Chapitre 8 : Le temple d'Aldrae - Silaria
— N'espérez pas devenir herboriste. Ce savoir, je le transmets, oui, mais vous êtes loin d'être la seule à le requérir. Vous n'avez pas d'argent, pas de titre, pas de formation, listait-il en comptant sur ses doigts. Guérir n'est pas un tour de passe-passe. Il y a un cursus à suivre. Ecole, université, car la théorie est absolument indispensable pour comprendre. L'erreur n'est pas permise. Vous avez certes un talent qu'aucun humain ne possède, mais le bonheur que vous prodiguez peut avoir des conséquences pour le patient. Cela il faut l'envisager. Vous risquez de faire plus de mal que de bien.
Silaria quitta la boutique du dernier herboriste de la Cité avec regret. Elle y avait cru cette fois encore. Elle s'était laissée séduire par les odeurs des aromatiques, par les parterres de plantes biscornues et les innombrables curiosités exposées dans la boutique.
En rentrant, elle se remémorait avec amertume les refus successifs et les mauvaises rencontres.
Même si elle avait tout de suite aimé ce quartier proche de « l'allée des Cytises » qui regorgeait de vie et de soigneurs, le sort s'acharnait. On ne voulait pas d'une orpheline sortie de nulle part. Même si elle avait l'envie, personne ne passait au-delà de son statut indécrochable. Elle se demanda si c'était partout le cas dans Ashirel, si les laissés pour compte n'avaient d'autres choix que de mendier, de voler ou de se laisser mourir.
En arrivant dans le temple, elle se cala dans le hamac pendu à côté de celui de Nayle et s'enrubanna dans une laine, le moral dans les chaussettes. Nichée dans son cocon, elle se dit que malgré tout ce qu'elle avait pu vivre, elle était forcée d'admettre qu'au moins, les Anishar proposaient une voie.
Si les portes s'ouvraient à nouveau, peut-être pourrait-elle d'une manière ou d'une autre récupérer sa fameuse lettre de tutelle seigneuriale.
La jeune fille se levait, vêtue de sa couverture comme d'une cape. Elle mimait son infiltration, imitant maladroitement la démarche de Nayle. Elle approcherait, invisible, sans un bruit et repartirait avec son larcin. Ce serait si simple se dit-elle en se laissant tomber sur sa couche.
— Qu'est-ce que tu fais ? Lui demanda Aylin avec un air amusé.
Silaria ne l'avait même remarquée. Elle soupira et lui confia sa situation.
Aylin s'était assise à l'envers sur sa chaise, les mains posées sur le dossier. Elle l'écouta avec attention, songeuse. Une lueur vint se loger dans son regard mais Silaria eut du mal à l'interpréter. Essayait-elle de cacher ses réactions pour ne pas la blesser ? La trouvait-elle trop naïve ? Ridicule d'espérer ainsi ? Silaria peinait à la comprendre tout à fait. En réponse à sa longue tirade, Aylin se redressa.
— J'ai peut-être une idée. Là où je peux t'emmener, personne ne t'exclura pour ton rang mais je ne te garantis pas qu'on acceptera de te former.
Quel genre de lieu était-ce là ? Elle avait l'intuition que si cet endroit existait vraiment, cela devait être le terrain des marginaux et des hors-la-loi.
— Est-ce dangereux ? demanda-t-elle sans détour.
Aylin rit.
— Existe-t-il vraiment un lieu sur cette Terre où il n'y a pas le moindre risque ? Je ne sais pas ce que tu t'imagines mais ce n'est pas un tripot douteux que je te propose, elle regarda autour d'elle avant de poursuivre, tu ne seras pas tellement dépaysée en plus. Allez, viens, suis-moi...
Aylin lui saisit le bras avec bonne humeur. La perspective de cet endroit la mettait en joie de toute évidence. Alors Silaria se laissa entrainer et le serpent se lança à leur suite avec la même énergie. Elles avancèrent sur les feuilles mortes, marchant vers le nord-est de la ville le long d'un affluent de l'Euphalisia qui chantait tout doucement, jusqu'à disparaître complètement dans la boue et la terre piquée de roseaux.
—Où m'emmènes tu, Aylin ? redemanda Silaria.
— Voir Aldrae. C'est devenu évident. Tu étais exactement à la croisée de nos chemins quelques jours plus tôt et à présent, tu me tiens ce discours. Il n'y a pas de hasard, Aldrae souhaite que je t'emmène le rencontrer.
— Aldrae ? répondit-elle avec une sorte de stupeur, mais ce n'est pas mon dieu. Je ne suis pas comme vous. Je n'appartiens pas au Renai. Pourquoi donc me reconnaitrait-il ?
Aylin l'arrêta avec un sourire.
— Penses-tu vraiment que seul le Renai est sous son aile ? Et je vais te dire quelque chose, ajouta t-elle sur la confidence, tu sais, je ne suis pas née à Tsouly.
— Vraiment ? Vous paraissez si liés avec Nayle, comme si vous étiez nés de la même mère.
Aylin eut une expression étrange, mélancolique presque.
— Non, je viens d'ailleurs, le Renai m'a adoptée, ajouta-t-elle d'un ton qui n'attendait aucune réponse.
Silaria n'osa ajouter le moindre mot pour ne pas étouffer dans l'œuf une possible révélation. Elle aurait voulu lui poser de nombreuses questions mais Aylin semblait s'être refermée sur elle-même.
Le sentier continuait entre les arbres et les rumeurs de la cité parvenaient de manière lointaine, c'était un murmure porté par le vent.
Un calme ancien enveloppait l'espace et Silaria sentit Aylin s'apaiser totalement en découvrant l'immense bâtisse ronde. Sur la gauche, elle nota la présence d'un bateau naufragé dans le sable et la terre ; on entendait distinctement le fanion écarlate claquer dans le vent. Sans doute avait -il navigué il y a bien longtemps puisque le fleuve était à présent asséché.
Le navire procurait à Silaria une impression étrange et indescriptible : comme si le bois qui le composait comportait trop de nervures, de cernes, trop de détails pour faire partie de sa réalité. Il avait quelque chose de parfaitement irréel, comme s'il venait d'un monde différent du sien.
En approchant de la tour ronde, Aylin fit un signe au gardien du temple, occupé à balayer les feuilles.
L'homme releva son chapeau de paille, découvrant un visage parcheminé couleur ébène, une sorte de portrait changeant qui laissait deviner sa joie de voir Aylin. Silaria avait bien du mal à lui donner un âge : il paraissait très vieux mais se déplaçait avec une étonnante aisance.
- Aylin, ma fille, que me vaut le plaisir de ta présence.
- Il semble que je dois vous présenter une amie, dit-elle en désignant Silaria.
Le vieux jardinier s'approcha de la nouvelle arrivée et plongea ses yeux bruns, jaunis au coin de l'oeil dans ceux de Silaria. Ses sourcils broussailleux s'arquèrent avec intérêt.
— Voyez-vous cela, une semi-lyugan.... Venez, petite. Je suis Senex.
Silaria se sentit intimidée. Elle avait l'impression qu'il lui aurait été impossible de s'opposer à sa demande. Le personnage dégageait une autorité naturelle, il ne passait pas inaperçu. Elle avait cette même impression étrange que pour le bateau ; l'homme avait au fond du regard une vie plus intense qu'elle ou que tous ceux qu'elle avait pu rencontrer auparavant et les émotions qu'elle ressentait parvenaient à ses sens comme un flux si intense et complexe qu'elle peinait à le comprendre. Il échangeait d'un ton jovial avec Aylin et Silaria se dit que sa voix paraissait aussi vieille que le monde tout entier et que ses mots empruntaient parfois un vocabulaire qu'elles deux étaient probablement incapables de reconnaitre.
Elles le suivirent jusqu'à son cabinet où s'entassaient une grande quantité de plantes et d'objets bizarres enfermés dans du verre : ici ou là, un navire voguant sur des flots mouvants, ailleurs, des fleurs lumineuses, ou encore des liquides noirâtres ou des métaux de formes étranges.
Senex proposa une chaise et s'assit en face de Silaria, tandis qu'Aylin observait avec curiosité.
— Puis-je voir votre main ?
Bien qu'un peu mal à l'aise, elle s'exécuta.
Au premier coup d'œil, il eut du mal à retenir sa surprise, mais l'émotion fugace céda vite la place au silence. Tandis qu'il observait sa main, il parla ainsi.
— Les lignes de la main sont le dernier souci du Dieu Créateur. Bien que chaque âme soit délicatement ouvragée, de son caractère jusqu'à son aspect, ce sont bien elles qui montrent qu'Aldrae s'est le plus appliqué. Après tout, elles ne constituent qu'un détail de la création. Vous, demoiselle, vous avez les lignes profondes et marquées : c'est une chose exceptionnelle de les voir aussi multiples et entrecroisées.
Silaria jeta un regard vers Aylin qui, par réflexe avait regardé ses propres mains avant de les cacher bien vite dans ses poches de pantalon.
— Vous êtes promise à un grand destin, c'est certain.
— Mais je ne suis qu'une orpheline. Comment donc pourrai-je m'élever ?
Senex sourit.
— Vous avez déjà une idée, non ?
— Grace à mon pouvoir de guérir ? demanda-t-elle incertaine. Mais personne ne veut de moi...
Le vieil homme garda le silence, sembla hésiter et lui dit.
— Eh bien, si vous chercher à apprendre, peut-être pouvez-vous en parler à l'Apothicaire. Qui sait, peut-être qu'elle acceptera de vous enseigner ce qu'elle sait.
Silaria n'osa pas répondre. Elle avait envie d'espérer mais pour elle, les refus successifs étaient trop présents dans sa mémoire pour exprimer une réelle joie.
— Nous n'avons pas d'universitaires ici. Nous suivons notre propre voie. Elle peut se révéler tortueuse mais elle vous mènera certainement quelque part.
Quelqu'un frappa à la porte, interrompant leur échange.
Senex annonça d'une voix forte.
— Entrez.
Un homme vêtu de rouge carmin entra. Son capuchon était baissé malgré sa présence dans un lieu fermé et son visage était caché par un masque noir. Sa cape prenait la forme de l'objet rectangulaire qui semblait l'encombrer. Etait-ce un livre ?
— Ah, te voilà. Je me disais bien que tu ne tarderais pas à me rendre visite avec tout ce qui se dit en ville, fit-il en se détournant de Silaria avant de revenir vers elle.
— Je parlerai à l'Apothicaire. Reviens me voir, petite. Si les Trois Dieux refusent de te donner leur soutien, c'est parce que c'est Aldrae qui t'appelle.
Ces mots suscitèrent une émotion étrange dans l'assistance. Une sorte de mélancolie mêlée d'allégresse qui résonnait en écho comme si Aylin et l'homme habillé de carmin se remémoraient un souvenir important. Silaria les regardait tous, à la fois un peu méfiante mais en même temps gagnée par une confiance nouvelle. Une fois encore, elle détailla l'étrange intensité qui émanait de l'homme et se dit qu'elle était là, devant lui, exactement là où elle devait être, même si elle avait encore bien du mal à savoir si cet endroit était en accord avec ses valeurs.
Elle salua l'homme et se glissa en dehors de la pièce. Avant de fermer la porte, elle nota que l'homme carmin découvrait de sous sa cape un vieux grimoire richement orné.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro