Chapitre 6 : Intermède - Nayle
Sur le chemin du retour, Nayle aperçut Aylin qui le saluait mais il ne pressa pas le pas pour la rejoindre. Si la matinée l'avait intéressé et s'était passée tranquillement, le reste de la journée avait été une autre paire de manches : on l'avait fait courir d'un bout à l'autre du château. Il avait fait tant de courbettes qu'il avait dû s'arrêter un instant pour se délester d'une crampe. Il était éreinté.
— Alors, mon échanson préféré ? Passer tant de temps avec les nobles va faire de toi un vrai petit chevalier, n'est-ce pas ? se moqua-t-elle en lui faisant la révérence.
Nayle fit la moue, fatigué des règles étriquées et des codes superficiels de la cour qui lui inspiraient déjà un mépris relatif. Il avait l'impression qu'on lui volait une part de sa liberté.
— Bon sang, c'est affreusement inconfortable de s'astreindre à ces incessantes politesses et de jouer le rôle du serviteur, toujours serviable et simplet.
Aylin pouffa. Probablement, venait-elle de l'imaginer tout mielleux, ce qui lui était absurde.
— Le pire, c'est qu'en partant, le chancelier était surpris de me voir refuser leur hospitalité ! Ils sont tous si habitués au poids des regards posés sur leur épaule, sur leurs pas, à tous ces sujets qui surveillent chaque déplacement, chaque mot, la moindre expression, qu'ils ne se rendent même plus compte que cela n'a rien de normal.
Nayle repéra au loin le dôme du temple abandonné, encore partiellement caché par les arbres.
— Ah, ça y est. Voilà notre palace, dit-il en soupirant. Certes, il récolte l'eau de pluie par moment, mais on ne s'y sent pas étouffé ou à l'étroit comme dans ces nids d'espions du centre-ville.
— Bon, il y a aussi le problème de ces errants qui viennent se servir dans nos affaires...
— C'est vrai mais bon, ce qui nous manque, nous pouvons en retrouver.
— Allez courage, bien que ta mission soit ... (elle chercha un moment le mot approprié) éprouvante et inintéressante, tu y survivras.
— C'est la décision de Père. Je ne doute pas que j'apprendrai malgré tout.
— Toujours si optimiste, sourit-elle.
— D'un côté, je préfère cette tâche qui est dans mes cordes. Au moins, je ne risque pas de déshonorer le Renai. Cela me semble plus réalisable que d'essayer de calmer les chiens enragés du Réklia.
Il ne connaissait pas les détails de la mission donnée à Aylin depuis quelques mois déjà, mais il savait que cela impliquait de travailler avec le Réklia, une association dissidente qui visait en apparence à la préservation du souvenir de la cité au temps de la commune. Le groupe, infiltré dans toutes les sphères et dans toutes les villes était un contre-pouvoir constant au roi et à la souveraine de la Cité.
— Quels sont ces sous-entendus ? Tu doutes de moi ? Tu sais pourtant que je ne suis pas de celles qui échouent.
— Toujours si sûre de toi ! marmonna-t-il.
— Et toi, toujours si agaçant !
Ils échangèrent un faible sourire et reprirent leur marche, jusqu'à ce qu'une nouvelle question rompe le silence :
— Penses-tu que notre nouvelle amie sera toujours là ? demanda Nayle.
— Très certainement. Je l'ai vue toujours dormant tout à son aise tard dans la matinée. Il faut croire, que peut être, elle apprécie notre compagnie... mais j'espère juste qu'elle n'a pas dévoré nos lapins.
— Et nos fruits secs cachés dans le coffre si elle prend la peine de fouiller.
— Et nos sacs de blé...
— Bon sang, Aylin, nous avons constitué en quelque jours un véritable garde-manger ! Et tu continues, ajouta-t-il en désignant son sac de pommes au côté.
— Bien sûr, mais si, parmi toutes les filles en détresse, tu as proposé ton aide à la plus vorace, je ne te le pardonnerai jamais !
En réponse, il accéléra le pas malgré la pente, pressé de constater les dégâts.
***
A leur arrivée, Silaria s'inclina devant eux.
— Merci de m'héberger, dit-elle d'un ton solennel.
Nayle hocha du chef, peu surpris. Après tout où pouvait-elle donc bien aller ? Avait-elle seulement un but ?
Il vit Silaria tiquer, mais elle s'en alla leur rapporter avec enthousiaste un plat à base de champignons et de petits fruits pourpres. Nayle capta le regard soupçonneux qu'Aylin darda sur la marmite. Même s'ils étaient de bonne constitution, elle se méfiait toujours beaucoup de ce qu'elle ne connaissait pas.
— N'ayez crainte, je suis la meilleure pour trouver ce qui est bon, affirma Silaria avant d'en manger une pleine poignée.
Nayle laissa Aylin tester une cuillère et se réjouit de l'entendre pousser un cri d'assentiment. Tant mieux, il avait une faim de loup.
— D'accord, je me fie à toi ! affirma Aylin d'un ton badin, mais si je meurs, ce sera Nayle qui te tuera.
Cette blague n'eut pas l'air de l'amuser mais cela ne la découragea pas pour autant. Servir son plat, c'était probablement pour elle une façon de leur témoigner sa reconnaissance. A son tour, Nayle se réjouit d'en découvrir la saveur boisée, légèrement sucrée avec une note de noisette qui apportait de la douceur.
Les assiettes de bois lavées et suspendues à sécher, Aylin rejoignit la grande pièce et reprit la lecture des ouvrages sur l'histoire de Narranda. Derrière elle, Silaria dévorait des yeux les gravures représentant les emblèmes des grandes familles et les tableaux figurants les grands événements. Pour Aylin, c'était un moyen d'en apprendre plus sur le personnage qu'on lui demandait d'incarner, alors que pour la demi-lyugan, c'était tout autre chose. Nayle devinait dans son émerveillement une réelle envie. La demi-lyugan s'était assise à côté d'Aylin et lui avait dévoilé avec emphase une carte passablement imprimée de la Cité. Ils l'avaient accrochée au mur et Silaria restait dès lors figée. Peut-être essayait-elle d'en enregistrer les moindres recoins ou bien, elle rêvait tout simplement.
Quand Aylin éteignit les bougies, le silence gagna l'ancien temple et chacun gagna son coin pour la nuit, l'odeur de la cire fondue toujours dans les narines. Nayle écoutait le son du vent dans les fissures. Il repensait à tous ces nobles qui n'avaient pas rechigné à fermer les portes de la ville, comme si la démesure de l'action était la preuve indéniable de leur dévouement au roi. Il imaginait ce criminel aussi, se demandant s'il avait réussi à partir. Peut-être retrouverait-il sa trace, qui sait. Dans tous les cas, il voulait en savoir plus.
Il soupira, à présent convaincu qu'il ne trouverait pas le sommeil, quitta son hamac et rejoignit Grand Rue, l'artère principale de la cité.
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