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Yongsun était douée. Elle avait réussi à convaincre Jimin de prendre une semaine de vacances pile au moment où je reviendrais sans qu'il ne se doute de rien. Lorsque Namjoon m'avait fait visiter l'appartement, il avait profité du fait que Jimin soit resté dans le salon à déguster des snacks aux crevettes pour m'expliquer comment s'étaient-ils tous débrouillés. Nous étions d'accord pour conclure que Yongsun avait joué un grand rôle. Si elle n'avait pas été là, je n'aurais pas pu passer autant de temps avec Jimin dès mon retour.
Jimin n'aimait pas rester sans rien faire, en tout cas seul. J'avais remarqué qu'il pouvait parfois se montrer nerveux en triturant ses manches, il était impatient également. Yongsun avait alors misé sur la provocation et il n'y avait vu que du feu : s'il ne se reposait pas, Jimin ne serait pas le roi de la danse au mariage de Hoseok et Sooyoung. La dernière représentation de leur troupe avait fatigué tous les danseurs, ils avaient enchaîné les spectacles, et depuis leur voyage en Australie, ils n'avaient pas pris une seule pause. Yongsun avait tourné les circonstances à son avantage et était parvenue à faire flancher Jimin.
Il l'avait invitée à venir dîner. Lorsqu'il l'avait appelée pour confirmer sa présence, il n'avait pas parlé de moi. Ce n'était pas nécessaire, parce qu'avec le ton grincheux qu'il avait employé, il avait deviné que Yongsun était de toute manière au courant.
À mon plus grand étonnement, il avait également convié Seokjin et Hoseok. Je ne savais pas encore ce qu'il manigançait, mais j'étais certain qu'il souhaitait leur faire payer leur immense trahison.
Pour nourrir tout ce monde, Jimin avait décidé de faire les courses. Il bataillait contre les lacets de ses chaussures qui refusaient d'obéir à ses doigts et je l'attendais sagement. En se réveillant, Jimin avait eu la bonne idée de me serrer contre lui comme une peluche tout en oubliant notre journée plutôt chargée. Pour l'embêter, j'avais omis de lui dire que son radio-réveil affichait 11h passée alors qu'il m'avait très clairement fait comprendre qu'il était impératif que nous sortions à 9h.
Je n'avais pas attendu longtemps avant que Jimin ne se propulse du lit en s'exclamant que nous étions en retard. Il avait parcouru une dizaine de fois son appartement de long en large en cherchant des affaires qui s'étaient mystérieusement cachées par elles-mêmes.
Il était légèrement sur les nerfs.
« Je les déteste, je les déteste, je les déteste... » répétait-il en parvenant enfin à nouer ses lacets.
Je le regardais, amusé. En se relevant, Jimin croisa mon regard et me tira la langue avant d'attraper mon bras pour me retourner, tout en me poussant dehors. Ses clés lui tombèrent des mains, il grogna, il se trompa de clé, il pesta, il verrouilla la porte et m'entraîna vers l'ascenseur en manquant de perdre son portefeuille en chemin.
Je le vis reprendre son souffle une fois les portes de l'ascenseur fermées.
« Stressé ?
- Toi, tu te tais.
- D'accord, d'accord. »
Je me tenais droit, les mains jointes devant moi et Jimin me tapa l'épaule.
« Arrête de rire dans ta tête, je t'entends d'ici.
- Je ne rigole pas du tout, crois-moi Jimin-ssi.
- Je n'aime pas être pris au dépourvu. Et le retard, ça me prend au dépourvu.
- On aurait été plus rapides à pied. » lui fis-je remarquer.
Un sourire narquois étira les lèvres de Jimin. Il se contenta de glisser une main dans ses cheveux et réarranger le col de sa veste en jean. Je fronçai les sourcils, confus par son changement de comportement. Lorsque l'ascenseur se stoppa, il me lança un clin d'œil et sortit le premier. Je le suivis pour atterrir dans un parking souterrain.
« Tu paries sur laquelle ? me lança-t-il en ouvrant les bras, un trousseau de clé à la main.
- Tu ne m'as même pas dit que tu avais une voiture ! m'écriai-je, vexé.
- Ah bon ? Ça m'était complétement sorti de la tête ! »
J'observai les voitures, curieux. Pas une ne se démarquait des autres, elles étaient grises et noires et provenaient notamment des marques coréennes et japonaises. Jimin secoua la tête et entrelaça ses doigts aux miens pour me mener dans un coin que je n'avais pas aperçu, derrière moi. Il n'eut guère besoin de me chuchoter plus d'indices.
Jimin avait une Subaru. Une Subaru bleue absolument superbe qui lui correspondait parfaitement.
« Elle est trop jolie ! »
Il rit de bon cœur en m'écoutant citer les moindres détails que je trouvais.
« Plutôt reconnaissable, pas vrai ?
- Oui ! Et je n'en avais jamais vue avant.
- C'est une Impreza. Elle est sortie cette année, je crois. »
Jimin s'assit et je l'imitais en m'installant du côté passager. Je savais que j'avais une vieille voiture et j'étais toujours fasciné par l'avancée du monde automobile. Les sièges étaient en tissu noir et l'habitacle de la même couleur, contrairement à ma Capri et ses teintes plus chaudes. L'Impreza était bien plus moderne et sa couleur bleue était magnifique. Elle ressemblait à un saphir.
« Tu crois ? répétai-je en revenant à la réalité.
- Je l'ai achetée d'occasion, m'avoua Jimin en allumant le contact. Je n'ai pas le budget pour me payer une neuve. Même si c'est ma première, je préférais avoir une voiture qui me plaisait réellement plutôt qu'autre chose. Espérons seulement ne pas m'être fait arnaquer.
- Si c'est le cas, dis-moi qui te l'a vendue que je lui casse la figu--
- Tu ne feras rien du tout, me coupa Jimin.
- Mais--
- Rien du tout. »
Il me fit taire pour de bon en démarrant. J'étais impatient de découvrir ce qu'elle avait sous le capot, ce qui me fit oublier ma précédente idée. Jimin ne m'avait jamais écrit au sujet d'un possible achat de voiture, peut-être pensait-il cela inutile dans une lettre. Il aimait beaucoup la Capri et j'étais content qu'il ait trouvé un véhicule qui lui plaisait.
En sortant du parking, je me retournai pour observer l'arrière à la lumière du jour et écarquillai des yeux sous la surprise.
« Derrière.
- Derrière ? dit Jimin en actionnant le clignotant pour rejoindre la route.
- Oui le... enfin la... euh... spoiler ? »
Jimin haussa le menton pour regarder à travers le rétroviseur.
« Tu parles de l'aileron ?
- L'aileron..., murmurai-je en mémorisant le mot.
- Je le trouve trop sympa, j'ai l'impression de conduire un petit bolide avec. »
Jimin m'avait annoncé que nous irions faire les courses à l'orée de la ville, dans un énorme supermarché, mais je m'attendais à ce que nous nous y rendions en bus. Il semblait fier de sa surprise et c'est ce qui comptait. Sa conduite assurée me détendait et le reste du trajet se déroula calmement, accompagné par de grands succès de la musique coréenne qui passaient à la radio.
Jimin se gara près de l'entrée et se moqua de moi à cause de la réaction que j'eus. Le supermarché était énorme, je n'en avais vu d'aussi grands qu'à Perth. Je n'étais pas sûr que Busan ait des édifices si étendus, alors j'étais quelque peu impressionné.
Nous entrâmes et Jimin disparut quelques instants à la recherche d'un caddie. Je ne savais pas ce qu'il souhaitait préparer pour ce soir. Il déambulait à travers les rayons comme par automatisme et je le suivais, plus en arrière. Je ne reconnaissais aucun produit, j'étais légèrement perdu entre ces milliers de caractères coréens. Je les lisais aussi bien que l'alphabet latin, mais c'était un peu déroutant à premier abord. Enfant, je n'y prêtais pas attention et même en accompagnant mes parents faire les courses, je m'étais plus amusé à reconnaître les étalages par leur forme que par leur fond.
J'aurais bien voulu aider Jimin. J'avais néanmoins peur de le ralentir en parcourant l'entièreté d'un rayon pour seulement chercher un malheureux paquet d'algues séchées. Je me contentais alors de pousser le caddie qui se remplissait au fur et à mesure sous les commentaires de Jimin. Il m'indiquait ce qu'il appréciait, ce qui au contraire, lui déplaisait. Il y avait une dizaine de marques qui proposait des snacks aux crevettes, mais seule la recette de trois d'entre elles méritait l'attention de Jimin.
Je le notai dans le coin de ma tête.
Il me guida vers un énième étalage et hésita. Il me demanda quelle viande choisir et je lui répondis que j'aimais les côtes de porc. Jimin ricana et me lança un regard complice, que je lui rendis. En attendant qu'il se décide, mon attention se concentra sur les clients qui passaient devant nous. La plupart m'ignorait, quelques-uns me fixaient. Confus, je baissai le menton vers mon t-shirt, de peur de l'avoir taché et me frottai ensuite la bouche du dos de la main, car ils n'arrêtaient pas.
Je ne comprenais pas. Ces personnes-là grimaçaient à mon encontre et je me raidis soudainement. Que leur prenaient-elles ? Je clignai des paupières, incertain, et plus j'y pensais, plus je me focalisais sur elles.
Jimin me tira de mes songes en posant une main sur mon dos, pour m'inciter à avancer. Je m'excusai et l'écoutai, tout en chassant cette méchante impression de mon esprit.
Il me devança et tourna à gauche. Nous étions les seuls dans le rayon, qui n'attirait apparemment pas grand-monde.
« Tu te souviens des ingrédients pour faire des pancakes ? me demanda Jimin.
- Lait, beurre, œufs, farine, sucre, levure, récitai-je.
- Tu as une préférence pour la farine ? »
Il pointa les paquets sans savoir lequel prendre. Je m'approchai, indécis, et me postai à ses côtés en fouillant parmi les marques.
« Je n'en reconnais aucune, non.
- Prenons la plus chère, c'est sans doute la meilleure. »
Jimin se concentra un moment sur les chiffres inscrits puis trouva. Il sautilla pour tenter d'atteindre le sachet, placé légèrement trop haut pour lui. Sans un mot, je tendis le bras, collé à lui, et ramenai le paquet de farine à sa hauteur. Je l'entendis grommeler et il se retourna. Une adorable moue retroussait ses lèvres.
« J'y serais arrivé seul.
- Je voulais simplement t'aider.
- Non, tu voulais me rappeler que malgré nos deux ans d'écart, tu es plus grand que moi. »
Jimin avait clairement un complexe d'infériorité.
« Tu prêtes trop attention à ce détail, je trouve.
- Ah oui ? »
Il s'appuya sur ma taille pour se hisser sur la pointe des pieds et m'embrasser le nez. Stupéfait, je reculai et il en profita pour se faufiler derrière le caddie. Je faillis percuter une femme qui passait derrière moi et Jimin eut le réflexe de m'attraper le bras. Je le fixai, ahuri, et il couvrit son rire de sa petite main.
« Tu as peur qu'elle nous ait vus ? » me questionna-t-il sur un ton malicieux.
Je gardai le silence et son expression taquine se mélangea au sérieux de sa voix.
« Quoi que l'on fasse, ils nous prendront pour des amis.
- Comment ça ?
- Je crois que pour la majorité des Coréens, aimer une personne du même sexe n'existe pas. Cette idée est tellement ancrée dans la conscience générale que nous passons systématiquement pour des amis proches. Alors si cette femme nous a vus, elle a dû se dire que tu embêtais ton hyung. Rien de plus. »
J'étais peiné par cette nouvelle. J'avais appris que l'homosexualité était rebutée en Corée du Sud, très mal vue, très mal comprise tout compte fait. Cependant, je ne m'attendais pas à ce que la majeure partie de la population nie son existence. En Australie, je ne m'étais jamais réellement posé la question, mais une chose était certaine : la vision était tout autre.
Tout me paraissait si différent, en fait.
« Voyons le bon côté des choses, reprit Jimin. Je peux m'accrocher à toi sans que personne nous vienne cracher des injures. »
J'opinai, pourtant peu convaincu. Jimin essayait de relativiser, mais derrière son air joyeux, je soupçonnais sans mal la tristesse qui ternissait ses yeux.
« On continue ? proposa-t-il finalement. Il faut encore qu'on trouve du sirop d'érable, pas question qu'on sorte sans mon sirop d'érable. »
Je pouffai de rire. J'avais converti Jimin au petit-déjeuner et je sentais qu'il ne pourrait bientôt plus se passer de pancakes. Honnêtement, l'idée de lui en préparer chaque matin ne me dérangeait pas. Au contraire, elle me plaisait bien.
Nous finîmes par trouver tous les ingrédients nécessaires et je dus batailler contre Jimin pour qu'il me laisse payer. Il m'offrait le logement, j'estimais alors que je devais lui offrir les repas. Très peu discret, il avait tenté de réduire le panier en cachant des produits dans un sac qui traînait et je l'avais sermonné.
Je remerciai le caissier et poussai le caddie vers la porte de sortie où Jimin m'attendait, les bras croisés. Il prit mon portefeuille pour s'accaparer du ticket et se frappa le front en marmonnant qu'il avait trop acheté.
Il semblait oublier que j'avais travaillé durant trois ans en Australie, en plus de mes cours à l'université.
Sur le chemin du retour, nos ventres gargouillèrent sans aucune grâce. Un silence s'ensuivit avant que nous éclations de rire, Jimin ajoutant une petite tape sur le sien. Il me demanda l'heure et je lui répondis qu'il était 14h après avoir consulté ma montre. Il proposa d'acheter un repas à importer, j'acceptai sans hésiter.
Jimin trouva une place dans le parking d'un centre commercial. Nous dûmes emprunter son ascenseur qui nous embarqua au rez-de-chaussée où mille effluves s'échappaient d'une multitude de restaurants. Je résistai à l'odeur alléchante, Jimin lui, se laissa mener par le bout du nez à cause de McDonald's. Je lui piquai des frites tandis qu'il vint à bout de son hamburger en trois bouchées. Il était impressionnant et au plus grand malheur de mes dents, j'avais tendance à le copier.
Nous déambulâmes sans réel but. Les mains dans les poches de ma veste, Jimin enroulait souvent sa main autour de mon bras pour me montrer tout ce que je ne connaissais pas. Lorsqu'il collait son visage contre les vitrines des magasins de luxe, je regardais les passants et compris bien rapidement ce qu'il m'avait appris plus tôt. Les bandes d'amis se détachaient par leur proximité. Filles ou garçons, ils étaient proches. Je n'aurais su distinguer si des couples se cachaient parmi eux, hormis les deux personnes qui ne se lâchaient pas du regard, et deux autres qui s'embrassèrent légèrement une fois.
Un vilain sentiment s'empara de mes pensées. Moi aussi je voulais pouvoir embrasser Jimin à n'importe quel moment, sans me soucier des autres.
« Jungkookie ? »
Je me tournai immédiatement vers Jimin.
« Généralement, c'est moi qui suis perdu dans mes pensées.
- Pardon... tu disais ?
- Yongsun fête bientôt son anniversaire, tu sais ? Elle me tanne depuis des mois sur un jean qu'elle veut, mais qui est un peu trop cher. C'est d'une marque américaine, je ne me souviens plus du nom... ça te dit quelque chose ?
- Levi's ? »
Le regard de Jimin s'illumina.
« Oui ! Bon sang qu'est-ce que je ferais sans toi ? »
Je pris un petit air fier.
« Je suis devenu indispensable, plaisantai-je.
- Franchement ? Oui, parce que je ne me serais pas vu aller lui redemander. Yongsun aurait tout de suite deviné ce que je manigançais.
- Tu aurais dû me dire, ces jeans sont vendus partout en Australie.
- Tu es trop gentil... mais t'inquiète pas, elle les a vus dans un magasin à Séoul. Il suffit de les trouver.
- En y pensant, moi je ne sais pas quoi lui offrir, lançai-je subitement.
- Paye le jean avec moi si tu veux.
- Payer un jean à deux pour un anniversaire ? »
Jimin souffla et me tira une mèche de cheveux pour me réprimander. Ce qui comptait était l'attention, j'étais d'accord avec lui. J'espérais seulement que Yongsun ne m'en veuille pas.
Nous scannâmes les magasins de vêtements attentivement. Jimin ne savait pas si Levi's existait à proprement parler ou si Yongsun avait vu des articles dans des boutiques qui en vendaient, ce qui nous compliquait la tâche. En fin connaisseur, je distinguai sur l'arrière d'un pantalon une minuscule étiquette rouge qui attestait l'authenticité du jean. Jimin partit trifouiller dans les piles de vêtements et dégota toute une montagne bleue, noire et blanche. Un vendeur nous reluquait et Jimin fit un signe de main pour le saluer. Je me retins de lui donner un coup de coude en masquant mon sourire.
Nous optâmes finalement pour un jean bleu délavé plutôt large. Jimin était certain que Yongsun en serait ravie et je le crus sans hésitation. Nous rangeâmes les autres pantalons et le visage du vendeur qui nous avait aidé se déraidit avant qu'il nous assure qu'il se débrouillerait. Nous le remerciâmes et Jimin ne retint plus son petit cri de victoire.
De nombreux clients attendaient à la caisse. Lors de l'attente, je balayai le magasin du regard pour tomber sur une veste jaune. Mes pieds me menèrent à elle. Elle paraissait parfaite pour le printemps. J'adorais ma veste en cuir, mais je ne pouvais la mettre qu'à de rares occasions lorsque le soleil pointait, accompagné par sa chaleur. Cette veste jaune me tentait. Néanmoins, je me rappelai que je n'avais plus de travail et ce faisant, mon compte bancaire ne faisait que diminuer sous mes achats.
Je me retournai et sursautai en voyant Jimin. Il parut comprendre mon dilemme, observa l'étiquette des vestes avant d'en prendre une.
« Non Jimin, att--
- Tu aimes bien les vêtements larges, n'est-ce pas ?
- Oui, enfin--
- Parfait. »
Miraculeusement, la file s'était évaporée et Jimin me glissa entre les mains pour poser les deux articles sur le comptoir de la caisse. Je me voyais mal arracher la veste que tenait désormais la vendeuse, qui rangea les deux articles dans un sac pendant que Jimin payait.
Il me rejoignit et me tendit le sac.
« Pour toi. » dit-il innocemment.
Ma raison balançait entre l'embrasser ou l'ignorer.
« Tu n'avais pas à me l'acheter, sweetie...
- Tu ne l'aimes pas ?
- Si, bien sûr. Merci infiniment. »
Jimin s'approcha et replaça gentiment mes cheveux derrière mon oreille.
« Quand tu veux quelque chose et que tu peux l'avoir, n'hésite pas Jungkook. »
Mon regard se perdit dans le vide. Il y avait une cabine photographique derrière Jimin et j'eus soudainement envie d'y entrer avec lui. Et Jimin m'avait dit de ne pas hésiter, alors je n'hésitai pas. Je pointai l'objet de mes désirs et dès qu'il le vit, il sourit et m'empoigna le bras. Nous entrâmes à l'intérieur de la cabine et je tirai le rideau tandis que Jimin s'installait. Je déposai le sac à nos pieds et m'assis à ses côtés en sortant des pièces de ma poche.
Jimin me laissa payer et me dicta les poses à imiter. Je hochai la tête et actionnai le bouton pour démarrer le shooting improvisé. Comme prévu, Jimin enroula un bras autour de mes épaules et colla nos joues entre elles tout en souriant.
Clic.
Pour la deuxième, Jimin m'avait demandé de faire une tête drôle, mais je n'étais pas drôle. Il montrait sa plus belle grimace et je gardai une attitude neutre devant la caméra.
Clic.
Jimin se tourna vers moi et se rendit compte que je ne l'avais pas écouté. Il s'énerva en tapotant furieusement mon torse de son petit index et je ne pus m'empêcher de saluer l'objectif.
Clic.
« Tu as gâché nos photos ! me gronda Jimin.
- Je ne sais pas être naturel avec des poses. Tout doit venir du feeling.
- Le feeling ? Tu ne pouvais pas le préciser avant ? Je vais t'en donner moi, du feeling ! »
Jimin posa ses mains sur mes joues et m'embrassa.
Clic.
J'aimais bien le feeling de Jimin.
En sortant de la cabine, il se recoiffa comme si de rien n'était et récupéra les photographies. Il déchira le papier en deux pour garder les deux premières et me tendit celles où il me sermonnait, puis celle où il m'embrassait.
Je le vis reprendre le chemin, un léger sourire aux lèvres.
***
En pleine préparation du bulgogi, la sonnette de l'appartement tinta. Jimin, qui goûtait la sauce spécialement concoctée par ses petites mains, releva la tête en me scrutant.
« Reste derrière moi. »
Accompagné par son tablier vert noué autour de la taille, il se dirigea vers la porte pour laisser apparaître Yongsun. Je retins mon souffle en la voyant, un peu intimidé. Je sentais que nous nous étions rapprochés à travers nos lettres, mais j'appréhendais un peu à cause du comportement que j'avais bêtement eu à son égard lors de notre rencontre. Et j'ignorais si le mot « rencontre » était adapté.
Jimin souhaitait faire comprendre à Yongsun à quel point il s'était senti trahi, mais elle ne l'écoutait plus. Elle m'aperçut et son ravissant sourire me rassura instantanément. Poussant Jimin pour passer, elle s'élança et me sauta dessus. Étonné par son geste, elle dut attendre plusieurs secondes avant que je réponde à son étreinte.
Jimin nous lorgnait, agacé d'avoir été interrompu.
Yongsun se détacha et ébouriffa doucement mes cheveux.
« Je suis si contente de te voir !
- Moi aussi, noona. »
Elle se déchaussa en toute hâte pour jeter ses bottes sur Jimin, qui faillit perdre un œil en les réceptionnant.
« Jimin a eu le culot de te garder pour lui tout seul, minauda-t-elle en plissant des paupières. Je voulais vraiment passer vous voir mardi, mais j'imagine qu'il ne t'a pas lâché d'une semelle, pas vrai ?
- Si tu savais... » répondis-je en imitant son petit jeu.
Yongsun me lança un coup d'œil.
« Il a tellement pleurniché ces derniers mois que ça ne m'étonne pas.
- Je te demande pardon ? intervint Jimin, qui arriva à notre hauteur.
- C'est vrai, Jimin-ssi ? Tu as pleuré pour moi ?
- Vous nagez en plein délire tous les deux, marmonna-t-il. D'ailleurs noona, je n'en ai pas fini avec toi.
- Termine de préparer à manger, on en parlera une autre fois. Je dois poser plein de questions à Jungkook. »
Jimin nous foudroya du regard et partit en cuisine, abandonnant le combat. Yongsun me présenta la paume de sa main et je topai dessus avec la mienne, puis elle m'indiqua qu'elle allait aider Jimin qui rechignait dans son coin.
« Jolie couleur, la complimentai-je en pointant ses cheveux longs, teints en blond.
- Oh merci ! Jimin et moi, on est assortis, clama-t-elle en posant son menton sur son épaule.
- Oui, oui, c'est ça.
- Tu es fâché ?
- Tu as menti, je n'ai pas pleurniché après les appels de Jungkook. »
Je me pinçai l'intérieur de la joue pour éviter de parler, les écoutant plutôt.
« C'est vrai, j'ai exagéré, reconnut Yongsun. Tu te plaignais surtout que tu ne pouvais plus embrasser ses--
- Noona ! Arrête de dire des choses compromettantes et aide-nous à couper la viande !
- Désolée Jimin, tu sais bien que ça m'échappe. »
Il roula des yeux et dégaina un couteau de cuisine, ce qui eut également le don de coudre les lèvres de Yongsun entre elles. Ces deux-là étaient réellement amusants à regarder, parfois j'oubliais que notre noona avait quatre ans de plus que lui. Elle avait une très belle complicité avec Jimin.
Néanmoins, ses mots me firent réfléchir. Cachaient-ils une part de vérité ? Jimin s'était-il senti triste après nos appels téléphoniques ? Cette idée me pinça le cœur et je me concentrai sur la poire que je découpais pour ne pas divaguer.
Comme si elle était habituée, Yongsun déploya une nappe sur la table basse du salon qu'elle trouva dans un tiroir. Nous dressâmes les couverts et Jimin revint vers nous, le tablier ôté. Au même moment, la sonnette tinta à nouveau. Nous eûmes chacun une réaction différente.
Yongsun sembla ravie, Jimin revêtit une expression neutre, quant à moi, j'avais hâte.
J'emboîtai leur pas et Jimin s'appuya contre le mur. Sans s'intéresser à son comportement, Yongsun ouvrit la porte. Hoseok et Seokjin apparurent.
« Jungkook ! » s'écria Hoseok.
Ils s'avancèrent tous les deux et sans un bruit, Jimin se glissa dans leur dos pour attraper leur taille. Ils sursautèrent en hurlant de peur tandis qu'il refermait la porte d'un coup de pied, tout en se frottant les mains, satisfait.
« Tu es un bébé, Jimin ! On t'a fait cette surprise et voilà comment tu nous remercies ! lui adressa Seokjin.
- Venez manger, la viande va refroidir. »
La mine blasée de Seokjin me fit sourire. Yongsun les salua puis suivit Jimin, en me laissant retrouver mes deux hyung. Hoseok, remis de l'évènement, me prit dans ses bras, vite accompagné par Seokjin. Ils m'avaient tous les deux manqués, j'étais content de les avoir enfin tous retrouvés.
« Alors, le surf à Séoul, mieux qu'à Perth non ? plaisanta Seokjin.
- Je te verrais bien sur une planche avant de parler, répliqua Hoseok.
- Si Jungkook m'apprend, pourquoi pas.
- Ce serait un honneur. »
Seokjin me pressa doucement l'épaule en me répétant qu'il était heureux de me voir. Il s'éclipsa dans le salon et je restai debout devant Hoseok sans rien dire. Le seul détail qui avait changé chez lui, c'était sa couleur de cheveux. Du châtain, il était passé au noir, et il était très beau.
« Sooyoung s'en veut de ne pas être venue, souffla-t-il en grimaçant. Ces derniers temps elle travaille jusque tard la nuit.
- Ne vous en faites pas, vraiment ! Je comprends totalement, et puis, j'aurais d'autres occasion pour la rencontrer. Namjoon-hyung n'a pas pu venir non plus de toute façon, mais on a le temps.
- Merci... je te promets que vous vous verrez bientôt, je suis persuadé que vous vous entendrez bien !
- Je la verrai au mariage surtout. Avec toi. »
Je haussai les sourcils et Hoseok bafouilla. Il retira ses chaussures pour masquer sa gêne et je décidai de ne pas plus l'embêter, conscient qu'il devait énormément stresser. Je l'invitai à me suivre en racontant ma journée pour le détendre et il m'écouta.
Le repas se déroulait bien. Je n'avais pas vu mes hyung et ma noona depuis un an, mais comme avec Namjoon, je me sentais à l'aise. Avec eux, j'avais l'impression de les connaître depuis un bon bout de temps et partager leur quotidien. Ils m'écoutèrent raconter mes imprévus lors du voyage, puisque j'avais eu la peur de ma vie en égarant mon appareil photo et accessoirement mes valises, mes retrouvailles avec ma famille, ma possible colocation avec Namjoon. Seokjin rebondit en ajoutant que je faisais une bonne affaire car je m'installais dans un bon quartier et je me souvins alors qu'il était agent-immobilier. Jimin avait dû me le dire une fois, cependant, je l'avais oublié. Je ne m'étais jamais demandé ce qu'ils faisaient dans la vie, étant donné qu'ils étaient en vacances lorsque je les avais rencontrés. Yongsun évidemment, faisait partie de la troupe de Jimin. Hoseok lui, était professeur de danse et chorégraphe, Sooyoung cadre d'entreprise. Enfin, Namjoon travaillait dans une maison de disques.
Honnêtement, ils m'impressionnaient tous. Ils racontaient à présent leurs anecdotes au travail, sur leurs collègues ou sur leurs clients. Je les écoutais attentivement, ayant peu été confronté au monde du travail, en dépit d'avoir malgré tout aimé mon petit job.
Jimin, peu rancunier, participait énormément à la conversation. Il changeait le ton de sa voix dès qu'il imitait quelqu'un, Yongsun et Hoseok ne manquaient pas de rire à chaque fois. Lorsqu'il laissait la parole, il s'enfonçait de nouveau dans le canapé et reposait sa petite main sur ma cuisse. Seokjin était assis à ses côtés, mais il n'avait pas ce même geste. Jimin était tactile, alors qu'il le lui fasse ne m'aurait pas étonné. Pourtant, seule sa main gauche s'égarait, et en l'occurrence, elle s'égarait sur ma cuisse.
C'était anodin et rassurant à la fois. Et plus la soirée avançait, plus Jimin s'appuyait sur moi en rigolant, ou tout simplement en posant sa tempe contre mon épaule. En aucun cas, cela ne me dérangea. En aucun cas, cela ne dérangea les autres.
Et je me sentais bien, entouré par les gens qui nous aimaient.
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