Je passai de formidables vacances. Elles furent riches en repos, en bonheur et par-dessus tout, en réconfort. Les sorties au bord de la mer accompagnèrent la plupart de mes longues journées à somnoler tantôt avec mon frère, tantôt avec mes parents. Ils s'étaient tous les trois relayés durant ma visite à Busan, où je m'étais installé dans ma maison d'enfance pour leur rendre visite. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils proposent autant de sorties entre nous, ou du moins, leur constante compagnie. J'avais décelé dans leur regard une certaine inquiétude mêlée à tout l'amour qu'ils m'offraient, mais que j'avais rapidement dissipé en leur expliquant mon ressenti éprouvé lors de ces derniers mois à Séoul. Parce que Jimin m'en avait convaincu, je m'étais dépêché de tout leur raconter, et après une petite tape dans la nuque de la part de ma mère, nous nous étions tous les quatre pris dans les bras. Mon hyung m'avoua qu'il avait eu beaucoup de mal les premières semaines, ce que j'avais ignoré jusque-là. C'était normal et je ne devais pas m'en faire. Seungkwan avait réussi à dépasser ses doutes, alors il était persuadé que j'en ferais de même. Et je le croyais.

Il m'emmena souvent dans le jardin discuter sous les étoiles. En Australie, nous avions pris l'habitude de nous échapper par l'arrière de notre maison pour rejoindre la plage. À Busan, Seungkwan ne s'était pas empêché de nous remémorer quelques souvenirs, notamment à propos de la méduse qui avait piqué notre père une fois, ou nos péripéties sur les terres rougeoyantes peuplées de vaches célestes. Je lui avouai avoir révélé ce secret à Jimin il y a plus d'un an, et Seungkwan me demanda comment il allait. Je lui répondis qu'au moment même où nous avions le nez pointé vers les étoiles, Jimin, à l'autre bout du pays, les observait peut-être aussi.

Seungkwan connaissait notre relation. J'avais une confiance inouïe en mon frère et c'était réciproque. Je n'avais pas hésité à lui confier être amoureux de Jimin. Il avait été le premier à savoir pour le garçon que j'avais rencontré lors d'une fête, il y a quelques années. Tant que nous respections les règles de l'art, c'est-à-dire se protéger et s'assurer du consentement de chaque partenaire, il ne me taperait pas sur les doigts. J'avais été tellement soulagé que Seungkwan le prenne de cette manière, tellement reconnaissant lorsqu'il m'avait promis de se battre contre n'importe quel obstacle qui m'empêcherait d'aimer Jimin. Au fond, nous espérions tous les deux que nos parents soient tolérants. Je ne le leur avais toujours pas annoncé.

Ils furent si enthousiastes de voir Jimin à la télévision que j'avais préféré reporter la nouvelle à plus tard. Fin juillet, la chaîne d'information locale avait fait un reportage sur le spectacle qui avait animé toute la ville, et bien que la troupe de Jimin et Yongsun ne fût guère interviewée, le cameraman eut la gentillesse de filmer les danseurs réunis en arrière-plan. Sous l'excitation, j'avais appelé Hoseok qui avait hurlé avec moi à l'autre bout de la ligne. Une semaine plus tard, Seokjin composa le numéro de la maison pour clamer haut et fort qu'il était parvenu à acheter le journal qui avait mis en lumière quelques danseurs du spectacle. Jimin et Yongsun en faisaient partie.

Je me demandais encore comment Seokjin s'était-il procuré le numéro de mes parents.

En pointant Jimin sur l'écran de la télévision, ma mère s'était exclamée qu'il était encore plus beau que sur les photographies que je leur avais amenées. J'avais évité de leur montrer celles que je gardais jalousement dans mon portefeuille, que Seungkwan avait découvertes en fouinant dans mes affaires une fois.

La veille de mon départ, mon père me demanda s'ils auraient l'occasion de rencontrer mes amis à Séoul. Il souhaitait absolument remercier les personnes qui prenaient soin de son petit garçon. Je lui rétorquai que je n'étais plus un enfant, mais avec mes oreilles rouges d'embarras, il ne put s'empêcher de me prendre dans ses bras. Je leur manquais autant qu'ils me manquaient, mon séjour paraissait n'avoir duré que quelques jours. Mon père m'assura cependant qu'il était le plus heureux des hommes en voyant ses fils voler de leurs propres ailes.

La voix grésillante du haut-parleur annonça l'arrivée imminente du train. Je décollai mes yeux du paysage urbain pour les reporter sur les voyageurs, qui préparaient leurs affaires. Mon voisin de siège paraissait impatient à l'idée de sortir de cette fournaise, et je le comprenais. Il nous avait été impossible d'entrouvrir les vitres, alors même en t-shirt, nous transpirions à en perdre haleine.

Une fois le train figé, il se propulsa vers les portes non sans me saluer. J'eus à peine le temps de lui répondre qu'il courrait déjà à travers la gare. Un sourire amusé aux lèvres, j'attrapai l'étui de ma guitare, mes sacs ainsi que ceux d'une petite dame qui me le demanda. Je lui proposai mon aide, qu'elle refusa poliment en portant ses bagages à bout de bras, sous l'étonnement d'un contrôleur qui lui souhaita simplement une bonne fin de journée. Je la suivis et veillai à ce qu'elle ne manque pas la marche du train, puis elle se retourna en m'apercevant derrière son dos. Sa main délivrée d'un bagage, elle me tapota fermement le dos pour me remercier, avant de repartir joyeusement vers la sortie de la gare.

Cette petite dame était dotée d'une poigne phénoménale.

Sa silhouette glissa à côté d'un groupe de quatre personnes. Je crus halluciner en reconnaissant la tornade blonde qui fonçait sur moi, talonnée par la rafale brune qui tonnait mon prénom.

Jimin et Hoseok me tombèrent dessus. Je les serrai instinctivement dans mes bras, bien trop sonné pour leur demander ce qu'ils faisaient là en plein après-midi. Peu importait néanmoins, ils me comblèrent de joie.

Hoseok se détacha en premier.

« Je rêvais de faire ça ! s'exclama-t-il.

- Me tendre une embuscade dans une gare ? demandai-je en riant, une main toujours contre la taille de Jimin.

- T'accueillir à bras ouverts plutôt ! La première fois, tu tenais tellement à surprendre Jimin que je me suis gardé de te faire prendre du retard en t'attendant à la gare... mais cette fois-ci tout le monde était au courant que tu revenais, alors j'ai sauté sur l'occasion !

- Une très jolie occasion, murmura Jimin en posant son menton contre ma clavicule. Oh ! Tes cheveux ! »

Je soufflai sur les mèches qui dissimulaient à nouveau mes yeux.

« Ils aiment bien l'air marin. À chaque fois que je baignais, je ressortais de l'eau avec des bouclettes. »

Jimin avait des cœurs dans les yeux en m'écoutant parler de mes bouclettes. Je bombai le torse, fier de mon effet, et il me frappa en s'esclaffant.

« Vous m'avez tous manqués, leur dis-je en reprenant mon sérieux. J'ai repensé à plein de souvenirs quand j'étais sur la plage.

- Tu parles de mes exploits ? minauda Jimin.

- Arrête de prendre tes rêves pour la réalité, répliqua Hoseok. Je parie que mon allure goofy l'a plus marqué que tes chutes.

- Justement, elles étaient mémorables.

- J'ai dansé avec les vagues.

- Je me suis noyé.

- Ouais, bon, t'es irrécupérable. »

Ils me fixèrent brusquement, ce qui me fit sursauter. Leur petit air suppliant me quémandait de les départager, or il s'agissait d'un rôle très dangereux qu'ils me demandaient d'endosser. De quoi l'avenir serait-il fait ? Perdrais-je les faveurs de l'un si je favorisais l'autre ? Connaissant ces deux-là, j'en étais persuadé.

Mon regard se perdit un moment sur mes noona qui avançaient vers nous. J'oubliai totalement le reste du monde en les voyant, notamment Sooyoung qui était vêtue d'une large salopette sur un t-shirt violet, ce dernier accordé au bandeau serré autour de son chignon. Je délaissai les garçons pour rejoindre les filles, moins bruyantes et bien plus souriantes que les deux autres plongés dans leurs chamailleries.

« Noona, je crois que t'as pris un peu de ventre ! lui annonçai-je une fois à sa hauteur.

- Mince ! Je me suis un peu laissée aller, ça se voit tant que ça ?

- Il faut dire qu'avec Hoseok, difficile de résister à toutes ses gâteries. » chuchota Yongsun.

Elle m'ébouriffa les cheveux tandis que Sooyoung caressait son ventre rond. Leur enfant pointerait le bout de son nez dans quelques semaines et j'étais tout excité à cette idée. Honnêtement, j'avais beau étudier la science depuis un moment, j'étais toujours aussi impressionné par ce que Mère Nature avait façonné durant des milliards d'années. Je souhaitais travailler dans un milieu où la faune et la flore prospéraient, mais rien ne m'empêchait de m'émerveiller devant l'espèce humaine.

En fait, il m'en fallait peu pour être subjugué.

Je n'avais qu'à contempler Jimin pour être captivé.

« Je peux tout de même te donner un câlin ? proposa Sooyoung.

- Qui suis-je pour refuser ? » déclarai-je en déposant mes bagages sur le sol.

J'enlaçai son corps avec délicatesse, ce qui n'empêcha pas Sooyoung de plaquer sa joue contre mon torse en frottant gentiment mon dos. Je cherchai Yongsun du regard et la sentis finalement se joindre à nous sous l'impulsion de Sooyoung. Notre étreinte attira l'attention de Hoseok et Jimin qui déboulèrent aussitôt pour ne pas manquer le moment.

Je les aimais si fort.

Et quelqu'un semblait du même avis que moi.

Je sentis un petit coup au niveau de mon propre ventre. Collé à Sooyoung, je sursautai avec elle à cause de la surprise, tandis que les autres s'éloignaient, étonnés par notre réaction. Face aux yeux interrogateurs de ma noona, je hochai vivement la tête pour lui assurer que j'avais également senti, et elle posa aussitôt ses mains sur son ventre.

Hoseok hoqueta.

« C'est le bébé ? »

Sooyoung acquiesça. Il se mit à sautiller autour de nous sous le coup de l'excitation et de la joie.

« C'est l'effet Jungkook, argumenta Yongsun en tapotant le haut de ma tête.

- Mais non, il a sûrement dû sentir le câlin groupé..., rétorquai-je.

- Il a recommencé ! » s'écria Sooyoung.

Après avoir demandé mon accord, elle m'attrapa les poignets et posa mes mains sur son ventre. Hoseok se figea un instant avant de les couvrir des siennes, imité par Jimin et Yongsun qui posèrent les leurs sur les côtés.

« Vous pensez qu'il aime bien la voix de Jungkook ? songea Sooyoung.

- Ou alors le bébé a senti que c'était avec lui qu'il jouerait au toboggan, plaisanta Jimin.

- J'ai vingt-quatre ans de plus que le bébé. » ronchonnai-je.

Nouveau petit coup.

« JE VAIS M'ÉVANOUIR ! s'écria Hoseok.

- Bon sang, qu'est-ce que ça va être pendant l'accouchement..., se lamenta Jimin.

- Taisez-vous, les gronda Yongsun. Le bébé ne veut pas vous entendre vous mais Jungkook. »

Cette fois-ci, ils me fixèrent tous les quatre.

« Vous ne me demandez pas de chanter en plein milieu de la gare tout de même ? »

Un autre petit coup. Les quatre paires d'yeux ne me lâchaient pas. J'étais cerné.

Je soupirai pour finir par abdiquer. Je choisis une chanson que ma mère nous chantait souvent avec Seungkwan, que nous connaissions par cœur pour l'avoir entendue durant toute notre enfance. Ma voix murmura alors les premières paroles de I Love You For Sentimental Reasons, hésitante au début, puis peu à peu de plus en plus claire et affirmée. Si je pouvais faire plaisir à Hoseok et à Sooyoung en chantant à leur bébé, je le faisais sans appréhension.

Mon chant s'échoua au bord de mes lèvres à la fin du dernier couplet. Le bébé ne réagit pas et je fis la moue.

« J'en connais un qui s'est endormi, dit Sooyoung d'une voix douce. Merci de l'avoir bercé Jungkookie.

- Je trouve que je suis un meilleur spectateur, rouspéta Jimin. Votre bébé n'a même pas eu la décence d'applaudir l'artiste. »

Yongsun repoussa Jimin. Il lui tira la langue puis me lança un clin d'œil, auquel je répondis par un petit sourire.

« Sooyoung a raison, ajouta Hoseok. Ça te dirait de venir tous les soirs pour le bercer ?

- Et pour que vous sortiez en amoureux ? Pourquoi pas !

- Oh je t'en demandais pas tant... mais si tu insistes.

- N'abuse pas de sa gentillesse, le sermonna Sooyoung.

- Il l'a proposé de son plein gré ! Je clarifie simplement les modalités. »

Elle roula des yeux avant de lui plaquer un baiser sur la joue.

« Ce ne sera pas avant un moment, ne nous précipitons pas. Pour l'instant Jungkook, tu as des vacances à passer avec nous !

- Avec vous trois plutôt. Contrairement à certains, Namjoon, Seokjin et moi, on ne peut pas se la couler douce.

- Quelle effroyable femme à te faire travailler, renchérit Yongsun.

- Et comment ! D'ailleurs, je dois être à la salle dans trente-cinq minutes. Je te dépose aussi, noona ?

- Je préfère oui, les deux amoureux ne se lâchent déjà plus des yeux.

- Hein ? » bredouillai-je.

Hoseok, Yongsun et Sooyoung éclatèrent de rire en s'engageant vers le chemin de la sortie. Troublé, ce fut Jimin qui me tira de mon nuage en glissant sa petite main dans la mienne. Il avait attrapé l'un de mes bagages de l'autre et attendait que je le suivre en récupérant le second.

Il m'avait tant manqué. Nous nous étions appelés toutes les semaines pour discuter de son spectacle, de mon séjour chez mes parents, de tas d'autres petites choses qui avaient modelé nos conversations durant des heures, mais une nouvelle fois, sa présence m'était plus qu'importante.

Grâce à son pas en avant, nous nous étions tout dit avant les vacances, alors nous avions pu discuter sans appréhension. J'en étais persuadé, Jimin avait pris la meilleure décision.

Je voulais être plus fort encore pour lui.

« Jimin ? »

Il se retourna vers moi, nos mains toujours entrelacées.

« Je veux te présenter à mes parents. »

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