Jimin apprit à jouer Promesse à la guitare. Endosser le rôle du professeur n'était pas dans mes habitudes, mais force fut de constater la situation, Jimin dut trouver un stratagème pour que je cède face à sa triste petite moue. Au début, il tenta d'attirer mon attention en essayant de gratter les premières notes, quelques paroles s'échouant sur le bout de ses lèvres après maintes et maintes tentatives. Hélas, Jimin n'était guère un virtuose de la musique. La patience n'était pas non plus sa principale qualité, alors il s'énerva plusieurs fois en bougonnant contre lui-même comme si la faute lui incombait.

Il n'avait pas réellement tort. S'il n'avait pas usé de ses charmes pour m'attirer jusqu'à la salle de bain, les circonstances auraient été toutes autres. Observer Jimin assis sur le sol, la guitare déposée sur ses jambes croisées, les traits légèrement tirés par la concentration gonflait mon cœur de joie. Pourtant, en profitant de mes faiblesses comme il s'était amusé à le faire, il en payait les conséquences en remarquant l'expression impassible que je gardais face à sa détresse. Du moins, j'essayais.

Peut-être exagérais-je. Peut-être avais-je trouvé plus important que le bien de la planète. Peut-être que pour la première fois, gâcher de l'eau sous la douche m'avait peu importé, mon esprit embrumé par les lèvres brûlantes qui m'avaient comblé d'affection. Je savais que je flancherais un jour l'autre, je n'étais simplement pas prêt à l'accepter. J'étais trop sensible lorsque Jimin était dans les parages, lui ne semblait plus autant réactif à mes taquineries, et ce n'était pas juste.

Ce n'était pas juste parce que je craquai une nouvelle fois. Mes sentiments trop longtemps réprimés chassèrent ma raison pour me laisser courir dans les bras de Jimin, lequel m'offrit un sourire merveilleux. Avant de le rejoindre, je cherchai le médiator bleu qu'il avait oublié, puis m'accroupis devant lui en le lui tendant.

Notre séance d'apprentissage se répéta le lendemain, le jour qui suivit, s'étala finalement sur toute la semaine. Chaque auberge dans laquelle nous dormions fut bercée par les timides notes que grattait Jimin, accompagnées par sa voix si douce, si apaisante. À bord de son Impreza, il m'avait embarqué dans un voyage, une sorte que road trip qui me donna l'opportunité de découvrir notre pays. Nous ne nous étions pas tellement éloignés de Séoul, ce n'était de toute façon pas nécessaire. Les forêts s'étalaient à perte de vue, les montagnes écorchaient le ciel et ses nuages, les villages cohabitaient avec la nature. Nous nous laissions guider par l'instinct, nous longions les routes sans savoir où elles nous mèneraient. Nous trouvâmes de jolies auberges qui nous accueillirent pour la nuit, parfois sans difficulté, parfois après avoir arpenté les ruelles longtemps bredouilles. Heureusement nos hôtes furent tous aussi bienveillants les uns que les autres, nous indiquant chemin à suivre le lendemain, ou nous dévoilant des lieux inconnus de la plupart et pourtant magnifiques. Je ciblai chaque merveille de la nature de mon objectif, et souvent, Jimin se retrouva au centre de mes photographies. Il était heureux. Et je l'étais également.

Plongés dans notre bulle de bonheur, nous ne vîmes guère le temps passer. Nous quittâmes les pistes de terre battue peu à peu remplacées par les autoroutes. La station de radio proposait de bonnes musiques, le trafic était fluide et le soleil se coucha, emportant avec lui la chaleur estivale. Je proposai à Jimin de s'arrêter pour la nuit et il accepta en bâillant, ce qui me fit sourire. Il m'avait consacré sa semaine de vacances et je ne souhaitais pas qu'il reprenne les entraînements avec un corps fatigué par les heures de conduite. Dans la chambre louée du petit motel, je passai des heures à prendre soin de lui. Le matin venu, nous reprîmes le chemin vers la capitale.

Mes pensées étaient plus claires. Passer une partie de mes vacances à Busan puis une semaine avec Jimin, hors de Séoul, loin de l'université, m'avait apporté le plus grand bien. Je n'avais pas une seule fois remarqué de regard méprisant, ou alors n'avais-je tout simplement pas fait attention. Dans tous les cas, c'était ce qu'il me fallait parce que ce vilain poids qui pesait sur ma nuque, et cette mauvaise douleur qui comprimait ma poitrine n'avaient pas refait surface.

J'observai mon propre reflet, serein. La serviette mouillée qui reposait sur ma nuque m'apportait un peu plus de fraîcheur. Bien qu'ils soient trempés, j'avais conscience que mes cheveux avaient repoussé. Ils ne dissimulaient pas mes cernes mais mes petites rougeurs s'étaient dissipées, laissant place à des joues plus arrondies. Je souris, content de moi-même.

Je déposai la serviette et sortis de la salle de bain. Mes oreilles ne perçurent que le silence de l'appartement, qui baignait chaque pièce d'une atmosphère paisible. Mes pas me menèrent jusqu'à la chambre dont la porte était ouverte. La lumière colorait le plancher de nuances roses et je m'avançai un peu plus pour découvrir Jimin, assis sur son lit. Sa tête calée contre ses bras reposés sur ses jambes repliées, il observait le ciel, sans doute perdu dans ses pensées. Les températures baissaient, cependant la chaleur engorgeait les murs et réchauffait l'immeuble. Me laissant la salle de bain en premier, Jimin s'était donc débarrassé de son pantalon pour être plus à l'aise.

Je m'appuyai contre l'embrasure de la porte, il posa les yeux sur moi. Il ne dit rien pendant un moment, peut-être surpris par la tenue que j'abordais, son regard observant quelques détails de mon corps. Ce qui m'étonnait toujours avec Jimin, c'est que je réussissais à soutenir son regard tout en me dévoilant à lui au sens propre du terme.

Je ne ressentais aucune timidité à ses côtés, au contraire.

« Tu vas me reluquer toute la soirée ou tu me rejoins ? »

Je battis des paupières. Jimin éclata de rire, puis ses doigts tapotèrent le matelas. Je m'approchai machinalement et une fois installé, il se concentra sur mes cheveux afin de tresser quelques mèches ensemble. Satisfait, il ébouriffa ma chevelure, puis sa main retomba sur ma cuisse. Il aimait bien créer de petits cercles avec son pouce, et moi j'adorais sentir son toucher sur ma peau nue.

Il garda un moment le silence, concentré sur le bout de sa chemise qu'il triturait. Il ne l'avait pas fait depuis des mois, Jimin m'apparaissait nerveux et je compris que quelque chose le tracassait.

J'enroulai mon bras autour de sa taille, il sursauta en secouant la tête. Une nouvelle fois, il s'était perdu dans ses pensées et je caressai doucement le bas de son dos, curieux et sans pour autant vouloir le presser.

« Je veux que tu rencontres mes parents aussi. » confia-t-il.

J'entrouvris les lèvres. Jimin observa ma réaction avec un léger sourire, puis baissa le regard en acquiesçant.

« J'ai attendu trop longtemps, je ne veux plus perdre de temps, poursuivit-il. Quand tu m'as avoué vouloir tout dire à tes parents, je n'ai pas su comment réagir... Jungkook, tu m'as vraiment pris au dépourvu. »

Il se recroquevilla sur lui-même, mais sa voix garda sa fermeté et sa force.

« Je ne sais pas si tu te rends compte, mais tu as été ma lueur d'espoir. Et encore aujourd'hui, tu ne cesses de me surprendre. Jamais je n'aurais pensé connaître quelque chose d'aussi fort avec quelqu'un, quelque chose d'aussi beau. Jamais je n'aurais pensé qu'un garçon dont je suis amoureux, et bon sang, qui m'aime tout autant, veuille l'affirmer devant ses parents. Et en même temps, j'ai peur que d'un moment à l'autre...

- Tout puisse se briser. »

Jimin se mordit la lèvre.

« C'est ce qui m'effraie le plus.

- Je ressens la même peur. » avouai-je.

L'inquiétude ternissait l'expression de son visage, qui se mêla une certaine appréhension. Il pensait être le seul à ressentir tout cela, sans doute parce que c'était la première fois, mais mon expérience en amour ne m'éloignait pas de sa situation. Je n'avais jamais connu de relation si forte, si belle, et en même temps, si fragile. Le lien qui nous unissait pouvait se briser à n'importe quel moment parce que nous étions deux garçons, deux garçons qui s'aimaient éperdument et qui pourtant, ne suffisaient à combattre le mal environnant. Une seule fissure pouvait déchirer notre amour éprouvé par tant et tant de malveillance, qui tapie dans l'ombre, patientait sagement l'opportunité de nous sauter au cou dès le moindre signe de faiblesse.

Jimin m'attrapa les mains et les serra dans les siennes. Toute trace de crainte s'était envolée, ses traits s'étaient adoucis en invitant le courage plutôt que la peur.

« Je veux profiter de chaque instant et je veux que mes parents sachent à quel point je suis amoureux. Si tes parents doivent savoir, autant que les miens le sachent aussi. Et tu sais quoi ? Ils comprendront. Je suis certain qu'ils comprendront. Enfin, il faut seulement que tu acceptes, je ne vais pas t'obliger--

- Bien sûr que je veux rencontrer tes parents, assurai-je. Faisons ça, sweetie.

- Merci Gyu... tu peux pas savoir comme tu me rends heureux. »

Je rendais Jimin heureux, que pouvais-je souhaiter de plus ? La reconnaissance que je décelais en lui m'insuffla l'audace de faire le premier pas ce soir, alors je resserrai mon emprise autour de sa taille pour le rapprocher de moi. De ma main libre, j'effleurai l'arrondi de la joue, la pulpe de mes doigts plongée dans sa chevelure blonde.

Je dérobai quelques instants au temps, le priant pour qu'il m'offre quelques secondes en plus afin d'admirer l'ange qui se tenait dans mes bras.

« Tu es la personne qui m'est la plus chère au monde. » murmura Jimin.

Un léger sourire fleurit sur ses lèvres, roses, parfumées, que je cueillis à l'aide d'un baiser. Ses mains posées sur ma taille nous intimèrent de nous allonger. Sans se séparer, je surplombai son corps tandis qu'il glissait ses jambes entre les miennes, mes genoux posés de part et d'autre de ses hanches, ses bras désormais enroulés autour de mes côtes. Mis à part notre moment d'égarement le premier soir, nous ne nous étions seulement câlinés durant ce road trip.

Jimin m'était bien trop attrayant. Et Jimin me manquait, atrocement.

À bout de souffle, je rompis notre baiser. Quelques gouttes d'eau dévalaient sa peau et je me retins de ne pas les chasser à l'aide de quelques baisers. Il remarqua mon intérêt pour ces dernières, sa lueur malicieuse se mua en désir, et sa main replaça délicatement une mèche de mes cheveux mouillés derrière mon oreille.

Je haussai les sourcils.

« Tu sais bien que faire ça ne sert à rien.

- Mais j'aime bien jouer avec tes cheveux...

- Justement cutie, je ne vois pas pourquoi tu les arranges alors que dans quelques minutes tu tireras dessus pour--

- Jungkook ! »

Mon sourire en coin se dessina. Le regard de Jimin le fixa un moment, puis il le détourna sur le côté.

« Ferme les yeux.

- Tu vas m'attacher ? songeai-je aussitôt.

- Tais-toi et fais ce que je te dis. »

Je l'écoutai sans broncher. Je sentis Jimin me pousser vers l'arrière en se relevant, et je me retrouvai assis en tailleur. Je n'entendis ni les draps se froisser, ni le plancher craquer. Je conclus qu'il n'était pas parti. J'étais très curieux, pas vraiment patient, Jimin non plus d'ailleurs alors je devinais qu'il ne me ferait pas attendre très longtemps.

Un toucher des plus délicats frôla mes lèvres. Jimin soutint mon visage en tenant mon menton et continua d'appliquer cette douce caresse sur ma peau en chantonnant.

Lorsque le contact disparut, je rouvris les paupières. L'expression ravie de Jimin m'accueillit. Son index m'effleura la lèvre inférieure, puis tapota sa gorge en m'invitant à le suivre. Mon visage se nicha spontanément dans le creux de son cou, ses bras se nouèrent autour du mien et Jimin nous fit à nouveau basculer sur le lit, moi sur lui, lui contre moi. Je le chatouillai de baisers que je répandais par-ci par-là, enivré par son parfum acidulé qui me rappelait notre toute première fois, et il se tortilla en essayant de m'échapper, ses mots mélangés à son rire et ses soupirs.

« Gyu, il ne t'en restera plus pour la suite... »

Je relevai aussitôt la tête, intrigué. Jimin me caressait gentiment les cheveux et m'incita à prêter plus attention à son cou. Sa peau scintillait. Je frottai aussitôt mon pouce contre mes lèvres pour découvrir qu'elles brillaient également.

Jimin secouait un baume à lèvres dans sa main gauche. Il tenait la réponse à ma question et je crus halluciner en reconnaissant le coquillage dessiné dessus.

« J'ai demandé à Poppy si elle pouvait m'envoyer un paquet, minauda Jimin. Il est arrivé il y a quelques semaines, alors je n'avais pas eu le temps de l'essayer avant.

- Je rêve. »

Jimin fut troublé par ma réponse avant de hoqueter lorsque je me laissai tomber sur son bassin.

« Je donne l'adresse de Poppy et Leticia à mon copain pour qu'elles arrêtent de lui consacrer les trois-quarts de nos lettres et mon copain les utilise à ses fins ? »

Il éclata de rire.

« Gyu, n'exagère pas...

- Je n'exagère pas, réfutai-je en lui pinçant le nez. Elles étaient plus intéressées par toi que pas moi. Heureusement que je ne suis pas susceptible.

- Oh oui, heureusement ! Ce n'est donc pas pour ça qu'elles doivent nous envoyer des lettres séparément au risque de te vexer. »

Je fis la moue. Jimin marquait peut-être un petit point. Elles m'avaient connu lorsque j'avais huit ans, j'avais toujours été habitué à être leur petit protégé et me faire voler la vedette par Jimin n'était pas dans mes plans.

Je ne savais même pas pourquoi j'étais étonné en fait. Jimin ensorcelait tout le monde.

« Je te promets qu'on discute à travers nos lettres aussi. Namjoon-hyung peut témoigner.

- Mh.

- Arrête de bouder. Je leur ai demandé de m'envoyer le baume à lèvres pour toi, en plus. »

Taquin, je glissai mes mains sous sa chemise. Mes paumes en contact avec sa peau, je perçus sans peine les frissons qui la parcoururent tandis que mes caresses grimpaient au fur et à mesure. Jimin se pinçait l'intérieur de la joue, je décelais la lueur désireuse qui illuminait ses pupilles, et je voulais l'entendre, je voulais tout entendre.

« Mais j'ai déjà du baume à lèvres ici, pourtant... »

Je poursuivis mon avancée, Jimin serra les poings et prit une grande inspiration.

« Je préfère quand tu mets celui avec les paillettes.

- Ah oui ? Pourquoi ? »

Jimin craqua. Ses doigts s'enroulèrent autour de mes poignets pour stopper mes caresses, et il me tira à lui en enfonçant mes mains dans les oreillers qui l'encerclaient. Quelques centimètres à peine nous séparaient, son regard me happait sans que je ne puisse résister, son souffle chaud se calait sur ma respiration saccadée.

« Parce que je veux te voir partout sur mon corps, chuchota-t-il. En Australie, je pensais nager en plein rêve et me réveiller un jour sans toi. Mais tes baisers me prouvaient toujours le contraire... tu es là, tu as toujours été là.

- Damnit. »

Il fallait que je dévore ses lèvres avant qu'elles ne m'achèvent. Le brasier de sentiments qu'il déclenchait au fond de ma poitrine semblait éternel, mais si Jimin poursuivait, je risquais de ne pas faire long feu.

« Le baume à lèvres ne tiendra même pas la semaine, l'avertis-je en embrassant sa mâchoire.

- Le reste est sur la table de chevet. »

Je lançai un coup d'œil sur la gauche pour découvrir la boîte en carton ouverte, déposée devant le cadre-photo rouge.

« Tu avais tout prévu ? dis-je en cajolant distraitement sa taille.

- Te connaissant...

- Tu en redemandes tout autant, Jimin-ssi.

- Chut.

- Avoue-le.

- Embrasse-moi.

- Tout de suite. »

Nos nez se frôlaient, nos souffles se mêlaient, nos cœurs se cherchaient. Jimin me captivait autant qu'il m'attirait, je ne me lassais jamais de le détailler. Les vagues semblaient avoir délaissé quelques grains de sable sur sa peau, que Jimin au début cachait, que j'aimais tant et tant embrasser, qu'il dévoilait désormais. Ces vagues qui semblaient animer le regard de Jimin, son si beau regard auréolé d'iris bruns, pourvu d'un océan d'émotions dans lequel je me noyais. Dès le premier jour, je l'avais vu. J'avais vu à quel point Jimin s'exprimait par ses gestes, dans ses expressions, grâce à son regard. Il m'avait fasciné par son allure, touché par ce torrent de sentiments, attiré par la pureté que dégageait son aura. Jimin était un être humain avant tout, un être doté d'émotions qui le submergeaient, qu'il exprimait d'une manière qui comme personne d'autre ne me touchait.

Et j'en pris conscience. Je n'y avais pas réellement songé, ce n'était pas ce qui m'importait, mais j'étais sans doute tombé amoureux de Jimin la première fois où nous nous étions rencontrés. Aujourd'hui encore, j'ignorais ce qui m'avait poussé à lui nouer le collier autour du cou, alors que nous ne nous connaissions pas, alors que nous n'étions que des inconnus à cette époque-là. Je m'étais simplement dit que la parure le ravirait peut-être.

Je n'aurais jamais deviné que notre relation deviendrait aussi précieuse que les perles qui nous avaient toujours liés.

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