Le mal qui ronge
‑ Raph, j'ai un objectif dans la vie, lança soudainement Romi.
Le jeune homme tourna lentement la tête vers elle. Il n'était pas très rassuré, elle venait de prononcer une phrase sérieuse et en plus, chose rare, elle avait ajouté son prénom !
‑ Ah oui ? Quoi donc ?
‑ Acheter des poules et faire un jardin.
Raphaël fut soulagé, ce n'était donc que ça...
‑ Si tu veux mais ce n'est pas aussi simple.
‑ Les esprits m'aideront.
‑ Vu comme ça...
‑ Raph...
Le garçon sursauta pour la seconde fois en moins d'une minute.
‑ Hmm ?
‑ Je te trouve différent ces derniers jours.
Le cœur de Raphaël s'emballa.
‑ Ah oui ?
Il espérait que la fille n'avait pas entendu le léger bégaiement dans sa voix. Depuis qu'elle lui avait demandé quel vœu il ferait s'il trouvait un esprit enfermé dans une bouteille, il ne pouvait pas arrêter d'y penser. Les choses ne se feraient pas toute seule et surtout, personne ne le ferait à sa place. Il fallait qu'il prenne son courage à deux mains et qu'il se décide, après tout ce temps, il fallait bien qu'il se déclare à elle. Mais comment ? Quand ? Est-ce qu'elle pourrait le considérer autrement qu'en tant que meilleur ami ? Il en était stressé et ne dormait plus beaucoup la nuit. Il se leva de son fauteuil.
‑ Ne t'inquiète pas, j'irai sûrement mieux plus tard, il faut me laisser du temps.
‑ Tu vois ? T'es bizarre.
‑ On a du boulot cette aprèm, je vais préparer mes affaires.
Il n'avait aucune affaire à préparer mais il voulait échapper à cette situation.
Quelques heures plus tard, les deux compagnons se retrouvèrent devant une maison semi-abandonnée. Elle était assez grande et vieille, elle appartenait à une famille depuis plusieurs générations. Il était à présent question d'un héritage et les petits-enfants de la personne qui habitaient ici à l'époque voulaient la vendre.
Seulement, d'étranges rumeurs circulaient sur elle, notamment le fait qu'un esprit habitait ces lieux. Les propriétaires, ne pouvant vendre la maison qui était connue pour être hantée, avaient fait appel à Romi et Raphaël pour qu'ils démêlent le vrai du faux.
‑ Ce n'est pas le scénario auquel on a le plus souvent droit ? demanda Raphaël en passant le portail de la propriété. Ça, les résidences abandonnées et les greniers suspects ?
‑ Je confirme. Yui ?
Le renard la regarda.
‑ Il y a quelque chose là-dedans. Faites attention, j'ai comme une drôle d'impression.
Romi regarda Yuilhan. S'il le disait, c'est que c'était vrai, le renard ne se trompait que très rarement.
Grâce aux clés que leur avait remis l'un des propriétaires, elle ouvrit doucement la porte. Au moment où ils s'avancèrent dans l'entrée, ils eurent tous les deux un vertige, quelque chose venait de leur frapper le front.
‑ Reculez ! cria Yuilhan.
Avant qu'ils ne puissent réagir, la porte se ferma derrière eux. Le renard dévoila ses dents. Raphaël se retourna pour ouvrir la porte mais quelque chose l'arrêta avant même qu'il ne touche la poignée, ses doigts reçurent un choc électrique.
‑ Qu'est-ce que c'est que ça ?
‑ Une barrière très puissante, fit Aki qui venait d'apparaître sous le danger. Elle empêche les esprits de sortir.
‑ Les esprits ? Mais...
Les deux compagnons eurent de nouveau un vertige.
‑ Vous vous êtes fait posséder.
‑ Ta mâchoire ! lança Romi.
Le garçon toucha sa joue.
‑ Qu'est-ce qu'il y a ?
‑ Tu as une tache violette, répondit Aki. Romi a la même sur sa main. Plus le temps passera, plus elle va s'agrandir. Si vous attendez trop longtemps vous allez mourir et vous vous réincarnerez en esprit. Si c'est le cas, vous allez tout oublier et vous en prendre aux premiers venus. Seuls les chasseurs pourront vous libérer.
‑ Ne dis pas ça ! s'exclama Raphaël.
‑ Je vous préviens juste. Les esprits qui vous ont possédés sont puissants.
‑ Qu'est-ce qu'on peut faire ?
Le tanuki haussa les épaules. Après un autre vertige qui agrandit la tâche qu'ils avaient, Raphaël se rendit dans le salon pour tenter d'ouvrir les fenêtres. Comme la barrière l'en empêchait, il prit une chaise et la balança de toutes ses forces. Il ne réussit qu'à la faire rebondir, la chaise retomba au sol dans un bruit assourdissant.
Ils eurent un autre vertige. Le garçon se sentait de plus en plus faible. Il sortit son portable.
‑ Pas de réseau, évidemment... vous pouvez sortir d'ici ?
Aki secoua la tête.
‑ Nous ne pouvons rien ouvrir, Il y a une double sécurité. Ceci dit, on doit pouvoir traverser la barrière, mais comme elle se trouve dans les murs...
‑ Il faut avertir Damien, c'est le seul qui peut nous sauver.
La tâche était arrivée sur le nez de Raphaël, il commençait à avoir du mal à respirer. Romi se sentait fatiguée.
‑ Invoque Hémon, lança Aki. Il est puissant et il se faufile de partout, il passera sous une porte. Aussi, révoque nous, il faut que tu préserves ton énergie.
Romi s'exécuta pendant que Raphaël s'accroupit contre un mur, la tête entre les bras. Alors que Yuilhan et Aki disparurent, un parchemin muni de tout petits bras et de toutes petites jambes fit son apparition. D'un seul coup d'œil, il comprit la situation. Romi lui expliqua ce qu'il devait faire.
‑ Tu vas le trouver ?
Hémon fit apparaître une plume.
‑ Écrit son nom sur moi, il me guidera.
Romi le fit et alla s'asseoir à côté de Raphaël. L'esprit s'approcha d'une baie vitrée. Il lui fallut plusieurs tentatives avant de réussir à passer dans un interstice, ses jambes restèrent coincées quelques secondes avant de disparaître des yeux de Romi. La fille soupira. Elle sentit la tête de Raphaël se poser sur son épaule, il avait l'air très mal en point.
Hémon était dehors, enfin ! Il avait eu peur de ne jamais réussir à sortir de cette fichue maison. C'était la première fois que Romi l'appelait, et il lui en était plutôt reconnaissant ; prit dans une tempête à l'autre bout du monde, il avait valdingué dans tous les sens sans pouvoir s'en sortir. Ça aurait pu durer des jours si personne ne l'avait sorti d'ici. Il voulait donc faire les choses bien et vite, sa maîtresse était en danger de mort.
Grâce au nom que Romi avait noté sur son dos, une ligne lumineuse s'était créée au sol, comme un GPS, Hémon n'avait plus qu'à la suivre. En quelques minutes, il se retrouva sur le territoire des chasseurs. Comme tous les esprits, il détestait ce genre d'endroit et, en temps normal, il évitait de trop s'en approcher. Il passa la barrière protectrice avec un peu de mal, il en avait l'habitude, un esprit autre que lui n'aurait jamais réussi à passer. Même pas un Yuilhan motivé.
Certain d'avoir alerté tout le monde, Hémon se dépêcha de suivre la ligne et de rentrer dans le domaine des Collet, l'une des familles de chasseurs la plus connue et la plus puissante. Il se faufila dans la grande maison, parcourut un couloir à toute vitesse, passa sous une porte et se retrouva dans une chambre. Un jeune homme, assis devant un ordinateur, le regarda, les yeux agrandis. L'esprit se dépêcha de dire avant d'être jeté dehors :
‑ Romi et Raphaël sont en danger ! Vite, suis-moi !
Damien se leva précipitamment.
‑ Explique-moi tout en détail.
Hémon ne savait pas pourquoi sa maîtresse voulait demander de l'aide aux chasseurs mais il dut reconnaître que ce garçon était efficace. Il raconta.
Romi se sentait souvent fatiguée mais aujourd'hui, c'était le summum. Alors, pour les garder tous les deux éveillés, elle ne cessait de parler et de chanter.
La tache violette de Raphaël s'était étendue, elle lui recouvrait presque l'entièreté du visage et avait atteint ses yeux, le garçon avait beaucoup de mal à les garder ouvert. A côté de lui, il savait que la fille faisait tout son possible, seulement parfois, sa voix se faisait lointaine, comme dans un rêve. Raphaël se sentait partir. Véritablement partir. Il avait beau lutter, il n'y arrivait plus.
Il leva la tête vers sa meilleure amie et dit du bout des lèvres, les paupières tremblantes :
‑ Romi...
‑ Oui ? Tu m'as coupé dans ma meilleure prestation, tu sais.
‑ Je t'aime.
La fille cligna plusieurs fois des yeux, la tête du garçon s'affaissa sur son épaule.
‑ Raph ? Raphaël... Raphaël ! Ne t'endors pas !
Les larmes aux yeux, elle frappa doucement la joue du jeune homme mais il n'y avait aucune réaction de sa part.
‑ Raph...
Des voix se firent entendre à l'extérieur de la maison, Romi avait si peu de force qu'elle n'avait pas la foi de se lever pour voir ce qu'il se passait. Il y eut un silence puis la porte d'entrée vola en éclat.
‑ Ici, fit une voix grave.
Damien s'accroupit face à elle et prit sa tête entre ses mains.
‑ Oulà, reste avec nous. Tu peux marcher ?
Romi secoua la tête. Damien et l'homme qui l'accompagnait portèrent Raphaël et la fille au milieu de la pièce. Romi était beaucoup trop dans les vapes pour savoir ce que les deux chasseurs faisaient, il lui semblait tout de même qu'ils dessinaient un pentacle. Une fois terminé, ils se mirent de part et d'autre de leur dessin et commencèrent à psalmodier des phrases en latin.
Il ne leur fallut que quelques secondes pour régler le problème. Romi rejeta son corps en arrière, une force invisible sortie d'elle. Damien empoigna son katana, Valens sa lance et ils embrochèrent les deux esprits qui venaient de sortir de Romi et Raphaël. La fille s'évanouit.
Romi se sentait bien. Elle était allongée dans un endroit très douillet, la température était idéale et mieux, elle sortait tout juste d'un magnifique rêve. Elle bougea un peu et son pied percuta une jambe qui n'était pas la sienne. Elle ouvrit difficilement les yeux, Raphaël était allongé à côté d'elle dans un grand lit double, il dormait encore.
‑ Tu es réveillé ! Elle est réveillée !
Hémon se précipita vers la porte et passa juste en-dessous. Romi se redressa sur son lit, la lumière était allumée dans la chambre et les volets fermés. Damien entra dans la pièce.
‑ Tu vas bien ?
La fille hocha la tête.
‑ Tu es chez ma famille. Il est toujours pas réveillé, l'autre ?
Romi lui lança un regard noir et se mit debout.
‑ Qu'est-ce qui s'est passé, au juste ?
‑ On vous a exorcisé.
‑ Et les armes que j'ai vues ?
Damien haussa les épaules.
‑ Elles sont, on va dire, enchantées.
‑ Elles sont faites pour tuer les esprits.
‑ Évidemment, ne râle pas, elles vous ont sauvé la vie. Ah...
Romi se retourna, Raphaël venait de se réveiller, il s'était assis sur le lit.
‑ Je me sens en pleine forme ! lança-t-il.
La fille se jeta sur lui pour le prendre dans ses bras. Le jeune homme se leva et regarda Damien.
‑ Merci, encore une fois. Je te dois quelque chose.
‑ Je n'étais pas seul, il y avait aussi mon frère. Suivez-moi, c'est bientôt l'heure du dîner et ma mère veut absolument que vous mangiez avec nous.
Ils sortirent de la chambre, Hémon sur leurs talons, et se retrouvèrent dans un couloir. Ils le traversèrent, empruntèrent un escalier et arrivèrent dans une petite pièce qui se trouvait à côté de l'entrée. Adossé contre un mur, un homme plus grand que Damien les regardait.
‑ Valens, mon grand frère, expliqua Damien.
‑ Vous avez la même tête ! s'exclama Raphaël.
‑ Le dîner est prêt, se contenta de dire Valens.
Son frère les mena dans la salle à manger. Il y avait déjà plusieurs personnes installées autour de la table ovale, au bout se tenait une femme au visage ridé et sévère, sur sa droite un homme aux cheveux blanc-gris leur fit un signe de la main en souriant, en face de lui était assise une personne âgée et à côté d'elle une ado qui devait avoir dans les seize ans.
‑ Mes parents, ma grand-mère et ma sœur, fit Damien. Seuls Najya, ma sœur, et mon père ne peuvent pas voir les esprits.
‑ Ce qui est étrange, remarqua la mère de Damien, les filles sont plus enclines à avoir la vision que les garçons.
Najya leva les yeux au ciel. Romi ne posa pas de questions, ici, elle sentait bien qu'il fallait qu'elle fasse attention à ses paroles. Les deux compagnons se présentèrent et s'installèrent autour de la table devant des assiettes en porcelaine finement décorées. La mère de Damien montra Hémon du doigt.
‑ Qui est cet esprit qui a réussi à traverser notre barrière ?
Le parchemin se cacha dans le dos de Romi.
‑ Hémon, répondit la fille.
‑ Où as-tu déniché un esprit aussi puissant ?
‑ Il était à ma grand-mère.
‑ Tu as donc renouvelé le contrat. Tu es la seule de ta famille à pouvoir les voir ?
Romi hocha la tête.
‑ Et toi aussi... Raphaël, c'est ça ?
Le garçon hocha la tête. Une employée apporta un plat et servit tout le monde. Une fois parti, Raphaël lança :
‑ C'est une bonne situation ça, chasseur d'esprits ?
Sa meilleure amie le frappa sous la table.
‑ J'aurai dû me douter que les bonnes manières ne faisaient pas partie de ton vocabulaire, dit Damien.
Le garçon haussa les épaules.
‑ Au contraire, je baigne là-dedans depuis ma naissance, mais la mondanité, ce n'est pas ma tasse de thé.
Il était plutôt fier de sa rime et, visiblement, il était bien le seul.
‑ Nous étions plus nombreux à l'époque, fit la mère de Damien. Sans compter que deux jeunes personnes se sont installées en ville et nous prennent nos clients.
Raphaël fit un sourire poli. Le dîner fut moins gênant qu'ils ne le crurent au premier abord, c'est surtout la grand-mère qui dérida tout ce petit monde, néanmoins, les deux compagnons furent soulagés lorsqu'il prit fin. Seul Damien les accompagna jusqu'à l'extérieur.
‑ C'est magnifique, chez toi, fit Romi.
La maison des Collet était bien française, il s'agissait sûrement d'une ancienne ferme. Les murs étaient en pierre, la cour était grande, elle était faite de cailloux et de pelouse. De vieux arbres s'épanouissaient ici et là ainsi que des fleurs, il y avait du lierre et même un jardin bien entretenu. La maison était éloignée de la ville, autour, il n'y avait que des champs.
‑ Je vous proposerais bien de vous ramener chez vous mais je n'ai pas le permis.
‑ Ça t'arrange, fit Raphaël.
‑ Pour le coup, oui. Au revoir, et ne revenez jamais.
Les deux compagnons s'en allèrent à pied. Hémon attendit qu'ils se soient assez éloignés pour dire :
‑ La maison est vide, il y avait beaucoup plus d'activité avant.
‑ C'est vrai que je n'ai pas vu beaucoup d'esprit, lança Raphaël.
‑ Je ne parlais pas d'eux mais des humains. Depuis que les chasseur ont été décimés, il n'y a bien plus qu'eux pour exercer cette activité. Les enfants doivent avoir une énorme pression sur eux, après tout, c'est l'une des plus anciennes familles de chasseurs.
‑ Je n'en savais rien...
Sur ce, Hémon décida de s'en aller. Le retour se fit en silence, les deux compagnons étaient perdus dans leurs pensées, d'un côté ils cogitaient sur ce que venait de dire Hémon à propos de Damien et de l'autre, aucun des deux n'avaient oublié ce qu'il s'était passé dans la maison hantée avant que le jeune homme ne tombe dans les pommes. Raphaël n'osait rien dire, il ne savait pas comment aborder le sujet.
Ils furent de retour à la maison après trois quarts d'heure de marche et de transports en commun.
‑ Enfin chez nous ! s'exclama Romi.
‑ Oui, il y a eu beaucoup d'émotions aujourd'hui.
Les joues de la fille rosirent. Raphaël ouvrit la porte d'entrée et se tourna vers la fille. En voyant son visage, il se dit que, peut-être, il n'y avait pas besoin de paroles, un regard suffisait. Il tendit la main vers elle, Romi entrelaça ses doigts avec ceux du jeune homme et celui-ci l'emmena à l'intérieur. Ils prirent tous les deux une tasse de thé et lorsque ce fut le moment de se séparer pour dormir, Raphaël retint Romi par le bras et, doucement, il l'embrassa.
Il était aux anges.
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