Noël
Romi faisait les cent pas autour de la table de la cuisine depuis une heure, ce qui énervait passablement Raphaël qui, dans le fauteuil du salon, lisait un livre.
‑ J'veux pas y aller !
Le jeune homme soupira. Ça faisait combien de fois qu'il relisait cette phrase, déjà ?
‑ J'veux pas !
‑ On dirait une gamine.
‑ Et alors ? Tu crois que c'est trop tard pour dire non ? Pour se trouver une excuse ?
‑ Si tu ne voulais pas y aller, tu n'avais qu'à le dire depuis le début.
‑ Je ne peux pas ne pas y aller !
‑ Bah alors.
‑ Si seulement tu pouvais venir avec moi.
‑ Je ne peux pas annuler de mon côté.
Romi pinça les lèvres et monta enfin dans sa chambre pour y dormir.
La voiture de la fille eut du mal à démarrer. Pendant un instant, un sentiment de joie la traversa, puis le crissement caractéristique des pneus sur le gravier se fit entendre et sa citadine avança. Le maigre espoir de Romi s'envola, elle n'allait pas le louper ce dîner de famille.
Lorsqu'elle arriva chez sa tante et son oncle, le nombre de véhicules était déjà conséquent. Elle se gara comme elle le put sur le bord de la route et alla frapper à la porte. A cause du bruit ambiant, personne n'ouvrit, elle entra donc dans la maison et salua toute sa famille ainsi que des inconnus avant de rejoindre ses parents qui venaient d'arriver.
Cela faisait à peine cinq minutes qu'elle était ici et elle se sentait déjà épuisée.
Romi n'était pas la seule à avoir un dîner de famille, c'était également le cas de Raphaël. Enfin, pour lui, dîner de famille était de biens grands mots, disons plutôt que c'était une réunion annuelle de personnes influentes organisées principalement par ses parents. C'était nécessaire dans ce genre de milieu et même si ce n'était pas sa tasse de thé, le jeune homme pouvait le comprendre.
Pendant le dîner, les plus petits étaient confiés à des employés dans une autre pièce, comme c'était le cas à l'époque pour Raphaël et sa sœur.
Assis à côté de ses parents, le garçon écoutait d'une oreille tout ce qui se disait.
‑ J'ai fait une randonnée à cheval avec des amis pendant plusieurs jours.
Ça a l'air bien.
‑ Moi ? Comme d'habitude, j'ai parcouru le monde pour faire des concours de piano, j'en ai gagné quelques-uns.
Ça a l'air bien.
‑ Un ami a eu le permis bateau cet été, on y a passé la moitié des vacances pour faire la fête.
Ça a l'air moins bien.
‑ Et toi, Raphaël ? Toujours dans tes études ?
Le garçon releva la tête. Et voilà. LA question tant attendue. Il allait répondre lorsque son père intervint :
‑ Il a arrêté depuis longtemps. Il ne les a même pas terminées.
‑ On a ouvert une agence.
‑ De quoi ? demanda un homme. De com ? De pub ?
‑ De détective ? fit une femme avec un petit sourire en coin.
‑ Presque.
Raphaël ne voulait pas s'étendre là-dessus mais c'était sans compter sur son père qui crut bon d'ajouter :
‑ C'est une agence qui fait dans le paranormal ou je ne sais quoi.
Certaines personnes eurent un sourire, le jeune homme leva les yeux au ciel.
‑ On s'occupe d'esprits qui viennent emmerder les gens.
‑ Ce sont des conneries.
‑ Eh bien les gens payent pour ces conneries.
‑ Comment t'es venu l'idée de faire ça ?
Raphaël poussa un soupir intérieur, lui qui rêvait de changer de sujet devait à présent s'étaler devant son métier. Avec un peu de chance, ça leur ferait de la pub...
L'ouverture des cadeaux était enfin arrivée. Alors que les quelques enfants se ruaient dessus, Romi était persuadée qu'elle n'en aurait pas, elle était trop vieille et peu appréciée, même si elle espérait fortement avoir ne serait-ce qu'une babiole. Au bout de quelques minutes, sa tante prononça son nom et s'approcha d'elle avec un paquet dans les mains. Elle l'ouvrit et découvrit un livre marron à la couverture vieillie, aux pages jaunies et bombées et fermé par ce qui ressemblait à une ceinture.
‑ On l'a trouvé dans un vide grenier, comme tu aimes ce genre de truc, j'ai pensé que ça te plairait.
Et c'était le cas. Romi défie la boucle et souleva la couverture. La première page était vide, elle allait la tourner lorsqu'elle remarqua qu'une espèce de vague était en train de l'animer. Elle fronça les sourcils. Au bout de quelques secondes, des yeux et une bouche remplie de dents pointues firent leur apparition. La bouche s'agrandit sur un grognement, la fille referma le livre.
‑ Qu'est-ce qu'il y a ?
‑ Je le lirai chez moi, au calme, répondit Romi en remettant la ceinture en place les mains un peu tremblantes.
Faites que je n'ai pas libéré l'esprit, faites que je n'ai pas libéré l'esprit ! Pourquoi ça tombe toujours sur moi ? Je les attire ?
La jeune femme n'avait jamais eu autant envie de rentrer chez elle qu'aujourd'hui. A son grand regret, le dîner dura longtemps et lorsqu'il fut enfin terminé, Romi n'osa pas s'en aller, elle ne voulait pas être la première à quitter cet endroit. Finalement, elle fut prise dans une discussion et se décida à partir au bout d'une heure.
Le silence de la nuit lui fit drôlement du bien. Elle reprit sa petite voiture et rentra enfin chez elle. En arrivant à sa maison elle remarqua que Raphaël était déjà ici, elle était contente, elle ne serait pas seule en poussant la porte. Elle se gara et déboula dans son salon.
‑ Va me chercher un sceau !
Le garçon sortit la tête de derrière le canapé, un peu fatigué.
‑ Il y a une fuite ? Tu veux puiser de l'eau ?
‑ Non, pas ce genre de sceau, un de ma grand-mère.
Romi mit le livre face à elle.
‑ Il y a un esprit là-dedans, je l'ai ouvert, il me semble s'être calmé mais on ne sait jamais. Je vais aller me renseigner.
Raphaël se leva et alla chercher un sceau en traînant les pieds. Quand il revint vers la fille, il la découvrit penché sur les carnets de sa grand-mère.
‑ Tu as trouvé ?
‑ Il me semble. Il y a beaucoup de pages sur des livres maudits, Je n'y avais jamais vraiment fait attention. Regarde, là, ce n'est pas le même dessin mais ça ressemble à ce que j'ai vu. Un esprit qui se réveille lorsque le livre est ouvert et qui mange tout ce qui passe à sa portée.
‑ Donc tout va bien si on ne l'ouvre pas.
‑ Exact. Le livre et l'esprit ne forment qu'une seule et même entité. On n'a pas besoin de sceau.
‑ On le met sur l'étagère vers le coffre avec un post-it où c'est marqué « ne pas ouvrir » ?
‑ Quelque chose comme ça, oui. Tu crois qu'il peut servir de déchiqueteuse ?
‑ Trop dangereux, il risque de confondre ta main avec une feuille.
Ils retournèrent au salon et s'installèrent devant la cheminée ou Romi but le thé qu'elle venait tout juste de faire.
‑ Tu arrives encore à avaler quelque chose, toi ?
‑ Ça fait du bien. Ton dîner s'est passé comment ?
‑ Comme on pouvait l'espérer. Décevant.
‑ Ah, toi aussi.
‑ J'ai quelque chose pour te remonter le moral. Joyeux Noël !
Raphaël sortit un papier de sa poche et le tendit à la jeune femme. Très intriguée, elle le déplia pour le lire. Au début, elle ne comprit pas grand-chose, puis elle lut le bas de la page, là où le garçon avait écrit une phrase. Elle prononça d'une petite voix :
‑ Tu as loué un chalet pour le nouvel an...
Raphaël hocha vivement la tête. Romi se jeta sur lui pour le prendre dans ses bras.
‑ Tu voulais y aller, non ? Alors ce sera pour cette fois. Bon, ce sera touristique, on sera plusieurs à vivre au même endroit, mais j'espère qu'on passera un bon moment.
‑ J'ai hâte !
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