❁ 18
Ma sieste fut écourtée par la sonnerie du téléphone. Je n'aurais pas dû grimacer en ronchonnant que je dormais trop bien pour sortir du lit, je n'aurais pas dû avoir la tentation d'ignorer cet appel pour retomber dans les bras du sommeil, parce que je n'aurais tout simplement pas dû m'assoupir. Je m'étais seulement allongé sur mon matelas pour récupérer et travailler ensuite, mais le confort des draps était parvenu à me retenir un peu plus.
Cooky avait endossé le rôle d'oreiller. En levant la tête, j'éternuai maladroitement et manquai de tomber à la renverse. Je fixai la peluche d'un regard accusateur, puis décidai de me lever pour faire taire cette sonnerie incessante. Pas de doute, Namjoon n'était pas revenu du travail, il aurait lui-même répondu le cas contraire.
Je me dirigeai d'un pas nonchalant vers le salon, mon lapin tenu dans ma main par une patte. Je laissai mon corps retomber sur le canapé en décrochant et assurai à mon interlocuteur que je l'écoutais.
« Jeon Jungkook ! s'écria ma mère. Ton père et moi attendions de tes nouvelles, est-ce que par hasard tu aurais oublié de nous appeler ?
- Ta mère était très inquiète.
- Ton père m'a obligée à t'appeler, corrigea-t-elle. Il pensait que tu avais été enlevé.
- Tu vas nous faire le même coup de ton frère, Kookie ? Tu vas vivre ta vie pleine de jeunesse en abandonnant tes vieux parents ?
- Hi mom, hi dad. »
J'entendis mes parents retenir leur souffle. Ils s'étaient sans doute préparés à clamer une longue tirade à propos de leur fils indigne qui ne se souciait plus d'eux, et ce sans que ce dernier ne conteste.
Ma prise de parole les avait déroutés.
« Qu'est-ce que c'est que cette voix ? me demanda doucement ma mère. Tu es malade ?
- En fait je me suis endormi sans faire exprès. Et je viens de me réveiller.
- Tu es fatigué ? » s'enquit mon père.
Les mots de Taehyung me revinrent en mémoire. J'hésitai à leur dévoiler toute la vérité, parce que jamais je n'avais été confronté à une situation pareille. Durant mon enfance j'avais mes hyung. En Australie, j'étais resté dans mon coin avec mes amis d'école sans que personne ne vienne nous importuner. De retour à l'université, seul le mépris silencieux de quelques étudiant me peinait, mais ce n'était pas du tout du harcèlement. Le temps était mon meilleur allié, bientôt, ces gens-là ne seraient plus un souci puisque je m'éloignerais d'eux.
J'enroulai distraitement les oreilles de Cooky autour de mes doigts.
« Honnêtement je ne m'attendais pas à avoir autant de travail, leur avouai-je. J'avais beaucoup de choses à rattraper, enfin encore maintenant mais ça se réduit chaque jour un peu.
- Excuse-nous Kookie, soupira ma mère. J'ignore pourquoi on n'y a pas pensé plus tôt... je crois qu'on était aveuglé par Seungkwan, tout s'est tellement bien passé pour lui qu'on s'est dit qu'il en serait de même pour toi.
- Ta mère a raison. Est-ce qu'on te dérange du coup ?
- Non, pas du tout ! Justement vous avez bien fait, j'aurais dû vous appeler... j'ai eu beaucoup de travail mais les hyung m'ont aidé. Ils veillent bien sur moi.
- Bon... on est contents de l'apprendre, affirma mon père. Ça se passe bien avec Namjoon ?
- Je n'aurais pas pu rêver meilleur colocataire. Il a même prévenu Jimin quand ça n'allait pas.
- Il faudra vraiment que tu nous les présentes Kookie, pas vrai Junho ? »
Mes parents étaient d'accord sur ce point, ils appréciaient mes amis. Pour cette raison, je me doutais que ma famille ne m'avait pas contacté en mai parce qu'elle savait que je n'étais pas isolé. J'étais adulte. Ils m'avaient laissé énormément de liberté lorsque j'étais resté en Australie, je m'étais débrouillé par mes propres moyens. Cette séparation avait été une réelle étape dans nos vies car nous avions toujours été très proches tous les quatre, très soudés. Passer à se voir tous les jours à ne recevoir que quelques appels par mois fut une épreuve assez douloureuse pour moi, bien que nécessaire. Elle m'avait permis de devenir indépendant. Et mes parents en étaient conscients. À mes dix-huit ans, ils me considéraient bel et bien comme leur bébé, à présent, il s'agissait d'un surnom affectueux, mais plus tellement apte à me définir réellement.
« Quand ça se calmera, je vous inviterai chez nous, promis-je. Par contre, à une condition : Seungie-hyung doit venir. Vous êtes trop embarrassants sans lui pour vous retenir.
- Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, réfuta ma mère. Il te manque, voilà la vraie raison. »
Je ne pouvais guère contester, mon frère me manquait. Je leur promis également de l'appeler et ils m'avouèrent que Seungkwan n'attendait que cela. Si par miracle je réussissais mes examens avant les vacances d'été, je les rejoindrais à Busan. J'avais envie de pouvoir les voir plus qu'une simple soirée, et cette idée plut à mes parents qui m'affirmèrent qu'il y aurait toujours une place pour moi dans leur maison.
Après avoir échangé quelques banalités, ma mère déclara que nous devions raccrocher au risque de converser toute la nuit. J'éclatai de rire en imaginant son air malicieux, elle ciblait notamment mon père qui s'apparentait parfois à un véritable moulin à paroles. Il s'agissait sans doute des vestiges de mon enfance, lorsqu'il me racontait l'histoire du soir. Ma mère s'occupait de Seungkwan et terminait toujours la première, tandis que l'âme de conteur de mon père s'animait.
Ils me souhaitèrent force et courage, puis me demandèrent que je les appelle moi-même la prochaine fois, histoire de ne pas troubler ma sieste. Sur cette dernière taquinerie, ils me laissèrent et je déposai le téléphone, réconforté.
Mes oreilles captèrent le grincement du parquet et je tombai nez à nez sur Namjoon, qui, sur la pointe des pieds, longeait discrètement le salon. Concentré, il ne remarqua pas que je l'avais aperçu.
« Hyung ? »
Namjoon se figea.
« Je t'ai vu. » précisai-je en pouffant de rire.
Il se retourna, l'air désolé.
« Oh, tu as fini ? »
Il me rejoignit en s'asseyant sur le canapé. Il était arrivé du travail il y a une dizaine de minutes, mais j'étais tellement focalisé sur la conversation et mon lapin en peluche que je ne l'avais pas entendu.
« Ça fait un bout de temps que je ne te retrouve pas sur le canapé, se moqua-t-il gentiment. J'ai tout même l'impression que tu dors mieux, alors je ne me plains pas. »
Je m'excusai auprès de Namjoon. Je n'étais pas un colocataire intéressant, je restais dans ma chambre la plupart du temps. Avant qu'il ne proteste, je le remerciai une nouvelle fois de veiller aussi bien sur moi et lui appris que ses efforts payaient car je rattrapais mon retard. Je lui déballai tout sans m'en rendre compte, en passant par mon amitié avec Yubin, mes devoirs ratés rendus à M. Choi, les encouragements de M. Kim, mes rares bonnes notes. Je ne le regardai pas dans les yeux, je n'y parvenais pas, je me réfugiais sur Cooky qui devait passer un mauvais quart d'heure à cause de mes gestes nerveux. Je perdais peu à peu la notion du temps, j'oubliais la raison pour laquelle j'étais assis dans le salon, je posais seulement des mots sur ce que je ressentais depuis un moment. Taehyung avait compris mes quelques problèmes par lui-même, mes parents se doutaient que j'avais du mal, Namjoon connaissait désormais mon ressenti.
Il y avait le regard d'autrui, aussi. Pas seulement à l'université, le reste du temps plutôt : dans la rue, les cafés, les magasins, les jardins, en bref, là où Jimin et moi pouvions être insultés suite à un simple baiser. Nous devions par-dessus tout maintenir une distance, alors que nous étions ensemble.
Jimin était en-dehors de tout cela. Je m'en voulais terriblement, et d'un autre côté, je voulais simplement qu'il soit heureux. Il s'entraînait sans relâche pour perfectionner ses prestations, lui ajouter un poids sur les épaules en lui confiant mon mal-être était inconcevable à mes yeux. Il m'apportait énormément, il était hors de question qu'en retour, je lui incombe un tel fardeau. Nous nous étions retrouvés il y a peu, je ne souhaitais pas l'attrister en lui confiant que de simples inconnus me blessaient.
Je le séparais de mes soucis pour le protéger, convaincu qu'il s'agissait de la meilleure chose à faire.
« Jungkook, tu peux me regarder s'il te plaît ? »
J'ancrai difficilement mes yeux dans le regard de Namjoon. J'avais l'impression de ressentir une pression phénoménale sur la nuque qui me dictait de baisser la tête. Namjoon était un hyung si bienveillant, pourtant, je ne parvenais guère à le fixer après tout ce que je lui avais raconté.
Il me pressa gentiment l'épaule pour me rassurer.
« Tu n'as pas l'habitude de te confier, n'est-ce pas ? »
J'entrouvris les lèvres. Comment réussissait-il à deviner ce qui tourbillonnait dans mon esprit ? Ma personnalité était-elle si démarquée pour qu'un seul regard suffise à la déchiffrer ?
« Pas vraiment.
- Tu sais que c'est mauvais ? »
J'opinai.
« Bien sûr, quand quelque chose nous tracasse il vaut mieux en parler.
- Alors pourquoi ne pas le faire ? C'est difficile pour toi ou tu n'as pas encore trouvé la personne de confiance ? »
Je fronçai les sourcils en relevant le menton.
« J'ai confiance en toi. »
Un sourire se dessina.
« Je sais, Jungkook. En l'espace de quelques minutes, tu m'as beaucoup parlé et ce n'est franchement pas dans tes habitudes de prendre la parole par toi-même. J'imagine que tout ça te taraude. Mais est-ce que tu m'as vraiment tout dit ? »
J'attrapai instinctivement la perle de mon collier, serrant ma peluche contre mon torse. Techniquement, Taehyung en savait un peu plus, mais il l'avait deviné. Je ne l'avais jamais clamé à voix haute, il l'avait compris par lui-même. Namjoon lui, me paraissait réellement intouchable et je supposais que de méchantes remarques ne l'atteignaient pas. Je me doutais au contraire que Taehyung s'était forgé de cette manière. Lorsque j'avais prononcé le nom de Yonghwa et Dowoon, il n'avait pas semblé attristé.
Finalement, ils étaient tous deux insensibles aux moqueries.
N'était-ce pas moi qui exagérait la situation ? Au fond, était-ce peut-être ma propre personne, la coupable. Je n'espérais pas que Namjoon se range de mon côté, mais j'ignorais si je souhaitais recevoir des mots rassurants ou cinglants.
« À quoi ça servirait ? » dis-je sèchement.
Ma question désarçonna Namjoon. J'eus peur de le vexer à cause du ton que j'avais employé, je ne l'avais pas contrôlé. De vilains souvenirs se mêlaient à mes incertitudes, martelant mon crâne de mille et une pensées plus contradictoires les unes que les autres. J'en avais plus qu'assez d'être perdu de la sorte, je ressemblais à un gamin et cela ne devait pas me ressembler. Comment avais-je pu maîtriser ma vie en Australie sans l'aide de ma famille et voir mon monde s'écrouler en Corée du Sud ? Cela n'avait pas de sens.
« Par qui as-tu été blessé, Jungkook ? »
Je secouai les cheveux par réflexe, mais ils étaient désormais trop courts pour que je me cache derrière.
« Pourquoi se confier pour au final voir les personnes s'éloigner ? »
Namjoon se rapprocha de moi.
« Le voilà, le nœud du problème... tu as peur de trop t'attacher ? »
Je haussai les épaules. Machinalement, je m'appuyai un peu contre Namjoon qui enroula son bras autour de mes épaules. Je n'étais plus capable d'affronter son regard mais j'avais besoin de sentir son étreinte.
« Je ne sais pas, hyung, murmurai-je. Les rares fois où j'ai parlé de moi, que ce soit important ou non, je n'ai pas réussi à retenir mes amis près de moi... à croire que je deviens inintéressant pour préférer rencontrer quelqu'un d'autre de plus passionnant. »
Il frotta doucement mon bras.
« C'est comme ça, dit-il simplement. Les gens viennent et partent, certains restent un long moment, d'autres ne sont que passagers dans ta vie. De cette façon on différencie nos proches, nos amis et nos rencontres.
- Mais pourquoi s'investir tant pour s'en aller ? m'interrogeai-je. Ce n'est pas plus rassurant de rester avec les personnes que l'on connaît et avec qui on s'entend bien ? Avec mes deux copines c'est différent, le sentiment est tout autre et au fond, je comprends pourquoi on s'est séparés mais... j'avais des amis avec qui je m'entendais au collège, au lycée et ils ont peu à peu disparu.
- Je comprends ta frayeur Jungkook, mais tu dois prendre le risque. »
Je pivotai vers Namjoon, surpris.
« Tu dois prendre le risque, tu dois rencontrer de nouvelles personnes et leur accorder ta confiance, reprit-il. Moi aussi j'ai vu des amis disparaître et moi-même je me suis éloigné d'autres pour diverses raisons. Mais entre tout ce monde, j'ai fait la connaissance de Jimin que je connais depuis tout petit, puis Hoseok et Seokjin, Yongsun, Sooyoung. Toi-même tu as pu retrouver Taehyung et Byungeun, pas vrai ? Et puis moi, je ne vais pas te lâcher de sitôt, Jungkook.
» J'ai eu l'audace de te parler de Juri sans en parler aux autres avant. Crois-moi, les gars étaient tous les trois vexés de ne pas avoir été les premiers à savoir. Comment je l'explique ? Je me suis senti confiant, alors je me suis lancé. »
Un sourire franchit la barrière de mes lèvres. Pourquoi ressentir cette peur ridicule lorsque j'avais à mes côtés d'incroyables amis ? Sans doute une habitude qui s'était immiscée dans ma personnalité et que je devais combattre. J'étais honnête mais parfois, je fautais à ce devoir à cause de cette frayeur à l'apparence insignifiante.
« Tu en as parlé à Jimin ? me demanda-t-il.
- Je ne veux pas y penser quand je suis avec lui.
- Je comprends. »
Les traits de Namjoon se durcirent.
« Mais ne laisse pas ce silence grandir, ou il vous éloignera. »
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