Chapitre 18 : Namjoon
Semaine 1 – Jour 4.
Parce que le jour de sa tâche était arrivé trop rapidement à ses yeux, Namjoon peina à dormir. Il passa une partie de la nuit à s'inquiéter de ce qu'on allait lui demander, mais il resta dans son lit sans esquisser le moindre mouvement, trop stressé à l'idée qu'on découvre son angoisse. Est-ce que les autres garçons s'étaient sentis aussi anxieux à l'idée de jouer leur vie ? Pourquoi Namjoon trouvait-il tout à coup que ses camarades avaient abordé la chose avec une bien étonnante sérénité ? Il les avait pourtant regardés de manière neutre, ça ne l'avait pas surpris de les voir exécuter la mission réclamée...
Or, désormais que c'était à son tour, il éprouvait un profond sentiment de dégoût, une peur mêlée d'injustice qui l'écœurait. Comment pouvait-on agir ainsi ? Comment pouvait-on accorder au public de réaliser le moindre de ses caprices ? Idols ou objets, la limite était fine, la limite avait disparu. Namjoon se sentait comme un objet, mais pas un objet précieux : un objet qu'on remplaçait aisément et dont on n'hésitait par conséquent pas une seconde à se débarrasser.
Il avait écrit toute la matinée, si bien qu'il avait décliné la proposition que Jungkook lui avait faite de l'aider à travailler une chorégraphie – car pour survivre, mieux valait être polyvalent.
Nourri par ses émotions pourtant inavouables, Namjoon enchaîna les vers et les strophes, les couplets et les refrains. S'il existait un sujet qui l'inspirait, c'était bien la société et sa décadence. Il aimait décrire à travers ses chansons le désastre provoqué par le paraître, les humiliations subies par ceux qui ne se conformaient pas, et la pression qui pesait sur ceux qui y parvenaient et prenaient alors le titre de « modèles ».
Namjoon critiquait à mots couverts un système défaillant, brutal aussi bien physiquement que psychologiquement. Lui qui se passionnait pour les sciences humaines, il s'y connaissait à la fois en politique, en sociologie et psychologie. Peu de gens lisaient ce que lui lisait, si bien qu'il pourrait aisément être considéré comme une des personnes les plus cultivées dans ces domaines. Et ce que cet immense savoir lui avait enseigné, année après année, c'était à quel point ce qu'il vivait était immonde.
Il avait trouvé chez ses grands-parents d'importantes collections de livres de tous âges, certains remontant même au dix-neuvième siècle. Il avait lu la liberté, le combat, l'égalité, l'injustice, la peur, l'amour, le courage. Il avait, avec les mots du passé, pu mettre des mots sur le présent. Il avait pu éclaircir des doutes qui l'avaient longtemps hanté, et plus il apprenait, plus grondait en lui ce sentiment de révolte que seule la musique lui permettait d'exprimer.
Namjoon était ainsi devenu un rappeur peu connu mais adoré par ses fans, encouragé pour ses textes qui, parce qu'ils demeuraient implicites, ne lui avaient encore jamais valu d'ennuis avec le gouvernement. Ces derniers temps, d'ailleurs, le jeune homme s'était demandé si cette absence de sanction était due à ses textes trop peu explicites, ou bien au fait qu'il était prévu que tôt ou tard on lui propose cette émission pour se débarrasser de lui.
Oui, personne n'était contraint à concourir : certains se le voyaient proposer, d'autres envoyaient leur candidature. Namjoon, lui, avait été contacté par un des producteurs. Il n'avait pas envie de mourir ; il avait accepté de participer. Aujourd'hui, il lui semblait qu'une partie de lui allait mourir, alors il écrivait sans cesse, comme s'il s'agissait de sa dernière chanson – et il lui éprouvait le sentiment que ce serait le cas : il voulait que ce texte soit le dernier de sa mixtape. Il n'avait pas encore de mélodie en tête, il n'avait pas la moindre idée d'un rythme qui collerait bien avec la colère et la tristesse qui émanaient de ses mots, mais s'il ne trouvait rien, il se contenterait de lire. Tout ce qui comptait, c'était qu'il transmette ce morceau.
Qu'il montre au monde comme il allait mal, car même le premier concerné n'en paraissait pas conscient.
À l'heure du déjeuner, Namjoon prit un air perplexe, toujours installé dans un des studios de la villa : il avait disposé devant lui ses paroles, et... elles étaient longues. Extrêmement longues. Même en les retravaillant, il ne s'imaginait pas en supprimer plus d'une dizaine de vers, et il resterait de quoi composer une chanson au moins deux fois plus longue que ce dont il avait l'habitude.
Tant pis, il en avait trop à dire pour se censurer, ça lui tenait bien trop à cœur, et puis... c'était la raison de sa venue. Il ne voulait pas faillir à la mission qu'il s'était donnée. Même si elle n'avait aucun sens.
Il alla manger avec ses camarades, après quoi il passa l'essentiel de son temps dans un studio non à écrire, mais à stresser à l'idée de rater dès sa première tâche. Ça arrivait, parfois, qu'un candidat, sous l'effet de l'anxiété, commette une faute au premier défi. Généralement, il s'agissait alors du premier éliminé.
Avec les performances offertes par ses concurrents, Namjoon était convaincu que celui qui échouerait serait automatiquement condamné. Il ne pouvait pas perdre si tôt.
« Hyung... tu vas bien ? »
Le rappeur, avec un rictus touché mais peu surpris, donna un coup pour que sa chaise effectue un demi-tour. Il découvrit alors, dans l'encadrement de la porte, Jungkook. Le jeune homme arborait une posture peu assurée et un visage hésitant. Il se frotta la nuque en baissant les yeux quand le regard de son ami se posa sur lui.
« T'avais pas l'air en forme, ce midi, et comme je sais que bientôt, c'est à ton tour de... enfin, voilà, je me suis dit que t'aurais peut-être envie de pas rester seul avant ça, quoi.
— Merci, Jungkook-ah.
— Ça veut dire que je peux rester ? »
Son aîné opina, l'autre retrouva le sourire et approcha. Dès lors qu'il vit les papiers éparpillés sur le bureau, il ouvrit de grands yeux étonnés.
« T'as écrit tout ça ce matin ? balbutia-t-il ébahi.
— Ouais. Faut croire que le stress, ça m'inspire.
— Le stress, t'es sûr ? marmonna son ami qui avait commencé à lire les vers rédigés.
— Oui. »
Et d'un regard, Namjoon lui indiqua de surveiller son poignet : les bracelets brillaient.
La production avait accès à chaque fichier qu'ils enregistraient sur les ordinateurs, de sorte que le rappeur était convaincu que chacun ici savait déjà de quelle nature étaient ses compositions. Toutefois, mieux valait ne pas trop en dévoiler sur celle-ci, beaucoup plus explicite que tout ce qu'il avait écrit jusque-là. Les réalisateurs pouvaient savoir, mais le public ne l'apprendrait pas maintenant – et ils devaient jubiler à l'idée de la réaction des spectateurs une fois que Namjoon révèlerait son texte.
Jungkook se contenta donc d'opiner lentement avant de changer de sujet. Ils discutèrent de choses plus légères et furent coupés par l'alarme qui les prévenait qu'il était temps de se réunir.
« J'ai un mauvais pressentiment, souffla Namjoon en se redressant.
— Je pense qu'on aura toujours tous un mauvais pressentiment quand on entendra ce bruit.
— Sans doute... »
Au salon, une fois que chacun fut arrivé, le suspens ne dura que quelques instants qui parurent durer des heures pour Namjoon. Son cœur tambourinait si fort à ses oreilles qu'il n'entendait rien que ses agaçantes palpitations – elles le stressaient d'autant plus, il n'avait pas besoin de ça.
Puis ce fut une simple question qui apparut à l'écran, une question qui laissa Namjoon coi et qui outra les autres garçons, même si aucun ne cilla devant ces mots. L'interrogation, pareille à une moquerie, semblait narguer le pauvre rappeur qui ne sut pas si son visage chauffait sous l'effet de la honte ou de la colère.
S'il te plaît, dis-nous si tu as déjà songé à faire de la chirurgie esthétique.
Quelle bande de connards.
« Je vois strictement pas ce que ça pourrait m'apporter, fulmina Namjoon sans pour autant hausser la voix, j'ai pas besoin de chirurgie pour m'accepter. »
Sa phrase à peine terminée, il se leva et quitta la pièce tandis que l'écran s'éteignait. Les six autres garçons échangèrent un regard intimidé, et finalement ce fut sans doute le plus timoré qui réagit : Jungkook se redressa et fila à la suite de son ami qu'il retrouva au jardin, assis sur l'herbe.
« Hyung, ça va ? osa-t-il d'un ton craintif.
— J'ai vraiment pas envie de parler, Kook.
— Pourtant, ça pourrait te faire du bien, tu crois pas ?
— J'en ai rien à foutre.
— C'est normal d'être en colère, tu sais ?
— Super, ça me fait une belle jambe.
— C'est pas contre moi qu'il faut être en colère... »
Namjoon se tourna finalement vers lui. Ses prunelles brillaient à la fois de fureur et de détresse. Il baissa les yeux, l'air penaud, et finit par soupirer.
« Désolé. Je suis... vraiment sur les nerfs, ouais.
— T'as pas à t'en excuser. Je comprends.
— Tu veux venir t'asseoir ?
— T'es sûr que tu veux de la compagnie ?
— Ouais. »
Jungkook obéit, il s'installa aux côtés de son aîné sans jeter le moindre regard à son tracker pourtant allumé.
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