Mes yeux fixaient la porte d'entrée de mon université. Elle avait été l'un des seuls établissements à avoir accepté mon dossier. J'étais conscient de mes capacités, si j'avais réussi mes précédents examens pour en arriver à mon niveau d'études, c'était que j'en étais capable. Néanmoins, la majorité des écoles n'avait jamais répondu à mes lettres, sans doute peu intéressées par un étudiant tout droit venu de l'autre bout du monde. Lorsque j'avais été admis ici, mes parents s'étaient dépêchés de m'inscrire et par chance, celle-ci se trouvait bien située par rapport à l'appartement que je partageais avec Namjoon.

Je soupçonnais ma famille d'avoir tenu compte de ce facteur.

Je pris une grande inspiration. J'étais arrivé avec vingt minutes d'avance pour me familiariser avec l'endroit, trouver mes repères et surtout, avoir le temps de chercher ma salle de cours.

Je perdais cependant de précieuses minutes en restant debout devant mon université, les bras ballants. Mon appréhension, terrée au fond d'un coin, n'apparaissait jamais d'emblée, ce qui me permettait de garder une allure décontractée. Dans ma tête en revanche, c'était la cacophonie totale. Des questions fusaient dans tous les sens en s'imaginant tous les scénarios possibles qui conduiraient à une catastrophe. Je réfléchissais trop en souhaitant anticiper la situation, alors qu'elle ne possédait en apparence, aucun danger.

J'avais simplement peur de mal faire.

Ma main attrapa machinalement mon portefeuille rangé dans ma poche, je tirai la photographie glissée dedans, mes pensées se concentrèrent aussitôt dessus. Sur la première séquence, Jimin me sermonnait en appuyant sur mon torse, puis sur la seconde, il m'embrassait. Il avait déchiré ce bout pour me le donner, j'ignorais encore pourquoi. Peut-être voulait-il garder la partie du shooting où je l'avais écouté. Personnellement, je préférais celle que j'avais à présent entre mes mains. J'aimais si fort les baisers de Jimin, même lorsqu'ils servaient à me faire taire.

Je souris tel un idiot en repensant à ce souvenir, sourire qui eut le don d'effacer mon expression peu assurée. Je remis mon portefeuille en place et m'avançai finalement. Les portes étaient désertes, je ne voyais ni étudiants, ni surveillants. J'entrai dans l'enceinte du premier bâtiment, atterrissant dans un immense hall. Le monde était recloué ici plutôt que dehors, bavardant, flânant, rêvassant. Personne ne m'accorda son attention, j'en profitais pour me fondre dans la masse. Je secouai les cheveux qui me retombèrent devant les yeux et m'approchai furtivement de l'accueil. Plusieurs affiches étaient collées sur les vitres, je me disais que je trouverais sûrement le plan des salles.

« Besoin d'aide ? »

Je sursautai en tombant nez à nez sur une femme, assise à son bureau. Ses doigts étaient posés sur les touches de son téléphone fixe, prête à composer un numéro inscrit sur un post-it collé qui se trouvait sur une montagne de dossiers. Elle semblait avoir aperçu ma mine perdue avant d'agir.

« Non merci madame, répondis-je en inclinant la tête.

- Je suis là pour donner des renseignements, n'hésitez pas en cas de problème. » assura-t-elle.

J'opinai, elle ne bougea pas. Je reculai pour la convaincre et elle haussa les épaules, tapotant finalement sur le combiné. De toute manière, je n'avais rien trouvé d'intéressant à l'accueil.

Je parcourus les couloirs du rez-de-chaussée, en vain. Je ne remarquais aucun plan, aucun papier qui pourrait m'aider à trouver ma salle. Je fus d'autant plus démuni en sortant du bâtiment, désormais face à trois autres édifices tout aussi gigantesques. Je clignai des paupières, hébété. Ma nouvelle université s'étendait sur un immense terrain, je n'allais jamais en finir. J'avais été habitué à la modeste figure de mon école à Perth. À Séoul, cela n'avait rien à voir. Il y avait facilement le triple des élèves en plus du nombre de locaux. J'en perdais presque mon sens de l'orientation.

Un groupe d'étudiants s'engouffra dans le bâtiment qui était à ma gauche. Instinctivement, je les suivis. Les diverses discussions étaient inaudibles, j'avais l'impression qu'il était interdit de parler dans les couloirs. Je gardai le silence pour ne pas éveiller les soupçons, observant plutôt mon environnement. Les quatre établissements étaient modernes, il en était de même pour l'intérieur. Il ressemblait à un véritable laboratoire, le blanc et le noir dominaient, même sur les vêtements des étudiants. Ils ne portaient pas d'uniformes, mais c'était tout comme. Avec ma veste jaune et mon jean bleu clair, je me démarquais complètement de cette masse grisâtre et maussade.

Ils s'arrêtèrent devant une porte fermée, je ne parvins guère à distinguer de quelle salle il s'agissait. Une cinquantaine d'autres attendait que le cours ne commence, et je me demandai si j'appartenais à ce groupe.

Je retrouvai mon emploi du temps fourré dans mon sac et relus mes horaires. Il y avait seulement marqué le numéro de ma salle et le nom du professeur, rien d'autre.

M. Choi. Il fallait que je demande s'il s'agissait du cours de M. Choi. Je relevai le regard à la recherche d'un visage amical et sans réfléchir, je vins à l'encontre de deux filles. À mon plus grand soulagement, elles m'offrirent un sourire en me voyant approcher.

« Toi, tu as l'air d'être nouveau. » lança la plus grande des deux.

Je me raidis. Pour la discrétion, je n'avais apparemment pas fait assez d'efforts.

« C'est le cas, admis-je en me frottant la nuque.

- C'est normal, c'est tellement grand ici. Il y a un mois j'étais complétement déboussolée, les profs n'en n'ont rien à faire de nous... à quelle heure tu es censé commencer ?

- À 14h.

- Nous aussi ! s'exclama la seconde fille.

- Dans la classe 2 ? demandai-je pour être certain.

- C'est bien nous. Pas d'inquiétudes, tu as trouvé. »

Je lâchai un soupir tout en les remerciant. Je détestais être en retard. Quand bien même il s'agissait d'un cours en amphithéâtre, j'avais horreur de débarquer en plein milieu pour me faufiler entre les chaises et déranger toute une rangée d'élèves. En plus, le professeur n'en ratait aucune miette.

Les deux filles me regardaient toujours.

« Tu as l'air beaucoup plus âgé que nous.

- Ah bon ? dis-je, étonné par leur remarque.

- Je trouve aussi. Tu as suivi un autre cursus avant ?

- Non du tout, c'est ma quatrième année. »

Elles écarquillèrent les yeux.

« Tu es en quatrième année ? répéta la plus petite des deux. Comment c'est possible ? Tu es certain d'être dans notre groupe ? »

Je ne sus quoi répliquer. Face à mon silence, elles lurent toutes les deux mon emploi du temps en pointant l'horaire du lundi.

« Ah, tu es dans la salle 02, sunbae ! J'avais compris dans le groupe 2, comme le nôtre ! Il me semble que M. Choi enseigne la chimie, tu as de la chance on est dans le bâtiment scientifique.

- Il te suffit de monter au premier étage, ce sont les salles de labo, assura son amie.

- Comment ça se passait l'organisation dans ton ancienne université ? Tu as failli suivre un cours de première année à cause de nous...

- Je suis désolé, j'ai confondu classe et salle. J'ai étudié en Australie, ça fait un bout de temps que je ne pratiquais plus le coréen en cours... en tout cas, merci pour votre aide. »

Leur expression changea du tout au tout. D'une figure amusée, leurs traits se muèrent en consternation.

« Tu viens d'un autre pays ? Et tu as été accepté ici ?

- Je me disais bien que je reconnaissais un accent dans ta voix, mais de là à être un étranger... »

Mes lèvres se détachèrent l'une de l'autre. Elles marmonnaient toutes les deux à tours de rôle, comme si elles évaluaient la situation ensemble. Je ne les comprenais pas, qu'y avait-il de mal à venir d'un autre pays ? Les études étaient similaires, il n'y avait que la langue qui changeait.

« Techniquement je suis Coréen, je suis né à Busan et--

- Quand même, me coupa la plus grande, ayant complétement oublié sa marque de respect. Enfin, ça n'a rien à voir. »

À présent, elles me reluquaient. Je fronçai les sourcils, confus quant à leur réaction. Que l'une m'ait coupé la parole m'importait peu, je me fichais d'être l'aîné ou non. C'étaient surtout leurs mots et leur réaction qui m'étonnaient.

« Je vais être en retard alors je vais y aller... merci pour votre aide, passez une bonne fin de journée. » leur adressai-je en leur tournant le dos.

Elles ne me répondirent pas, et c'était peut-être mieux comme cela.

« Si j'avais su, je ne l'aurais jamais aidé.

- De toute manière il sera vite renvoyé. T'as vu comment il parle ? Il n'a qu'à retourner de là où il vient. »

Je m'arrêtai subitement. Je ne m'étais pas assez éloigné pour éviter d'entendre leurs paroles qui me pincèrent le cœur. Les doigts agrippés autour des brettelles de mon sac, je me fis violence pour ne pas me retourner et me défendre.

J'optai pour l'ignorance et repris la marche, un sourire factice aux bords des lèvres. Ce n'était pas deux filles fermées d'esprit qui gâcheraient ma journée. Qu'elles insultent mon pays si elles le souhaitaient, je n'en avais rien à faire.

Je rejoignis le premier étage. Je croisais les doigts pour qu'elles ne m'aient pas menti à propos de M. Choi. J'avais cours de chimie avec lui en salle 02, mais je ne voyais personne dans le couloir. Pris de cours, je tirai sur ma manche pour lire l'heure : ma montre affichait 14h01. Affolé, je me précipitai devant les portes des salles.

Je toquai afin d'annoncer mon arrivée et attendis qu'une voix ne m'autorise pour l'ouvrir.

Une vingtaine de paires d'yeux me fixaient. Je déglutis en sentant l'attention se concentrer sur moi.

« Excusez-moi pour mon retard. » soufflai-je en croisant le regard neutre du professeur.

Je priais pour qu'il soit M. Choi.

« Et vous êtes ?

- Jungkook, répondis-je aussitôt.

- Vous êtes Jungkook. Seulement Jungkook ?

- Jeon Jungkook. » précisai-je en me mordant la joue pour punir mon étourderie.

Il daigna chercher mon nom dans la liste de ses élèves, et ce d'une lenteur absolue.

« Ah oui. L'élève en échange universitaire.

- Pas vraiment. »

M. Choi haussa un sourcil tandis que les étudiants eurent un air choqué face à ma réponse.

« Pas vraiment ? Vous avez quelque chose à redire sur votre condition ? C'est très gonflé de votre part en plus de votre retard, M. Jeon.

- Je ne suis pas en échange universitaire, continuai-je.

- Si vous le dites. » râilla M. Choi dans son coin.

Il me regardait de haut comme si j'étais un moins que rien alors qu'il ne me connaissait pas. Je devinais qu'il n'appréciait pas mon retard, mais était-ce réellement de ma faute ? Je ne m'attendais pas à du favoritisme loin de là, mais si quelqu'un m'avait procuré le plan des bâtiments, je serais arrivé en avance.

Peut-être aurais-je dû demander à la dame de l'accueil...

« La prochaine fois, arrivez à l'heure. Maintenant asseyez-vous, à moins que vous ayez quelque chose à redire ?

- Non, monsieur.

- Bien. N'importunez plus mon cours. Et cela vaut pour tout le monde. »

Il reprit son monologue en inscrivant des formules au tableau. Ne m'ayant pas indiqué de place précise, je me dirigeai au dernier rang, à côté d'un garçon. Il ne me prêta pas la moindre importance, occupé à réécrire ce qu'il voyait au tableau. Je n'osais pas le déranger, ni aucun autre étudiant, tous s'étant remis à travailler dans un silence accablant.

Je ne savais pas quel chapitre notre professeur étudiait, quelles connaissances ce groupe avait d'ores et déjà acquises, ce que j'avais précisément raté du programme coréen par rapport à l'australien. Malgré ces difficultés, je ne me laissais pas abattre. Dans quelques jours, je me serais accoutumé à ce nouveau rythme et je serais sans doute en mesure de rattraper mon retard.

Du moins, je l'espérais.

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