Chapitre 4 : Ordre de mission (2/2) - Nayle
Une large table ovale entourée de sièges avait été dressée. Selmyr s'installa à côté d'une chaise haute et élégante, vide, la place du seigneur et souveraine Tally Anishar. Les Grands étaient au nombre de douze. Il y avait là Selmyr le chancelier, l'argentier de la souveraine, son intendant, le garde des sceaux, le tribun des trois dieux, le chef de la garde, le ministre du commerce et des transports et tout un tas d'autres gestionnaires qui avaient les pleins pouvoirs au sein de la cité et qui prenaient toutes les importantes décisions sur des lieues aux alentours. Nayle se perdait dans ces dénominations et peinait encore à comprendre qui était qui. Certaines places étaient savamment gardées par des têtes identifiables mais d'autres s'obstinaient à être échangées, remodelées sans que personne ne s'en offusque. Nayle nota la présence d'un jeune homme étrange qu'il n'avait jusqu'alors jamais vu. Il avait les traits fins et un visage déconcertant, comme sculpté dans un bois d'hêtre ainsi qu'une peau qui paraissait trop épaisse pour retranscrire des émotions humaines et les cheveux noirs de jais, attachés en arrière en mille et une tresses et minuscules lianes. Des yeux gris comme ceux de la souveraine mais cernés d'un noir profond, aspect qui rappelait les draïgans.
Encore un sang-mélé. Mais à la différence de Silaria, cet homme était connu de tous ici.
Keshan Anishar, fils de la souveraine de la cité et du roi d'Ashirel.
Même s'il avait peu de chance d'hériter un jour de la couronne, il restait l'un des princes du royaume. Nayle s'inclina avec respect et Selmyr le présenta.
— Voici Nayle Zyandrel de la Terra Renai.
— Levez-vous, mon ami. Le clan Renai est toujours le bienvenu au sein de notre cour. Et je ne permettrais pas de faire du tort au fils ainé d'Eriden Zyandrel, le Père du clan Renai, si je ne m'abuse ?
Nayle se redressa mais garda la tête inclinée avec humilité.
— Tout le plaisir est pour moi, annonça-t-il avant de se placer derrière Selmyr .
Chacun prit place, échangeant avec son voisin jusqu'à ce que la voix forte du prince les rendît au silence.
— Bonjour à tous. En l'absence de notre Seigneur Tally, je me vois présider cette assemblée. A ce jour, nous avons une importante affaire à traiter.
Nayle circulait autour de la table, servant à boire selon le bon vouloir de chacun et il observait les membres du Conseil. Il les voyait réunis pour la première fois et était incapable de les nommer ; ici, une allure concentrée avec les coudes sur la table ; un peu plus loin, une autre, droite et impénétrable ; ailleurs, une mine nonchalante et joviale ; autre part, une silhouette élancée, maniérée avec des mains réajustant sa mise et la hauteur des verres sur un nez ; au fond, un petit vieux à demi endormi et aux mains tremblantes.
— Vous le savez probablement déjà tous mais il nous faut en parler. Ce matin, j'ai donné l'ordre d'empêcher tous les départs depuis le port, et ai interdit formellement de passer les portes de la ville sans le sceau du Conseil. La raison, c'est le nécessité de capturer un fugitif. Le roi Ithellan m'a informé qu'un criminel a pénétré dans notre cité. Nous n'avons pas d'autre choix que d'empêcher sa fuite dans le royaume.
Une rumeur troublée agita l'assemblée mais Selmyr ajouta.
— Cet homme s'est emparé de l'un des trésors de la couronne et a blessé l'une des épouses royales. Il est arrivé par bateau pour se réfugier loin de la capitale. Le roi nous demande de le retrouver et nous devons impérativement remettre la main dessus.
— Un crime de lèse-majesté ? demanda un conseiller avec stupeur, que savons-nous d'autre de notre homme ? De ses intentions ? demanda le plus vieux de l'assemblée.
— Nous ne sommes pas en mesure de le dire, indiqua l'homme avec les lunettes.
— Mais fermer les portes de la ville aura de fortes conséquences ! Enterrer le commerce va entraîner des répercussions graves pour notre économie et pour les foyers les plus pauvres qui subiront cette interdiction de plein fouet. Nous allons devoir gérer les mécontentements des petits, répondit un homme rondouillard.
— Eh bien, il nous suffira de leur fournir de l'aide. C'est bien connu, les chiens ne mordent par la main qui les nourrit, lâcha un homme sec et droit comme une vieille branche d'arbre en bout de table. Cet homme avait le regard perçant d'un faucon.
— Tout à fait. Nos villes sont unies et prospères. Shalliath nous enverra sous peu une délégation d'aide. Nous aurons toutes les ressources nécessaires pour faire face à nos besoins et tout ce qu'il faut pour.... Contenter les mécontents, affirma Keshan
— Le port et les portes de la ville sont sous notre contrôle. Nos greniers sont pleins et les campagnes sont riches. Ce n'est qu'une contrainte de quelques temps.
— Par prévention, il faudra réactiver les postes de contrôles sur la route royale, la route de l'est, envoyer des oiseaux à Toldrish, à Envéa et aux baillis, affirma Selmyr.
— Et contrôler la porte de l'Ouest... C'est un nid à rats. Autant de nuisibles y trainent et franchissent les remparts dans un sens et dans l'autre sans qu'on n'y puisse rien, compléta l'homme à l'air jovial.
Nayle ne laissa rien transparaître mais retint un petit rire. L'endroit lui semblait effectivement une passoire, mais cela le peinait un peu qu'on le prive de ses escapades en y logeant des soldats.
— Oui, depuis ce matin, le gros de nos hommes est concentré sur cette zone. C'est d'ailleurs le second sujet que je voulais évoquer avec vous, ajouta Selmyr.
— Tiens, oui ! Parlons de cela ! Le trafic sur cette zone prend des proportions incroyables ! Vous ne mesurez pas les pertes que nous subissons à cause des exactions qui s'y déroulent.
— Ramenons- les soldats à ce point de la ville : nous résoudrons aussi deux de nos principaux problèmes, dit Selmyr.
— Le trafic reprendra ailleurs mais nous suivrons cela avec attention, songea Keshan.
— Enfermons-les, punissons-les. Ces temps-ci, ils opèrent en plein jour. Ils ne se cachent même plus.
— Certes, le rappel des règles ne peut pas faire de mal.
L'échange continua des heures et Nayle capta le regard d'un homme d'âge moyen, l'air distingué, enveloppé de tissus épais. C'était lui qui apportait au débat des informations tangibles, comme s'il était plus que les autres, chargés de la pleine information de son territoire. Par précaution, il retint son visage.
Cette histoire de fugitif l'intriguait mais pour lui, si un homme habile ne souhaitait pas être retrouvé, il doutait qu'un confinement de la ville y change grand-chose. Pourtant les sujets s'enchaînaient sans que cette décision soit remise en question. En soi, Nayle avait appris que cette méthode de repli était récurrente ici, dans la région de Narranda. En tout cas, il était clair que ces nouvelles lois allaient impacter ses sorties et il se promit de goûter une dernière fois les pâtisseries savoureuses que l'épicerie de Grand Rue faisait venir de l'extrême ouest d'Ashirel, conscient que ce serait les dernières avant bien longtemps.
Quelques minutes plus tard, les conseillers se levèrent et Nayle suivit Selmyr. Alors qu'ils marchaient dans les couloirs, le chancelier l'arrêta :
— Puisque tu n'es pas un simple serviteur et qu'au contraire, tu dois t'y connaître mieux que quiconque en terme de personnage fuyant et habile, je te prie de garder l'œil ouvert.
Nayle était surpris de cette remarque
—Vous sous-entendez que ce fugitif pourrait venir du Renai ?
—Je n'exclus aucune possibilité. Les hommes habiles peuvent venir de n'importe où, mais les plus doués viennent certainement du Renai. Suivre cette piste alors que je t'ai sous mon aile ne me paraît pas idiot.
Il y eut une pause, puis il reprit.
— N'oublie pas que tu travailles en ce moment pour notre souveraine et pour le royaume. Que tes intérêts et ceux de ton clan sont les mêmes.
Il y avait là de la méfiance, une sorte de nervosité sous-jacente. Nayle comprit que Selmyr lui-aussi, même s'il était l'un des plus grands dignitaires du royaume, craignait le Renai. En arpentant les couloirs, il se dit qu'il comptait bien « ouvrir l'œil ».
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro