Chapitre 6 : Jimin
Le soir était tombé. Jimin observait le ciel s'assombrir, la mine songeuse. Assis en tailleur sur l'herbe tendre, il ne souriait pas. Il ne se sentait ni heureux ni malheureux. Il était là, il était libre. Les autres se trouvaient sans doute encore aux studios et salles de danse. Il les avait laissés pour profiter d'un instant de solitude.
Même son bracelet lumineux ne le dérangeait pas. Il se moquait d'être surveillé, il se moquait du public. Tout ce qui comptait, c'était ce sentiment de paix qu'il éprouvait alors qu'il ne l'avait jamais connu jusque-là. La nature, le calme, la brise fraîche de cette douce soirée de printemps. Que rêver de mieux ? Sans doute une vie intérieure accomplie ressemblait-elle à ça.
Il était entouré de paix, de paix et de musique.
Quelle belle soirée, et dire qu'il vivrait au moins six jours de plus ici...
Jimin grimaça lorsque le tranquille clapotis de l'eau du lac fut dérangé par des bruits de pas. C'était un son faible, si faible, pourtant le jeune homme fronçait les sourcils. Entendre l'herbe gémir sous l'effet de cette marche dont il connaissait le rythme, ça l'agaçait. Il lui sembla que la paix intérieure ressentie quelques instants plus tôt s'était envolée avec le petit oiseau qui avait fui sa branche, tout près de là.
« Jimin-ah ? Tu vas bien ? »
L'appelé ne tourna même pas les yeux. Il savait parfaitement qui s'adressait à lui – d'une part parce que les autres garçons ne l'apostropheraient sans doute pas de cette manière, d'autre part parce que peu d'entre eux se remémoraient son prénom. Jimin, pourtant, garda le silence. La question s'avérait stupide, son interlocuteur en avait conscience. Il ne pouvait simplement jamais s'empêcher de la poser. Jimin s'y était habitué, depuis le temps. Il répondit de la même façon qu'à l'accoutumée, par un haussement d'épaules.
Taehyung soupira, à son tour il s'assit. Son bracelet brillait, signe que lui aussi passait désormais en direct. Son ami, d'ailleurs, peinait à en comprendre la raison : les autres garçons devaient probablement déjà être occupés à s'entraîner, pourquoi concentrer l'attention des spectateurs sur eux deux ?
« Pourquoi tu t'es inscrit ? s'enquit Jimin.
— J'allais te poser la question. »
Il fallait avoir abandonné tout espoir pour entrer ici, il fallait être fou pour signer un tel contrat.
« Alors ? insista le nouveau venu.
— Réponds d'abord.
— Je sais pas pourquoi je l'ai fait. Et toi ?
— Moi non plus. J'avais pas la sensation d'avoir quoi que ce soit à perdre.
— Pareil. »
Leurs deux bracelets étaient éteints. Pas de lumière, seulement les prémices d'une nuit qu'éclairerait une pleine lune.
« Est-ce qu'on a été lâches ? demanda Taehyung.
— Ce n'est pas lâche que d'être fatigué.
— Alors t'étais fatigué ?
— Oui.
— Tu te sens mieux ?
— Je pense pas.
— Tu penses pas ?
— Je sais pas décrire ce que je ressens, expliqua Jimin.
— Moi, je me sens bien.
— Ah bon ?
— Y a juste nous et la musique. C'est agréable.
— On va tous mourir les uns après les autres.
— Faut pas y penser, répliqua Taehyung. Juste... profiter de ce que notre talent nous a offert – pour une fois qu'il nous offre quelque chose.
— Ouais, j'imagine. »
Le silence revint, lourd de sens. Jimin sentait son ami crispé, en dépit de quoi Taehyung tentait de paraître aussi tranquille que lui. Assis, jambes tendues devant lui, les bras derrière lui pour prendre appui sur l'herbe, il cherchait à adopter un air nonchalant. Pourtant, son malaise ne pouvait pas être dissimulé.
« Tu devrais retourner vers les autres, suggéra Jimin.
— Ils sont en train de préparer le barbecue. En fait... ils m'avaient demandé d'aller voir si tu voulais te joindre à nous.
— Ils t'ont demandé à toi ?
— Je leur ai dit que je te connaissais.
— Tu leur as dit quoi d'autre ?
— Juste qu'on se connaissait. Tu viens ?
— J'arrive, ouais. »
Taehyung se redressa, parut hésiter un instant à ajouter quelque chose, et s'en alla finalement sans un mot de plus. Jimin se montrait rarement bavard ou enjoué. Sans doute ces traits n'étaient-ils pas inscrits dans sa personnalité. Lui était renfermé, peu loquace, et longtemps il était resté craintif. Les autres ne venaient pas vers lui, il ne venait pas vers eux.
Ce fut donc dans un soupir qu'il se leva à son tour pour rejoindre ses camarades. Se trouver parmi un groupe le mettait mal à l'aise, pour autant il souhaitait s'efforcer de se plier aux attentes que les spectateurs nourrissaient. À défaut de survivre à ces jeux, il voulait au moins s'assurer que ceux qui les regardaient y prennent du plaisir et découvrent sa vision de l'art. C'était la seule raison de sa présence : témoigner des beautés et des possibilités qu'offrait la musique à travers la danse et le chant. Il savait parfaitement qu'il n'avait aucune chance de réchapper à ces quelques semaines, il n'espérait rien. Tout ce qu'il désirait, c'était, tel un cygne, entonner un dernier chant magistral avant de s'éteindre.
Jimin poussa la porte de la cuisine ; son bracelet clignota tandis qu'il s'avançait vers les autres garçons. Taehyung, qui servait de bras droit à l'un d'eux, lui adressa un sourire.
« Tu t'appelles comment, déjà ? demanda un candidat.
— Jimin. Et toi ?
— Namjoon. Viens, Seokjin est en train de nous préparer une viande délicieuse, on va se régaler. »
Namjoon affichait un air jovial. Sa voix grave, impressionnante pour Jimin, semblait en vérité dissimuler une personnalité très douce. D'un regard, le jeune garçon comprit qui Seokjin était : il s'agissait de celui que Taehyung épaulait. Grand, au moins autant que Namjoon, il avait une carrure intimidante que chacun avait oubliée dès lors que Seokjin avait commencé à sourire et discuter.
Jimin avait cru se jeter dans une fosse aux lions, il avait cru qu'il se retrouverait dans une arène sauvage où seul survivrait celui qui écraserait les autres pour dominer. Ça aurait dû se passer de cette manière, non ? Après tout, ils savaient tous qu'ils mettaient leur vie en jeu.
Alors... pourquoi éprouvait-il au contraire l'impression qu'étaient ici rassemblés les gens les plus altruistes qui puissent exister ? Sans doute cette première impression se révélerait-elle trompeuse, mais... chacun de ces jeunes hommes portait sur le visage l'expression même d'une incommensurable bonté.
L'appât du gain et la peur de la mort ne corrompraient-ils pas leur cœur tôt ou tard ?
Désormais aux côtés dudit Seokjin, Jimin observait ses mouvements : sous les yeux de Taehyung, il préparait la viande avec des gestes assurés qui traduisaient un indiscutable talent en cuisine.
« Tu devrais laisser ça mariner un peu plus longtemps. »
La voix, traînante et pourtant délicate, qui s'éleva derrière eux sembla surprendre le cuisinier et son commis. Les deux garçons, imités par Jimin, se tournèrent pour découvrir la silhouette frêle d'un brun à l'air renfermé. Jimin en ignorait la raison, mais il dégageait quelque chose de sombre. Il ne s'agissait pas là d'une obscurité effrayante, mais d'une noirceur mélancolique et douce, à la manière d'une nuit de pleine lune dont profiterait un poète inspiré pour écrire quelques vers. C'était cette obscurité qui émanait de lui.
« Ah bon, tu crois ? demanda Seokjin avec une moue hésitante. Ça fait déjà un moment.
— Une bonne dizaine de minutes de plus et ce sera parfait, crois-moi.
— Et tu t'appelles... ?
— Yoongi.
— D'acc, j'essaierai de retenir, cette fois !
— Au pire c'est pas grave, tu sais. »
Mais Seokjin s'était retourné, occupé à sa cuisine. Jimin, quant à lui, ne pouvait pas détacher les yeux du nouveau venu, envoûté par cette aura que lui seul semblait percevoir. Yoongi paraissait si... spécial. Visiblement calme et introverti, il arborait des prunelles impénétrables qui perturbaient Jimin. Ce dernier, pourtant, était danseur : les expressions du corps et du regard n'avaient en théorie aucun secret pour lui. Or, celles de Yoongi... elles demeuraient insondables.
De manière générale, chacun ici dissimulait en son âme quelque chose de douloureux, ou du moins d'indicible. Ça expliquait peut-être pourquoi, tous autant qu'ils étaient, ils avaient décidé de participer aux Rookie Games alors même qu'ils savaient qu'ils avaient six chances sur sept d'y laisser la vie.
Chacun avait connu une souffrance telle que la mort ne les effrayait plus. La décadence de la société n'offrait plus d'espoirs à ces jeunes talents pourtant promis aux plus grandes carrières. Comme les gladiateurs, ils avaient choisi de descendre dans l'arène pour y mener un combat à mort.
Jimin en était convaincu.
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