Le refuge temporel
Devant le miroir, une main derrière la tête, Romi fit ressortir sa poitrine, sa hanche et prit un visage de circonstance.
‑ Je suis belle, pas vrai ?
Raphaël, qui passait par là, s'arrêta à la porte et haussa les sourcils. Son portable émit une petite sonnerie.
‑ Ah ! Un mail pour l'agence.
‑ C'est ça, ignore-moi.
‑ Attache tes cheveux, on a du boulot.
Raphaël se reçut un coussin sur la figure.
Un peu plus tard dans la journée, le nez en l'air, le couple observait l'objet de leur travail, une maison abandonnée faite de pierre et de bois, le portail rouillé tenait à peine sur ses gonds, de la mousse envahissait la barrière et la cour ressemblait à une véritable jungle. Seul le chemin en pierre qui menait jusqu'à la porte d'entrée semblait plus ou moins épargné.
‑ Qu'est-ce que vous fichez ici ?
Ils se tournèrent vers la voix. A la vue de Damien, Raphaël fit la grimace.
‑ Pourquoi doit-on toujours te croiser de partout ?
‑ Je pourrais dire la même chose. Alors ? Qu'est-ce que vous faites là ?
‑ On a une cliente, répondit Romi, ses enfants passent régulièrement devant cette maison pour aller à l'école et elle s'inquiète des bruits et des rumeurs qui y circulent. Elle est hantée, d'après elle.
‑ Nous c'est le maire, des gens se plaignent, il veut qu'on vérifie.
‑ Le maire ? répéta Raphaël. Alors pourquoi tu es tout seul ?
‑ Leslie est à la maison, Valens m'a déposé avant de repartir. Ils ne sont pas loin en cas de problème.
Ils se tournèrent vers la maison.
‑ Bon, quand faut y aller..., fit Raphaël.
Damien ouvrit le portail et ils s'engagèrent sur le chemin. Romi arrêta sa marche et se tourna vers l'esprit de Victor qui était resté sur le trottoir.
‑ Tu ne nous suis pas ?
‑ Non, je préfère éviter d'entrer ici et puis, vous êtes avec un chasseur, je n'ai pas besoin de m'en faire.
La jeune femme haussa les épaules et continua en direction de la porte. Toujours très professionnel, ou juste par excès de confiance, ce fut de nouveau Damien qui poussa la porte sans une once d'hésitation. Ils s'avancèrent dans l'entrée et la porte se referma derrière eux. Ils s'y attendaient tous un peu alors ils ne furent pas surpris. Puis Romi poussa un cri. Les deux garçons se tournèrent vers elle et eurent la surprise de voir qu'une fille d'une douzaine d'années, accroupit, se trouvait à sa place. Ils se regardèrent.
‑ On a rajeuni..., fit Raphaël. Ne la regarde pas !
‑ Je n'en avais pas l'intention. Mais tu devrais faire attention, tu perds ton froc, lança Damien en tenant son pantalon d'une main.
Raphaël rattrapa le sien in extrémiste. Quelques nœuds plus tard, les jeunes gens évaluèrent la situation.
‑ Comment vous vous sentez ? demanda Damien.
‑ Normal, répondit Romi tout en passant la bride de son soutien-gorge à la ceinture.
‑ Ouais, moi aussi. Mei ! Katana.
L'esprit du chasseur se matérialisa à ses côtés. D'abord surprise, la chinoise tendit finalement l'arme à son contractant qui la prit dans ses bras. Raphaël pouffa.
‑ Il est plus grand que toi !
Le jeune homme se reçut le fourreau sur la tête.
‑ Mei, tu peux nous expliquer ce qu'il se passe ici ?
L'esprit ouvrit la bouche, la referma et fronça les sourcils.
‑ Vous ne devriez pas rester.
‑ Tu ne réponds pas à ma question.
Mei fixa Damien.
‑ C'est un endroit où les esprits se réunissent pour être en paix, vous feriez mieux de les laisser tranquilles, le gardien est puissant.
Le chasseur soupira.
‑ Je dois faire mon boulot, Mei.
‑ Comme vous voudrez. A moins que vous y voyez un inconvénient, j'aimerais ne pas m'éterniser ici. C'est dangereux, je ne veux pas que le gardien sache que j'aide des humains dans son antre.
‑ Voilà pourquoi Yui et Aki ne sont pas avec nous, remarqua Romi. Ils auraient au moins pu nous prévenir.
Le chasseur autorisa Mei à partir. Alors qu'elle s'effaçait sous leurs yeux, elle lança :
‑ Ne mourrez pas.
Il y eut un silence.
‑ Super... alors... on avance ? fit un Raphaël pas très rassuré.
Ils avancèrent. Le hall dans lequel ils avaient pénétré était spacieux, trois grandes fenêtres apportaient la lumière, le sol était recouvert de poussière et une commode trônait fièrement sous la balustrade d'un escalier qui partait de leur droite. Le réflexe de Raphaël fut d'aller vers cet escalier mais Damien l'entraîna dans une pièce à côté. Ils entrèrent dans la cuisine.
‑ Il y a trop d'esprits à l'étage, informa le chasseur, restons un peu par ici avant de monter.
‑ C'est vrai ? fit Raphaël en se tournant vers sa copine.
La jeune femme haussa les épaules.
‑ Tu ne les sens pas ? demanda Damien.
‑ Bien sûr que si mais je ne peux pas te dire combien il y en a.
‑ Tu as un stylo sur toi ?
Romi en sortit un de sa sacoche et le passa au jeune homme. Le chasseur dessina un sceau sur la main de Romi.
‑ Si tu te concentres, tu pourras sentir les esprits autour de toi, leur emplacement, leur nombre et leur puissance, mais si tu ne fais pas attention, ils vont s'emparer de ton âme. Ce sceau va te protéger, comme je suis entraîné je n'en ai pas besoin. S'il disparaît, tu arrêtes tout de suite.
‑ Aki me l'avait expliqué.
La fille regarda dans le vide et se concentra. Au début, elle ne sentit pas grand-chose, puis d'un coup, sa propre énergie percuta celles des nombreux autres esprits. Il y en avait de partout, que ce soit au rez-de-chaussée ou à l'étage, chaque recoin de la maison abritait un esprit. Seulement, l'étage comportait une zone d'ombre, une zone de vide où rien n'était palpable et où régnait un silence total. Romi tenta d'y pénétrer et se fit tirer par le bras. Damien lui mit sa main devant ses yeux, le sceau était en train de s'effacer.
‑ Il y a quelque chose là-haut, fit-elle.
‑ Oui, ça doit être le fameux gardien. Mei a peut-être raison, on ne devrait pas rester ici.
‑ Non, montons. J'ai reconnue une présence.
Damien dessina de nouveau le sceau sur la main de Romi.
‑ Raphaël, tu ne te sépares pas de nous, lança le chasseur. Sans nos esprits et avec cette taille, on ne pourra pas faire grand-chose.
Ils sortirent de la cuisine, Damien en tête du groupe. Alors qu'ils étaient à la moitié de l'escalier, le chasseur sentit quelque chose le percuter, comme si une grosse aiguille traversait son corps. Il s'arrêta, les yeux écarquillés, la main sur son cœur.
‑ Qu'est-ce qu'il y a ?
Il fixa Romi qui s'était approchée de lui. La sensation étrange disparue immédiatement. Il regarda le haut de l'escalier.
‑ Rien. Montons.
‑ N'empêche, fit Raphaël, j'avais presque oublié qu'en tant que pré-ado, les escaliers pouvaient être aussi grands.
‑ Oui, dit Damien, je ne me souviens pas d'avoir été aussi petit. En tout cas, pas à cet âge-là. On doit avoir onze/douze ans, non ?
‑ Tu étais comment, il y a dix ans ? demanda Romi.
Le chasseur haussa les épaules.
‑ J'étais sûr de moi et... je crois que je jalousais mon frère, qu'il m'énervait. Je me souviens avoir été fier de lui mais c'est quand j'étais vraiment jeune. Et vous ?
Romi et Raphaël détournèrent le regard.
‑ Romi était naïve et fonçait déjà tête baissée.
‑ Raphaël pensait que tout pouvait se résoudre avec l'argent, il se sentait un peu supérieur.
‑ C'est aussi à ce moment-là que Romi m'a donné la bague pour que je puisse voir les esprits.
Damien posa son pied sur le parquet du couloir de l'étage, une myriade d'êtres rampants et courants s'enfuirent.
‑ Oh mon Dieu..., fit le chasseur dont le cœur avait nettement accéléré.
Ils continuèrent d'avancer. Damien ouvrit une porte, ils pénétrèrent dans une pièce de taille moyenne, au centre se trouvaient une table et des fauteuils, la fenêtre était placée dans un renfoncement du mur de gauche et à droite s'étalaient plusieurs étagères remplies de livres.
‑ Une bibliothèque, constata Raphaël en s'approchant des étagères.
‑ Attends ! s'écria Damien.
Plusieurs livres quittèrent les étagères et s'envolèrent dans la pièce. Ils se mirent à attaquer les nouveaux venus. Tout en se protégeant la tête, le chasseur fit sortir ses deux compagnons et referma la porte derrière lui en soufflant. Romi fit un signe de tête sur sa gauche.
‑ Ouais, on ne va pas y réchapper, de toute façon.
‑ Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Raphaël.
Les trois compagnons firent face à une double porte.
‑ C'est ici que se trouve le gardien de la maison, si on ne s'est pas trompé.
Après une inspiration, le chasseur poussa la porte. Ils entrèrent dans un lieu assez sombre, un bureau. En face se trouvait une cheminée en brique, à sa droite un vaisselier qui n'abritait que des objets de décoration, il y avait un coin avec des fauteuils et un bureau sur leur droite. Quelques esprits blancs arrêtèrent leurs activités, quoique cela puisse être, pour les fixer.
‑ Ernest !
Assis sur le rebord d'une fenêtre, un garçon auquel il manquait les deux pieds regardait l'extérieur. Il se tourna vers Romi.
‑ Vous le connaissez ? demanda Damien.
La fille hocha la tête.
‑ On l'a sauvé d'un puits, il attendait la venue d'une amie. Tu as retrouvé Marie ?
Ernest secoua la tête.
‑ J'ai retrouvé sa maison mais il y avait des inconnus à l'intérieur. En fouillant je suis tombé sur la photo d'une grand-mère, il y avait son prénom au dos alors je suis allé au cimetière.
Le garçon colla sa tête contre la fenêtre.
‑ Je crois avoir vu sa tombe.
‑ Tu es venu ici juste après ?
Ernest regarda Romi.
‑ J'ai fui. Tu as raison, tout a changé, ce que je connaissais n'est plus. Cet endroit m'a... appelé, on va dire. Dans ce lieu où le temps n'existe pas, je me sens mieux, au calme, loin de tout ce qui fait le monde aujourd'hui.
La fille hocha la tête, c'était une bonne nouvelle, la fois où Romi avait sorti le garçon du puits, celui-ci s'était énervé et avait déclenché son pouvoir sans le contrôler. Damien s'avança.
‑ Où se trouve le gardien ?
Ernest montra la cheminée du pouce.
‑ Vous voulez le voir ?
Le chasseur hocha la tête. Le garçon sauta de sa fenêtre, il s'approcha de la cheminée et appuya sur un bouton caché. Une poignée se dévoila devant leurs yeux, Ernest tira dessus et alors que la poignée remontait tout doucement, un mécanisme se fit entendre et un pan du mur s'ouvrit.
Le groupe s'avança. Ils pénétrèrent dans une petite pièce sombre remplie de fumée étouffante. Les trois compagnons ne dépassèrent pas l'entrée. Entouré de plusieurs esprits, le gardien de ce lieu les surplombait. Il se tenait dans le coin droit de la pièce, gros, grand, assis sur ses deux pattes arrière, un chat aux poils gris tirant sur le bleu portait un chapeau haut de forme et avait un cadran à la place du cœur.
‑ L'esprit du temps..., souffla Damien.
Le chat tira sur une cigarette roulée qu'il tenait dans sa patte gauche, sourit et hocha la tête.
‑ C'est lui qui fume ? lança Raphaël.
‑ Sûrement de l'herbe à chat, fit Romi d'un air dépité.
Damien serra son katana contre lui.
‑ On a peur, chasseur ?
Tous les esprits se tournèrent vers lui, Ernest ne fut pas une exception. Damien eut un sourire crispé.
‑ Je ne vois pas pourquoi je serais serein, de ce qu'on dit, tu peux tuer quelqu'un rien qu'en le touchant.
‑ Ne vous en faites pas, personne ne perdra la vie aujourd'hui, je peux vous l'assurer. Je parcours la trame du destin à volonté, je vois ce qui a été fait et ce qui pourrait être. Romi, Raphaël, Damien, croyez-moi, vous avez encore de belles années devant vous. Plus ou moins.
‑ Plus ou moins ?
‑ Personne n'est à l'abri, rien qu'une pensée peut changer l'avenir, mais dans tous les futurs potentiels que je vois, vous apparaissez souvent et êtes bien vivant. Vous êtes jeunes, ne vous préoccupez pas encore de votre mort, même si je sais que les chasseurs la côtoient trop souvent.
Il y eut un silence, les trois compagnons se regardèrent.
‑ Allez-vous-en, maintenant, ne passez pas trop de temps dans un endroit où il est arrêté. Ernest, va avec eux. Si le futur ne change pas, on se reverra dans quinze ans, Romi. Partez !
Le chat se leva. Son imposante carrure fit reculer les trois compagnons. Les yeux de l'esprit s'illuminèrent de bleu et le cadran dans sa cage thoracique commença à s'affoler. Une force inconnue les frappa de plein fouet. Ils se firent soulever du sol, traversèrent le bureau et atterrirent pêle-mêle dans le couloir. Les portes s'étaient fermées sur leur passage.
‑ Je crois que je me suis pris la rambarde, fit Raphaël en se levant, une main sur ses côtes.
Damien s'aida de son katana pour se remettre debout. Ernest s'approcha d'eux, les mains dans les poches.
‑ Tu es sûr de toi ? lui demanda Romi.
Le garçon hocha la tête.
Les trois compagnons descendirent l'escalier sans un mot et se retrouvèrent dans l'entrée où ils se rhabillèrent. Avec un dernier regard en arrière, ils passèrent la porte et retrouvèrent enfin leur taille et leur âge normal. Alors qu'ils s'avançaient sur le chemin de cailloux, la voix de l'esprit du temps parvint à Romi.
« Chaos va bientôt se réveiller. »
La jeune femme s'arrêta et se retourna.
‑ Vous avez entendu ?
Les deux jeunes hommes se regardèrent.
‑ De quoi ? fit Raphaël.
‑ Non... rien.
Ils fermèrent le portail derrière eux.
‑ Et maintenant ? s'enquit Raphaël. On ne peut pas dire à notre cliente qu'on a réglé le problème et tu ne peux pas présenter au maire le travail comme étant terminé.
Damien haussa les épaules.
‑ Si j'en parle aux chasseurs ils vont tous rappliquer et ça risque d'être dangereux pour tout le monde. J'en parlerais à ma mère et à Valens, sinon je dirais au maire de mettre une pancarte, tant que personne n'entre, il n'y aura aucun problème.
Raphaël haussa les sourcils. Comme si une pancarte allait changer quelque chose...
‑ Alors je ferais mon professionnel et je dirais qu'on collabore avec une instance supérieure et que ce n'est plus de notre ressort. Y'a quelqu'un pour te ramener ?
‑ Mon frère ne doit pas être loin.
Ils se dirigèrent ensemble vers l'endroit supposé où Valens était garé. Alors qu'ils marchaient sur un trottoir, ils virent, au loin, le frère de Damien embrasser Leslie. Ils s'arrêtèrent net. Bouche bée, Raphaël agrippa l'épaule de Damien et le secoua.
‑ Oh mon Dieu, qu'est-ce qu'on fait ? On a le droit de les déranger ?
Le chasseur était tellement surpris qu'il en oublia de se dégager de l'étreinte du jeune homme. Il regarda Raphaël.
‑ On attend ?
Romi leva les yeux au ciel et s'approcha des deux jeunes gens avec un grand sourire.
‑ Valens !
Le couple sursauta et se tourna vers la jeune femme, un chouia gêné. Damien et Raphaël la suivait de près.
‑ Vous êtes là, vous aussi ? remarqua Valens.
‑ On a une cliente qui s'inquiétait de la maison dans laquelle Damien est allé, répondit Romi.
Le chasseur fit un signe de tête en direction d'Ernest qui volait non loin de l'oiseau de Victor.
‑ Qui est-ce ?
‑ Un esprit que j'ai rencontré il y a quelques mois.
‑ Et... ?
‑ Un futur contrat.
Les sourcils froncés, Valens fit un pas en avant.
‑ Tu ferais mieux de faire profil bas ! Je ne pourrais pas tout le temps te protéger.
‑ Merci.
‑ Hein ?
Romi eut un léger sourire.
‑ Il y a quelques années, je ne pensais pas croiser autant de personnes capables de voir les esprits. Je n'arrive pas à m'approcher des gens disons... normaux. Je suis dans l'incapacité de me mêler aux amis de Raph et ce pour plusieurs raisons. Vous êtes les seuls humains devant lesquels je m'amuse et devant qui je peux me sentir moi-même. Alors merci.
Ils la regardèrent tous.
‑ Qu'est-ce qui te prend, tout à coup ? fit Raphaël.
Valens se passa une main dans les cheveux.
‑ Bon... euh... on rentre ?
Raphaël hocha la tête. Les jeunes gens se séparèrent pour aller chacun à leur voiture.
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