C'était l'effervescence dans le collège, tout le monde courait, criait et rigolait. Il était debout devant le tableau d'affichage. Un garçon mit sa main sur son épaule.
- Ton frère est génial dans l'arène ! C'est ton tour, j'espère que tu feras aussi bien.
Alors qu'il se passait de l'eau sur le visage et la nuque, des élèves de sa classe surgirent dans son dos.
- Ton frère est arrivé deuxième et toi tu n'as pas passé les quarts de finale ? Bah bravo !
Son téléphone sonna. C'était sa mère.
- Ton frère est arrivé troisième, et toi ? Douzième ? C'est pas mal.
Le poing fermé, il s'arrêta juste avant de briser le miroir de sa chambre.
C'est un rêve.
Romi ouvrit les yeux, le visage mouillé de larmes.
Ce n'était pas moi mais Damien.
- Et c'était trop réel pour ne pas être vrai.
La femme se leva et alla rejoindre Raphaël dans la cuisine pour prendre son petit déjeuner. Installée au bar, Romi n'arrivait pas à détacher son regard de son portable. Son mari lança :
- Je vais partir, tâche de ne pas le manger pendant mon absence.
Raphaël quitta la maison. Décidée, sa femme prit son téléphone et envoya à Damien : « J'ai rêvé de toi cette nuit et... ça avait l'air réel. » Sur ce message étrange, elle fit la vaisselle. Elle reçut une réponse alors qu'elle allait réveiller son fils, elle ne s'attendait pas à grand-chose mais certainement pas à cette réponse : « C'est drôle parce que c'est aussi mon cas. J'ai rêvé de toi. Ça te dit qu'on aille manger quelque part à midi pour en parler ? » Romi accepta volontiers.
A midi, donc, les deux amis se retrouvèrent sur une petite table d'un restaurant rapide. Assis l'un en face de l'autre, Romi piqua distraitement dans ses frites tout en regardant par la fenêtre, ne sachant comment aborder le sujet. Damien était tout aussi embêté qu'elle mais après un silence, c'est lui qui prit la parole.
- Je peux te raconter mon rêve ?
La femme acquiesça. Damien déglutit.
- Alors... tu étais au lycée, je crois. A la récré, tu as appris qu'une vidéo circulait sur toi, une vidéo ou tu parlais et faisais des gestes dans le vide. Tu as compris à ce moment pourquoi les élèves riaient sur toi depuis ton arrivée en classe et tu es allée t'enfermer dans les toilettes en pleurant.
Romi hocha la tête.
- Maintenant que tu me le dis, je m'en souviens. Enfin, façon de parler.
- Ah oui ?
La femme but dans son gobelet et le reposa.
- Je vais te raconter la suite. Tu vois, dans les moments durs ou stressants, K me possédait car je ne pouvais pas faire face, lui il pouvait me faire vivre à ma place. C'est lui qui a passé le permis, lui qui faisait mes exposés et lui qui a passé les oraux du bac. Ce jour-là, dans les toilettes, K m'a possédé. Ça a duré plusieurs jours. Évidemment, je n'ai su qu'après ce qui s'était passé. Il s'est allié avec Jack, comme tu dois le savoir, c'est un vampire qui a été créé pour séduire les femmes et il se trouve que ceux qui ont pris cette vidéo étaient trois garces. Jack les a piégés en leur faisant peur, K les a filmés. Grâce à mes connaissances, ils ont réussi à mettre la vidéo sur internet.
- Ça s'est arrangé ?
- Plus ou moins. Disons qu'elles ont inspiré plus de la pitié que des moqueries.
Romi raconta ensuite le rêve qu'elle avait fait sur Damien. Celui-ci pinça les lèvres et prit une inspiration.
- Les journées sportives étaient les pires.
Il soupira.
- J'y pense depuis longtemps, je n'ai plus rien à faire à la maison de mes parents, Valens à sa famille et même Nadjya à son appart. Je suis de trop. J'aimerais passer le permis et emménager avec Émilie. Elle ne vient jamais à la maison, elle ne veut plus avoir à faire aux chasseurs d'esprits. Ce n'est pas mon cas mais ça me ferait du bien de m'éloigner un peu. De toute façon, à la minute où je partirais loin de ma mère et de mon frère, il faudra que je trouve moi-même le travail puisque je vais en avoir moins.
- Si nous avions plus de clients, je t'aurais embauché dans l'agence avec Tan. Sinon, je trouve que les nounous sont trop chères, en ce moment...
Damien secoua la tête de droite à gauche en rigolant.
- Je peux toujours t'aider.
- Marché conclu ! A part ça, on est d'accord que nos rêves sont dus à un esprit ?
Romi retourna à l'agence après le déjeuner. Ils firent tous deux vérifier les alentours de leurs maisons par leurs esprits, et tous deux, ils apprirent qu'il n'y avait rien d'anormal.
Une nuit passa et, n'ayant pas eu de rêves réalistes, Damien décida de ne pas chercher plus loin, il avait un boulot avec Valens et ces rêves ne l'intéressaient pas plus que ça tant qu'ils ne recommençaient pas.
Romi n'était pas convaincue. Pour en avoir parlé à Raphaël qui détestait ne pas trouver de réponses aux énigmes, elle savait qu'il y avait quelque chose là-dessous. Et elle avait une idée derrière la tête.
L'après-midi, Romi laissa Raphaël seul à l'agence, elle passa en vitesse chez ses parents puis fila à un endroit où elle était déjà venue ; une vieille maison en bois et en pierre dont le portail tenait à peine sur ses gonds et dont la cour ressemblait à une jungle. Elle s'avança sur le chemin en cailloux et poussa la porte d'entrée du manoir qui se referma tout de suite derrière elle.
Elle posa son sac à dos sur le sol et se changea discrètement, elle avait seize ans de moins après tout. Comme elle était déjà venue ici, elle ne chercha pas à faire le tour, elle emprunta directement l'escalier. Fait étrange, aucun des esprits présents ne l'approcha à moins de trois mètres. A l'étage, elle se retrouva devant une double porte, elle souffla pour évacuer la pression et poussa les battants. Elle entra dans un bureau et fixa la cheminée en face en fronçant les sourcils. Une voix résonnante la fit sursauter.
- Tire la chevillette et la bobinette cherra.
Romi se stoppa et soupira. La voix, moins impériale, reprit :
- Le bouton se trouve derrière la troisième brique à droite, tu n'auras plus qu'à tirer sur la manette qui apparaîtra.
La femme s'exécuta et le passage secret s'ouvrit. Le temps que le mur coulisse, elle mit un masque sur le nez et pénétra dans une pièce rendue étouffante par la fumée qui stagnait. L'esprit du temps se tenait face à Romi, toujours aussi impressionnant.
- Parmi toutes les possibilités, tu as choisi la moins probable. Je l'avais mise totalement de côté mais elle m'est revenue en pleine face dans la nuit. Tu as donc décidé de me rendre visite aujourd'hui... tu n'as pas changé. Tu n'as pas aimé mon cadeau ?
- C'était donc bien toi. Comment tu as fait ça ?
Le gros chat tira sur sa cigarette.
- A ton avis, j'ai quel âge ? Non, laisse, tu ne peux pas répondre. A l'époque où les gens croyaient que les évènements naturels étaient la cause des Dieux, les prophètes étaient légion. J'envoyais des rêves du futur dans la tête de certaines personnes, c'était mon occupation. Mais les humains sont idiots ! Stupides au possible. Ils n'apprennent jamais de leurs erreurs et se croient toujours supérieurs aux générations précédentes. Beaucoup de mes prophètes sont morts jeunes, j'étais dans l'obligation de me venger. Ça m'a fatigué.
- Pourquoi ces rêves en particulier ?
- Pour m'amuser.
- Et sinon ?
Le chat sourit.
- Tu as réussi à passer de grandes étapes mais ce n'est pas suffisant et Damien avait besoin d'un coup de pouce. Et pour m'amuser. On s'ennuie vite, ici.
- Pourquoi tu t'enfermes si tu t'ennuies ?
- Beaucoup de questions aujourd'hui, et pas un sourire. Tu te méfies de moi et tu fais bien. Je me suis enfermé dans cette boucle temporelle car j'ai vu ma mort et je veux la ralentir le plus possible. Ne cherche pas, elle arrivera bien après ton existence.
L'esprit du temps se pencha en avant.
- Je t'aime bien, Romi, tu me rappelles mes prophètes solitaires qui ne débloquaient pas tout leur potentiel et qui mouraient jeunes.
Romi fronça les sourcils, le chat rigola.
- Ne t'en fais pas, tu n'es pas encore aux portes de la mort. Je te l'ai dit il y a six ans, on se reverra dans neuf ans, sauf si tu décides une nouvelle fois de contrer le destin. Tu es forte et le processus va bientôt commencer. Tiens-toi prête ! Annihile tes émotions le plus possible.
- Quel processus ?
Le chat agita son doigt devant lui.
- Ce n'est pas le moment. Maintenant, dehors !
Romi resta plantée devant l'esprit à le fixer. Elle était venue ici pour éclaircir un point et elle venait de gagner tout un tas de questions.
- Si tu ne pars pas de ton plein gré, je serai obligé d'utiliser la force.
La femme ne bougea pas pendant quelques secondes avant de tourner les talons et de quitter la maison. L'esprit du temps, sourire en coin, tira sur sa cigarette.
- Fermez-moi ce passage, l'air frais n'est pas bon pour mes poumons.
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