S'il y avait bien une chose que je détestais plus que tout, c'était porter un smoking. Le nœud papillon m'irritait, et je détestais porter des vestes qui, même bien ajustées, m'entravaient les mouvements.

- Arrête de t'agiter comme ça tu veux?

La voix agacée de Red me fit sursauter.

- Je déteste les costumes, grommelais-je.

- Ce n'est que pour une soirée, ne fait pas ton enfant!

Je me retint de lui répondre vertement. Depuis que nous étions arrivés à Moscou, elle était d'une humeur massacrante, répondant à coup de phrases cinglantes et coupantes à quiconque ayant l'audace de lui parler. Même Nick, avec qui elle s'entendait pourtant plutôt bien, n'échappait pas à la règle. Je regardais la lumière défilante des lampadaires éclairer brièvement son visage.

Assise dans un coin de la limousine, enveloppée dans un grand manteau noir, Red paraissait beaucoup plus âgée. C'était comme si tous les jours que nous avions passé ensemble, où j'avais appris à accepter, et même apprécier, son caractère étrange et ses petites bizarreries, ne s'étaient jamais passé. J'avais sous les yeux une étrangère, froide, pourtant prête à jouer les amantes transies.

Je ne l'avouerais jamais mais, à cet instant, elle m'impressionna.

La limousine (de location, malgré les râlements de Red qui aurait adoré en acheter une pour de vrai), s'arrêta enfin. On nous ouvrit la porte, et la villa d'Amitroff nous apparut. ça me faisait mal de l'admettre, mais il avait bon goût, si on aimait le style ancien château russe modernisé. L'architecture, mêlant sculptures de pierres et structures métalliques rehaussées de verre, était éclairée par une lumière diffuse, conférant à l'endroit une atmosphère féerique, teintée de romantisme. A mes côtés, Red grinça des dents.

- Ben ça paye bien le trafic humain! Je me demande bien à quoi va lui servir l'argent de la vente d'organes. Ce serait con qu'il soit obligé de le dépenser son trop-plein de fric pour la bonne cause! persifla-t-elle tout bas.

- Red!

- Quoi?! rétorqua-t-elle d'un ton agressif, tu vas pas me dire que tu es d'accord avec la manière d'agir de ce type!

- Là n'est pas la question. On est là pour le coincer, et si tu fais ta mauvaise tête, tu vas complètement faire échouer notre plan!

- Très bien, soupira-t-elle, allons-y, mon amour.

Ce fut à mon tour de grimacer. Cette comédie me fatiguait d'avance. Un portier nous souhaita la bienvenue, tout en nous retirant nos manteaux. Je restais bouche bée. Bien qu'elle nous ait traîné dans toutes les boutiques de luxe qu'elle avait put trouver pour dénicher notre costume, Red avait catégoriquement refusé de nous laisser voir quelle tenue elle porterait. Lorsque Violet avait eut l'audace d'émettre un commentaire, elle avait simplement rétorqué: "je sais ce que je fais". Rien d'autre, et personne n'avait réussi à lui soutirer quoi que ce soit.

Je savais que, si elle ne nous disait rien, c'était pour faire plus grande impression. Je ne m'étais cependant pas préparé à ce qu'elle sois aussi... lumineuse. Pas au sens "ampoule" du terme, mais dans la mesure ou elle... rayonnait. Elle n'était pas canon, sexy, ou femme fatale. Non, c'était bien plus que ça. Dans l'embrasure de la porte, sa silhouette se découpant dans la douce lumière environnante, avec son menton levé et son air triste et digne à la fois, elle était désirable. Tellement que, moi, qui n'avais jamais manifesté un quelconque intérêt à son encontre, je devais réprimer le soudain sentiment de possession qui m'envahissait. Puis elle tourna son regard vers le mien. Elle me sourit, et aussitôt, des étincelles de joies illuminèrent ses prunelles, pétillantes d'un millions de paillettes. De paillettes de tendresse. Je du me concentrer très fort pour me rappeler que ce n'était pas elle qui me regardait, mais la fiancée transie dont elle tenait le rôle. Un léger coup de coude me percuta les côtes.

- Ferme la bouche, ton air niais va finir par me donner la gerbe!

Nick, toujours insortable malgré son air bourgeois, me fit un sourire en coin.

- Tu commence à apprécier ton rôle tout à coup?

- Arrêtes de dire n'importe quoi! m'insurgeai-je, maudissant la rougeur qui envahissait mes joues.

- Ceci dit, je ne me doutais pas qu'elle me paraîtrait un jour aussi attrayante, m'ignora Nick.

- Tout est dans l'attitude, et Red en change comme de chemise, intervînt Violet en surgissant aux côtés de Nick. C'est vraiment une bonne comédienne.

Un petit sifflement admiratif retentit et Red s'approcha.

- Waouh, tu es magnifique Anna!

Violet se raidit : Anna était le nom provisoire dont on l'avait affublée, et elle semblait le prendre très mal. Il était clair que quelle que soit la rancune qu'elle tenait à ce prénom, elle était tenace, puisqu'elle le détestait viscéralement.

Pour le moment sanglée dans un fourreau blanc faisant ressortir ses yeux anthracites, elle était d'une beauté à couper le souffle. Des mèches blondes, soigneusement coiffées en boucles lâches, encadraient joliment son délicat visage, tandis que la masse du reste de sa chevelure coulait en une rivière de miel sur son épaule droite. Son corps était une sculpture, un poème à la beauté. Mais c'était aussi, et je ne m'en apercevais que maintenant,  une œuvre figée dans le temps, dotée de la dureté froide propres aux pierres des monuments écroulés, magnifiques et morts.

Red glissa son bras sous le mien.

- Bien, me lança-t-elle avec un regard espiègle (au vu de son humeur massacrante de l'après-midi, j'avais du mal  à croire le phénomène se déroulant sous mes yeux), mon cher fiancé, croyez vous que cela se fait de délaisser sa promise? Quel mal élevé!

Et avec un grand sourire, elle se blottit un peu plus contre moi. Ses talons aiguilles la plaçant à peu près à la hauteur de mes oreilles, elle me murmura.

- Tu sais, il va falloir que tu te détendes, parce mon talents d'actrice n'inclut pas l'effacement de la raideur de mon partenaire, qui, en ce moment, a juste l'air d'avoir envie de partir en courant.

J'eus inexplicablement envie de rire.

- Eh ben voilà tu souris!

Red m'en fit d'ailleurs un, illuminant l'obscurité de ses dents blanches. A cet instant, j'étais conscient d'avoir un air benêt peint sur la figure. Aller Kyô, reprends-toi, depuis quand tu es aussi sensible à ses sourires?! J'entendais Nick et Violet chuchoter entre eux, complices pour une fois.

- C'est marrant, mais j'aurais jamais pensé qu'il puisse jouer la comédie aussi bien.

- Trop meuuuugnon ces yeux de merlan frit! Question couple de pigeon parfait on fait pas mieux!

- Pigeon?

- Ben oui, ils roucoulent, ils se coulent des regard vides, et ils n'ont visiblement pas l'air d'avoir un cerveau, donc, ce sont des pigeons.

- Quelle comparaison flatteuse!

- Oui, moi aussi je me trouve doué.

- Pff, il faut toujours que tu dises quelque chose qui gâche tout! Je t'assure, sans toutes ces paroles inutiles, tu économiserais beaucoup d'énergie!

Nick allait répliquer, lorsqu'une magnifique jeune femme aux cheveux caramels et à la robe verte vaporeuse, se précipita vers eux.

- Anna! s'exclama-t-elle en serrant Violet dans ses bras, qu'est-ce que je suis contente de te voir!

- Cela fait à peine deux jours, répondit-elle avec un sourire crispé.

Décidément, le prénom avait du mal à passer. La jeune femme femme se recula un peut. Elle fixa Violet avec un air boudeur.

- Deux jours, c'est long.

- Pauvre Nynna, si seule et maltraitée! se moqua gentiment Violet.

Ce fut au tour de la nommée Nynna de se raidir. Violet parut s'en rendre compte et s'empressa de changer de sujet.

- Je vous présente Nynna, ma petite soeur.

- Sans vouloir te vexer, elle à l'air bien plus drôle que toi, remarqua Nick.

Puis, se tournant vers Nynna, il ajouta avec une petite courbette.

- Nickolas Strange, enchanté.

- Oh, j'ai même droit à la révérence? s'amusa la jeune femme.

- Tu veux que je te fasse un baisemain?

Elle allait éclater de rire, lorsqu'un voix les interrompit.

- Chérie? Qui sont ses gens?

Un homme grand et fin, au visage sans grâce, se matérialisa près d'elle. Nynna se retourna.

- C'est V..., Anna, se rattrapa-t-elle, elle est ici avec son fiancé et un couple d'ami. Je t'en avais parlé la dernière fois.

Sa soeur avait beau être décontractée, Violet s'était raidie à la vue de son beau-frère. Red entra en scène.

- Enchantée de vous rencontrer monsieur...?

- Tagliatello.

Je pouvais presque entendre Red rétorquer : Comme les pâtes? Heureusement, elle se contint, même si je pouvais voir des bulles de rire pétiller dans ses yeux. A la place elle répondit, avec son éternel sourire lumineux.

- Monsieur Tagliatello, bien sûr, Anna nous a beaucoup parlé de vous.

- En termes élogieux je l'espère, dit-il aimablement, avec un regard lourd de sens en direction de Violet.

Le sourire de Red s'agrandit, au point qu'à cet instant, je fut sûr que la moitié de la Terre n'avait plus besoin de s'éclairer.

- Mais bien sûr, vous êtes son beau-frère n'est-ce pas?

Ce petit ton,  que l'on savait hypocrite lorsqu'on connaissait sa personnalité habituelle, parut plaire  à ce "Tagliatello".  J'aurais d'ailleurs apprécié qu'il arrêter de dévorer ouvertement Red du regard. Pitié, songeais-je, faites qu'elle ne se retourne pas, sinon il va passer la soirée collé à nos basques!

La jeune femme semblait penser la même chose. Dans un geste bien marqué, elle se blottit un peu plus contre moi.

- Je ne serais pas contre enter à l'intérieur, fit-elle remarquer d'une voix aimable. Cette entrée est très belle, mais j'ai comme l'impression que nous allons gêner les nouveaux arrivants.

- Elle à raison, intervint Nynna. La demeure de Mr Amitroff nous attends!

Alors que nous passions à l'autre salle, un détail me revint en mémoire.

Nynna savait le nom de code de Violet.

Bonjour ou bonsoir, nous terminons ce chapitre 17 après une semaine de silence radio! Je n'ai pas décrit, pour ceux intéressés, la tenue de Red, parce qu'on va la voir dans le chapitre suivant. Notre lady va être dans sa couleur. Merci de me lire et bonsoir!