Son appel passé, Taehyung revint à la chambre. Jungkook n'avait pas réussi à avaler le gâteau qu'il avait pris entre temps. Le seul fait de le voir l'écœurait. Il le reposa dans le paquet en jetant un regard soucieux à son ami. Il remarqua une petite boîte dans sa main, et son cœur se tordit.

« Ils sont rapides quand ça les arrange, commenta Taehyung avec un visage meurtri. Faut croire que ça leur plaît... pas étonnant : en termes d'audience, je suis sûr que le programme est en train d'exploser et que les réseaux sociaux s'affolent. »

Les bracelets étaient éteints.

Taehyung s'assit au bord du lit, profitant de ce dernier instant de réelle intimité. Il prit son cadet par les épaules et planta ses prunelles dans les siennes.

« Jungkook, écoute-moi : on va tous les deux subir ça, ok ? Mais ensuite ce sera fini et on fera comme s'il ne s'était rien passé, d'accord ? Tu jures ?

— Je suis désolé...

— Non, me fais pas ça... j'ai jamais eu d'amis... j'ai que toi, gémit Taehyung en tentant de garder ses larmes pour lui.

— Je peux pas. C'est... c'est trop pour moi.

— Pitié... notre amitié, elle m'est tellement précieuse. Tu comptes tellement pour moi, Kook, je t'en supplie... Les laisse pas gagner, les laisse pas nous voler le seul lien qui nous rendait heureux.

— Je ferai de mon mieux. »

Taehyung baissa les bras et ravala un sanglot.

« Avant que ça se rallume, reprit-il, faut au moins qu'on discute de deux ou trois trucs. J'imagine qu'on est d'accord : on fait ça le plus vite possible, on se déshabille le moins possible, et tu me dis si je te fais mal. Tu voudrais qu'on le fasse comment ?

— Je veux qu'on reste sous la couette. Dans le noir.

— Ton lit ou mon lit ? s'enquit encore Taehyung qui redoutait la réponse.

— S'il te plaît... le tien.

— C'est comme tu veux, ça me va. Tu voudras t'allonger sur le dos ? »

Jungkook refusa d'un signe de la tête. Il ne souhaitait pas risquer d'entrevoir dans les ténèbres ne serait-ce que la silhouette de son ami, prêt à lui voler sa virginité que lui-même lui volerait. Il ne voulait pas associer Taehyung à cet acte infâme qui ne lui était pas imputable. Il le savait innocent... mais il craignait que cet instant ne change sa vision des choses.

Jungkook avait besoin de cette amitié, elle était devenue vitale. Les internautes lui avaient, par cette mission, planté un poignard dans le cœur.

« Est-ce qu'on... on peut le faire maintenant ? demanda enfin Taehyung l'air gêné. On finit ça vite fait, ensuite on rejoint les autres. »

De nouveau, incapable de prononcer le mot « oui », Jungkook opina, la gorge serrée.

« Les managers ont... laissé un dernier truc à la salle de bains. Je vais les chercher. En revenant, j'éteindrai la lumière et verrouillerai la porte. »

Le cadet ferma les paupières, et lorsqu'il distingua que la l'obscurité avait gagné la pièce, il laissa une larme couler. Jamais il n'avait éprouvé un tel sentiment d'impuissance... pas même quand son père avait été assassiné. Sa passivité le frappait désormais de plein fouet, et il se trouvait minable.

Jungkook s'allongea aussitôt sur le ventre, la tête entre les bras. Il ne rouvrit pas les yeux, il craignait que ne s'allume son bracelet, preuve qu'ils étaient filmés. Il savait qu'il s'illuminerait, mais il ne supporterait pas ce spectacle infâme du voyeurisme poussé à son paroxysme.

Secoué de plusieurs sanglots, il ne put en retenir le bruit lorsque Taehyung le rejoignit sur le lit.

« Kook-ah... »

Sa voix craqua, lui aussi versa plusieurs larmes qu'il tenta d'apaiser : Jungkook était si dépassé par les évènements qu'il s'avérait incapable de prendre les choses en main. Si Taehyung n'agissait pas, ils risquaient de rester là à discuter encore des heures pour espérer esquiver ce désagréable moment.

L'aîné caressa le dos de son ami avec tendresse. Prononcer le moindre mot l'amènerait à sangloter, mieux valait qu'il garde le silence. Pour autant, il n'imaginait pas infliger cette épreuve à son cadet sans lui parler, le consoler, de sorte à limiter les dégâts. Plus que jamais il allait leur falloir se serrer les coudes.

Taehyung effleura l'épiderme de Jungkook par-dessus son t-shirt, de longues minutes. Les minutes défilèrent, tous deux avaient arrêté de pleurer. L'aîné savait bien que son ami craquerait dès lors que ses gestes cesseraient, mais... pour lors, tout ce qui comptait, c'était qu'il se sentait de nouveau capable de se montrer fort pour lui.

Sa main s'immobilisa, et Jungkook comprit. Il serra son oreiller et prit une respiration tremblante.

« Pour que ça se passe bien, va falloir que tu te détendes, indiqua Taehyung d'une voix de velours qui se voulait inutilement rassurante. Tu comprends ? Tu risques d'avoir mal, sinon.

— Oui, répondit d'un souffle Jungkook après de longues secondes – il avait d'abord acquiescé, mais ça n'avait servi à rien dans l'obscurité.

— Est-ce que je peux te retirer... enfin... le bas ? Le baisser, ce sera pas pratique si tu veux rester allongé sur le ventre.

— T'es sûr ? s'inquiéta aussitôt Jungkook.

— Faudrait que je puisse me mettre entre tes jambes... ou alors tu le baisses un peu et tu lèves le bassin, mais tu risques d'être trop serré, ça va te faire mal. Tu préfères quoi ? »

Il songea après avoir prononcé ces mots que « préférer » était un verbe un peu fort pour lui qui lui demandait de choisir entre Charybde et Scylla. Il aurait dû lui demander ce qui l'effrayait le moins... ou bien ce qui l'écœurait le moins.

« Je sais pas, susurra Jungkook après de longues secondes. Je veux pas l'enlever, s'il te plaît...

— D'accord, d'accord, opina Taehyung avec douceur. Je vais me débrouiller, t'en fais pas. »

Les trémolos dans la voix de son cadet ne laissaient aucun doute quant au fait que son chagrin l'étranglait, et l'aîné ne souhaitait pas se sentir coupable de le mettre plus mal à l'aise encore qu'il ne l'était déjà.

S'il avait d'abord songé que la tâche allait s'avérer périlleuse du fait du manque de lumière, il n'en fut pas pour autant soulagé quand deux lueurs jaillirent de leur avant-bras. Ça y est, ils étaient en direct, le monde les observait, fascinés par le spectacle qu'ils avaient initié, ce spectacle qu'ils savaient malsain, contre nature, mais duquel ils comptaient bien se délecter. L'estomac de Taehyung se révulsa à l'idée que leur première fois, volée, allait être diffusée sans pudeur.

Jungkook sanglotait en silence dans son pauvre oreiller déjà humide de ses larmes. Taehyung le mettait face à un dilemme : il ne voulait ni retirer ses vêtements ni éprouver la douleur de la pénétration. Les deux perspectives lui paraissaient atrocement gênantes, et le simple fait de coucher avec Taehyung le couvrait de honte. L'humiliation n'en serait que plus forte s'il avait à choisir entre ces deux propositions. Lui, tout ce qu'il désirait, c'était rester allongé, habillé autant que possible, et subir l'acte odieux qu'il ne se sentait même pas le courage de nommer tant il le révoltait.

Il ne pouvait rien faire. Personne ne pouvait agir. Les autres candidats s'étaient contentés de leur adresser un regard de pitié, et les managers ne leur seraient d'aucune utilité. La production quant à elle devait se régaler d'une telle mission, et même s'il n'avait toujours pas rouvert les paupières, Jungkook se doutait bien que son bracelet devait déjà briller.

Pour une fois qu'il jugeait l'obscurité plus rassurante que la lumière...

Un désagréable frisson courut le long de son échine lorsque Taehyung saisit avec délicatesse l'élastique de son short en même temps que le bord de son caleçon.

« Jungkook-ah, j'agirai que quand tu seras prêt, d'accord ? Dis-moi quand tu te sens capable d'encaisser. »

Sentir le bout des doigts de son ami sur sa chute de reins n'avait jamais paru si horrifiant au maknae : plus d'une fois quand ils se câlinaient, Taehyung avait passé la main au bas de son dos. Un jour d'ailleurs, sans s'en rendre compte, il avait franchi la limite de son short lâche sans pour autant descendre en dessous de ses reins. Ça n'avait pas gêné Jungkook, qui savait le geste innocent et involontaire. Or, aujourd'hui, ça lui brûlait la gorge comme un relent âcre qui le rendait nauséeux.

Taehyung demeurait immobile. Lui aussi, il allait lui falloir quelques instants avant d'accepter, même dans la pénombre, de baisser les vêtements de son cadet. Lui aussi, il peinait à admettre ce qu'il allait ensuite devoir faire. Endosser le rôle de celui qui agirait, ça lui pesait tant... pourquoi lui infligeait-on pareille responsabilité ?

« Hyung, faut que je te dise quelque chose... »

Ce murmure, si faible, inquiéta Taehyung qui néanmoins relâcha les vêtements de son ami afin de s'approcher. Les micros capteraient sans le moindre doute leur conversation, mais il pouvait espérer le contraire.

« Kook, on est obligés, chuchota à son tour le jeune homme. Je suis désolé, tellement désolé, mais...

— Par pitié, le coupa son ami.

— Kook, on...

— Tu comprends pas, l'interrompit Jungkook dans un sanglot. Je... j-j'ai menti... »

Taehyung reprit les caresses sur son dos, tout à coup anxieux. Comment ça ? À quel sujet Jungkook pouvait-il avoir menti pour en parler dans un pareil moment ?

« Calme-toi, mon Kookie. Qu'est-ce que tu veux dire ? »

Nouveau sanglot de la part de son cadet, qui éprouvait la sensation que son cœur se disloquait à l'idée de ce qu'il allait révéler.

« Hyung... j-je... ma carte d'identité... elle a été trafiquée... je voulais tellement participer.

— Non, Kook...

— J'aurai dix-huit ans dans quelques mois seulement. Je suis mineur. »