée. Je sais qu'elle est le genre de fille à dire ce qu'elle pense sans se soucier des convenances mais je trouve quand même ça très dure, d'autant plus que je me souviens parfaitement de la réaction de l'intéressé quand Dallas à proféré la même insulte.
- C'est une insulte gratuite, ça, je chuchote.
- Non. C'est juste la vérité. Royce est l'enfant d'une prostituée.
J'en demeure coite et digère l'information. Royce est un enfant de... Je ne sais pas vraiment quoi en penser mais je n'y vois en aucun cas un motif pour le mépriser. Soudain sa colère, quand Dallas a prononcé ces mots, trouve un nouveau sens. Je reste muette, attendant la suite de l'explication. Mia reprend:
- En fait il a quasiment grandi dans un bordel du quartier Nord...
- Parce que ça existe encore, ces endroits là? je m'exclame.
- Ouais, bien sûr que oui. Enfin, celui-là n'existe plus, ajoute-elle alors qu'une lueur étrange passe dans son regard, encore heureux. Cet endroit appartenait à un bel enfoiré, un gars du Sud. Isaiah Wise. Enfin, ici, dans le Sud, il était très apprécié, il avait un empire dans l'immobilier je crois, ou une connerie dans le genre. C'était aussi un pilote de course à la con. Mais dans le Nord, tout le monde le détestait. Cette zone, c'était un peu son dépotoir: il s'en servait juste pour dilapider sa merde. Sa drogue, ses putes.
- C'était un proxénète?
- Ouais. Il avait beaucoup d'argent mais il a dû partir de très bas à mon avis, et les pourris restent des pourris à vie.
Je hoche la tête pour lui faire signe de continuer. Elle dessine des motifs abstraits dans le sable chaud avec ses orteils aux ongles vernis en noir en reprenant:
- Bref, Royce vivait quasiment là-bas. C'était un gars des rues. Il a grandit avec toutes les racailles qui y traînaient et il est très vite devenu ingérable. Il était encore ado quand il est entré dans ce gang...
- Un gang? je m'écrie d'une voix aiguë.
Je n'y connais pas grand chose mais j'ai vu un reportage sur les gangs de motards dans le Queens et à Los Angeles. Il ne m'avait pas laissé un très bon souvenir.
- C'était plutôt un groupe de délinquants en colère à la botte de personnes plus puissantes et invisibles. Mais Royce était le pire à cette époque. C'était un mec incontrôlable, il allait toujours plus loin, même quand les autres voulaient reculer leurs pions. Il est un peu devenu le chat noir de l'île. Toutes les petites villes en ont, non?
- Quels genre de méfaits ils commettaient? je l'interroge sans être sûre de vouloir connaître la réponse.
Elle hausse les épaules, blasée:
- Braquages, trafics de drogue, vols de voitures. Ça leur arrivait aussi d'en brûler ou de faire exploser des devantures de magasins dans le Sud. Ce genre de chose. Royce était celui qui se chargeait de péter les jambes aux clients qui payaient pas dans les délais. Parce qu'il était accro à ça.
- A quoi?
- La bagarre, le sang.
Je déglutis en essayant d'imaginer le Royce maîtrisé et impassible que je connais participer à ce genre de choses. Je n'y parviens pas.
- Il...il avait quel age? je demande.
- Royce?
- Oui.
- Quand il a commencé, 14 ans, je crois. Et c'était comme ça jusqu'à ses 19 ans. C'était un vrai psychopathe pour plein de monde, surtout pour les gens du Sud. Peu importe que ça n'ait pas été lui qui orchestrait tous ces trucs. Il était au devant de la scène et pour beaucoup sur cette île, la criminalité avait sa gueule.
- Et comment il a arrêté?
- Arrêté quoi?
- Et bien, tout ça. La délinquance.
- Il n'a pas arrêté.
- Mais tu as dis que ça avait duré jusqu'à ses 19 ans.
- Oui, après il a été incarcéré.
Je pivote la tête vers le sens inverse et fait mine d'observer les mouettes en émois devant une carcasse de poisson, simple prétexte pour me recomposer une expression moins... et bien, moins expressive.
- C'est... je ne sais pas... il ne ressemble tellement pas à...ça.
- Et il ressemble à quoi, selon toi? ricane-t-elle, A un gentil garçon? Le genre qu'on présente à sa mère, peut-être?
- Non. Mais, il m'a l'air plus calme et réservé que ce que tu décris.
Nouveau haussement d'épaule. On fixe toutes les deux une mère débordée qui essaye d'empêcher ses enfants d'aller nager sans brassards.
- Je suppose qu'il se fait discret. Il est en liberté conditionnelle alors, il a intérêt. Il est coincé ici pour un moment. Mais ce mec est une vrai bombe à retardement, d'après moi
- Comment tu sais tout ça?
- C'est connu, ici.
- Non, pas à ce point. Je ne le crois pas.
Je la regarde hésiter et son visage se referme. Je m'apprête à lui dire de laisser tomber quand elle répond:
- On... avec ma famille, on vivait pas loin du bordel en question et Diego, mon frère, disons qu'il était proche de Royce. Il a commencé à changer et on le voyait de moins en moins. On a compris trop tard dans quoi il s'impliquait. Il faisait parti de la bande à Walters, lâche-t-elle amèrement.
Je me fige. Pitié, dites moi qu'il n'est pas...
- Est-ce qu'il est...
- Mort? Non. Il a juste pris trois ans de taule pour complicité dans un vol de voiture, et à cause du deal aussi. J'ai entendu dire qu'il était de retour sur l'île.
- Tu ne l'as pas vu? je demande surprise.
Elle sert les mâchoires, puis fait une moue:
- Non, ça ne fait pas partie du top ten de mes priorités.
Sur ce, elle se relève en tapotant l'arrière de son short pour en extraire les grains de sable et se dirige vers les vagues. Je l'y rejoins au bout d'une minute et fixe les ondulations d'eau fraîche et l'écume qui s'accumulent autour de mes chevilles. Je n'ose plus vraiment parler, consciente qu'elle est surement en train de penser à son frère aîné qu'elle n'a pas dû voir depuis des années. Pourtant, elle me surprend en lançant:
- Pose ta question, Lily.
- Qu'est-ce qu'il a fait? Qu'est-ce qu'il a fait qui lui ait valu la prison?
Et je me retrouve à prier les Dieux pour qu'il se soit retrouvé derrière les barreaux à cause de ces histoires de drogues et de voitures brûlées. Je n'arrive pas à croire que je sois tombé aussi bas. Mais ais-je déjà mentionné le peu d'attention que m'accordent les êtres divin depuis plusieurs années?
- Il a été incarcéré pour meurtre.
Mon cœur se glace à la manière des arbres en hiver et j'écarquille les yeux mais Mia n'a pas porté son dernier coup.
- On dit qu'il a foutu le feu à sa baraque, tuant dix-sept personnes. Parmi elles, il y avait sa mère.
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