Chapitre 88 : Taehyung - 86%
Un cauchemar ! C'était forcément un cauchemar !
« Non, murmura Jungkook. Non, non, non... Non ! C'est pas possible ! »
Son chuchotement à peine perceptible devint un cri ; il avait besoin de hurler, de déverser toute sa colère, sa tristesse, sa frustration. En l'espace de quelques heures, c'était beaucoup trop. Taehyung observa, impuissant, le maknae se redresser d'un mouvement brusque, les yeux de nouveau débordant de larmes. Jungkook se passa les mains dans les cheveux, un instant son aîné crut le voir les tirer – est-ce qu'il espérait se réveiller d'un mauvais rêve ?
« Jungkook... est-ce que c'est vrai ? balbutia Yoongi qui, pour une fois, semblait bel et bien heurté par cette annonce.
— Non, je... e-enfin... c-c'est pas possible ! »
Taehyung se leva à son tour mais renonça finalement à offrir une étreinte à son ami, qu'il se contenta de regarder.
« Kook-ah, osa-t-il, tu peux nous expliquer ?
— C'est ma mère ! Ils l'ont trouvée, c'est elle ! Mais c'était son idée, j'y suis pour rien ! Hyung, j'ai encore perdu un pour cent, je vais...
— Jungkook, calme-toi, ordonna Yoongi en se postant devant lui pour le prendre par les épaules. Regarde-moi, respire, et explique. Ils ont fait une erreur, c'est obligé. »
Le regard de son cadet était noyé de détresse, et les bracelets allumés n'arrangeaient rien.
« Ils savent, susurra Jungkook – sa voix brisée ne lui permettait pas de parler plus fort –, ils ont trouvé ma mère.
— Qu'est-ce que tu racontes ? hésita Yoongi. Je comprends rien... elle a fait quoi, ta mère ?
— E-Elle voulait q-que je participe. Elle a trafiqué ma carte d'identité et e-elle s'est assurée que je resterais à quatre-vingt-seize pour cent.
— T'es vraiment mineur, alors ? s'étonna Jimin.
— J'aurai dix-huit ans en septembre, confirma Jungkook.
— Comment ta mère a pu faire tout ça ? Berner la production, c'est pas rien, songea Yoongi sans réfléchir à l'indélicatesse de sa question.
— Hyung... ma mère... c'est la productrice. C'est elle q-que... qu'on a rencontré le premier jour. Et... s'ils ont appliqué la sanction prévue... »
Un nouveau sanglot empêcha le jeune homme de finir sa phrase. Il n'existait qu'une sanction. Pour le candidat, c'était la perte progressive de toute sa popularité, et pour la personne qui l'avait aidé à tricher, c'était la mort. Sa mère, celle dont il craignait tant le regard – car en tant que productrice, elle ne le lâchait pas des yeux – elle avait été assassinée, tout comme elle avait assassiné son mari quelques années plus tôt, sous les yeux de l'innocent Jungkook.
Et ce dernier ne tarderait pas à les rejoindre.
Taehyung quant à lui demeura coi, ébahi. La femme qu'ils avaient rencontrée le jour de leur arrivée... c'était dans les locaux de l'entreprise, il se souvenait bien d'elle pour cette impression de froideur qu'elle lui avait laissée, leur indiquant qu'ils n'étaient rien de plus que des objets de consommation qui, une fois périmés, ne seraient plus bons qu'à être jetés.
Jungkook tremblait de tous ses membres, horrifié par ce qui l'attendait.
« Oh mon dieu, Kook... Comment t'as pu accepter ça ? souffla Taehyung, bouleversé.
— J'avais si peur d'elle, pleura son ami, j'ai juste obéi, et j'espérais la fuir ! Ici je croyais que... que je serais enfin loin d'elle ! »
Jungkook n'en pouvait plus de ce secret qui le rongeait depuis des semaines – des mois, même, puisque ça faisait bien longtemps qu'il se préparait à cette émission, toujours sous le regard sévère et protecteur de sa mère. Ses yeux ne le quittaient jamais. Acérés comme des lames qui le transperçaient à chaque faute. Le moindre entraînement, les moindres faits et gestes ; elle observait tout, elle jugeait tout, elle critiquait tout. Elle savait qu'elle prendrait des risques à trafiquer sa popularité, Jungkook devait se montrer à la hauteur de ce score qui demeurerait inchangé – car elle pouvait modifier son score, mais une seule fois, impossible ensuite de le faire fluctuer.
Et lui, il avait tout gâché. Tout avait fonctionné, et il avait fallu que sous l'appréhension et la panique, Jungkook révèle à Taehyung qu'il était mineur – qu'il avait triché.
Devant l'état de stress de leur ami, Yoongi relâcha ses épaules pour le serrer dans ses bras.
« On va trouver une solution, promit-il avec douceur – et c'était si rare qu'il utilise un tel ton –, tu restes malgré tout le chouchou du public. Y a une bonne raison pour que personne ne se soit douté de tout ça jusqu'à maintenant. T'es innocent, tu peux pas juste payer pour les erreurs de ta mère.
— Ils vont me tuer, ils auront aucun scrupule, » se lamenta son cadet qui n'entendait plus rien d'autre que les hurlements de ses peurs les plus sombres.
Taehyung n'était pas naïf : une fois le processus enclenché, il n'imaginait pas que quiconque accepte de faire machine arrière. Les producteurs étaient des personnes qui, pareilles à cette femme, se prenaient pour des dieux. Tout puissants, ils contrôlaient les actions de chacun ici, surveillaient et décidaient ou non de tout dévoiler au monde entier. Le pouvoir leur avait depuis trop longtemps monté à la tête. Le droit de vie et de mort ne se donnait plus seulement entre les murs de cette villa – preuve en était le terrible meurtre du père de Jungkook. Des fous, mais pouvait-on les en blâmer ? Tous étaient fous. Fous parmi les fous, ils étaient peut-être bel et bien des dieux, ces producteurs infernaux.
Jungkook pleurait contre le cou de Yoongi qui doutait que cette fois, il parviendrait à se calmer. Son corps pris d'incontrôlables secousses, sa respiration chaotique, ses larmes qui ne cessaient plus ; ce pauvre gamin pas encore adulte allait paniquer jusqu'à ce que l'aiguille de son bracelet ne le force à s'apaiser...
« Tu veux grignoter quelque chose ? tenta quand même Yoongi. Prendre un bain chaud ou boire un truc ? On peut rester avec toi, si tu veux, histoire que tu penses à autre chose.
— Je vais mourir...
— Je sais que c'est dur, mais n'y pense pas. Ce sera pas douloureux, tu sentiras rien. Ce sera paisible.
— J-Je savais que je gagnerais pas... je savais qu'ils découvriraient tout tôt ou tard.
— Tu voudrais aller te coucher ? tenta à son tour Taehyung. Au moins, tu sentirais vraiment rien.
— Je sais pas... j'ai peur, je pourrais jamais dormir. »
Taehyung se sentit stupide d'avoir proposé ça, mais il avait éprouvé le soudain besoin de parler, de tenter de le rassurer lui aussi. Yoongi avait endossé tout à coup le rôle de Namjoon, le rôle de l'ami réconfortant. Et lui, que lui restait-il ? Qui était-il pour Jungkook ?
« Je vais aller prendre un bain, décida Jungkook.
— T'as bien raison, approuva Yoongi, ça te fera du bien.
— E-Ensuite... on pourra aller au studio pour enregistrer u-un dernier truc ? J'ai déjà écrit un peu l'autre jour. C'est dans un tiroir.
— Pas de souci, on t'attend au salon. »
Taehyung opina : entre ses larmes et ses sueurs froides, pas étonnant que Jungkook veuille prendre quelques minutes pour se nettoyer. Il était dans un sale état. Quant aux trois autres, si Yoongi et Jimin décidaient d'attendre bien gentiment au salon, Taehyung, lui, n'imaginait pas se tourner les pouces... mais que faire ? Il envisageait bien de préparer un petit plateau-repas à son cadet avec des biscuits et des boissons sucrées, néanmoins... il doutait que Jungkook accepte cette attention.
Dans à peine plus de quarante minutes, ils allaient perdre leur maknae. Quarante minutes et il perdrait son meilleur ami. Alors que le plus jeune quittait la pièce, emportant avec lui ses sanglots, Taehyung les sentit tout à coup le contaminer. Une larme naquit au coin de son regard, et maintenant qu'il n'avait plus besoin de se montrer fort pour soutenir Jungkook, il laissa finalement sa peine le submerger.
Il pleura en silence, craignant que depuis la salle de bains, son cadet ne l'entende. Il s'assit sur le canapé derrière lui, incapable de tenir debout pendant que son monde s'écroulait. Il comprenait les hurlements paniqués de Jungkook : entre son ultime pilier et cette annonce... à sa place, il serait devenu fou.
Des vertiges rendirent Taehyung nauséeux. Yoongi et Jimin demeuraient d'un calme olympien, installé pour l'un sur un fauteuil, pour l'autre sur le sofa où lui-même se trouvait. Il n'osa pas leur parler. Ce dont il avait besoin à présent, c'était de la présence de Jungkook, son étreinte, le serrer tout contre lui tandis qu'il le rassurerait de son mieux et partagerait sa peine dans l'espoir de l'apaiser.
Le cours de ses pensées fut interrompu par la porte qui menait au garage sous la villa. Elle s'ouvrit, laissant voir derrière elle deux hommes habillés de costumes élégants. Taehyung se mit aussitôt sur la défensive malgré son bracelet allumé.
« Qu'est-ce que vous faites ici ? cracha-t-il. Laissez-le tranquille, il lui reste une demi-heure, il est pas encore... »
Tout se passa très vite – trop vite.
Taehyung comprit. Il entrouvrit les lèvres pour parler, mais sa gorge lui sembla tout à coup sèche, si sèche. Non... non, c'était... il n'avait pas pu faire ça !
Son cœur s'accéléra au point que Taehyung le crut sur le point d'imploser. Il se redressa et fila à travers le salon, supplantant les deux envoyés de la mort, Yoongi sur ses talons – car l'évidence venait de le frapper, lui aussi. Devant la porte de la salle de bains, Taehyung ne s'accorda pas le temps de réfléchir ni de reprendre son souffle erratique. Il poussa la poignée... qui refusa de s'enclencher.
Jungkook s'était enfermé.
« Kook ! hurla Taehyung en tambourinant contre la porte comme un forçat. Ouvre-nous, Kook ! Je t'en supplie, réponds ! »
Arrivés d'un pas tranquille – trop pour la gravité de la situation –, les deux hommes tirèrent de leur poche une clé identique à celle de la pièce, qu'ils ouvrirent sans difficulté. Taehyung, paniqué, horrifié, mortifié, désespéré, s'apprêtait à entrer mais fut retenu par son aîné. Yoongi l'attira à lui, dans son étreinte.
« Tu veux pas voir ça, souffla-t-il.
— Pitié... non... pas déjà...
— Il a fait son choix, Tae, tu peux pas lui en vouloir d'avoir décidé de mettre fin à ses jours lui-même. Il avait déjà trop enduré, il n'en pouvait plus. »
Taehyung ne sut pas quoi répondre, il se contenta de pleurer, et il serra fort Yoongi contre lui alors que de bruyants sanglots l'étranglaient. Lui aussi se sentait mourir, le chagrin plantait en son cœur une lame bien plus douloureuse que la malheureuse piqûre qui, tôt ou tard, se planterait dans son poignet.
Yoongi plaqua une main contre la tête de son ami pour le forcer à garder le visage contre son cou, et lui-même ferma les paupières. Taehyung entendit des pas sortant de la salle de bains, des pas lourds d'hommes qui soutenaient un poids supplémentaire. Il prit une profonde inspiration avec laquelle il lui sembla s'étouffer, et tandis que les deux faucheuses s'éloignaient, il repoussa brutalement Yoongi.
Taehyung s'élança dans le couloir, regagnant le salon où ils se trouvaient déjà. Et il le vit. Il vit Jungkook. Jungkook encore habillé mais trempé de la tête aux pieds. Jungkook, le teint toujours aussi éclatant mais les yeux désormais clos, un bras pendant de façon misérable dans le vide, bougeant à chaque foulée de ses porteurs. Jungkook, jusque-là marionnette, devenu poupée de chiffon.
Les deux mains couvrant sa bouche pour s'empêcher de pousser ce cri terrible qui ne demandait qu'à sortir, Taehyung approcha. Son innocent Kook-ah, son meilleur ami, son seul ami, ce cœur si pur, cet adolescent si brave... amené au pire par toutes les horreurs qu'il avait subies. Il puisa au plus profond de son être le courage de lui rendre un dernier hommage : le visage maculé de larmes, Taehyung prit avec une infinie délicatesse la main de Jungkook et l'accompagna jusqu'à la porte du parking. Quelques mètres qu'il fut affligé de parcourir à ses côtés.
Terrassé par la douleur, Taehyung ne trouva la force que de murmurer un « adieu » brisé lorsqu'il dut le relâcher, gravant son expression désormais sereine dans son esprit.
La porte se referma.
La tempête n'est rien pour un cœur brisé.
J'avais déjà péri quand je suis arrivé.
Elle était là, partout, reine de mon malheur,
Et même l'amitié ne peut vaincre la peur.
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