- Tourne à gauche, m'indiqua Nick, parfait, nous y sommes.

Il leva un sourcil à la vue de la ruelle sale et miteuse, empestant les égouts nous faisant face.

- Ou peut-être pas finalement.

- Elle habite vraiment dans ce taudis? s'étonna Shikamaru avec une moue dégoûtée.

- ça pourrait être pire, lui rétorqua Nick en s'extirpant de notre voiture de location. Ce quartier-ci de New York est particulièrement réputé pour n'être qu'un trou à rats, mais il n'a pas encore touché le fond.

- Sympathique, marmonnai-je. Tu es sûr que c'est ici?

- Certain, me répondit-il. Les instructions de Blue étaient très précises.

- Elle n'a vraiment pas bien prit le fait qu'on l'ai laissée derrière hein?

- N'en parlons pas, cela m'évitera de penser à ce qu'elle nous concoctera comme vengeance.

- Je me demande qui est Espéranza, se demanda Shikamaru.

Je me posais bien la même question.

***

J'aimerais que vous protégiez quelqu'un.

Son nom est Espéranza Vanozza. Elle habite dans un quartier miteux pas loin de long Island. Elle risque cependant de ne pas être à son domicile. Demandez plus d'informations à Blue, elle sait de qui il s'agit et de quoi il en retourne. Une fois que vous l'aurez trouvée, je ne vous demande qu'une chose: mettez la en sécurité. Je me fiche d'où vous la conduirez, faites la changer d'état si ça vous chante, mais faites- la quitter New York. Elle est quelqu'un de... d'important à mes yeux. S'il lui arrive quoi que ce soit, si vous essayez de l'utiliser à quelques fins politiques, je n'hésiterais pas à rompre tout contrat avec la Défense. Je vous déclarerais la guerre et soyez certains qu'aucun pare-feu ni protection n'arrivera à m'arrêter. Je trouverais vos données les plus sécurisées, vos secrets les plus compromettants et les jetterais à la face du monde en quelques clics.

Je frissonnais. Nul doute que ce n'était pas Red qui parlait en ce moment, mais ROUGE. Quelqu'un d'impitoyable, de fort, de cruel même. Puis quelques chose se brisa dans sa voix.

Je ferais ce que vous voulez, mais, s'il vous plaît, protégez-la!

Ce fut le tremblement de sa voix, la faiblesse la plus secrète de Red, qui me donna la force d'imposer mes décisions à mes supérieurs.

Je ne le savais pas, mais Rebecca venait, pour la seconde fois de m'ouvrir la porte du passé de Red.

***

Je fixai le numéro, à moitié effacé, inscrit sur la porte. Le voisin de palier eut un mouvement de recul, lorsque, sortant de son appartement, il nous vit tous les trois rassemblés sur le paillasson. Il nous examina de haut en bas, un air renfrogné peint sur le visage.

- Je sais pas ce que vous avez à voir avec l'autre camée, mais dites-lui d'aller sniffer ses cochonneries ailleurs. Ses hurlements empêchent les enfants de dormir.

Et, sans autre forme de procès, il s'en fut. Les sourcils de Shikamaru s'étaient levés si haut que je m'attendais à les voir disparaître sous ses cheveux d'un moment à l'autre.

- Il...vient de nous prendre pour des dealers, articula-t-il difficilement.

- Plutôt pour des maffieux je pense, fit Nick en se caressant la mâchoire. La maffia chinoise possède une branche plutôt développée à New York. N'y accorde pas trop d'importance. Tu aurais été roux avec un costard avec un air un peu européen qu'on t'aurait prit pour un irlandais.

- Quel cliché! me moquai-je.

- Premier qui me soit venu à l'esprit, tu crois qu'on devrais toquer?

Je haussai les épaules, mais m'exécutai tout de même. On ne savait jamais. Un gémissement rauque me répondit. Nous échangeâmes un regard.

Nick s'éclaircit la gorge.

- Nous venons de la part du patron. Impayés.

J'écarquillais les yeux. Il n'était pas en train de... Si.

- Nick! sifflai-je furieux, c'est...

- Chht, fit-il en mettant un doigt sur ses lèvres. Tu as vu la réaction du type tout à l'heure? Si cette nana a des problèmes avec la maffia, ce genre de phrase ne devrais pas la laisser indifférente. Je parle d'expérience.

Nous attendîmes quelques minutes en silence, puis je vis Nick reculer, jaugeant la porte du regard. Je l'observai d'un air soupçonneux, secouant lentement la tête de gauche à droite.

- Tu n'oserais pas... Nick...

D'un coup de pied phénoménal, il défonça littéralement la porte. Il examina le trou, un peu embêté.

- Mince, je ne pensais vraiment pas que j'allais la casser.

- C'est malin, grogna Shikamaru, ça va nous faire des frais en plus.

- Qui parle de frais? rétorqua-t-il en agrandissant le trou à coups de pieds.

- Je commence à comprendre comment tu as pu devenir yakuza, marmonnai-je.

L'intérieur de appartement était immonde. De la nourriture moisie traînait sur un bar qui avait connu des jours meilleurs, les volets clos conféraient à la pièce une atmosphère suffocante, renforcée par l'odeur de renfermé, où se mêlaient d'autres douces fragrances, telles que la sueur, l'alcool et de la... drogue?!

Nick émit un sifflement.

- Je suis toujours partant pour aider Red, mais je ne pensais vraiment pas qu'elle nous conduirait tout droit à un repère de camés.

- Je...

- Z'êtes qui?

Un type, grand, l'air passablement abruti, les regardait d'un air de vache, la bouche légèrement entrouverte.

- Des gens sympas qui veulent savoir où est Espéranza.

Il se gratta le ventre. Ok, ça commençait bien. J'étais prêt à lui poser une autre question lorsqu'il sembla enfin percuter. Ses yeux s'écarquillèrent et j'eus le déplaisir de voir de la peur dans son regard.

- Je... je vais la chercher...je... bougez pas!

Et il s'en fut, titubant et se heurtant à des meubles dans sa précipitation.

- Pathétique.

Le ton sec de Nick me surpris. Je ne voyais pas bien dans la pénombre, mais j'aurais juré voir un air dégoûté peint sur son visage. Cela ne lui ressemblait pas.

- Encore un qui nous prend pour des maffieux, grinça Shikamaru, ça commence à me fatiguer sérieusement. La prochaine fois je lui montre ma plaque.

- Fait comme tu veux, moi, j'ai pas l'intention d'attendre qu'elle se barre en apprenant que trois supposés maffieux sont dans son salon.

Sans plus s'embêter, Nick traversa le salon à grands pas. Je me dépêchai de le suivre avant qu'il ne fasse une bêtise. Il s'arrêta si brusquement que je failli lui rentrer dedans.

- Que...

- Je crois qu'on a trouvé Espéranza.

Le tableau n'était vraiment pas beau à voir. J'avais croisé quelques drogués au court de ma vie, mais celle la atteignait des sommets. Maigre, elle aurait put être très belle, du même style de beauté que Red. Mais la drogue, les années, la vie, sûrement la haine, avaient eut raison d'elle. Ses traits émaciés et son corps ravagé me révulsèrent proprement, mais pas autant que ses yeux. Ses yeux... injectés de sang, les pupilles dilatées l'air fou, mais plus que tout, plein de mépris. Cette fille était au-dessus du monde, du moins elle le croyait. C'était comme si à tout moment, elle allait vous cracher dessus, vous faire exploser sa suffisance au visage.

Elle me déplut profondément.

- Vzzetese'e qchwiii?

- Ok, murmura Shikamaru, c'est pas gagné.

Nick souffla, déjà agacé.

- Vous savez quoi, on l'embarque!

- Attends! le retins-je. On ne peux pas faire ça. Nous n'avons pas l'autorité légale pour...

- Redescend sur terre Kyô, elle n'acceptera jamais de nous suivre! On est dans un quartier à problème ici, la police a bien autre chose à faire que d'enquêter sur le départ brutal d'une droguée, et je dirais même que ça leur est plutôt indifférent! Son coloc nous prend pour des maffieux, et s'il leur raconte ça, crois-moi, ils ne s'amuseront pas à nous chercher des noises. De plus, vu le taux de drogue qu'il semble lui aussi avoir dans le sang, il sera bien en peine de nous identifier, et les policiers seront plus intéressés par son cas que ses délires de camé!

Je n'eut même pas le temps de protester qu'il empoignait le poignet de la femme.

- Tu es bien Espéranza? Nous sommes des amis de Red.

Il n'aurait peut-être pas dû prononcer son nom. Elle commença a hurler, s'agitant dans tous les sens, crachant des mots qui n'avaient aucun sens.

- Bon sang quelqu'un pourrait pas la calmer?!

Un dictionnaire d'espagnol fit un magnifique vol plané et percuta la tempe d'Espéranza avec un bruit sourd. Vaincue, la furie glissa à terre.

- Je ne sais pas si c'est ce que tu voulais, claironna une voix en anglais, mais tant pis!

- Gretchen!

La norvégienne s'avança, un grand sourire sur les lèvres, une large veste militaire sur les épaules, assortie de son éternelle casquette verte. Elle ne ressemblait en rien à la fille dévastée qui était sortie de prison des semaines auparavant. Cependant, au fond de regard, je distinguai une faille, béante, cicatrice qui ne guérirait plus jamais. On avait ouvert ses blessure une fois de trop. Cela mettrait du temps à se refermer.

- Ne t'inquiète pas, rigola Nick, c'était parfait, exactement ce que je voulais!

- Qu'est-ce que tu fais là?

- Du repérage, indiqua une voix grave à l'accent roulant que je ne reconnut pas.

A mes côtés, Shikamaru ouvrit de grands yeux, alors que tout son corps se crispait.

- Aïsha?

Il y eut un grand bruit, et une tête brune apparut précipitamment dans l'embrasure de la porte. Je retins un hoquet de surprise. Le visage de la nouvelle venue était à moitié recouvert d'un étrange tatouage de style oriental.

Crimson Sky, devinai-je.

Ou bien plus, vu le regard pétrifié de Shikamaru. J'observai la nouvelle venue, puis de nouveau mon ami.

- Arabie Saoudite?

Shikamaru émit un rire étranglé.

- Tues-moi, enterres-moi, fais quelque chose mais dit moi que ce n'est pas réel.

- ça, murmurai-je, ça va pas être possible...

- On va poser les règles tout de suite, coupa Sky d'une voix dure. Le prochain qui émet un mot en japonais, je lui tire une balle dans le crâne, c'est clair? Nous n'avons pas le temps pour vos complots stupides.

- Si tu savais de quoi ils parlaient, ricana Nick.

- Tais-toi.

Sky avait la voix grave et dure de ceux à qui on obéit, aussi Nick obtempéra immédiatement. Ceci dit, elle avait l'air suffisamment remontée pour mettre ses menaces à exécution.

Sans ménagement, elle donna un grand coup de pied dans les côtes d'Espéranza.

- Debout!

- Eh soyez un peu plus délicate!

Sky me jeta un regard noir.

- Tu veux que je sois délicate? Considère ce que je viens de faire comme extrêmement poli de ma part. Crois-moi, cette charogne mérite bien plus qu'un simple coup de pied.

Nick jeta un regard interrogateur à Gretchen qui haussa les épaules, un regard froid en direction de ladite charogne.

- Je ne déteste pas beaucoup de monde, mais je dois avouer que celle-la, je peux pas la blairer.

- Red nous a demandé de la protéger.

Sky émit un bruit de dégoût.

- ça ne m'étonne pas d'elle. Elle se traîne ce boulet depuis des années, ce n'est pas maintenant que ça va changer.

Espéranza gémit. Sans ménagement, Sky l'attrapa par un bras, et la souleva, tentant de la mettre debout. Elle abandonna au bout de quelques secondes, après qu'il soit devenu évident qu'elle ne tiendrait jamais sur ses deux jambes.

- A qui es-tu redevable cette fois? Chinois, irlandais? Alessio m'a dit que ce n'était pas les italiens.

- Je ne parle pas aux traînées dans ton genre, articula pâteusement Espéranza, une lueur de dédain dans le regard.

Pour faire bonne mesure, elle lui cracha, ou tenta de lui cracher dessus. Malheureusement, elle était si abrutie par la drogue qu'elle ne réussit qu'à se baver sur le menton.

Sky lui jeta un regard méprisant.

- Pitoyable.

Espéranza ne vit pas le coup de pied venir. Elle se plia en deux de douleur, tentant vainement de retrouver son souffle. Sky s'accroupit à ses côtés, sortant un petit sachet de poudre blanche de sa poche.

- Puisqu'il n'y a que ça qui t'intéresse, la traînée va passer un marché avec toi. Tu vois, ça, ce sont tes deux prochaines doses quotidiennes, et tu sais quoi? Je te les donne gratuitement, tu n'auras absolument rien a payer. Mais d'abord, je veux que tu me dise envers quel groupe tu t'es endettée.

L'expression de la jeune femme avait changé du tout au tout quand elle avait vu le sachet. ses yeux s'étaient allumés d'une lueur de convoitise, et je sentis qu'elle n'allais pas hésiter longtemps. Presque instinctivement, elle tendit la main. Sky retira brusquement le sachet hors de sa portée.

- Les noms, exigea-t-elle froidement.

Si Espéranza n'avait pas été aussi obnubilée par la drogue, elle aurait clairement pu distinguer les dégoût dont suintait la voix de Sky.

- Tian Lou. C'est à lui que je dois de l'argent.

- Quelle somme?

- Entre dix et quinze mille dollars.

Nick émit un sifflement.

- Je sais que la drogue n'est pas bon marché, murmura-t-il, mais quand même, ça fait beaucoup d'impayés. ça m'étonne qu'ils ne l'aient pas jetée à la flotte avant.

- Cette pourriture est très douée pour se cacher, cracha Sky sans détourner les yeux de sa victime. De plus, Tian Lou sait que peux importe le chiffre, Red sera toujours là pour payer, par tous les moyens possibles.

Nick émit une exclamation étouffée. Je regardais son visage choqué sans comprendre. Sky émit un rire sarcastique.

- La GGT n'est pas pauvre, mais ce n'est parfois pas suffisant, et c'est alors le seul moyen qu'il reste.

J'eus soudain la très nette envie de me pointer chez ce Tian Lou et de lui ravaler la face à coups de poings.

- Au moins un point sur lequel on est d'accord, marmonna Sky en se redressant.

Espéranza s'agrippa soudainement à son pantalon, le regard fiévreux.

- Donne!

Un sourire cruel se dessina sur les lèvres de l'orientale.

- Non.

D'une secousse, elle lui fit lâcher prise et s'éloigna tranquillement. Un flot de jurons en espagnol se déversa de la bouche d'Espéranza. Sky s'arrêta dans l'embrasure de la porte, secouant le doigts d'un air moralisateur.

- Allons allons, que dirait ta mère si elle t'entendait.

Espéranza ouvrit de grands yeux, semblant accuser le coup. Sky sourit de plus belle.

- Je sais, c'est un coup bas. Mais, souviens toi chérie:

Elle se pencha d'un air de confidence.

- Je suis une traînée.

Elle éclata d'un rire mauvais et se détourna.

- Attends! la retins Shikamaru.

- Je n'ai pas le temps Aru.

Je sursautai. Sky venait d'utiliser le nom de code qu'on avait attribué à Shikamaru lors de sa mission en Arabie. Je savais qu'il le portait en horreur. Mais c'était un professionnel après tout. Il ne se laissa pas démonter.

- Quoi que tu crois, oublies-le. Je veux simplement te demander une faveur. Nous avons un contrat avec Red. Nous aimerions juste nous assurer qu'elle va bien. Je te demande juste d'attendre que nous ayons emmené Espéranza en lieu sûr.

- Il sera déjà trop tard! Si nous voulons l'aider, c'est maintenant. Nous n'avons déjà que trop perdu de temps.

- Laisse nous juste l'endormir! intervint Nick. On la laissera dans la voiture pour l'instant.

Sans plus lui laisser le temps de protester, il s'avança résolument vers Espéranza. Elle ne put même pas faire un geste. Il appliqua une poussée vigoureuse sur ses points de pressions et sa tête s'affaissa sur le côté. Il la chargea sur une épaule.

- En route!