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Bonus - Partie 2

Nathan éternue. Et son éternuement est un des sons les moins discrets qui existent sur la Terre. Même s'il essaye de le ravaler en gardant la bouche fermée, ça reste bruyant. Presque autant qu'un mini pétard ou qu'une bombe à eau qu'on aurait jeté du premier étage.

Moi, je me pétrifie. Je n'ai même pas assez de temps pour réfléchir à un plan d'action. La porte contre laquelle je suis appuyée s'ouvre d'un seul coup. Vlan ! Je reçois un courant d'air dans la figure et puis je perds l'équilibre. Je bascule en avant mais je ne tombe pas complètement. J'aurais pu me casser les dents par terre, mais les grandes mains fortes de papa me rattra... Ah non. Ce sont celles de mon oncle avec la grosse montre brillante en or. Lui aussi il a de grandes mains très fortes.

Il me relève d'un seul coup pour me mettre sur mes pieds. Ensuite il s'écarte et papa s'avance. Les deux me fixent et je suis sûre que je vais être punie. Ils sont tout blancs, même mon oncle qui normalement est bronzé à force de vivre ici. Ils ne sourient pas du tout. Oncle Chris ne sourit jamais, mais là, il sourit encore moins. Et sourire encore moins que ne pas sourire du tout, c'est très mauvais. Il se tient droit comme une statue et le petit vaisseau sanguin qui traverse son front est super visible.

Je vais me faire disputer très fort pour avoir espionné leur discussion alors que je n'ai presque rien entendu d'intéressant. Tout ça parce que Nathan n'est même pas capable de retenir un éternuement débile pendant deux minutes ! Je me retourne pour le fusiller du regard. Lui, il me fait une petite grimace désolée en étirant ses lèvres et en agrandissant ses yeux au chocolat. Il peut être désolé ! Très désolé, même. Pour la peine, on regardera High School Musical. Ou pire: Violetta !

- Qu'est-ce que ça veut dire ? demande Chris avec sa grosse voix en mettant ses yeux pleins d'icebergs dans les miens.

Je tourne super vite la tête pour regarder papa. Maintenant, c'est à lui que je fais mon regard de Petshop. Je préfère toujours que ce soit lui qui me gronde.

- Laisse, je gère, il dit aussitôt à son frère en lui passant devant.

Il fait un pas vers moi et se penche pour que son visage soit à la même hauteur que le mien. Il fait toujours ça quand il veut me parler. Il pose une main sur mon épaule.

- Lily, qu'est-ce que vous faisiez ? Vous écoutez les conversations des grands, maintenant ? il me réprimande gentiment sans hausser le ton, mais avec des yeux très sérieux.

- Non. On ne voulait pas vraiment... on vous a entendus crier. Est-ce qu'il y a un problème ?

- Non, mon cœur. Rien de grave.

- Qu'est-ce vous avez entendu ? demande froidement oncle Chris en croisant ses bras sur sa chemise noire.

Je me demande pourquoi papa parlait de lui passer les menottes. C'était peut-être une espèce de blague. Ou une métaphore.

- Rien, je mens.

Mon oncle ne me croit pas, je le vois. Il serre les lèvres et son front se couvre de rides. Papa ne lui laisse pas le temps d'insister. Il traverse rapidement le hall, disparaît pendant quelques secondes dans le salon et revient avec la veste de baseball rose que j'ai laissée traîner sur le sofa. Je déteste le baseball mais lui, il adore, alors je la porte pour lui faire plaisir.

- Lily, tu mets ton gilet, s'il te plait ? On va faire un tour.

Maintenant ? Mais il fait nuit. Je hoche quand même la tête parce que je ne dis jamais non à papa et aussi parce que j'adore les sorties où on est que tous les deux. Il veut peut-être m'emmener au restaurant. Où au cinéma. À quelle heure ça ferme, les cinémas ? Nathan me regarde enfiler ma veste en boudant un peu. S'il savait les films que je programmais de regarder, il serait moins déçu de ne pas passer la soirée avec moi. Je m'assieds sur la première marche des escaliers pour mettre mes converses. Papa s'agenouille devant moi pour nouer mes lacets. Je sais le faire, mais lui fait des doubles nœuds hyper serrés qui tiennent super longtemps !

- Où est-ce que vous allez ? demande oncle Chris en cherchant le regard de son frère.

Il essaye de ne pas s'énerver contre papa devant nous, mais il a les poings fermés et les narines qui tremblent. Exactement comme le jour où il est venu nous chercher dans la zone Nord après notre petite excursion, Nate et moi.

- On va faire un tour, répète papa en me prenant par la main après avoir ébouriffé les cheveux de mon ami.

Oncle Chris nous passe devant et s'arrête en plein milieu du hall et de notre chemin, comme pour nous empêcher de passer. Il est bizarre, aujourd'hui.

- Tu trouves que c'est un moment pour aller se promener ? dit-il en passant une main dans ses cheveux blonds qu'il décoiffe sans le faire exprès.

Ses cheveux sont plus courts que ceux de mon père. Mon père a des boucles qui touchent les cols de ses chemises quand il en porte.

- C'est bon, Christopher, ça va aller, lui répond papa en le contournant et en m'entraînant avec lui.

Moi, je fais défiler dans ma tête tous les films qui sont à l'affiche au cinéma, cette semaine. Je me demande lequel papa veut regarder. Man of Steel, The Conjuring, La reine des neiges, Le hobbit... On est presque arrivés près de la grande porte d'entrée quand mon oncle relance sur un ton dur comme la pierre :

- Si tu veux sortir, je t'en empêche pas. Mais laisse la petite ici.

Je tourne la tête pour le regarder. Il a l'air... nerveux ? Oui, nerveux, je crois. Comme Archibald quand il y a de l'orage et qu'il se met à piétiner partout avec ses sabots, les naseaux frémissants. Papa s'est figé d'un seul coup en l'entendant. Sa grande main se resserre brusquement sur la mienne. Je ne crois pas qu'il s'en rend compte. Il pivote très lentement et pour une fois, il a l'air en colère. Très en colère. Maintenant, ses yeux sont aussi glacials que ceux de son jumeau.

- Qu'est-ce que tu viens de dire ? demande mon père pendant que Nathan et moi, on échange un regard surpris.

Oncle Chris ne se répète pas. Il garde les lèvres complètement fermées.

- Je préfère, lâche papa sur le ton autoritaire qu'il doit employer quand il a son costume de policier, mais qu'il n'utilise normalement jamais à la maison.

Après ça, il m'entraîne dehors et claque la porte d'entrée derrière lui. 

Son visage n'a aucune expression alors je me tais pour le laisser se calmer. Je continue de lui donner la main. Je le suis jusqu'au parking où il gare sa voiture de police. J'aime bien cette voiture. Elle me donne un peu l'impression d'être en mission. Il y a une grille entre les sièges avant et la banquette arrière où papa doit mettre les criminels qu'il capture. Évidemment, quand je monte dedans, il n'y a jamais de délinquants à l'arrière. Il y a aussi une petite radio sur le tableau de bord. C'est avec ça que papa parle aux autres policiers.

Papa m'ouvre la portière et attend que je sois installée pour la claquer doucement. Ensuite, il s'installe derrière le volant.

- Faudra qu'on passe prendre de l'essence, dit-il en démarrant. Lily, ceinture.

J'attache ma ceinture en le regardant. Il a l'air fatigué ces derniers jours. Je ne sais pas trop sur quelle affaire il travaille en ce moment, je ne sais jamais, mais elle lui prend beaucoup d'énergie. On roule en direction du centre-ville, je crois. Donc, ce sera ciné ! Yes ! Je m'assieds plus confortablement et je mets les pieds sur le tableau de bord. Papa me laisse faire ça. Je crois qu'oncle Chris ferait une crise cardiaque si je posais les chaussures sur son tableau de bord à lui dans une de ses voitures de collection ou de sport. De toute façon, je ne monte presque jamais en voiture avec lui.

- Alors, quoi de neuf ? demande papa en retrouvant sa bonne humeur. Vous vous êtes bien amusés, avec Nate ?

J'hésite une seconde, juste une seule, à mentir. Mais je sais qu'après, je ne me sentirais pas bien du tout, j'aurais mal au ventre et si Nathan décide de cafter cette histoire avec Mike, papa sera très déçu.

- Pas trop. On s'est disputés, je dis en ouvrant un sachet de fraises Tagada que je trouve dans le vide-poche.

L'odeur sucrée envahit l'air de la voiture quand je plonge les doigts dans le paquet.

- Quoi ? Encore ? s'étonne papa avec un sourire amusé. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Je mets trois bonbons à la fraise dans ma bouche pour avoir le temps de me donner du courage.

- Si je te le dis, tu promets de ne pas te fâcher ? je supplie en mâchant.

Papa me jette un coup d'œil méfiant sans lâcher le volant. Je n'ai pas peur qu'il me dispute. Papa ne me dispute jamais très fort. Mais je ne veux pas qu'il m'interdise de voir Mike.

- Oui, vas-y.

- Promis ?

- Parole de flic !

- On s'est disputés parce que Mike... Mike Howard, tu vois qui c'est, non ?

Papa hoche la tête, l'air un peu tendu. J'enchaîne à toute vitesse, les mots piquent un sprint hors de ma bouche pleine de fraises tagada.

- Ben lui, il m'a demandé de sortir avec lui, l'autre jour, et...

- Quoi ? crie papa et la voiture fait un truc bizarre pendant une seconde, comme si elle allait changer de voie.

- T'as promis !

- Lily ! T'es beaucoup trop jeune !

- Mais papa !

- Pas de "mais papa" qui tienne, Lily.

Je lui tourne le dos du mieux que je peux et colle le front contre la vitre en croisant les bras. J'aurais mieux fait de mentir. Je sens deux doigts me caresser la joue, mais je me dégage directement.

- Tu me boudes ?

Je ne réponds pas. Il s'est garé au bord d'un trottoir et on n'est pas devant le cinéma. Ni devant un restaurant. On est dans une rue marchande et presque toutes les boutiques sont déjà fermées. C'est nul. Je pensais qu'on allait voir un film.

- Chérie, dit papa en se tournant vers moi dans son siège et en jouant avec une mèche encore un peu humide de mes cheveux.

Ça m'énerve. J'aime bien quand il fait ça. Je pivote vers lui, malgré moi. Je suis toujours énervée.

- T'as même pas écouté ce que j'avais à dire !

- Ok. Vas-y. Maintenant je t'écoute.

- Tu ne vas pas m'interrompre ?

- Non.

J'accroche mes deux mains l'une à l'autre en croisant mes doigts, comme les hommes politiques à la télé quand ils veulent expliquer quelque chose d'important.

- D'accord. Mike me l'a proposé pendant le brunch, dimanche. Il est super gentil et poli, il aime les chevaux, il n'a presque que des A en classe et...

- Là n'est pas la question.

- Papa !

- C'est vrai, je me tais, il dit en souriant et en faisant semblant de coudre sa bouche avec un fil et une aiguille.

- Toutes les filles du country club ont déjà des petits amis !

- C'est ce qu'elles disent. Franchement Lily, vous avez onze ans. Qu'est-ce que tu ferais d'un petit ami à cet âge ? Tu peux me le dire ?

- Comment ça ?

- Je veux dire, tu ne vas rien faire d'autre que lui tenir la main, n'est-ce pas ?

- Euh...

- Quoi "euh" ? lance papa avec un regard un peu inquiet. Mon cœur, tu me fais peur, là.

- Ben, je vais peut-être l'embrasser aussi, je lui explique en rougissant un peu.

Papa fait semblant de s'évanouir dans son siège et j'éclate de rire. C'est un jeu entre nous. Je me penche en avant et lui embrasse le front pour le "réveiller".

- Lily... pourquoi est-ce que tu me fais ça à moi ? râle papa. Je pensais qu'il me restait au moins trois ans avant de devoir m'inquiéter de ces choses-là. Je n'ai même pas eu le temps de me préparer. En plus, je croyais que les bisous sur la bouche, c'étais "beurk".

Je hausse les épaules.

- J'ai grandi.

- Je vois ça. Ce Max...

- Mike, je le corrige.

- Il te plait, au moins ?

Je hausse encore une fois les épaules.

- Ça va...

Il rigole.

- Moi ? Est-ce que j'aime les Red Sox ? Mouais... ça va, il m'imite.

- C'est plus compliqué que ça.

- Oh, explique-moi, alors.

Je lève les yeux au ciel pour masquer mon petit sourire.

- Tu ne vas rien comprendre.

- Quoi ? Je suis trop vieux pour comprendre tes histoires de jeunes, c'est ça ? Allez Lily, raconte tout à ton vieux père. Mais parle fort, je suis un peu sourd d'oreille.

Je ris.

- Ok. Tu vois, Charlie aussi veut sortir avec Mike.

- Charlie ? Il est homo ?

- Mais non ! Charlie est une fille. Bref, elle est super amoureuse de Mike. Mais tu vois, Ashley... c'est la BFF de Charlie...

- Sa meilleure amie, traduit papa.

- Oui. Et l'autre jour, pendant la fête de Jordan, elle a embrassé Dylan.

- Mais je pensais qu'elle était amoureuse de Mike, dit papa en piochant dans mon sachet bonbons.

- Non mais Ashley ! C'est Ashley qui a embrassé Dylan, pas Charlie. Sauf que je sais que c'est Charlie qui le lui a demandé parce que Kylie était avec elles et qu'elle me l'a répété. Elle lui a dit de faire ça juste pour m'embêter. Elle me déteste.

Papa me dévisage avec des yeux ronds. Je savais que ce serait trop compliqué pour lui.

- Donc toi, c'est Dylan qui te plait.

Ah. Il n'est pas si mauvais que ça.

- Non. Enfin pas vraiment. C'est juste que pendant le jeu de la bouteille, une fois, on m'a demandé de qui j'étais amoureuse sur cette île et je ne trouvais rien à dire alors j'ai inventé. J'ai dit Dylan, comme ça, c'est le premier prénom qui m'est venu. Mais maintenant, toutes les filles pensent qu'il me plait pour de vrai. Alors si je sors avec Mike, ben ça réglera ce problème et je pourrais donner une leçon à Charlie, je conclue.

- Donc si j'ai tout bien compris... arrête-moi si je me trompe, hein ? Tu veux sortir avec Max...

- Mike !

- Tu veux sortir avec ce gosse pour te venger d'une fille qui a demandé à une autre d'embrasser le garçon qu'elle croit que tu aimes, mais qui ne te plait pas vraiment. C'est ça ? J'ai tout bon.

- Euh... oui. Alors... je peux ?

- Non.

- Quoi ? Mais...

- C'est mon verdict. Après délibération du jury, tu ne m'as pas du tout convaincu. Je te mets un zéro pointé en argumentation. Tu viens, on descend.

Quoi ? J'écarquille les yeux, mais papa est déjà sorti de la voiture. Il fait le tour et vient ouvrir ma portière. Je sors en le fusillant du regard et il me sourit. Il me prend la main, l'embrasse, et m'entraîne avec lui sur le trottoir. Je n'essaye pas de négocier encore plus. Quand papa dit non, c'est que c'est non.

- Où est-ce qu'on va ? je demande sur un ton grincheux.

Papa n'a pas besoin de me répondre parce qu'il s'est arrêté devant une des seules boutiques encore ouvertes à cette heure-là, tout au bout de la rue. Je gonfle les joues d'ennui et soupire très fort en voyant l'enseigne "Le marchand de sable". Papa aime bien venir ici, parfois, pour discuter avec le vieux monsieur. Moi j'aime beaucoup moins, par contre. Cet endroit est nul. On s'embête encore plus qu'aux fêtes d'anniversaires toutes pourries de Tony McAllen, là-dedans.

Je suis quand même mon père à l'intérieur sans lui lâcher la main. On n'était pas venu ici depuis un moment. Deux étés, je crois. Quand papa pousse la porte, des petites clochettes ridicules se mettent à sonner au-dessus de nous. Maman trouve ce genre de truc vraiment démodé. Je suis d'accord avec elle. Il fait sombre dans la boutique. Il y a seulement quelques lampes fatiguées qui sont allumées et qui jette de la lumière tremblante sur les murs. Ça donne la même ambiance que quand Nate et moi faisons une tente avec nos couvertures et qu'on allume ma petite veilleuse papillon à l'intérieur. Sauf que nos tentes ne sentent pas la poussière, l'encens, la citronnelle et les vieux livres aux pages fanées.

- Wyatt, pour une surprise..., lance une voix abîmée dans l'ombre du comptoir.

- Terrence. Comment ça va, depuis le temps ? demande papa en serrant la main du vieux monsieur qui vient juste d'apparaître.

Il porte toujours un costume de pirate abîmé. Violet et noir. J'aime bien le violet. C'est une bonne couleur. Il a tout plein de rides et des cheveux blancs comme le lait complètement emmêlés. Pire que moi quand je me réveille après m'être couchée avec les cheveux mouillés et que maman doit me passer cent coups de brosse.

- Oh, mais qu'est-ce que tu m'amènes là ? il lance avec un sourire quand ses yeux me tombent dessus.

- Bonjour monsieur, je le salue poliment.

Il va dire que j'ai grandi, c'est sûr. Les adultes se croient tout le temps obligés de dire ça quand ils croisent des enfants qu'ils n'ont pas vu depuis longtemps. Mais il ne le dit pas. Il ne dit rien, il ne fait que me regarder avec ses yeux transparents.

- Regarde ça, c'est chouette, non ? Des poupées russes, lance papa en attrapant une espèce de grosse figurine colorée en forme de femme qui traînait dans un rayonnage.

- Les matriochkas, commente énigmatiquement Terrence.

Je connais ce genre de jouet. Ça s'ouvre et à, l'intérieur, il y a une autre femme en bois, un peu plus petite, qui, elle aussi, s'ouvre et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une toute petite. Papa sépare la première dame en deux et... ô miracle, il y en a une autre à l'intérieur. Je me retiens de lever les yeux au ciel devant le vieil homme parce que c'est plutôt impoli. Après tout, c'est lui qui vend ces trucs. Je hoche la tête en regardant papa pour lui faire comprendre qu'il n'est pas obligé de toutes les ouvrir et il les repose précautionneusement à leur place.

- Lily, tu veux aller regarder si y a des bricoles qui t'intéressent ? demande papa.

Il n'y a rien qui m'intéresse ici. Cette boutique est remplie de vieux jouets qui devaient amuser les enfants à l'époque de la première guerre mondiale. Moi, ce que je voudrais, c'est un de ces globes terrestres en lévitation super cool que j'ai vu dans une pub à la télé ou une nouvelle Wii, mais certainement pas une vieille poupée en porcelaine qui vous regarde pendant que vous dormez avec ses yeux creepy. Mais je ne dis rien de tout ça parce que je suis bien élevée. De toute façon, papa le sait déjà. Et moi, je ne suis pas débile. S'il me demande d'aller jeter un coup d'œil aux étagères, c'est juste parce qu'il veut être seul pour discuter avec le vieux monsieur.

Je hoche la tête et je m'éloigne vers le fond du bazar. Je ne pose mes doigts nulle part parce que papa dit toujours "on touche avec les yeux". Et aussi parce que tout est couvert de poussière. Les bougies, les jeux de cartes, les masques de carnaval des années mille neuf cents je ne sais pas combien... Je passe à côté d'un cheval à bascule qui a l'air malade à force de perdre tous ses faux poils. Je remarque un vieux rubik's Cube tout décoloré, une petite montgolfière, un banjo qui n'a plus de cordes et des petites voitures toutes cassées. Est-ce que des gens viennent vraiment ici pour acheter ces choses ? Ça m'étonnerait bien.

Je jette un coup d'œil au-dessus de mon épaule. Papa et Terrence sont en train de discuter en chuchotant. Je trouve ça un peu vexant. Ce n'est pas comme si j'allais espionner leur conversation ou... bon d'accord, je pourrais. Même si je suis sûre qu'ils ne disent rien d'intéressant. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien avoir de siiii palpitant à se raconter ? Je me pose la question en faisant le tour de la boutique pour la quatrième fois. Il fait trop chaud ici. Je commence à transpirer un peu, mon T-shirt s'est collé à mon dos. Je déteste transpirer. Et l'odeur de l'encens commence à me donner envie de vomir. Vraiment envie.

Les petites clochettes tintent un peu quand je pousse la porte de la boutique, mais papa et le vieux monsieur sont tellement concentrés sur les trucs top secret qu'ils se disent qu'ils ne s'en rendent pas compte. Je sors dehors pour attendre qu'ils aient fini et avaler un peu d'air frais qui ne sente pas la poussière.

Il fait très nuit et sombre, maintenant. Heureusement, les lampadaires allumés jettent un peu de lumière jaune sur la rue. J'entends un chat miauler plus loin, mais quand j'essaye de fixer l'obscurité, je ne vois rien. C'est sûrement un chat de gouttières. On n'a pas le droit de les toucher, papa dit qu'ils sont plein de maladies. Je colle mon dos à la façade de la boutique. La seule autre qui est encore ouverte est une petite droguerie toute défraîchie, à l'angle de la rue. Sa porte s'ouvre pile à ce moment-là.

Deux hommes très grands en sortent avec des sacs. Ils sont habillés n'importe comment avec des vêtements tous noirs et très abîmés. Ils ont plein de tatouages ! Ils viennent de la zone Nord, c'est sûr ! Je le sais, j'ai déjà vu les gens du Nord et c'est à ça qu'ils ressemblent. Je m'accroupis par terre, par réflexe, pour ne pas attirer leur attention. De toute façon, ils ne regardent pas du tout par là. Je ne les vois pas très bien. Il y a plein d'ombres de ce côté et ils sont cachés dedans.

Je pose mon menton sur mon genou et les regarde discrètement. Ils sont beaucoup plus vieux que moi, mais je crois qu'ils sont plus jeune que papa et oncle Chris. Je n'en suis pas sûre. Le premier a des cheveux bruns tout bouclés retenus par un bandana et la peau foncée. Les dessins sur son bras sont pleins de couleurs et il n'arrête pas de jeter des coups d'œil nerveux partout autour de lui. Le deuxième est encore plus grand et il a les cheveux plus courts mais je ne le vois pas très bien. Il porte un blouson en cuir déchiré et des grosses bottes noires. Il garde la tête baissée et marche très vite.

Ce sont des voyous, j'en suis certaine. Je devrais peut-être appeler papa, je pense en coinçant mes mains qui tremblent un peu entre mes genoux. Mais je ne veux pas bouger parce que ça risque d'attirer leur attention. Ils sont presque arrivés à mon niveau maintenant. Mais ils ne me voient pas. C'est la voiture de police de papa qu'ils voient. Ils s'arrêtent tous les deux et se figent à plusieurs mètres de moi en la regardant. Ensuite ils traversent la rue au pas de course pour s'éloigner et montent sur deux grosses motos que je n'avais même pas remarquées. Oui, c'est bien des voyous. Quand je raconterais ça à papa...

Ils décollent comme des fusées dans un grand bruit de moteur dérangé. VROOM. Moi j'ouvre très grands les yeux en les regardant déraper près du trottoir d'en face et disparaître en soulevant un énorme nuage de poussière. J'ai le cœur qui bat vraiment très fort, à l'intérieur. C'est peut-être à cause de ça que je n'entends pas la porte s'ouvrir, derrière moi. Par contre, j'entends très bien le cri affolé de papa.

- Lily ? Lily ! Oh bon sang !

Il s'arrête à côté de moi sur le trottoir et pose la main sur son cœur en fermant les yeux une seconde. Il est tout blanc. Je pousse sur mes mains pour me relever.

- Papa ?

- Ne me refais jamais ça, t'entends ? Jamais, Lily ! il dit en me prenant dans ses bras, d'un seul coup.

Il pose le visage dans mes cheveux et j'entends son cœur qui bat super fort près de mon oreille, juste en dessous de son T-shirt.

- Je suis désolée. Je voulais juste sortir respirer.

- Je sais, mais ne le fais plus. Pas comme ça. Pas en pleine nuit et pas ici.

Je hoche la tête et il se détache de moi avec un soupir. On retourne à la voiture sans parler. Il démarre et je ne lui dis pas que j'ai croisé de potentiels délinquants pour ne pas l'inquiéter encore plus. Comme il est encore un peu crispé, je me penche en avant en tirant sur ma ceinture et je l'embrasse sur la joue, en plein sur sa barbe qui pique. Il sourit. J'allume la radio sur la chaine des hits à la demande. Ça tombe sur un des derniers tubes de Bruno Mars et je m'époumone en même temps que le chanteur :

- Treasure, that is what you are ! Honey you're my golden star ! You know you can make my wish come true... If you let me treasure you !

Je fais exprès de chanter faux et papa rigole. Son rire est mon préféré de tous les rires du monde, il est chaud et grave, réconfortant comme un chocolat au lait fumant un jour de pluie. J'adore quand il rit alors je continue :

- Pretty girl, pretty girl, pretty girl you should be smiling... A girl like you should never live so blue ! You're everything I see in my dreams, I wouldn't say that to you if it wasn't true...

Le coquillage jaune et rouge de la station- service apparaît dans la nuit et je continue de fredonner. C'est complètement désert à cette heure. Il n'y a pas de file, juste une voiture qui attend son tour derrière nous. Même la petite boutique de dépannage est fermée. Papa s'arrête près de la pompe à gazole. Il n'a pas le temps d'ouvrir sa portière pour sortir. Un homme est en train de cogner contre sa vitre. C'est le conducteur du véhicule qui nous suit, je crois. Il a de très grosses cernes toutes bleues. Il devrait se coucher plus tôt, le pauvre.

Je baille et m'étire dans mon siège pendant que papa appuie sur le bouton de l'ouverture automatique pour baisser sa vitre. J'ai mal aux muscles à force d'avoir trop nagé. Je me demande si on aura quand même le temps d'aller manger au restaurant ou si c'est trop tard. Je jette un coup d'œil rapide aux chiffres rouges qui clignotent près du volant. Il est vingt heures trente-cinq. Il y a toujours ce restaurant de crustacés sur la corniche qui reste ouvert jusqu'à minuit. Mais je suis végétarienne, maintenant. Je n'arrive plus à avaler un morceau de viande sans avoir envie de vomir depuis que j'ai vu ce reportage sur les...

- Mets tes mains derrière la tête ! Je déconne pas ! Mets tes putains de mains derrière ta tête !

C'est le monsieur de la voiture juste derrière qui vient de crier super fort ! Je sursaute et me tourne vers... Oh mon dieu ! Oh mon dieu, mon dieu, mon dieu !

Dans mon corps, tout s'arrête d'un seul coup de fonctionner, tout me fait mal, tout me donne froid, tout devient bruyant... Il tient un pistolet ! Il a... il tient une arme pointée sur papa. Juste à côté de son visage. Il l'a rentrée dans la voiture par la vitre ouverte et... oh mon dieu... je n'arrive plus à respirer. Papa ne bouge pas, sa main est toujours posée sur le volant. L'homme a le doigt posé sur la détente. Je sais comment ça marche, papa m'a déjà montré. S'il appuie un tout petit peu avec son index, juste un tout petit peu...

Je me mets à trembler. Tellement fort que je vois tout flou comme quand la connexion internet ralentie et que la vidéo YouTube devient toute brouillée. Ma nuque se mouille de sueur. J'ai chaud et j'ai froid en même temps. Je vais vomir. S'il appuie avec son doigt...

Comme papa n'obéit pas, le monsieur donne un coup de pieds dans la voiture. Très fort. Ça fait beaucoup de bruit, mais il n'y a personne pour entendre. Personne d'autre que nous. L'autre se met à crier.

- T'entends ? Putain, t'entends ce que je dis ? Les mains derrière la tête, bordel ! Tu crois que je vois pas ce que tu fais ! Si tu touches à cette putain de radio, je vous descends tous les deux !

Il bouge ses mains et tourne son arme vers moi. Je ne le vois pas bien, il y a pleins d'ombres qui mangent son visage. Il a forcément un visage maléfique, comme les méchants dans les films. Je me bouche les oreilles et j'éclate en sanglot. Je ne peux plus respirer. Je n'arriverais plus jamais à respirer. Je n'ai jamais eu peur et même si je croyais avoir peur par le passé, ce n'étais pas le cas. Ce n'était pas de la peur. Les contrôles de trigonométries qui font mal au ventre ? Ça ne fait pas peur. Les grands du collège qui viennent nous embêter dans la cour de récréation ? Ça ne fait pas peur. Ce moment sur une selle, quand on sent qu'on va tomber de cheval et que notre estomac se tord parce qu'on sait qu'on aura mal ? Ça ne fait pas peur non plus.

Ce n'est rien.

Rien du tout.

La vraie peur... c'est de la douleur, ça donne l'impression de mourir, comme si notre cerveau allait exploser, comme si on avait une bombe prête à exploser dans la poitrine. Je pleure. J'ai froid partout, comme si on était chez nous, en Angleterre, et qu'il neigeait. J'ai envie d'être à la maison, à Londres, avec mes parents. D'attraper des flocons avec papa et Nate. Je pleure pour de bon, maintenant. Je pleure toute l'eau de mon corps. Mais comme je n'arrive pas à avaler d'air, ça me fait suffoquer. Je m'étouffe avec mes larmes. Je sens leur gout d'océan dans ma bouche. Je crois qu'on va mourir.

- Eh, eh, eh, crie papa en levant les deux bras pour montrer ses mains vides au monsieur et en se décalant pour se mettre entre moi et l'homme. Calme-toi, on peut s'arranger, mon gars. C'est pas la peine de s'énerver. Eh ! Regarde. Regarde mes mains.

Il les pose sur sa nuque. Il croise les doigts. Maintenant il parle d'une voix très calme. Comme quand je fais des cauchemars et qu'il essaye de me rendormir. Où est son pistolet de policier ? Pourquoi il n'a pas son pistolet de policier ? J'essaye de prendre des profondes inspirations par le nez, comme ils disent de faire dans les vidéos de Yoga que maman regarde pour se détendre, mais ça ne marche pas du tout.

Ça va bien aller, je me dis, en m'essuyant les joues et le nez avec la main. Papa va nous sauver. Il a l'habitude des méchants et des fous furieux dans son travail. Il les attrape et il les jette en prison. Oui, tout va bien aller. Il va mettre les menottes à celui-là et on rentrera à la maison. On mangera les lasagnes d'Andrea, je me réconcilierais correctement avec Nathan, je dirais à Mike que je ne veux pas sortir avec lui...

Papa va nous sauver...

- Sors de la caisse ! Bouge, bordel ! hurle l'homme, dehors, en ouvrant brutalement la portière du conducteur. Tout de suite, putain ! Ou je shoote la petite !

- D'accord. Ça va, calme-toi, ok ? Je sors, regarde. Fais gaffe avec ce truc, dit papa avec un ton très posé comme s'il racontait le dernier derby de baseball.

Je gémis en le voyant s'écarter pour sortir.

- Papa, je pleure, je crie.

- Ça va aller, Lily. Tout va bien. Reste dans la voiture, tu m'as compris ? Ne bouge pas de là, d'accord ? Hoche la tête, s'il te plait.

Il parle très sérieusement. C'est un ordre, même s'il le demande gentiment. Il ne veut pas que je bouge. Je fais ce qu'il me dit. Je lève le menton, le baisse, le lève encore. Je renifle. Je ne le vois même pas bien derrière toutes les larmes qui s'enfuient de mes yeux. Il me regarde longtemps, son bleu dans le mien. Je bats plein de fois des paupières pour le discerner correctement. Ça y est ! Son beau visage, ses cheveux blonds, son regard fort.

Il va nous sauver...

- Magne-toi ! Les mains derrière la tête !

- C'est bon, dit papa en sortant de la voiture.

Il garde les bras pliés et levés, mais il claque la portière avec sa hanche. Il met une barrière entre moi et eux. Je saute sur le siège conducteur, je me prends dans mes bras pour avoir moins froid. Je fais tout plein de prières à Dieu en regardant le ciel noir. Il n'y a pas d'étoiles ce soir, mais Dieu est là-haut. Forcément ! Lui ou n'importe qui ! Je fais des prières en anglais et aussi dans un espagnol et un Français bancal.

- À genoux, ordonne l'homme d'une voix grondante. Allez !

Papa hésite une seconde, je le vois par la vitre ouverte. Mais seulement une seconde, après il s'accroupit et appuie ses genoux par terre. L'homme me tourne le dos, papa est face à moi. Comment est-ce qu'il va faire ?

Il va nous sauver...

- Je sais qui tu es, je connais ton histoire, dit papa. J'ai lu ton dossier. Pourquoi tu fais ça ?

- Tu sais que dalle. Ferme ta gueule, crache l'homme en se penchant près de lui.

Il tient toujours son pistolet près du visage de mon père, mais avec une seule main. Il utilise l'autre pour tâter les poches du pantalon en jean de papa. Il sort son portefeuille et pendant une petite seconde ou mon cœur devient fou d'espoir, je m'imagine qu'il est venu juste pour ça. Qu'il va prendre l'argent et s'en aller. Mais il le jette un peu plus loin et continue de fouiller. Il jette même le portable. Je regarde papa. Il me regarde aussi et il me fait un petit clin d'œil, discrètement, comme quand on partage une blague, tous les deux, ou qu'on se moque un peu de maman.

Il va nous sauver...

- Tu toucheras pas à ma fille, on est d'accord ? demande papa sur un ton dur pendant que l'homme le contourne pour mettre les mains dans ses poches arrière.

Ma gorge se ferme et je ne peux à nouveau plus avaler de l'air. Pourquoi est-ce qu'il demande ça ? Il va nous sauver, tous les deux ! Il va...

- Où tu l'as mis, putain de merde ? s'énerve le monsieur, d'un seul coup.

- Quoi ?

- Te fous pas de moi ? Je te préviens...

- Je ne vois pas de quoi tu parles...

L'homme frappe papa très fort avec son arme. Sa tête, celle de papa, part en arrière. Il a du sang sur le front ! Il saigne !

- Papa ! Papa !

Je crie et saute sur la portière en cherchant la poignée dans le noir. Papa se redresse très vite et se tourne aussitôt vers moi.

- Lily ! Qu'est-ce que j'ai dit ? Tu ne bouges pas ! Tu restes dans la voiture !

Je l'appelle encore et je pleure, mais je ne bouge pas. Je pose les mains sur le bord de la vitre ouverte. Je prie encore. De toutes mes forces et de tout mon coeur. Si il y a quelqu'un là-haut, il m'entendra forcément. Le monsieur a posé le bout de son arme sur le front de papa. Juste au-dessus de son nez. Juste entre ses deux yeux tous bleus qui me regardent et essayent de m'apaiser.

- S'il te plait, papa...

J'implore entre deux sanglots. Je ne sais même pas ce que je lui demande ou ce qu'il pourrait faire.

Il va nous sauver...

- Tout va bien, mon cœur. Tout ira bien, mais reste dans la voiture, il répète.

Je hoche la tête. Je le crois. Papa ne ment jamais. J'ai le nez qui coule, les yeux qui brûlent, mes vêtements sont tout mouillés de sueur et j'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter de battre, mais papa a dit que tout irait bien.

Papa va nous sauver...

- Je n'ai pas ce que tu veux, il dit à l'homme.

Ou en tout cas, je crois que c'est ce qu'il dit. Je ne suis pas sûre. J'ai une espèce de bourdonnement dans les oreilles, comme un essaim d'abeilles coincé près de mes tympans. J'ai la tête complètement vide. J'attends. Dehors, il n'y a plus aucun bruit. Même pas des sons lointains de moteurs de voitures ou des chants de cigales. Pas de cris de hiboux lugubres pour accentuer le malheur qu'on est en train de vivre. Notre cauchemar. Rien du tout. Juste le silence. Le silence qui fait peur. Le silence qui fait mal. Le silence qui détruit.

Et puis le bruit. Un bruit qui déchire le ciel, la peau, la nuit et mon cœur. Un bruit de fin du monde, comme un grand coup de tonnerre. Un bruit qui tue.

Papa tombe sur le goudron comme une marionnette en tissus après qu'on lui ait coupé les fils. Je hurle très fort pour faire sortir ma terreur. Mais elle reste là, prisonnière dans mes organes. Elle bousille tout. J'ai tout qui tombe en miette à l'intérieur. Je me jette sur la portière. Je trouve la poignée et tire dessus sans réfléchir. Je sais que papa m'a dit de ne pas sortir, mais je m'en fiche. Il va me punir. On va rentrer à la maison et il me punira de ne pas l'avoir écouté. Je veux qu'il me punisse.

Je bascule en avant et tombe par terre. Je m'écorche les genoux sur le sol râpeux, mais je m'en fiche. Le monsieur est toujours là, mais je m'en fiche aussi. Il me regarde, ses yeux me mordent, mais moi, c'est papa que je regarde. Il est allongé par terre et il a peut-être mal. Il a forcément mal. Je marche à quatre pattes jusqu'à lui. Je ne vois presque rien, il fait tout noir. Je suis près de lui, maintenant. Je marche dans une flaque d'eau, mais je m'en fiche. Il faut que je... je dois... il faut que j'appelle une ambulance... et oncle Chris... il faut que j'appelle maman. Je dois appeler maman. Papa doit aller à l'hôpital pour qu'on le soigne. J'y suis allée moi, quand je suis tombée d'Archibald, et maintenant je vais bien.

J'entends le son d'un moteur derrière moi et ensuite le bruit des pneus qui grincent sur le goudron. Le monsieur s'en va. Il part !

Papa nous a sauvés.

Pendant une seconde, les phares du véhicule me crachent leur lumière dessus et je deviens aveugle. Après ça, c'est papa qu'ils éclairent et mon cœur s'arrête de battre, de fonctionner, d'exister. C'est comme un film d'horreur. De ceux que les parents nous avaient interdit de regarder et qui nous font cauchemarder pendant des semaines, Nate et moi. Il y a du sang. Partout, partout. Sur mes doigts, sur le sol... sur papa... Il brille comme un liquide maléfique et la flaque s'élargie très rapidement. Elle devient immense. Elle me fait très peur. La voiture disparaît dans la nuit. Moi, je hurle, je panique, je cherche le portable par terre et je l'allume pour éclairer encore.

Oh non !

Non. Non. Non. Non. Non.

Mes organes remuent. Ils se bousculent très fort. J'ai l'impression que je vais vomir. J'ai l'impression que je vais mourir. Je me penche en avant et pose tout doucement la main sur la poitrine de papa. C'est par là que je dirige la lumière du téléphone parce que je ne peux pas revoir ce que j'ai aperçu plus haut.

Je ne peux pas revoir son visage couvert de sang. Je ne peux pas revoir les dégâts qu'a fait la balle en entrant. Je ne peux pas revoir ses yeux bleus qui sont ouvert et fixent le ciel noir sans le voir, ses yeux qui ne devraient pas être ouverts. Je ne peux pas...

Je vais te sauver, papa...

Je prends sa main pour qu'il essaye de serrer la mienne. Il ne le fait pas. Ses doigts sont tout durs, presque comme ceux d'une statue, mais avec une peau douce par-dessus.

Non. Non. Non. Non. Non.

- Papa ? je l'appelle. Papa, est-ce que tu m'entends ? Papa ? Papa, s'il-te-plait ! Papa ! Papa !

Impossible. Ça ne peut pas arriver ! Ça ne peut pas...

Je vais te sauver, papa...

J'allume le portable et je le déverrouille en tremblant sans lâcher la main de papa. Je connais la forme géométrique que papa a choisi comme code. C'est un L majuscule pour Lily. Je me trompe quand même deux fois avant de réussir à le dessiner. Mon pouce laisse une horrible trace rouge sur l'écran et mes pleurs redoublent. Je ne sais même pas quel est le numéro des urgences aux États-Unis. On me l'a peut-être déjà dit, mais je n'écoutais pas vraiment. On ne pense jamais qu'on utilisera ce numéro-là un jour, qu'on en aura besoin. Ces numéros, c'est pour les autres, pas pour nous. Jamais pour nous.

Je vais te sauver, papa...

J'ouvre ses contacts en cliquant sur le petit téléphone, en bas. J'appuie sur le premier qui s'affiche sans même lire le nom. De toute façon, je ne peux pas lire, j'ai beaucoup trop de larmes, je ne vois presque rien.

- Oui ? répond une voix froide quand je colle l'écran mouillé contre mon oreille.

C'est oncle Chris ! C'est lui !

Il va nous sauver, papa...

Je me remets à pleurer. Je pleure d'espoir, de soulagement, de terreur, de douleur...

- On... oncle... C... Chris, je m'étrangle près du haut-parleur.

- Lily ? Lily ! crie mon oncle d'une voix paniquée. Qu'est-ce qui se passe ? Passe-moi ton père ! Lily !

Je serre plus fort la main de papa. Elle est glacée. Comme les flocons de neige chez nous, en Hiver.

J'essaye de répondre, de lui expliquer, mais je n'y arrive pas parce que ma gorge est complètement bloquée par une énorme boule de glace. À la place, je sanglote, je gémis, je hoquette... je meurs un peu. J'entends mon oncle qui tonne, qui me parle à moi, qui parle à d'autres et qui leurs donnes des ordres précipités. Je crois qu'il appelle les secours. Je ne sais pas. C'est trop tard, de toute façon. Je le sais. Je le sens.

Chris me parle tout doucement, maintenant. Il a une voix rassurante que je ne l'ai jamais entendu utiliser et il me dit des choses que je ne comprends pas. Des choses je n'entends même pas. J'ai jeté le téléphone plus loin. Je suis allongée sur papa et je le prends dans mes bras. Je le berce en mourant un peu avec lui. Il est dur, froid et mouillé. Mais il a toujours son odeur. Je ne regarde pas son visage qui ne ressemble plus au sien. Je pose ma joue sur le tissu de son T-shirt. Je n'entends aucun bruit dessous.

Je sais ce que ça veut dire. Papa n'est plus là. Il est parti. Il est monté dans le bateau sans moi et il s'en va vers un endroit où je ne pourrais jamais le retrouver.

Là où personne ne peut plus le sauver.

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