24. Au fond d'un tiroir
Théodore se planta en face d'elle et tendit avec exigence la main, mais Rose ne broncha pas et le contourna sans un mot. Ça devait faire une semaine qu'il la harcelait pour qu'elle lui remette le trousseau de clé. Ils en étaient arrivés à la conclusion que l'objet avait plus ou moins essayé de la tuer dans la rivière. Depuis, il voulait absolument l'éloigner du trousseau, mais Rose trouvait ça stupide. Il déjà était revenu une fois dans sa poche, il le ferait bien une deuxième fois. Comme par magie, pouf ! Évaporation.
- Rose, fit Théodore d'un ton impérieux.
- Théodore, l'imita Rose sur le même ton agaçant.
Cette intonation la mettait sur les nerfs.
- Laisse lui ce trousseau de clé, leva les yeux au ciel Malefoy. Qu'on se débarrasse d'elle une bonne fois pour toute.
Théodore lui jeta un regard contrarié. Il ne l'aidait pas, là.
- On a fait toutes les portes du château et on a trouvé aucune porte correspondante !, s'exaspéra Rose. Peut-être que la présence du trousseau n'était qu'un concours de circonstance hasardeux...
- Ou peut-être que cet objet est la cause de la mort de Desnouveaux et Lemarchais, répliqua Théodore. Ce trousseau de clé s'est retrouvé dans ta poche sans aucune explication et il a essayé de te noyer. On a assez joué, on devrait le donner aux professeurs.
- Tu parles de ça ?, sourit Rose en lui montrant le trousseau, pendu à ses doigts.
Il tenta de l'attraper et elle l'esquiva d'une pirouette avec un petit rire.
- On n'arrête jamais de jouer, Théodore. Je garde le trousseau, et je continue mes recherches.
- C'est d'une stupidité sans nom, protesta Théodore, qui devait vraiment être énervé pour utiliser un adjectif dans sa phrase.
Il était partisan du « simple, court, net et précis ». C'était un mode de vie, chez lui. Elle était prête à parier qu'il consommait la quantité d'oxygène minimale nécessaire à sa survie lorsqu'il respirait.
- C'est du Potter quoi, ricana Malefoy, les mains dans les poches.
Rose le mitrailla du regard.
- Fais gaffe Malefoy on pourrait croire que je prends exemple sur toi, riposta-t-elle.
- Tu peux toujours essayer mais t'arriveras jamais à mon niveau.
- Figure-toi que je l'ai dépassé depuis longtemps.
- Vous parlez de votre propre stupidité, ce qui est remarquablement stupide, leur fit remarquer Théodore en arquant un sourcil ennuyé.
Rose plissa les yeux et secoua la tête :
- Ne te mêle pas de ça Théodore.
- Il y a des choses que tu ne comprends pas encore à ton âge, rajouta Malefoy avec dédain alors que Rose bondissait hors de portée de Théodore.
Le petit groupe se figea, devenant trois silhouettes immobiles dans les jardins de Beauxbâtons. Elle était en équilibre sur le rocher, les bras tendus. Rose soupira et sauta au sol avec leste, son regard accroché au garçon à quelques mètres d'eux. Blaise était assis à même le sol, un paquet de bonbons à la main. Il mâchouillait son précieux avec de grosses joues remplies, le regard dans le vide. Il devait attendre Pansy. Le cœur de Rose se serra étrangement, mais elle n'arrivait pas à détourner le regard.
- Vous ne vous êtes toujours pas parlé, dit Théodore en une plate constatation.
Pourtant, Rose le prit comme une accusation.
- Il m'évite, je lui laisse du temps, se défendit Rose.
Malefoy leva les yeux au ciel avec son sourire en coin narquois.
- Bien sûr Potter, admets juste que tu le fuis.
- Ça c'est ta spécialité Malefoy, pas la mienne, rétorqua Rose.
- Alors va lui parler, fit Théodore avant que Malefoy ne dise quoi que ce soit.
Rose pinça les lèvres, frustrée de s'être fait prendre à son propre jeu, mais se décida tout de même à faire le premier pas. Blaise leva ses grands yeux chocolats sur elle en entendant quelqu'un arriver et sembla pris au dépourvu un instant : il tenta de se lever, se rassit, enfourna une poignée de bonbons dans sa bouche, manqua de s'étouffer, écrasa son paquet de bonbons... Rose contint son sourire en se laissant glisser à côté de lui et adopta une posture nonchalante pour ne pas trop l'intimider. Une jambe tendue, l'autre repliée sur laquelle elle posait son coude, le regard de Rose déviait sur les buissons et les fleurs alentours. La neige avait fondu et le printemps arrivait avec ses jolies papillons et ses couleurs vives. Blaise se tapota le torse en toussant et avala finalement ses bonbons.
- J'ai des malices réglisses si tu veux, lui proposa Rose avec un petit sourire adorable.
Blaise évitait son regard nerveusement, mais il attrapa tout de même les malices réglisses qu'elle lui tendait et joua avec un des bonbons timidement, puis en croqua un entre ses dents.
- Je préfère les patacitrouilles.
- Je sais. Moi aussi.
Blaise renifla bruyamment et mangea plusieurs malices réglisses à la suite.
- Je sais que c'est pas bien... commença-t-il en jouant avec ses doigts. De t'éviter.
- Parfois éviter nos problèmes est plus facile que d'y faire face, fit Rose.
Et ça ne faisait que les compliquer. Elle prit une profonde inspiration, la tête tournée sur le côté.
- C'est pas... grave Blaise. C'est la première fois que tu fais face à ce genre de situation. C'était un bal de Noël super nul, et les souvenirs de cette nuit-là ne partiront sûrement jamais de ta tête, mais tu n'as pas besoin d'oublier. Tu peux continuer à vivre avec et te faire pleins d'autres merveilleux souvenirs à côté. Cette nuit-là ne définit pas ton avenir.
Blaise fronça les sourcils et fit une grimace pour retenir ses larmes. L'instant d'après, il lui sautait dans les bras en éclatant en sanglots. Ses bras se resserrèrent autour d'elle avec une force que Rose ne lui avait jamais connu et ses poings s'agrippèrent fermement à sa robe de sorcier. Rose le prit dans ses bras sans hésiter et lui caressa doucement les cheveux, son menton posé sur son épaule. Elle avait déjà vu Blaise pleurer. Parce qu'il avait trébuché, parce qu'il avait faim, parce qu'il s'était écorché le doigt. Ce qu'elle n'avait jamais vu en revanche, c'était Blaise pleurer parce qu'il avait mal. Parfois il y avait des moments qui restent graver dans votre tête et semblent ne jamais vouloir s'en aller, à un tel point qu'ils obnubilent vos jours et envahissent même vos nuits. Et... on ne peut pas s'en débarrasser, mais on peut les repousser dans un coin. On peut... les ranger dans un tiroir et le fermer à jamais.
- Un jour je serais aussi fort que toi, hoqueta Blaise entre deux sanglots, sa tête niché dans son cou. Un jour je serais courageux et je...
Rose serra les dents et leva les yeux vers le haut, papillonnant des paupières. Elle aurait voulu être capable de ranger tous ses mauvais souvenirs dans un tiroir et de ne plus jamais l'ouvrir, mais elle continuait à l'ouvrir, encore et encore. Ses bras se resserrèrent autour de Blaise et elle ferma les yeux. Ça prenait du temps, d'aller vers ce tiroir. Ça en prenait encore plus, de le fermer. Et ça prenait toute une vie, de ne jamais y revenir.
- Je crois que tu es bien plus fort que moi, Blaise, souffla-t-elle du bout des lèvres.
Parce que ça demandait tellement, tellement, de courage, de s'abandonner à ses émotions.
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