— Un pouvoir sur la lumière ?

Eliane et Oren dévisagèrent Ruby comme si elle avait dit la plus grosse absurdité du monde. Ce qui était peut-être le cas maintenant qu'elle y pensait. Mais en voyant le sourire de Kile, elle sut qu'elle avait vu juste. Elle ne savait en revanche pas ce que cela impliquait ou signifiait vraiment. Heureusement pour elle, Kile vint à sa rescousse en expliquant :

— Elle a tout compris. Les Luminales sont capables de canaliser la lumière ambiante pour la projeter ensuite.

— Et tu peux faire ça ? Et Ruby aussi ? demanda Oren. Attends, tu veux dire que nous aussi ?

— C'est une possibilité, en effet, confirma Kile. Cependant...

Une étincelle de frustration passa dans son regard. Ruby fronça les sourcils.

— Je ne suis pas tout à fait un Luminale. Enfin, biologiquement, j'en suis un. Mes parents et ma sœur l'étaient. Mais même après une vingtaine d'années d'entraînement auprès de la Résistance, je suis incapable de me servir de ces capacités. C'est de plus en plus fréquent chez les nouvelles générations. Une étude a montré qu'un enfant sur quatre né de parents Luminales est incapable de manifester ses pouvoirs. Si on ajoute à cela le fait que les Eranéïens nous tuent les uns après les autres, autant dire que les Luminales finiront par disparaître assez vite d'ici à quelques générations.

Ruby laissa le temps à l'information de se frayer un chemin parmi ses pensées. Elle ne connaissait rien aux Luminales, mais elle savait qu'exterminer un peuple sans raison n'avait pas lieu d'être. Un bruit, semblable à un tir d'une arme, au loin les fit sursauter.

— On continuera cette discussion plus tard. On devrait partir d'ici.

— Pour aller où ? s'inquiéta Eliane.

— On va rejoindre la Résistance, ce n'est pas loin d'ici vers le nord. Je vous expliquerai tout ensuite.

Il ne leur laissa pas le temps de dire quoi que ce soit, et se remit en route, en marchant cette fois. Ruby appréhendait autant qu'elle attendait avec impatience d'arriver à la Résistance. Une partie d'elle espérait trouver ses parents là-bas. D'un autre côté, elle sentait qu'elle s'embarquait dans une histoire plus que compliquée.

Ils marchèrent un bon moment avant de finalement quitter les bois. Kile leur expliqua que la base de la Résistance se trouvait sous terre, gardée par tout un tas de système de sécurité.

Ils continuèrent donc à marcher à travers les champs jusqu'à atteindre un village. Bien vite, Ruby comprit que quelque chose clochait dans ce village mais elle avait du mal à mettre un mot sur le problème. Elle observa autour d'elle. Le seul bruit qu'elle pouvait entendre était le chant des oiseaux loin au-dessus d'eux, et une légère brise remuait les fleurs dans les jardins.

Elle comprit alors. Mort. Ce village était comme mort. Il n'y avait pas âme qui vive. Certaines maisons étaient en très mauvais état. Ruby s'apprêtait à questionner Kile quand son regard fut attiré par un panneau indiquant l'entrée du village.

Dibri.

Elle se figea. Ce nom... Elle le connaissait.

Une vague de souvenirs la submergea.

— Les habitants. C'étaient des Luminales. Et ils...

Elle ne termina pas sa phrase. Les trois autres s'étaient stoppés également pour observer le panneau à leur tour.

— Dibri est l'un des premiers à avoir été détruit. À l'époque, les Luminales se regroupaient dans des villages comme celui-ci, loin des persécutions Eranéïennes. Ce fut un choc pour tout le monde. La Résistance s'est établie ici peu de temps après la destruction de la première base.

Aucun des trois venus d'Arvak n'osa dire quoi que ce soit.

Ruby regrettait presque Arvak. Au moins là-bas, ils n'avaient pas conscience de tout ce qui se passait et pouvaient vivre sans crainte. Du moins, c'était le cas jusqu'à la disparition de Jason. Kile avait dit que leurs camarades avaient été effacés. Elle n'avait aucune idée de ce que celui-ci pouvait vouloir dire, mais elle était sûre de ne pas vouloir le savoir. Elle repensa à ses amis toujours au camp. Elle espérait qu'il ne leur arriverait rien de grave après leur départ, même si elle savait que ceux qui les retenaient ne s'arrêteraient pas.

Kile les emmena dans l'une des maisons. Celle-ci était plus ou moins en pagaille, comme si des combats avaient eu lieu, mais de façon générale, Ruby pouvait toujours deviner que cette maison avait été le théâtre de tout un quotidien familial.

— Que leur est-il arrivé ? ne put-elle s'empêcher de demander bien qu'elle devine la réponse.

Kile qui s'approchait d'un mur tourna légèrement la tête vers elle, un air désolé sur le visage.

— Va savoir.

La jeune fille préféra ne rien ajouter. Son regard croisa celui d'Eliane. La blonde n'avait pas l'air plus rassuré qu'elle.

Kile longea le mur, la main dessus puis leur fit signe de s'approcher. Lorsque les trois furent près de lui, il tapota une partie du mur de son index ce qui eut pour effet d'ouvrir un passage. Les quatre entrèrent dans la pièce cachée alors que le mur se refermait derrière eux. Lorsque celui-ci fut clos, Ruby se rendit compte qu'il n'y avait rien de plus dans cette pièce, jusqu'à ce que Kile s'agenouille sur le sol. Il tira à lui une partie des planches de parquet pour dévoiler un boîtier avec un code.

Les trois autres détournèrent le regard alors qu'il tapait le bon code ce qui eut pour effet d'ouvrir une trappe. Lorsque celle-ci fut ouverte, Kile leur fit signe d'entrer.

Ruby jeta un regard à ses deux amis, aucun d'eux ne semblait prêt à se lancer le premier. Elle inspira donc et descendit. Une échelle lui permit d'atteindre le sol sans danger. Une fois en bas, elle observa ses trois camarades la rejoindre. Kile fut le dernier à descendre. Il actionna un interrupteur pour éclairer l'endroit et prit ensuite la tête du groupe alors qu'ils s'enfonçaient dans un couloir. Ruby passa une main sur l'un des murs. Il ne s'agissait pas de terre comme elle aurait pu s'y attendre. Visiblement, ce refuge avait été plutôt bien conçu.

Finalement, il ne leur fallut pas longtemps pour atteindre une porte. Celle-ci semblait bien fermée. Kile frappa quelques coups sur la porte, deux rapides puis trois longs. Un cliquetis leur parvint depuis l'autre côté avant que quelqu'un n'ouvre. Un homme assez imposant apparut dans l'embrasure de la porte. Ses yeux plissés se détendirent lorsqu'il vit Kile.

— Je ne comprends pas, se contenta-t-il de dire. Si tu es là, pourquoi les captifs sont toujours dans les camps ?

Pour toute réponse, Kile se décala pour dévoiler les trois autres. L'homme plissa de nouveau les yeux, suspicieux.

— J'ai besoin de voir Antoine. Ils sont avec moi.

L'homme prit un air dédaigneux mais les laissa passer. Les trois nouveaux venus entrèrent avec hésitation dans le refuge. Ruby ne savait pas vraiment à quoi elle s'attendait. La première chose qu'elle vit fut les dizaines de tables alignées. Des personnes, adultes et enfants confondus étaient réunis par groupes autour de ces tables. Certains jouaient à des jeux de plateaux tout en grignotant des friandises tandis que d'autres se contentaient de discuter. Globalement, il régnait une ambiance plutôt joyeuse dans ce refuge malgré la situation actuelle des Luminales. Trois jeunes enfants passèrent devant eux. Ruby eut un léger pincement au cœur, ils ne devaient pas avoir plus de 12 ans.

— On va commencer par vous attribuer une chambre, leur proposa Kile. Comme ça vous pourrez vous reposer et vous laver, si vous le souhaitez.

Ils hochèrent la tête, ravis de pouvoir enfin se poser quelque part. Kile les emmena donc dans l'un des couloirs qui débouchaient sur la grande salle principale et le longea jusqu'à atteindre une porte qui contrairement aux autres ne comportait pas d'affiche avec un nom. Le jeune homme ouvrit la porte dévoilant une petite pièce avec deux lits simples et une petite table.

— Ruby et Eliane pourront s'installer ici. C'est la dernière chambre libre avec deux lits. Je suis désolé, Oren, mais tu devras cohabiter avec quelqu'un d'autre.

— J'ai cohabité avec d'autres personnes toute ma vie, une nuit de plus ou de moins, cela ne changera pas grand-chose.

— Parfait, conclut Kile qui s'approcha de l'un des lits.

Il pointa du doigt une pile de linge propre.

— Vous avez des vêtements propres ainsi que ce qu'il faut pour prendre une douche. D'ailleurs, les douches sont au bout. Ce sont des douches communes mais à cette heure, personne ne s'y trouvera, donc vous n'aurez pas à attendre. Je vous laisse, je vais montrer à Oren la chambre qu'il occupera.

Les deux jeunes filles ne répondirent pas alors que les deux autres quittaient la pièce pour s'approcher d'une autre porte. Ruby ne parvint pas à discerner le nom inscrit sur la porte. Elle observa Oren entrer dans la chambre à la suite de Kile.

— Tu comptes rester figée comme ça longtemps ? lui demanda Eliane.

— Je me dis juste que c'est la première fois depuis un moment qu'il se retrouvera seul.

Elle n'ajouta rien d'autre mais elle savait qu'Eliane avait compris où elle voulait en venir. Depuis les premières disparitions, elles avaient surveillé les moindres mouvements de tout le monde et n'avaient pas quitté Oren d'une semelle. Rien ne lui garantissait qu'il ne lui arriverait plus rien maintenant. Elle s'apprêtait à faire un pas en direction de la porte derrière laquelle avait disparu son meilleur ami mais Eliane lui attrapa le bras pour l'arrêter.

— Tout ira bien, crois-moi. J'ai confiance en lui.

— En Kile, tu veux dire ? Alors qu'on ne le connait pas.

Eliane haussa les épaules.

— Une intuition. Je suis sûre qu'il est digne de confiance.

Ruby soupira. Elle ne pouvait pas faire grand-chose de toute façon. Elle était coincée sous terre. Elle se résolut donc à fermer la porte de la chambre avant de se jeter sur l'un des lits. Elle avait l'impression que cela faisait une éternité depuis qu'elle s'était assise ou allongée pour la dernière fois. Elle ne savait pas depuis combien de temps ils avaient quitté Arvak, à peine quelques heures sans doute, mais ils n'avaient fait que courir et marcher depuis, et le lit s'avérait plutôt confortable. Eliane ne perdit pas une seconde et fit de même. Elles soupirèrent de soulagement à l'unisson.

— J'ai hâte de me laver, je me sens sale après avoir couru autant, marmonna Eliane le nez plissé.

— Et moi donc.

Les deux jeunes filles restèrent un moment couchées sur le dos sans rien dire ou faire. Il s'était passé tellement de choses en si peu de temps. Ruby ne savait toujours pas si elle pouvait vraiment faire confiance à Kile. Mais le jeune homme semblait dire la vérité et puis s'il avait voulu leur faire le moindre mal, il aurait déjà eu toutes les occasions possibles pour cela. Il les avait sans aucun doute aidés. Elle n'avait pas tellement d'autre choix. Il était le seul capable de leur donner des réponses à leurs questions.

Les Luminales... Elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. Levant les mains devant elle, elle murmura :

— Tu crois qu'il dit vrai ? Que je peux contrôler la lumière comme les Luminales ? Que j'en suis une ?

— Je repense à ce jour, lorsque ce Jaze est venu nous inspecter. Il a demandé si tu en étais vraiment une. Peut-être que c'est ce qu'il voulait dire ?

— Mais selon Kile, Jaze savait parfaitement que le camp renfermait des Luminales, c'était son idée. Alors pourquoi a-t-il douté lorsqu'il m'a vue ?

Eliane ne répondit pas. Signe qu'elle n'avait simplement pas de réponse à cette question. Elle se redressa alors et entreprit de prendre les affaires posées au pied de son lit.

— Luminales ou pas, peu importe. On reste dans la même équipe tous les trois.

Ruby lui sourit et l'imita. Ensemble, elles se dirigèrent vers les douches.

Elles ne croisèrent pas Oren en chemin mais en sortant des douches, elles tombèrent sur lui alors qu'il attendait dans le couloir avec un autre jeune homme. Ce dernier se décolla du mur à la seconde où il vit Ruby. Ses yeux verts écarquillés de stupeur, il la fixa. Ruby fronça les sourcils.

— Salut ? C'est toi le partenaire de chambre d'Oren ?

— Exactement, intervint l'intéressé. Je vous présente Maxence. Maxence, voici Eliane et...

— Ruby, le coupa le dénommé Maxence. Je t'aurais reconnue sans aucune hésitation.

La brune était de plus en plus perdue. Que voulait-il dire par là ?

— Est-ce qu'on... Est-ce qu'on se connait ?

Un sourire amusé se dessina sur les lèvres du jeune homme.

— Suis-je bête ! Tu n'avais que six ans, on a beaucoup changé tous les deux. Et puis on ne se voyait pas tellement à cette époque. Mais tu étais si mignonne !

Voyant qu'elle ne comprenait pas un mot de ce qu'il racontait, le jeune homme émit un léger rire.

— Pardon, je suis trop bavard, tout ce que je te dis ne doit pas avoir beaucoup de sens. Laisse-moi reprendre depuis le début. Je m'appelle Maxence Mallow. Ta mère et mon père sont frère et sœur. Je crois bien que ça fait de nous des cousins, tu ne crois pas ?

Ruby resta bouche bée un instant. Elle avait un cousin ? Elle sentait quelques souvenirs remonter dans sa mémoire mais chaque fois qu'elle tentait de s'y accrocher, le souvenir disparaissait. Elle avait beau chercher, elle ne se souvenait pas d'un quelconque cousin, même si elle savait au fond qu'il disait vrai.

— J'imagine, répondit-elle simplement. J'ai du mal à me souvenir, en réalité.

Sans prévenir, il la prit dans ses bras, la faisant sursauter.

— Ne t'inquiète pas, ce qui compte, c'est que tu sois saine et sauve. Quand tes parents te verront...

Ruby se décolla d'un coup, les yeux grands ouverts.

— Mes parents ? Ils sont ici ?

— Bien sûr ! s'amusa Maxence. Et ils ont hâte de te voir crois-moi. Depuis qu'ils savent que tu es ici, ils ne tiennent plus en place. Mais Antoine préférait que tu t'installes avant tout.

Sur ces mots, il lui fit signe de le suivre après avoir adressé un sourire et un signe de tête à Eliane et Oren.

— Vous pouvez venir aussi. Vous avez sûrement beaucoup de choses à raconter.

Les trois adolescents le suivirent dans le couloir jusqu'à la grande salle par laquelle ils étaient arrivés. Puis les amena devant une porte qu'il ouvrit après avoir frappé. À l'intérieur de la pièce, Ruby découvrit une longue table autour de laquelle de nombreuses personnes étaient assises. Elle n'en reconnut qu'une : Kile, assis nonchalamment, un sourire aux lèvres en les voyant entrer. Mais à peine la brune eut-elle fait un pas dans la pièce que deux personnes se ruèrent sur elle pour la prendre dans leurs bras sans qu'elle puisse réagir.

Elle sentit la femme trembler alors qu'elle la serrait plus fort contre elle. Ruby se laissa complètement faire, incapable de faire ou dire quoi que ce soit. La femme lui prit soudain le visage pour l'observer. Ruby sentit les larmes lui monter.

— Maman...

Avec un sourire à la fois soulagé et triste, la femme la serra de nouveau dans ses bras et cette fois, Ruby lui rendit son étreinte. Elle avait rêvé de ce moment tellement de fois. En cet instant, elle oublia tout le reste. Seules ces retrouvailles comptaient.