Romi et Raphaël, installés dans l'agence, se regardèrent.

‑ Donc, dit le jeune homme, Najya à son bac.

Sa copine hocha la tête. Raphaël prit une feuille et un stylo qu'il décapuchonna.

‑ Comme je lui avais dit il y a un an, grâce à la bijouterie, je peux, si elle le veut, l'embaucher à mi-temps. Le problème, ce sont les conditions.

Il mit un tiret sur sa feuille.

‑ Il faut qu'elle soit disponible de huit heures à dix-huit heures, du lundi au samedi. Dans l'idéal, il faut qu'elle ait le permis, il faudrait aussi qu'elle passe au moins deux semaines avec nous pour qu'elle sache comment on marche. Ce serait bien qu'on la paye un minimum par mois car je sens les semaines où on n'aura pas besoin de l'appeler. Vous partagerez à deux les recettes de chaque client, je n'en ai pas besoin avec la bijouterie. Ah oui ! Je pensais à quelque chose, autant te le dire maintenant. Puisqu'on va embaucher Najya, je voudrais passer plus de temps à la bijouterie. Ma sœur ne travaillera pas là-bas éternellement et moi non plus, il faut qu'on garde beaucoup d'argent de côté pour le futur, surtout si Najya arrive à l'agence. Ça te dérange ?

Romi haussa les épaules.

‑ OK, ça te dérange.

La jeune femme haussa de nouveau les épaules et s'expliqua :

‑ C'est une bonne idée mais je me vois mal ici sans toi toute la journée.

Raphaël lui fit un demi-sourire.

‑ Ça me touche. Je le dirais à ma sœur, j'irais le mardi et le jeudi, ce sont les jours où tu es moins fatiguée et plus motivée.

Romi hocha la tête.

‑ Sinon, on est d'accord pour Najya ?

La jeune femme acquiesça et Raphaël commença à rédiger une lettre plus ou moins professionnelle pour Najya et sa famille. Un peu plus tard, Tanael et Eva arrivèrent à l'agence. Raphaël les salua.

‑ J'étais sur le point de vous demander si vous aviez besoin d'aide mais je crois savoir pourquoi vous êtes là.

Tanael, l'air sérieux, hocha la tête.

‑ J'ai trouvé l'arme de mon grand-père, dit simplement la fille.

Sur ces mots, Eva sortit de son sac un pistolet gris métallisé bardé de runes. Romi haussa les sourcils, Raphaël écarquilla les yeux.

‑ Euh... ce n'est pas un peu dangereux, ça ?

La fille appuya sur un bouton à la diagonale de la crosse et en sortit le chargeur. Il était rempli de balles bleu claire qui étaient elles-mêmes marquées de deux runes.

‑ Elles doivent être en caoutchouc, expliqua-t-elle, ce n'est pas impossible qu'elles blessent un être humain mais je ne suis pas allée jusqu'à essayer sur moi, j'ai l'impression qu'il est assez puissant. Je me suis entraînée sur des arbres, à part la perte d'écorces, ça ne leur à pas fait grand mal.

Il y eut un silence. Romi et Raphaël se regardèrent. Finalement, la jeune femme prit la parole :

‑ Comme nous te l'avons promis, on va te présenter aux chasseurs d'esprits. Tu viens avec nous, Tan ?

L'adolescent confirma, après ce que lui avait dit Romi sur eux, il était curieux. Ils s'entassèrent tous dans la voiture de la jeune femme, au grand dam de son copain qui n'avait que sa moto, et se rendirent chez leurs amis qui avaient été prévenus à l'avance. Quelques minutes plus tard, ils passaient le portail de la famille d'Isabelle. C'est Valens qui leur ouvrit la porte. A la table de la cuisine étaient assis sa grand-mère et Damien, ils jouaient aux cartes. Lorsqu'elle entra, le visage de Damien, joyeux avec ses yeux en amende, se tourna vers la jeune femme.

‑ Romi !

La susnommée sourit. Comme à son habitude, qu'il soit esprit ou humain, K était heureux de la voir. Damien se leva. Immédiatement, la grand-mère fit claquer une carte sur la table et dit avec un sourire :

‑ Ne fais pas faire de choses étranges à mon petit-fils.

K s'assit.

‑ Pardon...

‑ Il est plus mignon que le Damien d'origine, fit Romi.

Valens fronça les sourcils.

‑ Mignon... ?

La jeune femme l'ignora et demanda :

‑ Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi K est aux commandes ?

‑ Le médecin a dit qu'il fallait faire travailler physiquement et mentalement Damien alors on le fait posséder environ une heure par jour. Le mental ça va, étonnamment il n'est pas con, mais le physique...

‑ Ce corps est génial ! s'écria K. Mais je n'ai jamais tenu d'arme de ma vie. Le sport, c'est ennuyant. Tu sais, Romi, quand je ne suis pas dans ce corps et qu'on demande à Damien lève-toi et marche et ben il le fait !

La grand-mère claqua une carte sur la table.

‑ Tu as bien fait de t'allier à eux, fit K, ils sont forts, j'aimerais pas les avoir comme ennemis.

L'esprit avait beau faire l'enfant, il avait souvent des paroles justes.

Romi et Raphaël firent un pas de côté pour qu'Eva ne soit plus cachée par leurs corps. Leslie était derrière eux, contre le chambranle de la porte du salon, une boîte de biscuits en main. Personne ne l'avait entendu s'approcher.

‑ Voici Eva, elle voulait vous rencontrer. Son grand-père était un chasseur d'esprit et n'a jamais voulu que sa petite-fille le devienne. Le problème c'est qu'elle souhaiterait que ce soit le cas. Elle ne connaît rien à notre monde.

‑ Tu as le même nom de famille que ton grand-père ?

Eva hocha la tête.

‑ Quel est-il ?

‑ Faure.

Valens se tourna vers sa grand-mère qui répondit à la question silencieuse de son petit-fils :

‑ Là, comme ça, ce nom ne me dit rien.

‑ Et tu ne sais absolument rien sur nous ?

Eva secoua la tête, Valens soupira.

‑ On ne peut pas s'occuper de toi ici...

‑ Valens ! lança sa grand-mère. Notre famille à toujours accueilli les personnes qui voient les esprits.

‑ Je sais...

‑ Elle peut aller chez mes parents, fit Leslie. Depuis que je suis partie, Rose et Étienne sont seuls, un coup de main ne serait pas de trop et elle pourrait apprendre auprès d'eux.

Raphaël fronça les sourcils.

‑ Étienne et Rose ? Ça me dit quelque chose.

Leslie sourit.

‑ Une petite, curieuse, aux cheveux bouclés et un costaud aux cheveux noirs qui paraît sombre mais qui est doux comme un agneau.

Les traits du front du jeune homme se déridèrent.

‑ Ah oui ! On les a rencontrés lors de notre travail dans un château, celui où on a été filmé par les youtubeurs.

Valens hocha la tête. Leslie ajouta :

‑ Eva, ton grand-père t'a laissé quelque chose ?

La fille ouvrit son sac et en sortit le pistolet. Valens le prit et l'examina d'une main experte, comme s'il en avait toujours eu un entre les mains.

‑ Une arme de chasseurs d'esprits, il y a toutes les runes qu'il faut dessus.

‑ C'est-à-dire ? demanda Romi avec un grand sourire.

Valens coula un regard vers elle.

‑ Par exemple une rune qui empêche de blesser gravement les humains dans certaines conditions, une qui permet aux esprits avec qui on a un contrat de pouvoir porter l'arme sans se brûler ou qui fait en sorte que ceux qui ne sont pas dotés de la vision ne voient pas l'arme tant qu'ils ne savent pas qu'elle existe.

Le coin de ses lèvres se relevèrent sur un demi-sourire perfide.

‑ Mais tout ça, Eva l'apprendra en nous rejoignant.

Romi lui jeta un regard noir.

‑ Normalement, ajouta Valens en rendant l'arme à sa propriétaire, on met plusieurs années à trouver celle qui nous convient, ça a été le cas de Damien. Pour ma part j'ai récupéré la lance de ma grand-mère et j'ai changé le manche. On a des cours spéciaux pour apprendre les runes et les appliquer sur notre arme, ça dure trois ans, tout le lycée, avant d'être au point. Tu vas devoir faire beaucoup d'efforts, Eva.

‑ Ne lui met pas la pression ! lança Leslie. Tu as le temps de réfléchir. Saches seulement que mes parents ne sont pas à côté, tu vas sûrement devoir changer de lycée pour plus de confort et habiter sur place.

‑ Il faut que je le dise à mes parents...

‑ Ne t'en fais pas, dit la grand-mère, on s'en occupe.

Valens jeta un coup d'œil à Tanael.

‑ Et toi ?

Le garçon resta figé sans rien dire. Romi sourit.

‑ C'est l'ami d'Eva et notre protégé.

‑ Je vois...

Raphaël prit une lettre de son sac et le donna à Valens.

‑ C'est pour Najya, vous pouvez la lire. Je pense qu'on en a fini ici, on rentre. S'il y a quelque chose, on se recontacte.

Romi salua K de la main et ils sortirent de la maison.

‑ Alors ? s'enquit Raphaël. Ta première impression face aux chasseurs d'esprits, Tan ?

‑ Ils font très pro.

‑ Ils le sont, dit Romi. C'est pour ça qu'on peut malheureusement leur faire confiance.

‑ Malheureusement ?

‑ Ils restent des chasseurs, nous avons des idées totalement opposées.

Environ une semaine plus tard, Romi et Raphaël reçurent deux SMS. Le premier était de Valens qui leur expliquait que Najya était d'accord pour faire deux semaines de stage à l'agence et le second de Tanael qui leur disait qu'Eva avait acceptée la proposition de Leslie.