Chapitre 1 : Disparition
— Et toi Ruby ? Ruby ? Tu es avec nous ?
Oren avait haussé la voix, la faisant sursauter. Elle adressa un regard désolé à ses deux meilleurs amis.
— Désolée, je repensais juste à quelque chose. Tu disais ?
Le jeune homme lui adressa un sourire amusé avant de lui redemander ce qu'elle ferait si elle pouvait sortir du camp. Ce n'était pas la première fois qu'il lui posait cette question, et ce n'était certainement pas la dernière non plus.
— Je chercherai mes parents, bien-sûr.
— Alors tu penses qu'ils sont toujours en vie ? s'étonna Eliane.
— Je n'en doute pas. Il n'y a aucune chance pour qu'ils soient morts.
Elle leur adressa un regard anxieux.
— Mince, je ne pensais pas...
— T'inquiète, répondit Oren d'un ton léger. On n'est pas malheureux, n'est-ce pas ?
Il observa Eliane qui hocha la tête avec un sourire rassurant. Ruby en était soulagée. Ce n'était pas très délicat de sa part d'évoquer ce genre de choses alors même que ses deux amis avaient vu leurs parents mourir. Ruby savait qu'ils auraient, eux aussi, pu ne plus faire partie de ce monde. Ce qui les avait sauvés, c'était leur courage.
Oren avait douze ans quand son village avait connu le même genre d'attaque que celui de Ruby. Le jeune homme ne se souvenait pas de grand-chose. Seulement que lorsque les premiers cris s'étaient élevés, ses parents lui avaient ordonné à lui et son frère de se cacher. Le temps s'était comme arrêté d'après ses dires. Puis la porte du placard où ils se trouvaient s'était ouverte, dévoilant un homme en uniforme rouge, une arme étrange à la main. Oren était alors resté figé, ne sachant que faire, alors que son frère tremblait, le visage inondé de larmes.
L'homme avait pointé son arme sur son frère et en quelques secondes, Oren était le seul encore vivant dans le placard. N'importe qui aurait été terrifié. Mais Oren n'était pas n'importe qui. Il s'était levé, furieux, et dans un cri s'était jeté sur l'homme, le ruant de coups. L'homme s'était étrangement laissé faire un moment. Puis il lui avait rendu ses coups, sans jamais utiliser son arme. Oren était tombé sur le sol, tremblant de rage et de douleur. Il s'était attendu à ce que l'homme en finisse. Mais au lieu de cela, il l'avait entendu dire à l'un de ses camardes : « on l'emmène, il nous sera utile ». C'était ainsi qu'il s'était retrouvé à Arvak.
Pour Eliane, c'était une situation similaire. La blonde n'avait que neuf ans quand ses parents avaient été assassinés devant ses yeux de la même façon. Et comme Oren, elle s'était débattue et avait tenté ensuite de s'enfuir avant d'être rattrapée et emmenée au camp.
Ruby les admirait beaucoup tous les deux. Ils étaient sans conteste les plus forts du camp. Et pourtant chaque adolescent qui s'y trouvait était là parce que les hommes en rouge avaient vu une certaine force en eux. Ruby ne comprenait donc pas pourquoi elle s'y trouvait aussi. Lorsque les Rouges les avaient rattrapés, son oncle et elle, dans la forêt cette nuit-là, elle s'était laissé faire, terrifiée. Elle ne s'était pas battue.
Même si ces vingt-deux années passées à Arvak à s'entraîner l'avaient rendue forte, elle n'en restait pas moins la plus faible de tous.
— Il nous reste tout juste le temps de manger avant l'arrivée des Rouges, marmonna Eliane.
Les deux autres ne lui répondirent pas. Ils se contentèrent de se diriger vers l'immense maison qui leur servait de dortoir pour aller chercher quelque chose à manger. Sur le chemin, ils croisèrent certains de leurs amis qui se dirigeaient vers la zone d'entraînement.
Ruby trouvait l'organisation du camp étrange. Tous les jours, ils recevaient la visite des hommes rouges. Ceux-ci venaient avec des armes factices afin qu'ils s'entraînent à diverses choses. Ruby ne savait pas pourquoi ils faisaient ça. Mais ils ne pouvaient pas désobéir. Cependant, parfois, les Rouges étaient accompagnés d'un homme, toujours très élégant, l'allure hautaine. Ces fois-là, les Rouges n'amenaient aucune arme et ne leur faisaient faire aucun combat. Ils devaient se contenter d'attendre, debout en ligne, sans bouger.
Il se contentait de les observer pendant de longues minutes puis repartait, suivi des Rouges.
Ce jour-là était l'un de ces jours. Ruby et ses amis avaient rejoint la zone d'entraînement en vitesse de peur d'être en retard. L'immense porte au milieu du mur d'enceinte s'ouvrit alors pour laisser passer l'homme en costume, toujours entouré de ses gardes en uniformes Rouges. La trentaine d'adolescents se dépêcha de se mettre en ligne. Mais cette fois, plutôt que de les regarder de loin, l'homme s'approcha et les observa un à un de façon appuyée. Un air méprisant marquait son visage.
Lorsqu'il arriva devant Ruby, ses sourcils se froncèrent. Se tournant, il demanda à l'un des hommes Rouges :
— Êtes-vous sûrs que c'en est une ?
— Tout à fait sûrs, Monsieur Jaze. Ruby Mallow est la petite fille de Selina Mallow.
L'homme reporta son attention sur Ruby avec un air dégouté.
— Je vois... Je veux voir le directeur du camp tout de suite.
Les hommes s'empressèrent de l'emmener hors du camp, refermant la porte à double tour, et les laissant tous en ligne, perplexes.
Tous les regards se tournèrent vers Ruby alors que des murmures parcouraient les adolescents.
Ruby ne bougea pas d'un pouce, complètement perdue. Elle ne savait même pas qui était Selina. Sa grand-mère, d'après le garde. Mais en quoi était-ce important ? Est-ce que c'était la raison pour laquelle elle se trouvait là ? Et que voulait dire la réaction de cet homme, ce Monsieur Jaze ?
Ruby sentit une main se poser sur son épaule. Tournant la tête, elle découvrit sa meilleure amie.
— On devrait retourner au dortoir maintenant.
Ruby observa autour d'elle. Tous les autres avaient déjà commencé à partir. Il ne restait qu'elle dans ce qui était auparavant une longue file. Elle n'avait pas bougé depuis le départ de l'homme.
Ruby était soulagée que ses amis ne la questionnent pas à propos des paroles de Jaze. Elle n'aurait pas su leur répondre de toute façon.
— Je n'aime pas la manière dont il a dit « c'en est une », maugréa Oren sur le chemin. Comme si Ruby n'était pas comme nous et que n'étions rien d'autre qu'un phénomène de foire. On pourrait presque croire que nous ne sommes pas humains et qu'il n'était pas sûre que Ruby ne le soit pas non plus. Et cet air méprisant...
— Calme-toi, Oren, intervint Eliane. De toute façon, qu'est-ce que ça change à notre quotidien ? On n'a jamais su pourquoi on est là.
Ruby resta silencieuse. Toute cette histoire l'avait plus ébranlée qu'elle n'aurait voulu l'admettre. Cela faisait remonter en elle des souvenirs de son enfance avant sa vie au camp. Plus elle y pensait, plus elle était certaine d'avoir déjà entendu ce nom sans savoir où et quand.
— Bon assez parlé de tout ça ! lança Eliane en tournoyant devant eux, les faisant s'arrêter. Je vous rappelle que Jason prend trente ans demain. Il sera donc officiellement le premier du camp à être adulte ! Il faut fêter ça dignement ! J'en ai parlé avec Marina, on cuisinera des bonnes choses avec ce qu'on a en réserve. On ne reçoit les provisions que la semaine prochaine donc on a mis des choses de côté en prévision.
— C'est pour ça qu'on mange des trucs pas très élaborés depuis quelques jours ? l'accusa Oren. Merci pour les sandwichs tous les jours et la salade... J'espère que ça valait le coup de nous mettre tous au régime.
Eliane lui adressa un sourire faussement désolé et continua de leur parler de tout ce qu'elle avait prévu avec l'aide de Marina et Ian. Ruby l'écoutait distraitement, toujours aussi secouée.
Le lendemain, comme prévu, les trente adolescents se réunirent dans la pièce principale de leur dortoir pour fêter la majorité de leur camarade. Eliane et Marina avaient cuisiné une bonne partie de la journée et malheureusement pour Ruby, sa meilleure amie l'avait embarquée dans la cuisine également. La jeune fille n'était pas très douée. Eliane s'en était aperçue et lui avait juste pris le couteau des mains en lui disant qu'elle ne lui confierait que des tâches sans danger. Ruby n'avait pas su si elle devait lui en être reconnaissante, ou en être vexée.
Elle s'en était plutôt bien sortie quand même et en voyant tous les plats posés sur la grande table dont ceux qu'elle avait elle-même préparés, elle était plutôt fière d'elle. Elle n'avait plus qu'à espérer qu'elle n'empoisonnerait pas les autres.
Ils passèrent tous une excellente soirée, dans la joie et la bonne humeur, oubliant pendant un instant qu'ils étaient enfermés dans un camp à l'écart du reste du monde.
Ruby parvenait à ne pas trop repenser à l'incident de la veille avec Jaze. Même si ses pensées étaient en permanence tournées vers la fameuse Selina, elle réussit tout de même à penser à autre chose le temps d'une soirée et à profiter de ses amis.
Personne n'était venu la questionner à ce propos et elle en était reconnaissante. Elle ne savait déjà pas quoi en penser, elle aurait donc été incapable de leur donner une quelconque réponse.
Ruby observa un instant Jason au bout de la table. Sa main dans celle de Marina, il semblait aux anges et ne cessait de remercier tous ses amis pour cette attention. Ruby ne put s'empêcher de se demander si au fond, il n'était pas triste de célébrer sa majorité dans ce camp. Cela faisait donc vingt-trois ans qu'il était là. Il avait été l'un des premiers avec Marina et Lisy à se retrouver à Arvak. Ruby, elle, était arrivée l'année suivante. À cette époque, ils n'étaient que six. Au fil des ans, leur groupe s'était agrandi. Aujourd'hui, ils étaient trente-deux. Rick, le plus jeune, n'avait que quatorze ans.
Alors que la nuit avançait, certains allèrent se coucher et bientôt, ils n'étaient plus qu'une dizaine, les plus âgés. Ils restèrent longtemps à rire et à se remémorer des souvenirs des années passées ensemble. Ruby se rendit alors compte que cette situation, même si elle était loin d'être idéale, lui avait permis de rencontrer des gens géniaux qui étaient devenus, avec le temps, de véritables amis, dignes de confiance.
Finalement, après avoir souhaité une dernière fois un joyeux anniversaire à son camarade, Ruby rejoignit sa chambre et tomba sur son lit comme une pierre.
Lorsqu'elle se réveilla le lendemain matin, le dortoir était en effervescence. Avant même de croiser quelqu'un, Ruby sentit que quelque chose n'allait pas. En arrivant dans la salle commune, elle entendit d'abord des pleurs. Inquiète, elle rejoignit le petit groupe qui s'était réuni et trouva Marina, secouée de sanglots, le visage enfoui dans le creux de ses mains. Eliane et Lisy avaient passé un bras autour d'elle pour tenter de lui apporter du réconfort.
— Que se passe-t-il ?
Eliane leva les yeux en l'entendant. Murmurant quelque chose à Marina, elle se leva et prit Ruby à part.
— Il s'est passé un truc super grave.
— Je vois ça. Qu'est-il arrivé à Marina ? Elle s'est blessée ?
Eliane secoua la tête avant de murmurer :
— Ce n'est pas Marina.
— Mais alors...
— C'est Jason.
Ruby était de plus en plus perdue. Que se passait-il vraiment ? Voyant qu'elle s'impatientait, Eliane soupira.
— Ils ont dormi ensemble, mais lorsque Marina s'est réveillée, il... il avait disparu.
— Disparu ? Comment ça ? Vous avez fouillé le camp ?
La blonde hocha la tête.
— Les autres cherchent toujours. Mais il a tout simplement disparu. Marina n'a rien vu, rien entendu.
— Mais c'est complètement délirant ! Il doit forcément y avoir une explication !
Eliane haussa les épaules, pas plus informée.
Les jours qui suivirent, ils continuèrent de chercher Jason, en vain. Le jeune homme avait juste purement et simplement disparu sans laisser la moindre trace. Marina était inconsolable. Si bien que le mois suivant, alors qu'elle s'apprêtait à prendre trente ans à son tour, elle demanda à ce qu'on ne lui fête pas son anniversaire. Elle préféra rester seule dans sa chambre. Ruby, Eliane, Lisy et les autres avaient tenté de la convaincre de passer la soirée avec elles pour lui faire penser à autre chose. Mais la jeune fille refusa toutes leurs tentatives. Elles durent se résoudre à la laisser tranquille, en espérant qu'elle se sentirait mieux le lendemain.
Cependant, rien ne les avait préparées à ce qui les attendait.
En se levant le matin, Eliane avait voulu rendre visite à Marina dans sa chambre. De nouveau une vague de peur avait secoué le dortoir.
Marina avait également disparu...
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