Raphaël vérifia une dernière fois sa liste de courses et passa à la caisse. Ayant laissé à Romi le soin de fermer l'agence, son copain était parti plus tôt pour se reposer et profiter d'un peu de temps libre pour remplir le frigo. Une fois sortit du magasin, il rangea délicatement son sac de course dans son sac à dos et se redressa. Il croisa alors le regard d'un collégien qui sortait de son établissement.

Raphaël allait continuer lorsqu'il remarqua que ses yeux n'étaient non pas sur lui mais sur Yuilhan qui ne le quittait pas d'une semelle. Son regard passait de lui au renard. Finalement, après ce qui semblait être une hésitation, l'adolescent rentra la tête dans les épaules, mit ses mains dans les poches et passa son chemin.

‑ Il me voit, fit Yuilhan.

‑ Il a l'air effrayé. Viens.

Raphaël traversa la route et suivit le collégien. Il attendit qu'il n'y ait plus personne autour d'eux pour le rattraper et dire :

‑ Il n'est pas dangereux ! Le renard que tu vois, il n'est pas dangereux.

L'adolescent se tourna vers lui, les yeux écarquillés.

‑ Enfin, sauf si tu lui cherches des noises, évidemment.

Raphaël s'approcha et lui tendit une carte de visite que le collégien prit, sans quitter le renard des yeux.

‑ Je m'appelle Raphaël, ma copine et moi tenons une agence et on peut tous les deux voir les esprits. Je ne sais pas comment ça s'est passé pour toi jusqu'à présent mais tu n'es pas seul. Viens nous rendre visite, on répondra à toutes tes questions. Tu t'appelles comment ?

‑ Tanael.

‑ Eh bien Tanael, j'espère te revoir bientôt.

Raphaël lui fit un signe de la main et s'en alla. Une fois de retour à la maison, il raconta tout à Romi qui demanda :

‑ Il n'a pas encore rencontré les chasseurs d'esprits ?

‑ Vu ses réactions, c'est même sûrement la première fois qu'il rencontre quelqu'un comme nous.

‑ Génial ! Il n'a pas encore été formaté. N'empêche... je pensais que ceux qui pouvaient voir les esprits étaient rares mais depuis qu'on a ouvert l'agence, j'ai l'impression qu'il y en a à chaque coin de rue...

Les jours passèrent et se ressemblèrent. Un samedi après-midi, alors que Raphaël se balançait sur sa chaise, les mains derrière la tête, un mail arriva à l'agence. Dès que le jeune homme le remarqua, il sauta dessus, c'était un trop bon moyen pour briser son ennui. Lorsqu'il vit l'expéditeur, il fronça les sourcils, c'était un mail de sa copine. Il l'ouvrit et remarqua plusieurs fichiers Word ainsi qu'un corps de texte : « Comme je culpabilisais de ne rien faire alors que tu travailles en entreprise, j'ai raconté plusieurs des missions que nous avons faites. J'ai changé les noms et plusieurs autres chose et je pense que ce serait bien d'en faire des livres et de les vendre. »

Raphaël quitta l'écran des yeux.

‑ Romi ?

La fille sortit sa tête de la pièce arrière.

‑ Tu l'as reçu ? C'était un mail programmé.

Raphaël lui demanda de s'approcher.

‑ Tu as quelque chose à redire.

‑ Évidemment. Tu sais comment marche l'édition à compte d'auteur ? Tu envoies ton texte à une entreprise qui te fait le minimum si tu ne veux pas débourser le moindre centime puis tu achètes tes propres livres que tu revends.

Romi cligna plusieurs fois des yeux et son copain reprit :

‑ Tu ACHÈTES tes PROPRES livres que tu REVENDS. Il n'y a rien qui te choque ?

‑ Si, je me suis déjà renseigné. Ce n'est pas si cher que ça. Tu lis, tu corriges les fautes et je m'occupe du reste.

Raphaël soupira. Au même moment, la porte d'entrée s'ouvrit sur un garçon un peu hésitant.

‑ Tanael ! fit Raphaël.

‑ Appelez-moi Tan, je préfère.

‑ Assieds-toi.

Tanael s'installa sur la chaise devant le bureau de l'agence.

‑ Euh... nous sommes seuls ?

La jeune femme sourit gentiment.

‑ Si tu veux parler des esprits, dans l'agence ou chez nous, nous ne sommes jamais seuls. Il ne faut pas t'inquiéter tant que je suis là. Est-ce que tu peux tous les voir ?

‑ Oui.

Les trois compagnons sursautèrent, Aki venait de faire son apparition.

‑ Je m'y ferais jamais..., fit Raphaël entre ses dents.

Il prit une inspiration.

‑ Si tu as des questions, poses-les à Romi, de nous deux, c'est elle qui est plus apte à te répondre.

Tanael regarda les deux jeunes gens sans savoir quoi leur dire, puis il fixa ses mains.

‑ J'ai toujours cru qu'on était seuls à les voir, alors...

‑ « On » ? releva Raphaël.

‑ Ma sœur et moi. Elle ne va plus au collège à cause de tout ça, elle prend des cours en ligne.

‑ Le squelette de la salle de SVT est toujours possédé ? demanda Romi.

‑ Malheureusement oui.

Raphaël jeta un regard noir à sa copine et Aki s'approcha de Tanael qui recula légèrement.

‑ Il y a quelque chose, n'est-ce pas ? fit le tanuki. Je ressens une ombre qui corrompt faiblement ton énergie.

En voyant que le garçon ne répondait pas, Aki insista.

‑ Tu peux tout nous dire, nous sommes là pour t'aider. Enfin, ces deux humains, surtout...

‑ Je ne sais pas si c'est lié... il y a un esprit chez nous, une espèce d'ombre, ça fait des années qu'elle habite dans la maison et elle n'a jamais rien fait.

‑ Je vois... c'est peut-être ça...

‑ Accouche ! lança Raphaël.

‑ Il existe plusieurs esprits qui aiment loger dans les maisons humaines, la plupart sont inoffensifs et même invisibles, vu ce que je ressens et la description que tu en as fait, il est possible que tu cohabites avec un mangeur d'âmes.

‑ C'est-à-dire ?

‑ Un esprit qui draine l'énergie des humains ? s'enquit Romi qui avait déjà eu connaissance de ce nom.

‑ Exact ! Ils s'installent et se nourrissent de votre énergie pour se maintenir en vie. Il n'en a pas besoin d'une grande quantité, il choisit généralement un endroit où les humains en possèdent beaucoup et restent une vingtaine d'années avant de changer de maison.

‑ Pourquoi vingt ans ? demanda Raphaël.

‑ Parce que lorsque notre énergie tombe à zéro, on meurt, murmura Romi.

Tanael écarquilla les yeux.

‑ Ça fait combien de temps que cet esprit est chez vous ? s'enquit Aki.

‑ Euh... je ne sais pas, ma sœur était très jeune, je devais avoir aux alentours de dix ans donc... quatre ans, je dirais ?

‑ Quelque chose s'est passé pendant ses quatre ans ? Par exemple, tes parents qui sont anormalement épuisés un jour où ils ne font rien ?

‑ Non... il y a juste ma sœur qui est très fatiguée certains jours de la semaine, quitte à ne plus tenir debout en début de soirée.

‑ Tu as dit qu'elle n'allait pas au collège, remarqua Raphaël, elle est toute seule à la maison, en journée ?

‑ Oui, sauf le mercredi et le week-end.

Le jeune homme haussa les sourcils d'un air entendu et regarda sa copine qui hocha la tête.

‑ On va faire un saut chez toi pour t'en débarrasser.

‑ Vous pouvez faire ça mercredi après-midi ? Il n'y aura personne à part ma sœur et moi. Nos parents rentrent généralement vers dix-sept heures.

Ils s'échangèrent leurs numéros et Tanael rentra chez lui.

‑ Il me fait de la peine..., murmura Romi.

Le soir, assise à son bureau, la jeune femme lisait les notes de sa grand-mère sur les mangeurs d'âmes sans en apprendre plus que ce que Aki lui en avait dit. Elle comprit toutefois qu'elle ne pourrait pas faire fuir l'esprit de chez Tanael, elle était dans l'obligation de le sceller. Raphaël arriva derrière elle et l'entoura de ses bras.

‑ Tu es très affectée par ça, lui dit-il à l'oreille.

‑ Comment ne pas l'être ? J'ai l'impression de me revoir. Tu as de la chance, à cette époque tu me soutenais mais pour que ça t'affecte pas tu enlevais tout le temps ta bague. Tu ne l'a portais même pas pour tes études supérieures. Tu crois qu'il existe une bague qui permet à son possesseur de ne pas voir les esprits ?

Le jeune homme resserra son étreinte.

‑ Viens te coucher.

‑ On ne travaille pas demain.

‑ J'ai pas dit qu'on devait dormir...

Romi regarda Raphaël en haussant les sourcils.

Mercredi après-midi, le couple se rendit donc chez Tanael après que ce dernier leur ait fourni l'adresse. Le garçon vivait dans une maison plutôt vieille qui avait été complètement refaite, elle avait un certain charme même si Romi la trouvait beaucoup trop modernisée. C'est Tanael qui leur ouvrit la porte. Immédiatement, Yuilhan confirma la présence d'un esprit. Derrière le garçon se tenait sa sœur, Lyne, elle était mignonne avec sa barrette glissée dans ses cheveux noirs. Romi regarda autour d'elle et demanda :

‑ Où est-il ?

‑ Cette présence...

Les quatre compagnons sursautèrent. Une voix grave avait empli la maison et fait trembler les murs.

‑ Un chasseur...

‑ Je n'en suis pas un ! lança Romi d'une voix forte.

‑ Tu mens !

Un vent glacial les entoura. Lyne cria, Yuilhan gronda et Romi porta sa main à sa sacoche. Une ombre fondit sur la jeune femme. Alors que Aki allait s'interposer entre eux, l'ombre bifurqua à la dernière seconde pour s'en prendre à Tanael. Le garçon fit un bond en arrière, tomba sur le sol, se releva et prit ses jambes à son cou à l'extérieur de la maison, l'ombre sur ses talons.

‑ S'il se fait toucher, c'est terminé ! cria Aki.

‑ Yui, reste ici avec Lyne et Raphaël ! lança Romi avant de s'élancer à la poursuite du garçon.

‑ Non, attends ! fit Raphaël.

Trop tard, la jeune femme était déjà loin.

Romi n'avait jamais été une très grande sportive, heureusement pour elle, le mangeur d'âmes non plus. Ce n'est pas pour autant qu'elle réussit à le rattraper. Tanael courut jusqu'à une petite falaise au-delà des maisons, il ne savait pas où aller mais il fallait éloigner l'esprit des habitants. Il s'arrêta essoufflé sur le pic de la falaise et se retourna. Le mangeur d'âmes était juste derrière lui. Sous la surprise, il fit un pas en arrière et marcha sur une touffe d'herbes qui tenait dans le vide. Il glissa et tomba de la falaise.

‑ Tan ! s'écria Romi qui venait tout juste d'arriver.

Aki fonça vers lui.

‑ Charles, viens à moi !

Le cavalier apparut sur son cheval.

‑ Débarrasse-toi de lui !

Charles tira son épée de son fourreau, fit galoper son cheval et trancha le mangeur d'âmes qui n'eut pas le temps de réagir. L'esprit fut coupé en deux et partit en fumée. Romi courut jusqu'au bord de la falaise, tomba à genoux et regarda prudemment en bas, terrifiée à l'idée de ce qu'elle pourrait trouver. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle découvrit Maïna, debout dans sa barque et Tanael dans ses bras.

‑ C'est bon, je l'ai.

Alors qu'ils rentraient tranquillement chez Tanael après avoir averti Raphaël, Maïna expliqua :

‑ Je me baladais quand j'ai remarqué le gamin courir.

‑ Je ne suis pas un gamin.

‑ Je me suis rapprochée et j'ai plutôt bien fait, c'était juste, j'aurais pu le rater. C'est moi ou il se passe beaucoup de choses dans cette ville ? Je pense que je vais rester encore longtemps.

Une fois de retour à la maison, Lyne se jeta dans les bras de son frère. Ils restèrent quelques secondes ainsi puis Tanael demanda :

‑ Et donc... le problème est réglé ?

‑ Charles ? demanda Romi au cavalier qui détonnait beaucoup dans cette maison avec sa grosse armure.

‑ Je suis plus fort que lui, je l'ai affaibli. Il va fuir loin et longtemps. On ne le verra pas pendant une dizaine d'années, minimum.

‑ Tu aurais dû te débarrasser de lui, Charles n'en était pas capable, fit Aki.

‑ Yui était ici, c'était une urgence, j'ai pas eu le temps de réfléchir. S'il revient, vous nous appellerez.

Romi et Raphaël restèrent encore quelque temps chez Tanael et Lyne pour discuter, la jeune femme prit le temps, même s'ils n'en avaient pas beaucoup devant eux, de leur expliquer l'essentiel pour se protéger et faire face aux esprits. Elle leur donna des sceaux avec des explications pour qu'ils puissent les reproduire et les utiliser et leur apprit à protéger leur maison pour éviter d'autres surprises. Ils s'en allèrent avant que les parents ne reviennent. Sur le palier, Romi leur lança tout de même :

‑ Si vous rencontrez des personnes qui se font appeler « chasseurs d'esprits », passez votre chemin. S'ils insistent, avertissez-nous, on ne sait jamais ce qu'il peut se passer avec eux, ils ont une vision du monde assez différent de la nôtre.