Chapitre 54 : Hoseok - 52%
Le soleil, la lune, puis le soleil de nouveau. Il faisait beau, il pleuvait, ou peut-être était-ce non le son de la pluie mais celui d'un acouphène qui bourdonnait à ses oreilles. Il dormait, se réveillait, et la fenêtre ouverte se moquait en lui présentant une nature qu'il ne pouvait pas fouler. Comme il aimait le printemps, lui qui y voyait la renaissance, symbole de l'espoir.
Une heure, deux heures, et autant de pourcentages qui filaient. Cinquante-deux. Il ne savait plus les jours, alangui sur son lit, perdu dans le brouillard de la douleur. Cinquante-deux. C'était déjà beaucoup. Les jours ou bien sa popularité ? Les deux. Il n'aurait pas pensé aller aussi loin. Son groupe pouvait être fier de lui. Qui ? Cinquante-deux. Non, en fait, c'était peu. Sa jambe brûlait et la pièce était sombre. Il n'y voyait rien, yeux clos, mais ça tournait. Sa tête ou la pièce ? L'aiguille, cinquante-deux. Il était dans le rouge, perdu dans le noir.
Cinquante-deux.
Ses paupières papillonnèrent. Hoseok s'assit sur son lit dont il repoussa les couvertures. Il contempla le mur devant lui sans bouger. Il se tourna, lentement, et il posa les pieds à terre. Il s'appuya sur le matelas puis se leva. Ce ne fut pas tellement plus douloureux que ce qu'il avait connu ces derniers jours. Un pas, deux puis trois. Il quitta la pièce.
« Hyung... »
Une voix résonna à ses oreilles. Il l'ignora. Il traversa le couloir et poussa mécaniquement une porte au hasard. Un plancher parfaitement propre, un long miroir qui s'étendait devant lui : une des salles de danse.
Cinquante-deux.
C'était amusant, parce que cinquante-deux, c'était aussi l'âge qu'avait son père, de deux ans plus âgé que sa mère. Le couple s'était, d'après ses dires, rencontré lors d'une chaude soirée de janvier. Elle était serveuse dans un café dont il était client, et il était aussitôt tombé éperdument amoureux d'elle. Tout avait été très vite entre eux, si bien que Hoseok était né à peine un an plus tard. Féru de danse, son père était chorégraphe, et Hoseok avait souhaité plus que tout marcher dans ses traces tant il l'admirait et admirait son talent. Il avait vécu une enfance heureuse, préservé de tout manque par la profession de son père ainsi que sa notoriété.
Cinquante-deux.
Deux regrets habitaient cependant le jeune homme, conscient de sa mort prochaine : il aurait désiré connaître l'amour, le vrai. Focalisé sur son art, il avait imaginé que les affaires de cœur, il trouverait le temps d'y songer plus tard, sans envisager qu'il n'y aurait pas de plus tard. Et puis... il aurait voulu saluer son groupe une dernière fois et leur exprimer toute l'affection qu'il avait pour eux. Sans doute aurait-il craqué en plein milieu de son discours, mais il leur aurait au moins montré des larmes sincères, qu'il aurait préférées à un silence résigné. Parce qu'il ne se résignait jamais. Il était J-Hope.
Cinquante-deux.
Il esquissa un premier pas de danse, une musique se lança dans son esprit, au rythme de laquelle il obéit. Les tambours tonnaient, les cymbales bourdonnaient, les violons s'ajoutèrent et bientôt ce fut un orchestre entier qui battait en lui. Il s'y mêla des sons contemporains, ses favoris, et une mélodie étrange mais envoûtante naquit de cette fusion surprenante. Hoseok se regardait sans se voir, et la musique criait, comme la douleur, mais son corps bougeait, son corps dansait. Hoseok dansait.
Cinquante-deux.
Il déployait ses ailes dans ce qu'il savait être son ultime performance, sa dernière représentation avant que le rideau ne couvre la scène et que les lumières ne s'éteignent. Hoseok baignait dans la lumière, même si de là où il était il ne distinguait rien de plus que l'ombre. Telle était la vocation de l'artiste : observer les ténèbres depuis un lieu qui n'éclairait que lui. Seul, surélevé, et pourtant le voilà qui regardait sa vie lui échapper.
Cinquante-deux.
Les pas s'enchaînaient de manière anarchique mais magnifique – Hoseok était magnifique. De la sueur naissait peu à peu sur son visage, humidifiait ses cheveux. L'effort, non, mais la souffrance. Parce qu'il souffrait, il souffrait atrocement, alors même qu'il s'était senti mieux la veille (est-ce que c'était bien la veille, ou bien le jour d'avant ?). Il ne se sentait jamais mieux longtemps, mais ce jour-là, la mort approchant, il avait voulu danser. Il avait eu besoin de danser. C'était sa vie, la danse, ça le rongeait de rester immobile en observant son destin lui échapper, pareil à une poignée d'eau qu'on ne pouvait garder.
Hoseok ne regardait plus son bracelet, il ne regardait que lui, lui et lui seul. Il ne distinguait dans le miroir qu'une silhouette, mais il se voyait, et il se voyait danser. Des mouvements tantôt d'une souplesse incroyable, tantôt secs et vifs, preuve d'une maîtrise de son corps qui frôlait la perfection, en dépit de la douleur, l'atroce douleur que lui faisait endurer sa cheville. Elle importait peu, car il dansait, et il était heureux, si heureux de danser.
Sa vision se troubla, il hoqueta ; il pleurait. Sa poitrine lui fit mal, elle se serra sous l'effet de la tristesse à laquelle se mêlait pourtant un indescriptible sentiment de soulagement : la douleur et la tristesse importaient peu, car bientôt plus rien n'existerait, ni la douleur ni la tristesse. Seulement la paix.
« Hyung, arrête ! »
C'était la voix de Jungkook, et ce fut sa main qui se posa sur son épaule. Hoseok ne la reconnut pas, mais il savait qu'il s'agissait de la sienne.
« Je t'en supplie... »
Le maknae avait l'air triste, Hoseok ne sut pas pourquoi. Lui, s'il pleurait, c'était parce qu'il avait mal, vraiment mal, mais aussi parce qu'il était heureux. Est-ce que Jungkook était heureux ? Peut-être qu'il avait compris que son aîné l'était, alors il l'était également. Hoseok avait envie de le lui dire, de lui dire de pleurer et de se réjouir avec lui, plutôt que de l'empêcher de danser. Or, impossible de parler. Son corps ne lui obéissait plus depuis bien longtemps, mais aujourd'hui plus que jamais. Il se contenta de repousser la main de Jungkook avec douceur, et la musique reprit dans son esprit.
Des sonorités électroniques résonnèrent, c'était ce qu'il préférait. C'était la chanson qu'il avait présentée avec son groupe lors de leur dernier concours. Oui, il la reconnaissait, c'était elle ! Comme il l'aimait, cette chanson, comme il aimait ces paroles qui invitaient ceux qui l'écoutaient à s'accrocher, à tout donner pour leur rêve. Hoseok avait toujours rêvé d'une vie paisible, à danser et s'amuser. C'était peut-être un rêve trop facile à atteindre. Le voilà idol sans s'en rendre compte, sur le point d'entrer dans la légende de ce jeu plus populaire que n'importe quel autre.
On allait parler de lui.
On allait parler de son groupe.
On allait parler de Niki.
Ils allaient être connus, aussi connus que lui, et leur histoire tragique plairait au public – c'était pour cette histoire, il en était convaincu, qu'on l'avait recruté alors même qu'il était blessé. Ils allaient recevoir un immense soutien, et Niki et les autres en jouiraient toute leur vie qui en deviendrait plus confortable que dans leurs rêves les plus fous.
En signant, Hoseok n'avait pas simplement sauvé Niki... il avait assuré à son groupe une carrière mondiale, un avenir digne de celui des meilleurs groupes de danse.
« Je ne regrette rien, » murmura-t-il.
Le bruit d'un sanglot lui parvint ; Jungkook l'avait relâché, désormais il reculait lentement... mais Hoseok ne le voyait pas ni ne le regardait. Il regardait le miroir sans y voir rien d'autre que les visages de ceux qui lui avaient permis de tenir si longtemps, à commencer par ceux de ses parents, souriants. Il ne les avait pourtant pas quittés avec le sourire. Ils avaient tous les trois beaucoup pleuré lorsque Hoseok avait été appelé pour l'ouverture des Rookie Games. Or, ses parents, ils avaient compris. Ils avaient compris ce qu'il avait fait, et désormais ils souriaient, tout comme Hoseok qui souriait malgré les larmes. Il ne voulait pas qu'ils pleurent.
Des mouvements tantôt souples, tantôt saccadés, il reproduisait à la perfection une chorégraphie qu'il n'avait plus pratiquée depuis plusieurs semaines. Tout son être était mobilisé, au point que la douleur s'était évanouie. Devant Hoseok, ce n'était plus un miroir, mais la foule venue assister au concours – foule parmi laquelle se trouvait sa famille qui l'observait d'un œil bienveillant et approbateur, visiblement fière, si fière de lui. Le danseur s'appuyait sans hésiter sur sa cheville blessée, et il s'amusait, et son cœur palpitait, et il vivait, il vivait comme il n'avait jamais vécu. Une euphorie douce, l'ivresse du hip-hop, et la certitude qu'il avait profité de chaque instant, si infime soit-il.
Non, il ne regrettait rien de son existence.
Il ne ressentait aucune douleur, aussi vive soit-elle. Aucune douleur dans la cheville, aucune douleur dans le poignet.
Tout devint noir.
Il ne regrettait rien.
Je n'aurais jamais pu envisager ma vie
Autrement que rythmée par le rap, par la danse.
Alors si mon talent peut faire la différence,
Pour sauver ton rêve, soit, je paierai le prix.
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