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Mme Kim nous donnait son cours comme si elle nous faisait la discussion. Véritable passionnée par sa matière, son débit de paroles interminables me déboussolait totalement. Parfois, elle s'intéressait sur un point en particulier et se répétait pour entrer dans les détails, ce qui me permettait d'annoter les formules sans me tromper. La plupart du temps néanmoins, je manquais de rapidité et laissais tomber la correction d'un exercice pour me concentrer sur un autre. J'avais peut-être un manuel à la maison qui me servait de support, hélas, il ne me suffisait pas. Mme Kim nous lançait des observations plus qu'importantes et je ne parvenais pas à tout réécrire.
J'étais bien plus lent que les autres étudiants. Je comprenais chaque mot de ma professeure, et en dépit de le connaître sur le bout des doigts, je ne m'étais encore familiarisé avec l'alphabet coréen. Au lycée avec Chan, nous n'écrivions pas autant qu'à l'université. Et c'était une énième lacune que je devais faire disparaître.
Après trois heures, Mme Kim termina son cours. Ma chaise râcla contre le sol, son bruit étouffé par les conversations de ma classe qui fusèrent dès lors. Deux étudiants se dépêchèrent de rejoindre notre professeure tandis que d'autres formaient des groupes distincts que j'avais appris à reconnaître.
Je n'avais pas osé parler à l'un d'eux. Je n'avais remarqué personne comme moi, isolée. Mon caractère introverti était bien plus à l'aise en face d'un étudiant plutôt que tout un groupe. Après tout, qu'espérais-je ? Je déboulais dans leur classe un mois après leur rentrée, les liens s'étaient déjà tissés entre eux.
Sans rajouter les regards en biais que certains me lançaient. Je les avais remarqués la semaine dernière, lorsque M. Kim m'avait parlé à la fin de son cours et je redoutais qu'ils ressurgissent à nouveau.
J'attendis que les étudiants sortent de la salle pour me diriger vers Mme Kim, lui tendant les exercices qu'elle m'avait proposés de faire pour qu'elle constate où en étais-je par rapport aux autres. Je croisais les doigts pour au moins avoir la moitié de mes réponses correctes.
Je remerciai Mme Kim, la saluai et emboîtai le pas d'une étudiante en retard. Elle retint la porte pour que je passe et j'inclinai la tête pour la remercier. Si je ne me trompais pas, elle s'appelait Yubin. C'était une fille discrète, plutôt bonne élève. La première fois que j'avais entendu sa voix, j'avais été surpris par son ton assez grave, qui lui donnait un joli charme. Elle paraissait gentille et ne me regardait pas mal, contrairement à certains.
Yubin entrouvrit les lèvres. Elle hésita un moment puis battit l'air d'une main, comme si elle me demandait d'oublier. Elle me salua et me souhaita une bonne journée avant de disparaître derrière les portes du bâtiment.
Venais-je de vivre ma première interaction au sein de l'université ? Nous n'avions échangé aucun mot, j'étais toutefois étrangement heureux. Namjoon avait raison, je devais me rapprocher d'un étudiant et peut-être pourrais-je tenter avec Yubin. À bien y penser, elle discutait avec tout le monde, je réussirais sans doute à lui demander des conseils sans être entouré par tout un groupe.
Perdu dans mes pensées, je bousculai un garçon.
« Non mais regarde où tu mets les pieds toi ! »
Je sursautai tout en reculant. La malchance était clairement de mon côté, il s'agissait d'un étudiant de mon groupe, mais j'avais totalement oublié son prénom.
« Excuse-moi, je ne t'avais pas vu, murmurai-je en rehaussant la bretelle de mon sac.
- Apprends à voir, j'étais devant toi. »
S'il ne restait pas planté au milieu du couloir, il éviterait sans doute ce type d'incident. Je préférais taire ce reproche, me contentant de hausser les épaules. Il roula des yeux en se décalant. Le passage libéré, l'attention était focalisée sur moi. Ils avaient tous cet air supérieur qui m'agaçait réellement. Peu à peu, j'avais compris pour quelle raison ils se comportaient de la sorte. J'avais fait quelque chose qui ne leur plaisait pas, par conséquent, ils ne m'acceptaient pas.
Je ressentis un soudain mal-être, ma poitrine se serra et je sortis du bâtiment. Je fermai ma veste pour atténuer cette vilaine douleur, en vain. En une semaine, je ne m'étais pas penché sur la question, à présent, la réponse était évidente. En plus d'avoir un retard phénoménal, j'allais sans doute rester seul dans mon coin. Je n'avais même plus le courage d'affronter ma timidité pour parler à Yubin.
Le trajet me parut plus long qu'à l'accoutumée. Le bus me déposa à deux pas de l'appartement et je n'eus qu'à faire quelques longues enjambées pour rejoindre mon immeuble.
L'appartement baignait dans le silence. Je finissais tôt le mardi, Namjoon revenait vers 18h30. J'avais de longues heures devant moi pour dissimuler ma mine déçue. Mon hyung m'avait prévenu, mes parents ainsi que mon frère bien avant lui, mais je n'avais pu m'empêcher de croire que tout se passerait bien. La réalité m'affichait désormais la dure vérité.
Chaussures retirées, je trainai le pas jusqu'à ma chambre. J'abandonnai ma veste et mon sac pour lourdement me laisser tomber sur ma chaise. Mon bureau rangé laissait apparaître mes pots de crayons remplis que je dévaliserais sûrement durant l'année, ainsi que ma radio décorée d'un post-it bleu.
Le cours de Mme Kim dépassait de mon sac qui jonchait au sol.
J'attrapai le post-it et sortis de la chambre. Il fallait que je me change les idées et une discussion au téléphone me semblait être la meilleure solution. Je m'assis alors sur le canapé et appuyai promptement sur les touches en composant le numéro inscrit sur le papier bleu.
« Oui ? » répondit une voix après quatre sonneries.
Les frissons parcoururent mes bras. J'écarquillai les yeux, venais-je réellement d'appeler Taehyung sur un coup de tête ? Byungeun m'avait gentiment donné son numéro comme il me l'avait promis, mais je n'avais pas prévu de le contacter si rapidement, en tout cas, pas sans réfléchir à quoi lui dire avant.
Je venais d'agir à l'exacte inverse.
« Kim Taehyung ? » demandai-je après avoir pris une forte inspiration.
Avec un peu de chance, je m'étais trompé en composant son numéro.
« C'est moi, affirma-t-il. Et vous êtes ? »
Ce serait impoli de lui raccrocher au nez, n'est-ce pas ? Byungeun m'avait prévenu que Taehyung était très occupé, je ne pouvais plus reculer.
« Jungkook. »
Taehyung ne répondit pas pendant un moment. Confus, j'observai plusieurs fois le téléphone en me demandant s'il était parti ou si l'appel avait été coupé.
« Jungkook, mon ami d'enfance ?
- Si tu es bien Taehyung mon ami d'enfance, alors nous parlons de la même personne. » dis-je, un sourire aux lèvres.
Il marqua un temps d'arrêt avant de reprendre :
« Oh... je t'avoue que... je suis surpris, je ne m'y attendais clairement pas.
- Je ne te dérange pas au moins ?
- Non pas le moins du monde. Ne t'inquiète pas pour ça. »
Machinalement, j'entourai une tresse autour de mes doigts pour jouer avec. Après avoir entendu Taehyung, je me demandais à quoi il pouvait ressembler. Je me souvenais de sa tignasse noire sans cesse en bataille, de son beau sourire atypique, de sa peau bronzée par le travail à la ferme. Ses parents habitaient à l'orée de la ville et possédaient des terres. Il m'était arrivé de dormir chez lui et mes yeux de petit garçon s'étaient émerveillés devant les champs de fleurs et de légumes visibles à travers les fenêtres de sa maison. Taehyung était l'aîné d'une fratrie de quatre enfants, alors je m'étais toujours senti comme un cinquième petit-frère avec lui.
« Tu es parti il y a combien de temps déjà ?
- Environ seize ans je dirais ? Je ne sais plus quel mois précisément, je pleurais tellement à l'époque que je ne suis pas sorti de ma chambre pendant des jours.
- J'ai beaucoup pleuré aussi, m'avoua-t-il. J'ai essayé de rattraper l'avion mais tu le devines, mes parents m'ont empêché. »
J'éclatai de rire. Cette révélation de m'étonnait pas, Taehyung était un enfant absolument extra.
« Tu es revenu il y a longtemps ? enchaîna-t-il.
- Il y a plus d'un mois. J'ai passé deux semaines à Busan avec ma famille, puis je suis monté à Séoul.
- Tu es à Séoul ?
- J'étudie ici maintenant oui ! affirmai-je. Et j'ai appris que c'était pareil pour vous tous. Ma maman a gardé contact avec la mère de Manseok-hyung, j'ai pu l'appeler et j'ai vu tout le monde... sauf toi. »
Je ne passais pas par quatre chemins. Ce n'était pas dans ma personnalité, je préférais être direct. J'avais envie de revoir Taehyung, pas seulement discuter du bon vieux temps avec lui par téléphone. Je ne l'obligeais pas à me raconter ce qui avait déchiré notre groupe d'amis ainsi, quand bien même il s'agissait d'un sujet incontournable. J'étais très curieux mais je respectais Taehyung. Puisque Byungeun ne m'avait rien dit, puisqu'il m'avait demandé de l'écouter, d'attendre, je le ferais bel et bien.
J'étais persuadé que Taehyung n'avait commis aucun crime.
« Alors ils t'ont dit ?
- Ils ne voulaient pas parler de toi, révélai-je. J'ai insisté, je ne comprenais pas mais les hyung ont l'air en colère contre toi. Enfin, surtout Dowoon et Yonghwa.
- Pas étonnant. »
Mon pied tapait frénétiquement le sol, j'étais stressé.
« Comment tu as eu mon numéro ?
- Grâce à Byungeun-hyung, il l'a gardé.
- Vraiment ? » s'étonna Taehyung.
Sa réponse divulgua une nouvelle part de mystère. Visiblement, les diverses relations entre mes hyung étaient de natures différentes. Yonghwa et Dowoon ne voulaient plus rien savoir, Manseok ne s'était pas exprimé et Byungeun au contraire, s'en voulait. Et dans cette tornade brumeuse, moi, j'étais complétement à la ramasse.
« Tu veux bien qu'on se voie un jour ? Je me fiche de ce que racontent les hyung, moi je veux te voir.
- Tu voudrais venir chez moi ? Je suis le hyung, c'est à moi d'inviter, annonça-t-il sur un ton pour la première fois enjoué.
- Bien sûr que je veux, je suis heureux que tu aies accepté !
- Que veux-tu, même après seize ans, je ne peux rien face à ta bouille adorable... je parie que tu as gardé des grands yeux d'enfant.
- Je ne suis pas un enfant !
- Oui, je vais te croire. »
Au fil de la conversation, j'oubliai cette journée bien morose. Le souvenir de notre enfance balayait toute tristesse et parler avec Taehyung me remonta le moral pour le reste de la soirée.
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