Chapitre 20: Anna Mozzarella
Nick
Je poussai un long sifflement, m'attirant le regard courroucé de plusieurs personnes autour.
- Mais c'est qu'ils ne font pas les choses à moitié tous les deux, murmurai-je, avec un petit rire, tandis qu'Amitroff refermait la porte menant au balcon, conférant ainsi un peu d'intimité aux deux tourtereaux.
- Kyô va découper Red en petits morceaux après ça, remarqua Violet.
- Tu rigoles?! Rétorquai-je, il est ravi! Tu as vu comment il la regarde depuis le début de la soirée? Crois-moi, elle vient de la propulser au septième ciel.
Nous pouffâmes en silence. Des bulles de rie pétillant encore dans les yeux, Violet poursuivit.
- Quoiqu'il en soit, je ne m'attendais pas à ce qu'il soit aussi...protecteur.
- C'est parce que Red joue très bien son rôle, lui répondis-je doctement. Le personnage de Rebecca donne instinctivement le besoin de la protéger. Je le ressens moi aussi, alors que je sais très bien qu'elle est capable de se débrouiller seule.
Violet hocha négativement de la tête.
- Je ne suis pas sûre que ce ne soit que ça. Kyô est intelligent, et il aura suivi le même raisonnement que toi. Ce n'est pas un aussi bon acteur que Red, c'est le genre de personne qui ressent tout de manière personnelle. S'il ne mélangeait pas la vraie Red et le personnage qu'elle joue, il ne serait pas capable d'afficher une telle expression.
- Attends, tu veux dire que Kyô aurait des...sentiments?! Pour Red? Rétorquai-je, incrédule. C'est totalement impossible! Ils sont bien trop différents.
- Rien n'est moins sûr. Tu as vu comment il était naturel pour lui de la prendre dans ses bras, de lui sourire. Sans parler de comment il réagi lorsqu'elle s'est précipitée dans ses bras et l'a embrassé tout à l'heure!
- Comment t'arrive à percevoir tout ça toi? lui demandais-je, éberlué par tant de spéculation.
- Intuition féminine, rétorqua-t-elle avec un clin d'oeil.
- Qu'est-ce qu'il faut pas entendre! râlai-je
Elle me souriait, une chose rare en soi, quand sa soeur surgit brusquement devant nous.
- Ouf, vous voilà, je n'en peux plus! Vous êtes décidément de loin les personnes les plus fréquentables de cette soirée.
- Même si on parle de psychopathes et de loups qui se font égorger sur des autels sacrificiels pour le dieu de la lune? relevais-je.
Elle secoua la tête.
- Ce sera toujours mieux que d'entendre lady Pamplemousse discourir sur l'élevage des Yorkshire!
- Quelle horreur! s'exclama ironiquement Violet.
- Je n'ai jamais compris comment on pouvait supporter ces bestioles. A chaque fois que j'en vois un, j'ai une irrépressible envie de jouer au foot avec, déclarai-je d'un ton cynique.
- Nick! s'écria Violet, tandis que sa soeur étouffai un rire.
Cependant, Nynna déchanta très vite lorsqu'elle s'entendit appeler.
- Oh mon dieu, c'est lady Pamplemousse!
Violet plissa les yeux et grimaça.
- Ouch, vieille fille casse-pied en vue! Je comprends pourquoi tu étais aussi terrifiée maintenant. Je te souhaite bonne chance, sincèrement.
- Oh mais c'est à toi qu'il faut le dire, rétorqua Nynna, avec un sourire déterminé, parce que tu m'accompagne!
- QUOI?!
- S'il-te-plaît Anna..., supplia sa soeur avec de grands yeux tristes, ne me laisse pas toute seule avec elle.
Je grimaçai. Je détestais ce nom de code. Trop de mauvais souvenirs y étaient attachés, me ramenant à une époque que je n'aspirais qu'à oublier. Violet soupira et tourna un regard désespéré dans ma direction.
- A l'aide, quémanda-t-elle.
- Même pas pour tout l'or du monde! répliqua-je en riant.
- Je vais t'étriper! marmonna-t-elle.
- Allons, c'est comme ça que tu parles à ton futur mari? La taquinai-je avec un sourire charmeur.
Elle me donna une petite tape sur la poitrine.
- Il faut bien que je te mate un peu!
Mais notre piètre tentative d'écarter Nynna de son objectif fut vaine.
- Eh bien puisque tout est réglé, nous pouvons y aller maintenant, dit-elle en prenant le bras de sa soeur, l'entraînant de force dans son sillage.
Violet me lança un dernier regard désespéré, puis disparu dans la foule. Je souris, tout en portant mon verre à mes lèvres. La soirée était plus divertissante que prévu, même si je soupçonnais que mes compagnons y étaient pour beaucoup. Je constatai, étonné, que lorsque toute cette affaire serait terminée, ils allaient me manquer. Mais bon, j'avais toujours Jarvis.
- Cela faisait longtemps que nous n'avions pas vu les soeurs Mozzarella.
- Excusez-moi?
Une vielle dame d'apparence respectable et couverte de bijoux se tenait à mes côtés. Elle tenait tout de la commère en soirée, songeai-je. La dame fit un petit mouvement de tête agacé.
- Vous êtes bien le compagnon d'Anna Mozzarella?
- En effet, à qui ai-je l'honneur?
- Lady Cranberries, enchantée.
Mon dieu mais ils ont tous des noms de bouffe ici!
Lady Cranberries, comme je m'en doutais, commença vite à caqueter sur le sujet.
- Cela faisait des années qu'Anna n'était pas parue dans le beau monde. Elle était mannequin dans ses jeunes années n'est-ce pas?
Je mis quelques instants à comprendre que c'était à moi qu'elle s'adressait.
- Je suppose, répondis-je prudemment, elle n'aime pas beaucoup parler de cette période-ci.
- Vraiment? S'étonna lady Cranberries, une lueur de curiosité s'allumant dans son regard. remarquez, cela n'a rien d'étonnant, quand on sait ce qui s'est passé.
Elle avait voulu capter mon intérêt, et y était parvenue à merveille.
- Je crains de ne pas bien vous suivre madame, dis-je en fronçant les sourcils.
- Et bien, c'est à cette époque qu'elles ont perdu leur soeur, me répondit-elle, sans aucun tact. la famille n'a plus jamais été pareille après. Leur mère était sous anti-dépresseurs, puis à finit par se suicider. Leur père n'a pas vraiment eut plus de chance. Il travaillait dans les finances voyez-vous? Son entreprise a coulé, puis on l'a retrouvé assassiné dans une poubelle. C'est grâce à la famille Mozzarella qu'elles ont survécu.
- Attendez une seconde, l'interrompis-je, la gorge soudain nouée, je croyais que les Mozzarella étaient leur famille biologique.
- Non, bien sûr que non! Je ne me souviens plus exactement de leur nom exact, mais Nynna et Anna ont été adoptées. Le choix ne Mr Mozzarella n'a d'ailleurs pas manqué de susciter l'incompréhension, les deux petites étant déjà en âge de travailler seules, et le passé de mannequin d'Anna lui offrant une infinité de possibles. Peut-être les a-t-il prit en pitié? Nul ne le sait.
- Mrs Cranberries, demandais-je, mon envie de vomir augmentant à chaque mot, pourriez-vous m'en dire plus sur...l'accident?
J'avais l'impression que je lui avait offert noël avant l'heure.
- Oh, c'était une bien sordide affaire, croyez-moi, gloussa-t-elle, toute frétillante, en me glissant un clin d'oeil complice qui me donna la nausée. Leur père semblait avoir eu quelques démêlées avec la maffia étrangère. Ils s'en sont prit aux petites. Elles l'évoquent rarement, mais c'est là que les trois soeurs se sont réduites à deux. Elle est morte d'une balle en pleine tête. C'est affreux n'est-ce pas? Les rumeurs parlent aussi de viol, et même de séquestration.
Ces détails croustillants semblaient la régaler. J'avais envie de hurler. La vieille chouette fronça les sourcils.
- Vous êtes blanc comme un linge. Je vous préviens, ne vous avisez pas de vous évanouir dans mes bras!
Aucune chance, tant qu'à faire, je choisirais quelqu'un qui aurait au moins la décence de me mettre en PLS!
- La dernière soeur... Comment s'appelait-elle?
J'eus moi-même du mal à reconnaître ma voix. Mrs Cranberries fronça les sourcils.
- Je crois qu'elle s'appelait Lyn. Oui, c'est ça, Lyn. Dites mon garçon, êtes vous vraiment sûr de vous sentir bien?
- Excusez-moi.
Et je la plantai là. Fébrile, je fendit la foule, écartant sans retenue toute personne susceptible de se trouver sur mon passage. Je surgit comme un ouragan au milieu de la passionnante conversation se déroulant entre Nynna, Violet et un groupe de vieilles dames. Je me saisi du bras de la jeune femme.
- Nynna, il faut que je te parle.
- Nickolas, nous sommes en pleine conversation, tu...
- Tout de suite!
Effrayée par le ton de ma voix, elle recula. Sans plus de manière je l'arrachai au groupe et me dirigeai vers une sortie. Inquiète pour sa soeur, Violet tenta de s'interposer. Je ne lui laissai même pas le temps de proféré une seule parole.
- Écarte toi de là, je dois parler à Nynna, seul à seule.
- Nick...
- Je ne me répéterai pas deux fois, Anna!
Le prénom, prononcé avec hargne, atteint sa cible. Peinée, Violet s'écarta.
J'avançais comme dans un brouillard, ne faisant presque plus attention au monde autour de moi. Je me répétais sans cesse, comme une litanie infernale: Non, faites que ce ne sois pas elle. Faites que je me trompe, s'il-vous plaît... Mon univers se réduisait à cette seule angoisse, cette agonie lente et dévorante. Je suffoquais, luttant contre les souvenirs, contre la vague noire de mon passé, qui m'aspirait à chaque pas m'éloignant de la foule. Je souffrais.
Nous finîmes par atteindre une pièce vide. Je la relâchai ma poigne, et Nynna se libéra.
- Vas-tu enfin me dire pourquoi tu m'as entraînée ici? Tu ne vis peut-être pas dans ce monde, mais moi, si. ça va jaser à mon retour, tu...
- Quel est ton nom de jeune fille?
- Pardon?
- Répond!
- Je suis Nynna Mozzarella, tout le monde le sais, rétorqua-t-elle, agacée. Maintenant je...
- Ne me sers pas les mensonges que tu racontes aux autres! crachais-je. Je veux ton vrai nom, le nom de ton père biologique.
- Nick tu déraille! répliqua-t-elle d'une voix sèche. J'ai toujours été...
- NE MENS PAS! Hurlais-je. Je veux ton vrai nom, je veux le nom de ta soeur, je veux le nom de Lyn!
Elle recula, comme frappée par la foudre.
- Comment es-tu...?
- Comment je sais n'a pas d'importance, sifflais-je. Je veux ton nom!
- Mon nom est Mozzarella, s'écria-t-elle. Qu'est-ce qui te prends à la fin?!
- C'est faux! rétorquai-je, la voix brûlante de rage, tu t'appelle Nynna Galbalena, et tu as vu ta soeur Lyn se faire abattre de tes propres yeux!
- Je... je...
- Tu l'as oublié ça aussi?! Lui criai-je, hors de moi. Tu as oublié que c'est elle qui a tenté de te protéger, pendant que toi tu étais incapable de faire le moindre mouvement!
Nynna recula, effrayée, la tête entre les mains. Le spectacle de son refus du passé, d'accepter sa vérité, était pitoyable. Les larmes de petite fille incrédule, refusant que le monde ne marche pas comme elle le veuille, l'était tout autant. A cet instant, je la haïssais, haïssait ses blessures, propre reflet des miennes. Mais, contrairement à elle, je n'avais pas oublié pas. Il ne se passait pas un matin sans que je me lève, emplit des souvenirs de cette soirée. Sans que ne revoie la balle traverser le front de Lyn comme si elle était une vulgaire poupée de chiffon. Sans que ne me souvienne de son air terrorisé, de la respiration saccadée de Nynna. Sans que le regard torve d'Akito ne me hante, que les cris de détresse d'Anna emplissent mon crâne de milles échos.
- Tu n'as pas le droit d'oublier! hurlais-je, comme possédé, tu n'as pas le droit de renier sa mort! Tu ne peux pas effacer Lyn de ta mémoire comme ça!
Je remuai, et la lumière de la lune plongea mon visage dans les ténèbres. Et, mon regard ainsi plongé dans l'ombre, je put voir Nynna se noyer dans la noirceur hurlante de mes pupilles, cette fenêtre ouverte sur mon passé, son passé. Je me débattais dans ce tourment sans fin, cet enfer d'ombre et de cris. Dans cette partie de moi que je ne pourrait jamais effacer.
Puis soudain, elle s'approcha et posa sa main sur ma joue. Les pupilles dilatées, elle murmura.
- Je n'ai rien effacé Nick, murmura-t-elle, la voix brisée.
Elle eut un petit rire tremblotant, sans joie. Un rire amer.
- Même avec tous les efforts du monde, je ne parviendrai jamais à oublier ces larmes... Les tiennes...
C'est alors qu'étonné, je découvrit mon visage baigné de pleurs. Baigné d'une pluie familière...
- C'était toi, continua-t-elle.
- Je suis désolé...
- Je sais. Je l'ai toujours su, me chuchota-t-elle, tout en me serrant dans ses bras.
Soudain la porte s'ouvrit et Violet entra.
- Ah, vous êtes là...
Elle ne put jamais terminer sa phrase. A la vitesse de l'éclair, je dégainai mon revolver et lui tirai une balle dans la tête.
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