Damien avait une fois de plus invité Romi à sortir et évidemment, la fille en était toute excitée.

‑ Fais attention à lui, avait lancé Raphaël sur un ton bougon.

‑ Il ne risque rien, Yuilhan est toujours avec moi.

‑ Je ne pensais pas à ça dans ce sens là... Il me revient pas.

‑ Quelle idée. Il veut me dire quelque chose d'important.

‑ Raison de plus pour se méfier.

Romi s'était tournée vers le garçon.

‑ T'es jaloux ?

‑ Là n'est pas la question.

‑ Alors quelle est-elle ?

Raphaël avait été incapable de répondre.

‑ Tu ne me fais pas confiance ? avait-il fini par répondre.

‑ Bien sûr que si ! Mais là tu exagères. Tu te bases sur quoi, hein ? Son physique ? Ses gestes ? Ses paroles ? Tant que tu n'as pas d'arguments, laisse-moi tranquille !

‑ Je n'ai pas besoin d'arguments, c'est un... ! Raah ! Je sors.

A présent, Raphaël roulait sans but précis. Il était énervé mais il ne pouvait pas en vouloir à Romi. Il fallait qu'il s'aère l'esprit, il ne rentrerait que lorsque la fille serait partie, cela faisait beaucoup d'heures à tuer. Il pouvait passer quelque temps dans les magasins ou alors aller se promener, pourquoi pas ?

Il s'approchait d'un feu vert lorsqu'il vit sur le trottoir, en attente de traverser, l'homme qu'il avait le moins envie de voir en ce moment, Damien. Il le regarda quelques secondes et passa devant lui.

Il ne sut si c'était parce qu'il n'était pas assez concentré ou parce qu'il n'avait pas assez ralenti mais lorsqu'il remarqua la silhouette grise débouler sur sa droite, c'était trop tard. Un espèce de chien passa devant la roue de sa moto. Par réflexe, Raphaël freina et donna un coup de guidon sur sa gauche. Le bolide tomba et glissa. La voiture qui venait en face percuta la moto. La dernière chose dont le garçon eut conscience avant de s'évanouir fut sa jambe gauche coincée sous son véhicule.

Romi n'avait jamais eu aussi peur de sa vie, à part peut-être la fois où elle avait été surprise par un esprit en ouvrant la porte des toilettes. Elle n'avait également jamais été aussi rapide. Après l'appel de la mère de Raphaël qui lui avait annoncé avoir reçu un coup de fil de l'hôpital, elle s'était ruée sur ses clefs de voiture et fonçait à présent en direction de la ville.

‑ Il y a eu plus de peur que de mal, annonça le médecin après qu'une infirmière se fut assurée que Raphaël connaissait son nom et la date du jour.

Le jeune homme doutait de cette phrase, la peur, il n'avait pas vraiment eu le temps de la ressentir, quant à la douleur, elle se rappelait dans son bras et sa jambe et il lui semblait que des bourdons avaient élu domicile dans ses oreilles. Un peu groggy, il se contenta d'un :

‑ Hmm...

‑ D'après les personnes qui vous ont vu, vous seriez tombé tout seul, quant à celui qui a appelé les secours, il dit avoir vu un animal passer devant votre roue. Quelle est la bonne version ?

‑ Celle de l'animal. Enfin, celle de mon sauveur qui doit répondre au nom de Damien, j'imagine ?

S'ils avaient été les deux seuls à le voir, ça ne pouvait être qu'un esprit qui l'avait fait tomber.

‑ Vous le connaissez ? s'enquit le médecin.

‑ Qui, l'animal ?

‑ Non, Damien.

‑ Oui, je le connais mais à cause du casque, ça m'étonnerait que lui ait su qui j'étais avant d'appeler l'ambulance.

Le médecin discuta encore un peu puis laissa enfin le garçon seul. Raphaël se redressa sur son lit en grimaçant. Il ouvrit le tiroir de chevet et passa la bague qu'on lui avait enlevée à son doigt. Aki apparut immédiatement devant ses yeux, le faisant sursauter.

‑ Tu me vois enfin !

Le tanuki tendit ses petits bras vers Raphaël qui lui serra la patte.

‑ Tu n'es pas avec Romi ?

‑ Je suis venu te voir dès que j'ai su. Tu... es différent de d'habitude. Ça va ?

Une mèche de cheveux tomba devant les yeux du jeune homme, il foudroya Aki du regard.

‑ Je...

Quelqu'un frappa à sa porte. Après y avoir été invité, Romi déboula dans la chambre. Elle eut quelques secondes d'hésitation avant de se jeter dans les bras de Raphaël. Ils restèrent ainsi une bonne minute sans parler, puis la fille se détacha de lui et s'assit sur un fauteuil à proximité. Yuilhan lui donna un coup de langue.

‑ On m'a dit que tu pourrais rentrer demain.

Raphaël hocha la tête tout en essuyant la bave du renard blanc.

‑ Ils préfèrent me garder ici cette nuit à cause du choc de l'accident. Ils ont fait des tests, je n'ai rien.

Romi regarda les bandages qu'il avait sur le bras et à la jambe gauche.

‑ Ah oui... ?

Le garçon déplia difficilement les doigts.

‑ C'est rien, ça ira mieux dans quelques jours.

‑ La prochaine fois tu feras attention

‑ C'est un esprit qui m'a fait tomber.

‑ Je ne pourrais sûrement pas le retrouver. Tu veux que je te ramène quelque chose ? Il faut qu'on l'occupe, cette journée.

‑ Tu devais pas voir Damien ?

‑ J'ai annulé.

Le jour suivant, Raphaël fut de retour à la maison. Il attendit que le week-end passe pour retourner travailler à l'agence, ou plutôt pour s'y ennuyer. Après avoir bu un café et vérifié ses mails, il réfléchit. L'heure suivante, il se mit à l'action ; il ouvrit le tiroir de son bureau. La lettre donnée par Damien s'y trouvait toujours et avec elle, les coordonnées du garçon. Il prit une inspiration, enregistra le numéro sur son téléphone et appela le jeune homme. Comme il ne répondait pas, Raphaël décida de lui envoyer un SMS et d'attendre. Pratiquement une heure plus tard, Damien le rappela.

‑ Allô ?

‑ Ouais, que veux-tu ? Tu t'es enfin décidé à travailler pour moi ?

Damien semblait essoufflé, il avait une voix plus aiguë que la normale. Raphaël claqua sa langue sur son palais.

‑ Pourquoi tu m'énerves comme ça ? Bref. Je sais que c'est toi qui as appelé les secours lors de mon accident de moto alors... merci.

Damien haussa les épaules.

‑ Je n'étais pas seul, quelqu'un d'autre l'aurait fait à ma place. Romi m'a dit que tu allais bien.

Il y eut un silence pesant. Raphaël ouvrait la bouche lorsque son interlocuteur lança :

‑ Tu n'as rien dit à Romi pour moi.

‑ Oui, je me suis dit que c'était à toi de t'expliquer.

‑ Je t'en suis reconnaissant. J'allais lui en faire part le jour de ton accident mais...

Derrière Damien, une porte s'ouvrit.

‑ Faut que je te laisse. Retrouve-moi à dix-sept heures sur la place.

‑ Quoi... ? Atte...

Damien avait raccroché.

Raphaël mentit à Romi. Lorsqu'il quitta l'agence à dix-sept heures, il lui dit qu'il devait voir des amis et qu'il ne savait pas à quelle heure il rentrerait. A bien y réfléchir, c'était rare qu'il lui mente, et même si c'était enfantin, il se sentait quelque peu coupable. Une demi-heure plus tard, il retrouva Damien sur la place. Il aurait pu lui poser un lapin mais il était trop curieux pour ne pas venir. La tête rentrée dans les épaules et les mains dans les poches, Raphaël fit face au chasseur qui était plutôt bien habillé.

‑ Qu'est-ce que je fais là ?

‑ Viens.

Le jeune homme suivit Damien dans la ville, celui-ci l'emmena dans une rue qu'il ne connaissait pas. Il s'arrêta devant une porte, à côté se trouvait une pancarte.

‑ Un spectacle de magie ?

‑ Tout à fait, je te paye le billet.

‑ Sérieux ? Je ne suis pas venu là pour passer du bon temps avec toi !

‑ Rassure-toi, moi non plus. Je suis là pour le boulot.

‑ Quoi ? Ici ?

‑ Tu verras.

La salle de spectacle était assez petite, il ne devait pas y avoir plus d'une cinquantaine de places, par contre, plus de la moitié des sièges étaient pris. Les deux jeunes hommes allèrent s'asseoir vers le fond.

‑ Si le magicien choisit quelqu'un dans le public et que ça tombe sur moi, chuchota Raphaël, je t'en fous une à la sortie.

‑ T'inquiète pas, ça m'étonnerait qu'on reste jusqu'à la fin.

‑ Pourquoi ? C'est quoi ton boulot ?

‑ Tu verras.

Je t'en foutrais des tu verras...

L'attente fut longue. Raphaël ne regardait jamais les tours de magie à la télé, contrairement à Romi qui s'en abreuvait quand elle était petite, ceux-ci ne l'intéressaient pas, il tentait toujours de trouver le truc et lorsqu'il commençait à comprendre, ça ne l'amusait plus. Ajouté aux non-dits de Damien, l'énervement commençait à poindre.

Le magicien arriva enfin sur scène. Il était plutôt drôle, il n'y avait pas de doute là-dessus. Seulement, Raphaël comprit son truc dès la première seconde et sut pourquoi il avait été emmené ici. Le magicien utilisait les esprits pour tromper son public. Au bout de quelques minutes, Damien se pencha à son oreille.

‑ Tu comprends, maintenant ? Allons-nous-en, j'en ai assez vu.

Non, il ne comprenait pas du tout. Le jeune homme se leva, Raphaël le suivit jusqu'à l'extérieur puis s'arrêta sur le trottoir en fixant le dos de Damien.

‑ Au risque de me répéter, pourquoi m'as-tu emmené ici ?

Le chasseur se retourna et regarda le jeune homme dans les yeux.

‑ Ce magicien utilise plus de trois esprits pour ses tours.

‑ Et donc ?

‑ Nos règles l'interdisent.

Raphaël fronça les sourcils.

‑ Vos règles... pourquoi ? Vous avez des règles ? C'est nouveau ! Vous croyez avoir le monopole, c'est ça ?

‑ Nous l'avons. Romi est puissante et pourtant ma famille n'a appris son existence que lorsque vous avez ouvert votre agence, sinon, sachez que vous n'auriez jamais pu le faire, notamment parce que vous auriez sûrement travaillé pour nous dès votre plus jeune âge. Je ne sais pas ce que vous cachez mais si j'apprends que vous possédez plus de trois esprits chacun, je serais sans pitié, même s'il s'agit de Romi.

Damien tourna les talons et continua son chemin.

‑ Nous ne cachons rien ! Et qu'est-ce que ça peut vous faire si on possède plus de trois esprits ?

‑ Cette règle a été établie il y a de cela plusieurs années, lorsqu'une femme s'est rebellée et que la bataille qui s'en est découlé à fait de nombreuse victime. On ne veut pas que ça se reproduise.

‑ Vous faites quoi quand vous tombez sur quelqu'un qui a plus de trois esprits ?

‑ Si la personne est conciliante, on brise les contrats ou on les embarque, sinon, on les tue ou on les scelle suivant la tournure que prennent les évènements.

Raphaël serra la mâchoire. Il ne devait absolument pas savoir pour Romi !

‑ C'est toi qui as fouillé notre agence ?

‑ C'est moi.

Le jeune homme s'arrêta et laissa Damien s'en aller seul. Suite à ça, Raphaël se dépêcha de rentrer chez lui. Il retrouva Romi devant son ordinateur, comme souvent. Il se planta à côté d'elle.

‑ Qu'est-ce qu'il y a ?

‑ Si jamais tu parles des esprits avec Damien, ne lui dis surtout pas qu'on en a plus de trois et que je ne les vois que parce que j'ai une bague.

‑ Euh... oui, si tu veux, mais pourquoi ?

Raphaël prit les mains de Romi dans les siennes.

‑ Promets-le-moi. Je t'assure de tout t'expliquer plus tard.

‑ Je te le promet.

‑ Bien. Tu peux continuer ce que tu faisais.

Le jeune homme quitta la chambre de la fille sans être pour autant soulagé. Romi le regarda partir plutôt perplexe. Qu'est-ce qui s'était passé ce soir ? Quelques minutes plus tard, elle reçut un SMS de Damien. Celui-ci lui demandait si elle était libre, il avait quelque chose à lui dire.