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Chapitre 121

- Purée de crotte de bique !

Allongée à plat ventre sur la moquette de ma chambre, seule en pyjama au milieu d'un océan de feuilles de papier froissées, je donne un nouveau sens au ridicule en jurant comme une vieille dame. Attention, je n'ai rien contre les vieilles dames, c'est juste que... je ne suis pas censée en être une.

- Merde, je rectifie à voix basse rien que pour moi.

Juste pour voir. Le mot prend une consonance étrange lorsqu'il sort de ma bouche, même chuchoté. J'aurais dû écouter Nathan depuis longtemps et m'habituer à jurer normalement comme les jeunes de notre âge, je songe en roulant sur le dos pour contempler les souvenirs qui parsèment le ciel sombre de ma chambre. Je n'ai pas encore parlé à mon oncle de la veilleuse brisée et je ne compte pas le faire, j'irais en ville m'en acheter une nouvelle quand Jace sera disponible pour m'y conduire. En attendant, je me serre de la lampe torche de mon portable que je dois réactiver toutes les deux minutes.

- Fait chier, je souffle très bas et le visage réprobateur de ma mère se met à flotter devant mes yeux, me tirant un sourire.

Ma mère. C'est justement elle que j'essaye de dessiner au crayon depuis au moins trois quarts d'heure. Je fais souvent cela quand je suis de mauvaise humeur : reproduire ses traits. Je m'applique à déposer sa perfection sur le papier, je n'omets rien. Ses grands yeux dont le bleu évoque des eaux très froides. Son impeccable chevelure blonde à laquelle elle a dû au final consacrer plus de temps qu'à moi. Ses pommettes saillantes – résultat du régime spécial mannequin qu'elle aime suivre... et m'imposer. Son grain parfait – vive les masques pour la peau et les bouillies d'avocats ! – et ses sourcils parfaitement épilés qu'elle bouge le moins possible.

Et puis je lui dessine des points noirs, des bavures de mascara, du duvet et je retrace les quelques rides qu'elle s'échine à dissimuler mais que j'ai déjà remarquées. Puéril ? Certes mais très gratifiant. En tout cas, cela pourrait l'être si mon poignet ne faisait pas des siennes. Il est encore un peu raide et mon tracé s'en ressent. Rien de plus frustrant pour une amoureuse du dessin qu'une main qui ne vous obéit pas correctement. D'où l'océan de boulettes de papier.

Tu devrais peut-être la rappeler.

Cette pensée fuse et sape mon moral déjà presque au plus bas. De gros nuages fictifs, sombres et pleins de pluie, s'amoncèlent au-dessus de ma tête et je soupire. Cela va bientôt faire plus de deux semaines que je ne lui ai pas adressé la parole. C'est un record, je crois.

Bon, je n'irais pas jusqu'à dire que l'on discutait souvent à Londres ou que je lui racontais mes journées mais... disons que l'on se croisait. Même lorsque j'étais en internat, je lui donnais signe de vie, ne serait-ce qu'en l'appelant pour lui rappeler de nourrir les poissons. Oui parce que ma mère a tendance à oublier que ces petites décorations colorées et mouvantes qu'elle trouve tellement charmantes sont bien vivantes et ont, de fait, besoin de se sustenter pour ne pas se mettre à flotter à la surface de manière beaucoup moins charmante.

D'accord. Je vais la jouer à pile ou face. Si c'est pile, je l'appelle et face, je continue de l'ignorer. Ou non. Face, je l'appelle et pile, je l'ignore. Je me relève et saisis mon porte-monnaie d'où j'extraie une pièce. Comme je suis vraiment nulle à ce jeu, pas de pichenette du pouce ni de pièce qui tourbillonne gracieusement dans les airs. Ma livre sterling fait un vol plané et atterrit sous mon bureau. Je m'accroupis pour la ramasser et la reine d'Angleterre m'offre son profil, menton relevé et regard presque hautain.

C'est face.

Qu'est-ce que j'avais décidé pour face déjà ? Bah, je ne m'en souviens plus. De toute façon, il est assez tard à présent, je songe en auscultant le ciel d'encre à travers ma fenêtre. Il doit être minuit passé, tout le monde dort à cette heure-ci normalement. J'ai donc peu de chance de me faire surprendre dans le pré si je sors maintenant.

Une heure. Juste le temps d'habituer un peu plus Waneta à ma présence, c'est ce que j'ai décidé, ensuite je remonte dans ma chambre. Je quitte la pièce et dévale les marches glacées des grands escaliers sur la pointe des pieds, tongs en main. On ne sait jamais, des fois que Chris ait le sommeil léger. Totalement concentrée sur mon objectif – la porte d'entrée – je mets un moment à me rendre compte que quelque chose cloche. Je ne prends conscience de la lumière et des sons qui émanent du grand salon qu'une fois devant. Je pile net, le cœur battant.

Flute !

Mes projets d'évasions s'écroulent avec fracas.

Chris est réveillé. Assis sur le grand sofa face à la télé allumée, son MacBook sur les genoux, il me tourne le dos. Pile la personne que j'ai le moins envie de croiser pour le moment. D'accord, disons plutôt qu'il viendrait en deuxième position. N'empêche, je ne vais pas prendre le risque d'aller rendre visite au cheval sauvage alors que mon oncle ne dort pas. Je ravale un soupir de frustration et recule, toujours en équilibre sur le bout de mes orteils. J'ai presque quitté la zone de péril quand la voix grave de mon oncle me coupe dans mon élan.

- Je te vois dans le reflet de la télé, Lily, lâche-t-il sans même se retourner.

Zut de zut ! Je crois bien que l'espace d'un instant, même mon sang s'est figé dans mes veines, juste avant de les inonder de nouveau à toute allure. Bon, je fais quoi maintenant ? Légèrement paniquée, je danse d'un pied sur l'autre.

- Où est-ce que tu comptais aller comme ça ? demande Chris, toujours concentré sur l'écran de son ordinateur.

- Je... j'étais... je voulais juste...

Mens !

- Je n'arrivais pas à dormir et je me suis dit que je pourrais regarder la télé. Je ne savais pas que le salon serait occupé à cette heure-là. Mais ça ne fait rien, je vais plutôt regarder une série sur mon ordi, c'est aussi bien. En plus je crois que la dernière saison de Breaking Bad vient de sortir alors...

Stop ! On s'arrête là. Tu ne regardes même pas cette série.

Chris vient de se retourner et il n'a pas l'air dupe pour un sou. C'est sûrement son détecteur de mensonge. Son regard trop perspicace à mon goût me transperce le front pour aller trifouiller dans mon cerveau. Bon sang, ses yeux sont vraiment flippants parfois.

Ses yeux sont aussi les tiens, banane.

J'espère que je ne fais pas cet effet-là aux gens quand je les regarde. Lorsqu'il m'observe de la sorte, Chris donne l'impression de pouvoir lire dans mes pensées. Est-ce qu'il peut lire dans mes pensées ? Seigneur, faites que non !

- Bon, ben... bonne nuit... , je lance en amorçant un demi-tour empressé.

- Tu peux regarder la télé ici, ça ne me dérange pas. Le journal est terminé depuis des heures.

Ce n'est pas réel. Je me suis endormie sur la moquette rose bonbon de ma chambre et je suis en ce moment même en train de cauchemarder. C'est soit ça, soit je suis tombée dans une dimension parallèle assez éloignée de la réalité pour que Chris me demande de me poser à côté de lui. En plus, je n'ai pas la moindre envie d'aller regarder la télé sur le même canapé que Mr Business man pas forcément réglo, j'ai nommé le deuxième homme le plus froid que je connaisse et le sosie de mon défunt père. Ce serait... vraiment bizarre. Surtout après son accès de colère de l'après-midi et les informations archi confidentielles que Royce a lâchées devant lui.

Je grimace et secoue la tête. Chris incline légèrement la sienne de côté sans me lâcher des yeux et soupire...

- Je ne vais pas te manger, Lily.

Certes.

- Non mais tu pourrais... je ne sais pas, me crier dessus devant tes employés par exemple, je rétorque avec une pointe d'amertume.

- Mes employés ? Devant Walters, tu veux dire.

Tiens, c'est Walters maintenant ? Il me semble que jusqu'à aujourd'hui, mon oncle appelait Royce par son prénom. Je hausse les épaules et détourne le regard.

- Je n'ai pas l'intention de te crier dessus, lâche calmement mon oncle après un silence inconfortable.

Je relève le menton et m'oblige à soutenir son regard.

- Oui parce que je n'ai rien fait de mal.

- À part me mentir sans arrêt, non, rien du tout, lâche Chris en hochant la tête, acide.

- Je pensais que tu n'allais pas me faire de sermon.

Mon oncle lève les deux mains en l'air en signe de reddition et n'ajoute rien. Il me tourne à nouveau le dos pour se reconcentrer sur son écran tactile et je me retrouve plantée sur le seuil du salon comme une imbécile, échevelée, en shorty et T-shirt à l'effigie du roi Lion.

Bon, qu'est-ce que je fais ?

Demi-tour et tu remontes dans ta chambre. Tout de suite.

Si je fais ça, Chris va croire que je ne suis pas assez à l'aise pour rester seule avec lui.

Mais tu n'es pas assez à l'aise pour rester seule avec lui !

Je suis sur le point de suivre la voix de la raison quand Chris reprend la parole.

- C'est dommage, on m'a offert cette boîte de chocolats tout à l'heure mais je ne pense pas pouvoir la terminer tout seul.

Effectivement, sur la table basse qu'il désigne du menton, une énorme boite d'escargots en chocolat me fait de l'œil et je ne peux pas m'empêcher de lorgner dessus. Elle est intacte, aucun des gastropodes n'a quitté son emplacement pour la simple et bonne raison que Chris déteste le chocolat. Il essaye de me prendre par les sentiments !

- C'est du chantage, je marmonne sans parvenir à retenir un sourire amusé que mon oncle ne peut de toute façon pas voir.

- Je vois pas de quoi tu parles.

J'hésite encore une seconde, puis réprime un soupir en traversant la pièce pour aller m'assoir à côté de lui, ignorant ma petite voix mentale qui siffle que je vais le regretter.

- Je ne le fais pas pour les chocolats. C'est juste parce que tu me fais de la peine, tout seul sur ce canapé à compter tes millions, je mens à moitié en m'emparant de deux douceurs que j'enfourne en un temps record.

Chris m'adresse un de ses regards illisibles et arque un sourcil blond. Il me semble même voir le coin de ses lèvres tressaillir.

- Ok. En passant, lance-t-il en redirigeant son attention vers le tableau Excel compliqué et rempli de chiffres à beaucoup de zéros sur lequel il travaille, Breaking Bad est terminée depuis sept ans.

Aïe.

- J'ai dû confondre avec une autre série, je marmonne en ramenant mes jambes contre moi avant de les entourer de mes bras et de poser le menton sur mes genoux.

Mon oncle ne relève pas, bien que ses lèvres s'étirent de nouveau légèrement. Est-ce une trace d'humour que je viens de percevoir sur son visage ? Non, peu probable. Je me concentre sur le grand écran plat où des hommes du troisième âge en costumes débattent politique sur un plateau. Ma soirée promet d'être palpitante.

Chris semble lire dans mes pensées et me tend la télécommande avec un regard entendu. Je zappe sans interruptions pendant quelques minutes – décidant au passage que la télévision est bel et bien un objet dépassé – et finis par opter pour un canal de dessin animés. Relaxant et divertissant, exactement ce qu'il me faut. Mon oncle hausse les sourcils mais choisit de ne faire aucune remarque devant mon regard de défi. Je baisse le son au minimum pour ne pas le déranger et me roule en boule de mon côté du canapé.

Je profite de la concentration absolue de Chris pour lui jeter de furtifs coups d'œil. C'est tellement rare de le voir immobile et détendu, la plupart du temps, je ne fais que le croiser entre deux de ses rendez-vous et il regarde sa montre plus de fois qu'il ne prononce de mots. Le front plissé et le regard calculateur, il continue d'étudier son écran avec un intérêt qui me dépasse. J'essaye vainement d'en décrypter le contenu mais la façon dont il tient son ordinateur m'empêche de discerner quoi que ce soit. Je note qu'il porte encore une chemise et un pantalon de costume même si ses vêtements sont légèrement froissés. Est-ce qu'il lui arrive de porter des pyjamas ? Franchement, j'ai du mal à le concevoir.

Plus je le regarde et plus mes inquiétudes quant à ma capacité à le dissocier de mon père me paraissent dérisoires. Sa façon de se tenir, la dureté de ses traits, cette froideur apparente qui se dégage de lui par vagues, ses sourires avares, ses regards imperméables... Chris est l'exact opposé de ce qu'était mon père. Et je ne suis pas en train de le juger, loin de là.

Je pense que je pourrais l'aimer comme ça, tel qu'il est. Un jour. Mais à présent qu'il me parait évident qu'a part leur physique, les deux frères n'ont pas grand-chose en commun, cette vérité ne m'effraie plus autant. Chris fait un peu partie de ma famille, en quelque sorte. Et il doit également le considérer ainsi puisqu'il a gardé toutes ces photos, je songe en promenant les yeux sur les cadres que j'avais déjà remarqués hier.

Je m'apprête à reporter mon attention sur la télévision quand mes yeux butent sur l'un des clichés. Celui, familier mais pas trop, qui m'a légèrement intriguée la veille. Sans réfléchir, je traverse le salon pour aller récupérer le cadre en question. Au centre de l'image, fiers comme des paons, posent la version plus jeune de mon oncle et cet homme brun aux traits avenants dans leurs combinaisons de pilotes de formule 1.

- Chris ? je souffle en regagnant ma place auprès de lui.

- Hum ?

- Qui est cet homme à coté de toi ?

Mon oncle lève distraitement les yeux vers moi mais son expression presque apaisée se modifie du tout au tout quand il voit ce que je tiens à la main. Sans transition, son regard devient dur comme la pierre, froid comme un hiver sibérien alors que, paradoxalement, son visage se vide de la moindre émotion.

- Où est-ce que tu as trouvé ça ? demande-t-il d'une voix blanche, dénuée d'intonation.

Un léger frisson me parcoure l'échine et je me demande si je ne viens pas de faire une bêtise.

- Je... le cadre était là-bas, avec les autres photos. Ce n'est pas toi qui l'a mis là ? je m'étonne en le posant sur la table basse.

Mon oncle ne répond pas. Ses prunelles vides effleurent l'image des yeux et sa main gauche est tellement crispée sur l'accoudoir du sofa que ses jointures palissent à vue d'œil. Visiblement, il n'était pas au courant de la présence de ce souvenir dans son salon et je suis en train de lui faire endurer un moment pénible.

- Chris, je l'appelle en posant une main sur son avant-bras alors que la culpabilité resserre son nœud coulant autour de ma gorge. Je suis désolée, ça ne me regarde pas. Je n'aurais pas dû...

- C'est bon, Lily. Ce n'est rien.

Chris semble s'être brusquement repris. Quand il détourne les yeux du cadre pour les poser sur moi, il a retrouvé toute sa maitrise.

- Je ne m'attendais pas à voir cette photo ici, c'est tout, commente-t-il en haussant les épaules, l'air nonchalant. Elle a dû se glisser là par erreur. 

Mais je ne m'y laisse pas prendre. Mon oncle a peut-être un bon détecteur de mensonges mais il semblerait que je commence à le connaitre également, au moins un petit peu.

- Tu avais l'air... perturbé.

- Il faut croire que la course me manque, lâche-t-il.

- Oh.

Ça se tient.

- Alors, cet homme... , je commence, hésitante.

- Une vieille connaissance. Je ne l'ai pas vu depuis très longtemps.

- C'est bizarre, j'ai l'impression de... de le connaitre. Est-ce que je l'ai déjà rencontré, avant...

- Non, jamais, coupe Chris sur un ton catégorique, me faisant clairement comprendre que cette conversation touche à sa fin.

Je hoche la tête pour lui signifier que je n'ai pas l'intention d'insister – pas pour l'instant, du moins – et reprends ma position initiale, regard rivé au grand écran. L'homme brun continue toutefois de me fixer de son regard figé mais aiguisé depuis le cadre et je le range donc dans un coin de ma tête, à l'intérieur du tiroir plein à craquer des sujets à creuser. Le silence se fait de nouveau dans la pièce, uniquement rompu par le bruits des touches du clavier de mon oncle et des répliques de personnages de dessin animés.

Je n'ose plus rien dire. Chris a retrouvé une attitude relativement détendue mais je le vois jeter des coups d'œil à la photo et son humeur semble s'être assombrie, ternissant l'ambiance de plusieurs teintes. L'atmosphère est légèrement étouffante et même les voix ridiculement marrantes d'Homer, Bart et Marge ne parviennent pas à la rendre complètement respirable.

Ça t'apprendra à tenir ta langue.

Trois épisodes des Simpson et une douzaine de mollusques au chocolat – pour ma défense, ils sont vraiment bons – plus tard, je suis exceptionnellement forcée de donner raison à ma très chère mère : ce dessin-animé est vraiment abrutissant. Mon cerveau tourne à présent au ralentis, comme engourdi, et je me sens... légèrement étourdie. Mais d'humeur plus légère. J'ai d'ailleurs réussi à écarter de mes pensées le mot en R pendant au moins... tout plein de minutes ! Qui eut cru que ces petits bonhommes jaunes à l'humour plus que douteux puissent avoir de tels effets?

- Lily ?

Je pivote vers mon oncle, surprise de le voir rompre son mutisme auquel je croyais devoir faire face toute la soirée.

- Oui ?

- Ça va ? Ça fait deux fois que je t'appelle.

- Oh, désolée, je m'excuse en me détournant de l'écran télé qui commence à devenir un peu flou.

Je crois que je tombe de fatigue, probablement les répercussions de ma dernière nuit chaotique.

- Qu'est-ce que tu disais ? je me reprends.

- Alors comme ça, tu emménages avec Evans à la rentrée ? demande Chris, l'air de rien, alors que son regard fait nonchalamment la navette entre son tableau Excel et moi.

J'avale de travers le chocolat que je venais de mettre dans ma bouche et tousse comme une tuberculeuse. Heureusement pour moi, mourir en m'étouffant avec un escargot au chocolat n'est toujours pas assez impressionnant pour les fileuses.

- C'est bon, ça va, je rassure mon oncle qui a l'air d'être en train de se demander s'il ne doit pas pratiquer la méthode de Heimlich. Et, hum... oui, avec Nathan, on va prendre un appartement à Miami.

Chris pince les lèvres. Une étrange expression se dessine sur ses traits mais il se contente d'un vague « Ah». Comment ça « Ah » ? « Ah », ça ne veut rien dire du tout. Impossible de savoir ce que pense la personne en face de vous avec une onomatopée aussi vide de sens !

- Je connais Nathan depuis toujours et puis, Miami est une très grande ville. C'est plus rassurant d'être à deux quand on découvre un nouvel environnement. En plus Nathan est vraiment mature et sérieux et... Il faut voir ça comme une collocation, je m'enfonce stupidement. De toute façon, je n'ai pas à me justifier !

Na !

- Je n'ai rien dit, se défend Chris en levant les deux mains en signe d'apaisement. Et tu devrais ralentir sur les chocolats, tu vas te rendre malade.

J'en prends un nouveau, juste pour le plaisir de le voir lever au ciel... et aussi parce qu'ils sont vraiment bons ! Les meilleurs chocolats que j'ai jamais goutés !

- Non, mais tu as cette expression, je poursuis en me léchant le pouce.

Mon oncle me dévisage, sourcils haussés. En cet instant, je suis presque certaine de percevoir une lueur d'amusement dans son regard bleu lagon. Disons à 99,99 %.

- Quel expression?

- Celle-là ! je m'écrie en désignant son visage de l'index. L'expression du... désapprouvement.

- De la désapprobation, corrige Chris avec un léger, minuscule, imperceptible sourire.

Un sourire !

- C'est ce que j'ai dit.

Il faut vraiment que j'aille me coucher. Je pose la tête sur mon accoudoir en prenant soin de replier mes jambes pour ne pas empiéter sur l'espace de mon oncle. Ce dernier prend une inspiration et le mouvement fait gonfler son torse sous sa chemise blanche encore plus immaculée que les vêtements de Monsieur propre.

- C'est juste que je te trouve un peu trop jeune pour habiter seule avec un homme.

- C'est pas un homme, c'est Nate. En plus, je ne te demandais pas la permission, je lâche avec une impertinence qui me sort de je ne sais où.

- Je sais.

- Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas bouger un orteil sur cette île sans que tu le saches ? C'est flippant! Ça fait un peu trop « Big Brother is watching you », je trouve.

Alerte à la bouche autonome, je répète, alerte à la bouche autonome !

- T'as lu 1984, toi ? s'étonne mon oncle avec un air sceptique que je prendrais sûrement le temps de trouver insultant si je n'étais pas trop concentrée à essayer de suivre le fil de la conversation.

- Pourquoi pas ?

- Parce que tu détestes les vieux livres, propose Chris en tapotant quelques touches sur son clavier.

Esprit fatigué ou non, je ne peux pas m'empêcher d'être surprise comme à chaque fois que je prends conscience qu'il me connait bien mieux que je l'imagine.

- Tous les enfants détestent les vieux livres, je m'entête un peu bêtement. J'ai peut-être changé d'avis depuis.

- C'est le cas ?

- J'ai regardé le film, je marmonne, vaincue, en fixant le plafond brun.

Tout est brun dans ce salon. Canapés bruns, meubles bruns, tapis bruns, murs bruns... Brun chocolat. J'en prends un nouveau pour faire bonne mesure. À présent, il y a plus d'emplacements vides que d'escargots dans la boîte. Maman serait folle. Je l'entends d'ici : « Lily, la beauté n'est pas un privilège. C'est un présent qu'il faut entretenir soigneusement alors pose moi ces chocolats, veux tu. Bla-bla-bla».

- Au fait, en parlant de Big Brother... Je sais que ça ne te concerne pas vraiment puisque tu descendais juste regarder la télé mais je devrais peut-être te prévenir qu'à partir de maintenant, je ferme la porte d'entrée à clé la nuit, lâche Chris toujours sans me regarder au moment où débute le générique de Scooby-Doo et j'écarquille les yeux quand il se saisit d'un trousseau de clés posé sur la console à côté de lui pour faire tourner l'anneau autour de son index.

Mon cerveau en compote met plusieurs longues secondes à comprendre ce que cette nouvelle restriction implique. Mon cœur se révolte aussitôt. Je me redresse vivement et il me semble voir la pièce vaciller imperceptiblement.

- Quoi ? Mais... tu n'as pas le droit ! je proteste sans réfléchir en me dressant sur mes genoux.

Chris repose brutalement les clés qui heurtent le meuble avec un bruit mat très désagréable et je suis à présent plus que certaine d'avoir rêvé son demi... disons plutôt quart de sourire. Il pince les lèvres en se tournant vers moi, visiblement très agacé.

- Tu crois que je ne sais pas ce que t'allais faire dehors ?

Oups. Démasquée.

Mais hors de question que je renonce à ces sorties nocturnes. Je commençais tout juste à voir du progrès dans le comportement de Waneta. Et puis... c'est mon attrape rêves personnel. Je croise les bras sur ma poitrine et adopte mon air buté, celui que j'utilisais quand ma mère voulait me faire porter une tenue trop voyante ou trop osée.

- Tu ne peux pas m'en empêcher, je contre.

C'est étrange de se rebiffer contre un adulte. Je le fais tellement rarement que je ne peux pas m'empêcher d'hésiter. Je n'ai plus vraiment l'âge de piquer des crises d'adolescence. Mais en même temps, c'est justement pour cette raison que Chris n'a aucun droit de m'enfermer dans cette maison la nuit.

- Tu veux parier ? rétorque froidement mon oncle en agitant de nouveau son trousseau.

Cette fois, je fulmine. Étonnamment, la colère semble me rendre légèrement vaseuse. Cela ne m'empêche pas de fusiller Chris du regard.

- Je trouverais un moyen de sortir, je le défie sans vraiment y croire.

Bon sang mais qu'est-ce qui me prend? Chris ferme brutalement son ordinateur et le bruit que fait l'écran en se refermant me semble plutôt inquiétant. Je regarde en silence mon oncle se pincer l'arête du nez, paupières closes.

- Lily, reprend-t-il d'une voix calme qui semble lui demander de gros efforts, ne m'oblige pas à recourir à des mesures radicales.

- Qu'est-ce qui peut être plus radical que de m'enfermer dans ta maison?

- Je pourrais l'expulser de chez moi. J'ai été plutôt clément jusqu'ici mais ma patience à des limites.

Une panique sourde me ronge le cœur. C'est sûrement à cause de cela que le visage de mon oncle vacille légèrement sous mes yeux. Tout comme mes pensées qui me coulent entre les doigts comme un filet d'eau que j'aurais de plus en plus de mal à contenir. Chris ne parle pas sérieusement. Impossible. Et puis, je ne penses pas que l'on puisse retourner aussi facilement aux autorités un cheval dont on s'est engagé à prendre soin.

- Tu ne vas pas faire ça? je souffle, les yeux brulants.

- Sauf si tu m'y obliges. Écoute Lily...

- Si tu le fais, je te détesterais, je lâche avant de pouvoir me retenir.

C'est comme si mes mots précédaient mes pensées. Je n'ai plus de contrôle sur eux. Chris tressaille et un éclat de surprise fait briller ses yeux bleus mais il hausse finalement les épaules sans desserrer les mâchoires.

- Je survivrai.

Ok.

Accablée par la défaite ainsi que ce fichu sentiment d'injustice, je pousse sur mes mains pour me relever, prête à monter me coucher et à m'endormir en pestant contre mon oncle sans cœur. Chris me rattrape par le poignet pour m'en empêcher. Curieusement, son geste n'a rien de sec. Il ne s'agit pas vraiment d'un ordre... plutôt d'une requête.

Ne te laisse pas attendrir !

Je consens à me rassoir mais à l'extrémité opposée du canape, le plus loin possible de Chris. Je garde les yeux rivés à l'écran télé sur lequel je discerne vaguement la frimousse à lunettes de Vera.

- Il est dangereux, Lily, il faut que tu le comprennes, lâche mon oncle avec le genre de voix que j'utiliserais moi-même pour apaiser un cheval.

Le genre de voix que je n'aurais peut-être jamais l'occasion d'utiliser avec mon étalon fantôme. Je ne saurais dire si c'est la tristesse que m'inspire ce constat, la fatigue ou la dispute en cours qui en sont la cause mais je sens une légère nausée pointer le bout de son nez. C'est probablement la dispute. Je hais les disputes.

- Non, il ne l'est pas.

Cette fois, c'est sur un ton exaspéré que mon oncle me répond.

- Les gens ne vont pas en prison pour rien. Je pensais que tu le savais.

Je suis presque certaine que mon cerveau embrumé vient de faire un mini court-circuit, juste avant que je ne comprenne le gros malentendu.

Oh-mon-Dieu.

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