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La brise matinale fut le seul élément assez convaincant à me faire ouvrir les yeux. Dans d'autres circonstances, je me serais réveillé en rechignant, énervé d'avoir quitté mon sommeil de si bon matin. Néanmoins sans elle, je n'aurais pas remarqué Jimin qui s'était agrippé à moi. Il avait un bras noué autour de ma taille, une jambe enroulée autour de mon bassin et je sentais sa peau contre ma nuque, sa joue sans aucun doute plaquée dessus.
D'agréables frissons me picotèrent les bras, et ce n'était certainement pas à cause du froid.
Je voulus me retourner pour voir Jimin, mais son corps pesait lourd. Il était tout endormi et semblait ne pas avoir l'intention de bouger. Lentement, je parvins à m'extirper du lit sous ses marmonnements. Je fis quelques pas pour fermer la fenêtre avec précaution et le retrouvai couché sur le ventre, le visage enfoui dans l'oreiller. Ce qui m'empêcha de me moquer fut sa tenue plutôt surprenante : il portait des habits. Et Jimin portait rarement des habits la nuit.
Je contournai le lit afin de récupérer la couverture qui était tombée au sol. Je crus reconnaître mon sweat gris, qui donnait à Jimin un air adorable avec les manches qui lui cachaient le bout de ses doigts. Il ressemblait à un petit koala. Je me sentis soudainement coupable d'avoir laissé la fenêtre ouverte et me dépêchai de le recouvrir. Je ne savais pas si Jimin avait été trop paresseux pour marcher jusqu'à elle, préférant opter pour mon sweat, ou s'il avait pensé que j'avais encore chaud, et l'avait par conséquent laissée telle quelle.
Je secouai la tête et sortis de la chambre. Avec un peu de chance Jimin me rejoindrait bien plus tard, une fois les pancakes prêts. Il était tellement stressé pour le mariage que la veille, il avait mangé tout ce que j'avais préparé pour lui. Il n'en était resté aucune miette. Je me demandais si le sirop d'érable durerait jusqu'à la fin du mois, d'ailleurs.
Radio branchée, je préparai la pâte en fredonnant les paroles de chaque chanson. Je serais incapable d'énumérer les artistes les plus connus du pays, mais au moins, je connaissais quelques grands tubes coréens. J'étais étonné de les connaître, mes parents m'avait en fait plutôt bien initié. J'avais encore beaucoup à rattraper toutefois.
Jimin me paraissait tellement affamé que j'avais doublé la dose des ingrédients. J'étais certain qu'il en avait mangé plus ces derniers jours que durant toute la durée de ses vacances en Australie. Il avait paru réticent au début, puis je l'avais persuadé d'essayer pour son bien-être avant tout. Désormais, Jimin me demandait gentiment que je lui en prépare. Et ce n'était pas pour me déplaire.
Je goûtai une dernière fois la pâte et hochai le menton, la jugeant finalement bonne. Je baissai le volume de la radio que je laissai dans la cuisine et partis en direction du salon. M'affalant sur le canapé, je tendis le bras pour attraper le téléphone fixe. J'avais une quinzaine de minutes devant moi pour appeler mes parents.
Mes doigts pianotèrent sur les touches. Je patientai en jouant avec le fil du fixe tout en observant le couloir vide. Après trois sonneries, j'entendis la voix de mon père résonner.
« Hi dad, je ne te réveille pas trop tôt ?
- Jungkook ! »
Je souris en devinant mon père sourire également.
« Il était temps que tu appelles, j'ai bien cru que tu nous avais oubliés, me sermonna-t-il.
- Comment dire... »
Je ne les avais pas à proprement dire, oubliés. C'était un mot un petit peu trop fort pour la situation.
« J'ai vu tellement de nouvelles choses ces derniers jours que je n'y ai pas pensé, me défendis-je.
- Bien sûr, bien sûr. Quand tu parles de nouvelles choses, tu parles de l'appartement de Jimin ? »
Je me raidis, à présent recroquevillé sur le canapé. Je n'avais pas dit à mes parents que j'étais amoureux de Jimin, il le connaissait seulement car j'avais parlé de notre rencontre en Australie, avec tous les autres. C'était grâce à eux que ma mère s'était laissée convaincre de me laisser aller seul à Séoul, ville qui m'était inconnue. Par mes mots, elle avait une certaine confiance en mes hyung et Yongsun. À ses yeux, tout comme pour mon père, ils étaient tous des amis. Simplement des amis.
« Hey, je ne reste pas toujours enfermé... je te rappelle que c'était le mariage de Hoseok hier.
- Ah oui ! Comment c'était ? Mon petit doigt me dit que tu as versé quelques larmes.
- Cette conversation commence à me déplaire, bougonnai-je.
- Désolé Kookie, tu tiens ça de ton vieux père. Tout ce qui est beau, moi, ça me fait pleurer.
- Comme quand tu as vu mom lors de votre premier rendez-vous ? ricanai-je.
- Mh, tu as raison. Cette conversation me déplaît aussi. »
J'éclatai de rire et mon père me rejoignit. Mes parents s'étaient connus en Australie. À l'époque, mon père travaillait dans le petit cinéma de notre ville. Lorsqu'il avait vu ma mère, il avait été tellement intimidé qu'il avait distribué des places gratuites sans le faire exprès avant d'être grondé par son collègue. Il était plus jeune que ma mère et s'était réellement forcé pour prendre les devants et lui parler à la fin de la séance, une fois sortie de la salle.
J'aimais bien croire au destin. Mon premier travail en Australie, je l'avais également obtenu dans un cinéma. Si Jimin était resté plus longtemps, je l'aurais invité à venir voir l'envers du décor. Regarder les films depuis le local de projection, c'était tout autre chose.
Mon père me l'avait déjà confirmé auparavant.
« Mom dort encore ?
- Elle prépare les pancakes, répondit mon père en grommelant.
- Je parie que tu as encore fais une bêtise.
- Ta mère est perfectionniste. Apparemment, il y avait trop de grumeaux je me suis retrouvé puni devant la télévision. »
Il eut un silence avant que mon père ne reprenne :
« Honey! Kookie est au téléphone et je ne te le passerais pas ! » hurla-t-il.
Je crus percevoir les pas précipités de ma mère.
« Kookie ?
- Hi mom!
- Ce n'est pas trop tôt ! »
Si elle avait été à côté de moi, elle m'aurait claqué la nuque pour ne pas avoir écouté ses directives.
« Je t'avais dit d'appeler en milieu de semaine, me rappela-t-elle.
- Comme tu as pu le voir, il ne l'a pas fait, rappliqua mon père. Maintenant, donne-moi ce téléphone que je parle à mon fils.
- Je te rappelle que c'est aussi mon fils.
- J'étais là le premier.
- C'est à mon tour. »
Parfois, Seungkwan me disait qu'il ignorait comment nos parents avaient pu élever deux enfants. Ils se chamaillaient sans arrêt à force de se taquiner, et nous avions souvent dû les faire taire en se jetant sur eux. C'était une technique qui fonctionnait très bien, mais je doutais de son efficacité du haut de nos corps d'adulte.
Nous avions peur de fragiliser les os de nos parents. Ils commençaient à vieillir après tout.
« Tu ne veux pas préparer les derniers pancakes ? sifflota ma mère. Tu sais très bien les retourner.
- Seulement quand ça t'arrange. J'y vais mais tu emmènes Jungkook avec nous. En plus, il prépare aussi des pancakes.
- Oh vraiment ? Ils sont pour toi ?
- Pour Jimin aussi, avouai-je. Il aime beaucoup ta recette. »
J'entendis un cri de victoire.
« Je suis fière de toi ! C'est compliqué de changer les habitudes des Coréens, surtout avec leur petit-déjeuner salé.
- Ne sois pas si stricte Eunjung, ta mère préparait de bons repas.
- Je préfère tout de même le sucré. Et si Jungkook a converti Jimin c'est bien pour une raison. Les pancakes, c'est bon. Tiens, retourne-le.
- Oui, oui, j'allais le faire.
- Alors Kookie, dis-moi comment tu trouves Séoul ? »
Je lui racontais ma semaine sur un ton joyeux. L'appartement de Namjoon était parfait, j'avais hâte de m'y installer. Mes parents furent soulagés que j'emménage avec quelqu'un comme Namjoon, et étaient ravis que cela se déroule bien. Ils m'expliquèrent que mon université avait envoyé par courrier divers papiers, ainsi que mon emploi du temps. Je n'avais plus qu'à inscrire ma nouvelle adresse pour prévenir l'administration et je pourrais m'y rendre dès la semaine prochaine, selon leurs dires.
Je n'étais pas angoissé, seulement, j'appréhendais. J'appréciais peu être confronté à de nouveaux événements, et revenir en Corée du Sud allait véritablement à l'opposé de ce que j'aimais. J'aimais la routine, je redoutais par conséquent tout ce qui m'attendait, en ressentant paradoxalement, une grande hâte. J'avais hâte de découvrir ce pays, mon pays, sous toutes ses coutures, de vivre sans avoir à penser sans arrêt à mes proches, tous si loin de moi. Désormais, ils étaient là.
Jimin pointa finalement le bout de son nez. Je lui fis un signe de main, il me répondit par un léger sourire. Tout en se frottant les yeux de ses petits poings, il se laissa tomber sur le canapé. Comme je ne parlais pas, il eut un regard interrogateur.
« J'ai appelé mes parents. » chuchotai-je.
Il opina puis posa son menton sur mon épaule, un peu plus attentif.
« Jungkook ? Tu es avec Jimin ?
- Il vient de se réveiller, et comme tu parles trop, il se demandait pourquoi j'étais si silencieux avec son téléphone dans les mains. »
Jimin frappa mon torse pour me réprimander, mais je voyais qu'il était amusé. Ma mère, elle, ne releva pas ma dernière phrase.
« Bonjour Jimin ! Junho, Jungkook est avec Jimin !
- Bonjour Jimin ! » dit aussitôt mon père.
Je donnai le téléphone à Jimin pour l'inciter à répondre.
« Bonjour Mme et M. Jeon. »
Détendu, Jimin se cala contre moi et posa sa petite main sur ma cuisse tout en répondant aux questions qui paraissaient fuser dans tous les sens. J'ignorais ce que lui racontaient mes parents à l'autre bout de la ligne, mais contempler son joli sourire me suffisait.
Du moins, jusqu'à un certain point.
« Il se montre très sage, je vous le promets. »
Je fronçai les sourcils en délaissant ma contemplation.
Sage ? De qui parlaient-ils ?
« Parfois embêtant oui, reprit Jimin. Il refuse de manger certains aliments. Je pense qu'il a pris ses aises en Australie. »
J'écarquillai les yeux, bouche-bée. Jimin avait renversé la sauce piquante dans le plat qu'il avait préparé vendredi et il osait dire que je refusais de manger ? J'avais cru m'étouffer en avalant sa viande tellement l'air m'avait manqué.
« Vous avez raison, il mérite une petite remontrance.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ?! » paniquai-je.
Je tentai par tous les moyens de lui reprendre le téléphone, cependant, il se montrait bien plus habile que moi malgré sa petite taille.
« En tant qu'aîné, j'étais très choqué qu'il ne mange pas le repas que je lui avais préparé. » continua-t-il.
En tant qu'aîné, il s'était surtout moqué de moi.
« À part cet écart, il se comporte bien.
- Jimin ! »
Il me chassa d'un revers de main. Vexé, je me levai pour quitter cet endroit aux airs diaboliques en claquant la porte de la cuisine. Connaissant mes parents ainsi que Jimin, ils devaient tous les trois être en train de se moquer de mon ton paniqué.
Je n'aimais pas être taquiné. Et ce n'était pas de ma faute si je ne supportais pas d'avaler un litre de sauce piquante.
Je poussai le volume de la radio à son maximum pour exprimer mon mécontentement. Ma famille n'avait jamais parlé à Jimin et voilà qu'ils réussissaient à faire ami-ami pour se liguer contre moi. Ce n'était pas gentil.
« Jungkook, est-ce que tu veux reprendre le téléphone ?! cria Jimin depuis le salon.
- Dis à mes parents qu'ils m'entendront demain quand je retournai à la maison ! »
Leur discussion dura un moment. J'étais curieux de savoir de quoi ils parlaient, mais je devais tenir tête et ne pas craquer. J'eus l'envie de partir voir Jimin. Je me retins et ce fut difficile, tellement difficile que je mangeai quatre pancakes pour m'occuper l'esprit.
Une fois la jatte vidée, je plaçai tous les ustensiles dans l'évier, puis nettoyai la cuisine. Jimin somnolait devant le dessin-animé qui passait à la télévision et je lui posai l'assiette remplie de pancakes sur la table basse sans un mot. Je comptais lui apporter un plateau dans sa chambre, mais il avait gâché ma surprise en se réveillant trop tôt.
Tant pis pour lui. Il ne méritait pas ma surprise.
Je m'éclipsai dans la salle de bain pour me préparer. Ma tenue du dimanche était ma préférée puisqu'elle était synonyme d'exercice physique. Courir dehors me donnerait l'occasion d'apprendre les rues du quartier ainsi que les bonnes adresses. Il était hors de question que je perde l'habitude de faire du sport. De toute manière, j'aimais trop me dépasser pour soudainement arrêter.
L'eau froide ranima mes derniers sens engourdis et je fis la moue devant le reflet que renvoyait le miroir. Mes cheveux légèrement trempés retombaient devant mes yeux. Je ne réussissais pas à les dompter. Ils voulaient créer des ondulations et non pas m'écouter.
J'aperçus Jimin entrer dans la pièce. Il m'observa quelques instants avant de m'aider en attrapant les mèches qui me dérangeaient. Il les tressa ensemble, chercha un élastique dans un tiroir puis finalisa ma nouvelle coiffure en tirant sa langue sur le côté, un adorable tic qui prouvait à quel point il se concentrait.
Jimin donna un coup de menton vers le miroir que je regardai, la vue à présent dégagée.
« Il en a fallu du temps, pour que tu décides de me faire des tresses. » minaudai-je en haussant un sourcil.
Jimin m'enlaça aussitôt. Je ris en le laissant faire, bien trop heureux de sentir son torse épouser mon dos, ses bras serrer ma taille et sa tête s'appuyer sur mon épaule.
« J'attendais que le mariage passe, confia-t-il. Je m'étais dit que tu balayerais tes cheveux en arrière, et avec des tresses qui pendouillent c'est tout de suite moins classe.
- Comment tu as su que je voulais jeter mes cheveux vers l'arrière ?
- Pour notre premier rendez-vous, tu avais cette coupe de cheveux. Je ne sais pas, je t'ai imaginé une nouvelle fois avec.
- Tu aimes bien ?
- J'aime beaucoup oui, ça te donne un air d'homme alpha.
- T'es encore là-dessus... » soupirai-je.
Jimin rit aux éclats en hochant la tête.
« Parler avec tes parents m'a assuré une chose : tu ne l'es pas du tout.
- De quoi avez-vous parlé en fait ?
- À part le monologue de ta mère sur les pancakes et celui de ton père sur votre Capri, ils se demandent aussi ce qui t'a fait revenir en Corée. »
Ses yeux me scrutèrent à travers notre reflet.
« Ils pensaient sincèrement que tu resterais en Australie.
- Je le pensais aussi... avant. »
Lors des derniers jours, j'avais exprimé ce que je ressentais à Jimin, comme quoi il me faisait penser à la Corée du Sud, tout autant que l'Australie. Mon esprit était assez confus, et durant cette année sans eux, il l'avait encore plus été. Même si j'avais réfléchi, énormément réfléchi, j'avais encore cette impression que je m'étais précipité, que j'étais revenu sur un coup de tête, sans m'être préparé. Les questions tourbillonnaient, se rejoignaient pour pointer du doigt une chose en particulier.
Pourquoi ressentir tant de doutes ? Je me disais que je ne n'étais pas assez mature à mes vingt-quatre ans, surtout pour changer de vie comme je le faisais. Heureusement j'avais mes proches, alors j'étais persuadé que cette petite voix dans ma tête, qui me chuchotait de vilains doutes, disparaîtrait d'un jour à l'autre.
« J'ai des affaires à aller chercher chez mes parents, annonçai-je. Je pense partir demain matin pour reprendre le train l'après-midi et avoir le temps de m'installer chez Namjoon.
- Je ne termine pas tard demain, tu voudras un coup de main ?
- Je ne veux pas te déranger, sweetie. »
Jimin me serra plus fort contre lui.
« Tu ne me déranges jamais. Et puis, je pourrai inspecter tes valises pour savoir si tu caches mes lettres quelque part. »
J'avais gardé toutes ses lettres. Jimin s'était donné du mal pour rédiger d'une jolie manière. Au-delà de cet aspect, elles marquaient un souvenir. Je ne souhaitais pas m'en débarrasser car chaque réception, quel que soit son auteur, m'avait rendu fou de joie. Hoseok, Seokjin, Namjoon et Yongsun m'avaient tous fait sourire, j'étais tellement reconnaissant pour leur attention.
Jimin m'avait fait pleurer de toutes les façons possibles. De tristesse, de joie, de frustration, de rire. Dès qu'il m'avouait aller un peu mal, je m'en voulais de ne pas être à ses côtés. Dès qu'il me confiait douter avant ses prestations, je me retenais de l'appeler pour lui remonter les bretelles. Dès qu'il me racontait ses péripéties avec les hyung, je me l'imaginais sans mal leur mener la vie dure. Dès qu'il écrivait de sa jolie plume, à la fin de chacune de ses lettres, à quel point il m'aimait, mon cœur chavirait. Nous étions parvenus à maintenir ce lien si fragile à travers quelques mots échangés. J'avais réellement eu du mal à cause de la distance, mais Jimin s'était montré compréhensif, persévérant, aimant. Nous en étions là, grâce à lui. Et je le remerciais tellement pour sa patience, sa bienveillance, sa tendresse, parce que je voulais à tout prix continuer dans ce sens, à ses côtés.
Je me promettais alors que rien, ni personne, ne parviendrait à briser notre relation.
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