Le cavalier noir
Comme chaque fin de mois, Raphaël faisait les comptes. Il aimait bien ça, c'était son moment tranquille lorsqu'il s'ennuyait à l'agence. Il additionnait tout d'abord les paiements reçus par les clients, il enlevait ensuite la moitié qu'il donnait à Romi et soustrayait les dépenses effectuées.
Et comme chaque fin de mois, il était obligé de prendre sur ses économies pour pouvoir payer les à-côtés. Seulement, celles-ci commençaient à diminuer drastiquement, lui qui avait toujours vécu dans une famille riche, son moral en prenait doucement un coup. Le pire, c'est que Romi ne faisait pas attention à ses dépenses, ils partageaient tout mais ne gagnaient pas assez.
‑ Il va falloir qu'on se fasse plus d'argent. Soit on augmente les prix, soit on trouve un moyen d'avoir un salaire à côté avec, pourquoi pas, un boulot à temps partiel.
Romi, qui s'occupait tant bien que mal, se tourna vers lui, soudainement terrorisée.
‑ Un boulot... ?
‑ Il suffit juste qu'on gagne un salaire chacun pendant quelques mois.
‑ Quelques mois...
La fille attrapa son téléphone et regarda les offres d'emploi. Pour elle qui n'avait que le bac et qui était sans expérience, c'était compliqué de trouver du travail. Le seul qu'elle avait eu avait été un job d'été il y a de cela deux-trois ans et elle avait eu de la chance. Après avoir parcouru plusieurs sites elle dut se rendre à l'évidence, il n'y avait rien pour elle à part une offre d'employé polyvalent dans un supermarché. Elle fit une grimace de dégoût.
‑ Peut-être que je peux trouver quelque chose parmi les connaissances de mon père..., marmonna Raphaël.
La porte d'entrée tinta, un homme d'une cinquantaine d'années entra dans la petite agence.
‑ Bienvenu ! Installez-vous.
L'homme ôta son chapeau et s'assit en face du garçon.
‑ Bonjour, je m'appelle Bastien Tessier, je suis archéologue et je dirige une équipe non loin d'ici.
‑ C'est à ce sujet que vous venez nous voir ?
‑ Oui, un ami m'a recommandé votre agence.
‑ Dites-nous tout.
‑ Il y a de cela un mois, un chantier de construction était prévu en pleine campagne, à la place de ce qu'était, il n'y a pas si longtemps, un champ. Ils ont commencé à creuser et sont tombés sur les ruines d'un ancien village. Heureusement pour nous, ils l'ont signalé et ont bien voulu arrêter le chantier. On a alors commencé notre travail. Il y a une semaine, nous avons retrouvé des pots, c'est là que ça a commencé. Au moment de les déterrer, mon équipe a eu une sensation étrange, comme si quelque chose passait à côté d'eux sans que personne ne puisse le voir. Mais surtout, nous avons tous entendu un hennissement, et je peux vous assurer qu'il ne venait pas des chevaux qui se trouvaient aux alentours. Ce n'est pas tout, la nuit, sous l'arbre centenaire qui se tient sur une colline en face du chantier, apparaît ce qu'on a nommé le « cavalier noir ». Toutes les nuits, les habitants aux alentours entendent le hennissement du cheval.
‑ Je vois..., fit Raphaël qui était très intéressé par cette histoire.
‑ Vous pouvez faire quelque chose ? Je suis prêt à payer beaucoup, mon équipe prend peur et les habitants commencent à nous détester.
Le garçon jeta un coup d'œil à Romi.
‑ Bien sûr qu'on peut faire quelque chose. Nous viendrons demain, ça vous va ?
M. Tessier leur donna l'adresse et quitta l'agence. Romi se leva et se planta devant Raphaël.
‑ Ça a l'air génial !
‑ Tu as raison, on va pouvoir lui facturer le double de d'habitude.
‑ Je ne parlais pas de ça !
Le lendemain, en fin d'après-midi, les deux compagnons allèrent rendre visite à l'archéologue. Ce dernier leur fournit un badge et leur fit faire le tour de leurs fouilles. Il s'arrêta en dernier devant un trou ou une femme et un homme travaillaient.
‑ C'est ici qu'on a retrouvé les pots.
‑ Il n'y avait rien d'inhabituel, dessus ? demanda Romi. Comme des inscriptions étranges, où je ne sais pas, de la cire, de la ficelle qui retenaient les pots fermés ?
‑ Rien de tout ça, répondit la femme. La plupart sont brisés et beaucoup n'étaient pas scellés.
Yuilhan se tourna vers elle.
‑ Il n'y a aucun esprit ici.
‑ Hmm...
‑ De toute façon il vient la nuit alors attendons, fit Raphaël. On a quelques heures devant nous, on va se balader ?
Leur promenade n'était pas faite que pour le plaisir. Dès qu'ils croisaient quelqu'un, les deux compagnons leur posaient des questions sur le fameux cavalier noir. Ils disaient tous la même chose et au milieu des nombreuses conjectures, le couple n'apprit rien de plus que ce que leur avait dit l'archéologue. Le soleil se coucha assez rapidement, ils allèrent manger les sandwichs préparés par Romi dans sa voiture puis ils rejoignirent M. Tessier une fois la nuit complète. Ils s'assirent tous les trois sur un rocher et attendirent.
Longtemps, comme d'habitude.
Romi piquait du nez contre l'épaule de Raphaël lorsque Yuilhan la sortit de ses songes.
‑ Il arrive.
La fille se redressa vivement et fixa l'arbre centenaire éclairé par la lune qui se trouvait au-delà du chantier archéologique.
‑ Ouah...
Romi avait vu beaucoup de choses dans sa courte vie mais rarement d'aussi belle et effrayante à la fois. Le cavalier qui se trouvait sous l'arbre était magnifique, il se tenait droit, une cape le recouvrait en entier et une capuche cachait son visage. Ses habits étaient essentiellement noirs mais ils comportaient également un peu de rouge et sa monture noire avait une légère armure, elle avait également l'air puissante, ses muscles roulaient sous sa peau et ses crins flottaient alors qu'il n'y avait aucun vent.
‑ Le cavalier de l'apocalypse ! s'exclama Romi.
‑ Noir, corrigea Raphaël.
‑ Sans tête !
‑ Arrête d'inventer !
Voyant que M. Tessier regardait fixement le cavalier, le garçon demanda :
‑ Vous le voyez ?
‑ Euh... je vois de la fumée noire qui forme une vague silhouette.
‑ Allons-y ! fit Romi en se levant.
Elle se mit à courir en direction de l'arbre. Ils traversèrent ainsi tout le site archéologique, d'où il était perché, le cavalier les vit venir, sa capuche s'était tournée dans leur direction. Essoufflés, Raphaël, Romi et l'archéologue arrivèrent enfin au pied de la colline. Ils eurent à peine le temps de reprendre leur souffle qu'ils remarquèrent que l'esprit avait lancé sur eux son cheval. Yuilhan se plaça à temps devant eux pour faire bouclier, le cavalier l'esquiva, le contourna, tira son épée de son fourreau et la pointa sur la personne la plus proche de lui, c'est-à-dire Romi. A part l'archéologue qui ne savait pas ce qu'il se passait, personne n'osait bouger.
La fille allait dire quelque chose lorsque le cavalier la coupa en lançant une phrase courte qu'elle ne comprit pas. Il lui semblait que c'était du latin ou de l'ancien français. Même Raphaël avait du mal alors qu'il avait longtemps étudié le latin, il avait néanmoins saisi le verbe avoir. Le cavalier comprit que quelque chose n'allait pas. Il plissa les yeux, fouilla dans sa mémoire et parla une langue qu'il n'avait fait qu'entendre pendant des années. Ses mots et ses phrases étaient hachés mais il n'eut aucun mal à se faire comprendre.
‑ Vous avez pas armes.
‑ Tu parles français ? s'exclama Romi.
‑ Vous êtes pas ennemis ?
‑ Absolument pas. On habite dans une ville à environ une heure d'ici et nous sommes venus pour toi.
‑ Pour t'aider, ajouta Raphaël qui craignait pour la vie de sa copine.
‑ Je pas besoin aide.
‑ Tu fais peur à tout le monde en restant ici. Qu'est-ce qui t'est arrivé ?
‑ Peur ?
Le cavalier éloigna son épée du cou de la fille sans pour autant la ranger.
‑ Je protège village. Je... dormir.
‑ Tu dormais pendant tout ce temps ? Les fouilles ont dû te réveiller. Et avant d'être un esprit, tu étais humain, non ?
‑ Je protège village. Attaque...
Le cavalier poussa un long soupir et regarda l'arbre derrière lui. Il n'arrivait pas à exprimer toutes ses pensées, c'était rageant. Il montra l'arbre du doigt.
‑ Fille venir ici. Père... attaque, feu, mort. Moi... vindicta.
Il ôta sa capuche et continua en latin. A la fin de son discours, Raphaël avait une crampe de cerveau.
‑ Alors..., fit-il, si j'ai bien compris, quelqu'un a trahi tout le monde, le village que le cavalier protégeait a été attaqué, il a voulu se venger de la fille qu'il aimait mais n'a pas réussi. Il est mort ici, dans ce village à moitié dévasté. C'est sûrement à cause de ça qu'il veille actuellement sur le village qui s'est construit dessus.
Le cavalier hocha la tête.
‑ Il est gentil, en fait ! Tu t'appelles comment ? Moi c'est Romi.
‑ Charles.
‑ Charles, sais-tu comment marche le monde des esprits ? Veux-tu me prêter ton nom et protéger ce village sans montrer ta présence ?
Raphaël expliqua, cahin-caha, ce que Romi voulait dire en latin. A son grand étonnement, le cavalier accepta. Il était un peu perdu et n'avait pas grand-chose à faire. Et puis, il avait trouvé des personnes à qui parler, ça faisait du bien après être resté seul à ruminer pendant plusieurs siècles.
‑ C'est une bonne chose de faite ! s'exclama Romi en frappant dans ses mains.
‑ Je veux mon lit..., fit Raphaël.
‑ Je n'ai pas compris grand-chose, dit M. Tessier.
‑ Ce n'est pas plus mal, parfois il ne vaut mieux pas se frotter à notre monde.
L'archéologue et le couple se séparèrent à leur voiture. Une fois l'homme partit, Romi se retourna, le cavalier les avait suivis jusque sur la route.
‑ Tu veux venir avec nous ?
‑ Je peux venir ici ?
‑ Tu pourras revenir ici quand tu veux, tu es libre de faire ce que tu veux tant que tu ne nuis pas aux humains.
Charles hocha la tête. Romi sortie une carte vierge et après la formule d'usage, le cavalier entra à l'intérieur.
‑ Je suis contente d'avoir fait cette rencontre.
‑ Je serais content quand je serai dans mon lit.
‑ Tu pourras dormir dans la voiture.
‑ Et rêver du chèque qui arrivera d'ici deux-trois jours sur mon bureau.
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