Il était midi passé. Assis à la table de la toute petite cuisine de l'agence, Raphaël prit son portable, lu le SMS qui s'inscrivait sur son écran et fit un grand sourire.

‑ C'est officiel, Leslie emménage avec Valens !

Il regarda Romi qui, les yeux également rivés sur son portable, fronçait les sourcils.

‑ Qu'est-ce qu'il y a ? Cette nouvelle devrait te réjouir.

‑ Valens me demande si je ne trouve pas Damien bizarre, ces derniers temps.

‑ Il l'est toujours.

‑ Blague à part, Valens à l'air de s'inquiéter.

Raphaël haussa les épaules.

‑ Ça fait un mois qu'on ne les a pas vus, comment veux-tu qu'on sache ?

Romi fut attirée par un mouvement du coin de l'œil. Elle tourna la tête et vit l'oiseau de Victor regarder ses mains, il commençait à disparaître lentement sous ses yeux. Elle tapota le bras de Raphaël pour qu'il assiste à la scène. L'esprit venait de s'en aller. Les deux jeunes gens se regardèrent.

‑ C'est une première, ça, qu'est-ce qu'il se passe ? s'enquit Raphaël.

Le jeune homme suggéra à Romi d'attendre. En fin de journée, ne voyant pas l'oiseau revenir et n'ayant aucune nouvelle de Victor, la jeune femme décida d'envoyer un message à Valens qui lui répondit qu'il se renseignerait.

Le lendemain matin, le frère de Damien l'appela.

‑ T'es où ? A l'agence ? Je passe te prendre, on va voir Victor. Ça te va ?

Ça lui allait très bien. Romi laissa un mot sur le bureau et ferma l'agence à clef.

Elle monta dans la voiture noire de Valens.

‑ Raphaël ne vient pas ?

‑ Il travaille dans la bijouterie de sa sœur le matin.

‑ Une sœur ? Une bijouterie ?

La jeune femme sourit.

‑ Tu ne le savais pas ? C'est une riche héritière et elle a proposé à Raphaël de travailler avec elle puisqu'on manque d'argent.

Le sourire de Romi s'effaça.

‑ Et Victor ?

Valens hocha la tête.

‑ J'ai demandé à Petra, il n'est pas venu travailler hier, ça lui arrive de temps en temps, quand il a une mission sur le terrain, mais il avertit toujours. Ce n'était pas le cas cette fois-ci. On a laissé passer une journée et à l'instant, Petra vient de me dire qu'il ne s'est toujours pas pointé et qu'elle n'a aucune nouvelle. Je crains le pire.

Ils trouvèrent le domicile de Victor grâce au GPS de la voiture, il s'agissait d'une maison assez petite, de plain-pied et aux murs blanc. Valens se gara et ils allèrent sonner à la porte du chasseur. Ils attendirent un peu, il n'y eut aucune réponse.

‑ Il n'est pas là ? s'enquit le jeune homme.

Romi réitéra son geste, la sonnerie retentit et la porte s'ouvrit enfin. La jeune femme vit un homme totalement différent de lors de leur première rencontre, Victor arborait une barbe de quelques jours, il avait de petits yeux et des cernes, il avait l'air un peu plus âgé et la couverture qu'il tenait d'une main autour de son corps tombait de l'une de ses épaules.

‑ Vous êtes les dernières personnes que je pensais voir ici. Entrez.

Les deux jeunes gens pénétrèrent dans la maison. Romi vit immédiatement les esprits de Victor, il y avait une valkyrie, un serpent et bien sûr, l'oiseau qui les avait surveillés pendant plusieurs mois.

‑ Ils sont là ? demanda Victor.

Valens écarquilla les yeux et détacha son regard de la valkyrie.

‑ Vous voulez boire quelque chose ? J'ai du sirop.

‑ Merci, fit Romi qui n'aurait pas dit non à un verre.

Victor alla vers la cuisine, leva le bras pour ouvrir un placard et stoppa son geste. Il soupira.

‑ Vous l'avez deviné, non ? Je ne vois plus les esprits.

Victor abaissa son bras, Romi pouvait dire adieu à son verre.

‑ Je le savais, ce n'est pas venu du jour au lendemain, même votre vampire l'a dit, Romi, lors de notre rencontre. J'avais de plus en plus de difficultés et, hier, en me levant, j'ai remarqué que je ne pouvais plus les voir. J'ai l'habitude de prendre mon petit déjeuner avec Jem, le serpent, mais cette fois il n'y était pas. Je l'ai donc appelé et je l'ai pas vu. J'ai pensé à tort que ça changerait ce matin, au réveil...

Il y eut un silence, Valens et Romi ne savait pas quoi dire.

‑ Ils sont là tous les trois ?

Valens acquiesça.

‑ A côté ?

‑ Ils sont sur le canapé.

Victor hocha plusieurs fois la tête.

‑ C'est leur place habituelle.

‑ Qu'est-ce que vous allez faire, maintenant ?

‑ Rien pendant quelques jours. Il faut que j'avertisse tout le monde, Petra prendra sûrement la relève, seulement, elle risque d'être plus dure que moi. Attendez deux secondes.

Le chasseur s'en alla et revint sans sa couverture et avec trois feuilles qu'il tendit à Romi et Valens.

‑ Dépêchez-vous de signer ça tant que je suis encore en service, je l'ai rédigé au dernier moment et je l'ai mis à la date du premier novembre.

La jeune femme lut ce qu'elle avait dans les mains. Il s'agissait d'un contrat officiel de chasseur d'esprits qui stipulait que Romi, petite-fille de Madeleine Romand, n'était pas dangereuse et qu'elle pouvait garder tous les contrats qu'elle avait formés à la demande expresse de l'héritier de la famille Collet, prénommé Valens, qui déclarait avoir besoin d'elle et de sa puissance pour une bonne collaboration entre leurs deux familles. Le reste des paragraphes continuait sur cette lancée et décrivait les mérites d'un tel système ainsi que les résultats de l'enquête et de l'interrogatoire mené auprès de Romi.

‑ Vous êtes sûr ? s'enquit la jeune femme.

‑ Oui mais je ne sais pas combien de temps ce contrat va tenir.

Valens et Romi signèrent les trois papiers et gardèrent chacun un exemplaire.

C'est alors qu'une voiture noire se gara devant les fenêtres de la maison de Victor. Quatre personnes en sortirent, une jeune femme et un jeune homme ainsi que deux autres qui ressemblaient fortement à des gardes du corps.

‑ Les jumeaux ?! s'exclama Valens. Qu'est-ce qu'ils foutent là ?

‑ On s'est déjà rencontré plusieurs fois, ce sont eux qui m'ont dit que je ne verrai pas éternellement les esprits et ce sont eux que j'ai informés en premier lorsque j'ai commencé à en avoir les effets.

Valens mit son contrat dans les mains de Romi.

‑ C'est une haute famille, il faut que tu partes, Romi.

Victor montra une direction du doigt.

‑ Passe par la fenêtre de ma chambre.

La sonnerie de l'entrée retentit.

‑ Vite !

La jeune femme s'élança à l'arrière de la maison. Elle enjambait le rebord de la fenêtre lorsqu'elle entendit les chasseurs se saluer. Elle atterrit dans l'herbe et se cacha derrière le mur de la maison pour évaluer la situation. Elle courut jusqu'à la clôture du fond tout en prenant attention à ne pas être entendue ni vue, passa par-dessus le grillage avec difficulté et s'enfuit à travers champs.

Elle rejoignit très vite les trottoirs et marcha parmi les habitations quelques minutes. Elle continua son chemin dans un parc et s'arrêta contre une barrière en fer.

‑ Personne ne t'a vu, tu es toute seule.

Romi sursauta et leva les yeux, l'oiseau de Victor l'avait suivi.

‑ Tu le savais ? lui demanda-t-elle.

‑ Depuis longtemps, oui. Ça arrive mais Victor s'en remettra, vu son poste, ça m'étonnerait que les chasseurs l'abandonnent.

‑ Et toi ? Il vit seul, quelqu'un va te récupérer ?

‑ Le contrat n'est pas encore brisé, ces dernières semaines ont été très insatisfaisantes pour moi, je vais rester auprès de lui quelque temps, j'espère pouvoir communiquer à l'écrit.

Alors que l'oiseau s'en allait, Romi lui lança :

‑ Porte un masque ou un de ses vêtements, ainsi il pourra te voir.

L'esprit hocha la tête et s'en alla.

Je ne sais même pas comment il s'appelle...

‑ Tu peux voir les esprits ?

Romi sursauta pour la seconde fois et se tourna vers une grande-mère souriante, appuyée sur une canne. Elle se tenait à quelques mètres d'elle.

‑ Euh... oui.

‑ Moi aussi, avant. Cela fait quelques jours que je ne peux plus les voir, ma fin est proche, je le sais. Fais ce que tu as a faire, jeune fille, je n'ai qu'un seul regret, de ne pas avoir assez préparé mon petit-fils, il est jeune, c'est le seul qui voit, la vie risque d'être dure pour lui.

‑ Maman !

Deux adultes et un enfant s'approchèrent d'elle.

‑ Ne pars pas comme ça, on s'inquiète.

Sans quitter Romi des yeux, la grand-mère s'assit dans le fauteuil roulant qu'on lui présentait. La famille quitta le parc.

Romi leva les yeux vers le ciel et ne put s'empêcher de pleurer.