La maison
‑ Raph, nous avons un problème.
‑ Pas qu'un mais dis toujours.
‑ Il nous manque un employé.
Le jeune homme hocha la tête. Lui aussi venait de prendre connaissance du mail plaintif qu'un client leur avait envoyé. Le couple se targuait d'ouvrir leur agence du lundi au samedi de huit heures à dix-huit heures et pourtant, lorsque ce client était venu, il était tombé sur un panneau à l'entrée qui disait qu'ils étaient fermés pour l'après-midi. Après la route qu'il avait faite, c'était inacceptable !
Romi et Raphaël comprenaient bien, c'est pour cela qu'ils avertissaient tout le temps sur leur site de leurs jours d'absence, mais ça ne suffisait pas. La jeune femme était la seule qui pouvait régler les histoires avec les esprits et son copain refusait d'être laissé de côté et de se cantonner à un boulot de secrétaire, ils l'avaient ouverte à deux, cette agence.
‑ Si seulement Tanael n'était pas un mineur.
‑ On peut toujours le prendre comme stagiaire.
‑ On peut, mais il reste un mineur, on ne doit pas le laisser seul ou l'exposer au danger, alors ça revient au même.
Les deux jeunes gens soupirèrent à l'unisson, la porte d'entrée tinta.
‑ Bienvenue !
Un homme d'une trentaine d'années bien habillé s'assit au bureau en face de Raphaël.
‑ Qu'est-ce qui vous amène ici ? Quel est votre problème ?
‑ Eh bien, ma femme est tombée enceinte il y a quelque temps alors on a décidé d'avancer notre projet d'achat d'une maison plus spacieuse. On a emménagé il y a quelques mois et avons fait des travaux dans la foulée. Au début tout allait bien et puis dernièrement, c'est comme si notre maison était hantée, enfin je n'aime pas ce mot, mais vous voyez ce que je veux dire. Des objets se déplacent, des murs tremblent, les portes claques et on entend même dans la nuit une personne monter ou descendre l'escalier. Ma femme a du mal à dormir en ce moment et avec tout ce stress, ce n'est pas bon ni pour elle, ni pour le petit.
‑ Effectivement, on entre totalement dans notre domaine de compétence. On passe vous voir demain dans l'après-midi, ça vous va ?
Ils parlèrent prix et l'homme s'en alla.
‑ Ça risque d'être intéressant, fit Raphaël.
‑ A mon avis, ce n'est qu'un esprit qui veut déloger les humains de chez lui.
Quelques minutes plus tard, la porte d'entrée s'ouvrit de nouveau.
‑ Bien... venue...
Raphaël écarquilla les yeux. Une espèce de crapaud de la taille d'un enfant venait d'entrer dans l'agence. Il portait de longs cheveux noirs et marchait sur deux très longues pattes. Il s'assit, accroupit, sur la chaise en face de Raphaël.
‑ Qu'est-ce qui t'amène ici ? demanda-t-il, plutôt curieux.
‑ Voyez-vous, des humains ont emménagé dans ma maison. Non pas que ça me dérange, j'aime les humains, mais cela fait des années que j'y habite et tout a toujours été plus ou moins tranquille, alors avec tous ces travaux et quand j'ai su que l'humaine attendait un enfant, j'ai un peu paniqué. Les cris, les pleurs, tout ça... c'est pas mon truc. J'ai donc tenté de les faire partir. Je sais que l'humain est venu ici, cela fait plusieurs jours que je le suis depuis que je l'ai entendu parler de cet endroit. On dit du bien de vous dans le monde des esprits, les rumeurs circulent et... enfin, j'ai cru que vous me comprendriez.
‑ On va essayer de t'aider, répondit Romi.
L'esprit s'en alla.
‑ Alors ça, fit Raphaël, c'est original.
Il regarda Romi qui fixait le sol. Aki tira sur sa pipe et lança :
‑ Choisir l'humain ou l'esprit, c'est compliqué pour toi, n'est-ce pas ?
‑ Je ne peux pas virer l'esprit, ce serait injuste, il était là avant. Je ne peux pas non plus aller à l'encontre de l'Homme.
‑ On verra demain, dit simplement Raphaël.
Le lendemain, ils se rendirent donc chez M.Verron. Il habitait dans une maison moderne, ou plutôt retapée pour être moderne. Le salon était grand, la cuisine ouverte et dotée d'un bar et l'escalier était en bois clair. Lorsqu'elle mit un pied à l'intérieur, Romi n'eut pas besoin de Yuilhan pour sentir la présence de l'esprit qui était venu les voir la veille. Il n'était pas très puissant et pourtant, il emplissait entièrement la maison.
En jetant un coup d'œil à Raphaël, la fille se rendit compte qu'il n'avait rien remarqué, c'était parfait, il fallait jouer le jeu. Romi fit le tour du rez-de-chaussez et s'arrêta, au bout de quelques minutes, dans la cuisine qui donnait directement sur la salle à manger.
‑ Bon, ça ne sert à rien de continuer plus longtemps, il y a un esprit dans cette maison, je le sens, et vous vous en êtes rendu compte bien avant moi.
Du coin de l'œil, la fille remarqua l'espèce de grenouille aux longues pattes accrochées à un lustre.
‑ La maison est même totalement imprégnée de cet esprit. Je peux faire quelques recherches si vous le souhaitez mais j'ai bien l'impression que l'un ne va pas sans l'autre.
‑ Qu'est-ce que ça implique ? demanda M.Verron.
‑ Dans ce genre de cas, habituellement, je propose de débarrasser l'esprit des lieux. Mais cette fois-ci, j'ai bien peur que la maison parte avec.
Raphaël haussa les sourcils et Romi s'empêcha de justesse de sourire, si lui y croyait, ça voulait dire que le mensonge était bien passé. A ceci près que la fille n'avait pas totalement menti, elle avait déjà lu dans les carnets de sa grand-mère des cas où l'esprit était indissociable du lieu qu'il habitait voir même que le bâtiment ou l'objet était un esprit à part entière. Ce n'était pas le cas cette fois-ci, même si la grenouille avait une présence énorme dans cette demeure.
‑ Alors qu'est-ce qu'il faut faire ? demanda la femme enceinte.
Romi pinça les lèvres.
‑ C'est une bonne question ! Plus précisément, il va me falloir une nuit de réflexion en plus. On pourra ensuite potentiellement discuter. En attendant... (elle se tourna vers la grenouille) j'aimerais que l'esprit en question arrête les frayeurs jusqu'à ce que je trouve une solution.
Les deux couples se mirent d'accord et les deux jeunes gens s'en allèrent. Dans la voiture, Raphaël, qui s'étonnait du silence qui régnait dans l'habitacle alors qu'une des chansons préférées de sa copine entamait pour la deuxième fois le refrain, demanda :
‑ A quoi tu penses depuis tout à l'heure ?
‑ Si seulement j'avais la technique pour que les humains puissent voir les esprits ne serait-ce qu'un instant...
‑ Demande à Damien, son frère a déjà utilisé un pentacle similaire, non ?
‑ Déjà fait. Il m'a répondu qu'il ne me l'enseignerait pour rien au monde, que peu de personnes le connaissait et qu'il ne fallait pas qu'il tombe entre les mains de n'importe qui. Je veux bien comprendre, m'enfin, je ne suis pas n'importe qui.
‑ Et les gars qu'on a découvert au théâtre, alors ? Ceux qui attrapaient les esprits pour les montrer à ceux qui ne peuvent pas les voir ?
‑ Apparemment, sur tous ceux qu'ils ont arrêtés, seulement un connaissait la technique, il l'avait appris quand il était ado auprès d'un vieil homme qui l'avait recueilli. Il faut que je trouve autre chose.
En vérité, Romi ne chercha pas très longtemps. Une idée s'était imposée dans son esprit alors qu'ils étaient de retour à l'agence. Elle quitta Raphaël peu de temps avant la fermeture et alla faire un tour chez ses parents. Lorsqu'elle rentra, son copain lui posa des questions mais elle ne répondit pas, elle voulait garder la surprise, d'autant plus qu'elle n'était pas sûre que son idée fonctionnerait.
Le lendemain, ils retournèrent chez le couple Verron. Une fois dans le salon, Romi fouilla son sac et en sortit un masque vénitien en plastique légèrement décoré. Elle annonça avec un grand sourire :
‑ Il n'y a qu'une solution à votre problème, la cohabitation ! Lorsqu'un esprit prend un objet fabriqué et utilisé par les humains celui-ci est toujours visible, ce qui vous donne l'impression que l'objet vole. J'ai ici un masque qu'une fille n'avait donné au collège pour un spectacle et que je n'ai jamais remis depuis. j'ai donc pensé que c'était l'idéal.
Romi traversa le salon et s'approcha de l'esprit qui était toujours accroché à une lampe. Elle lui tendit le masque que la grenouille prit. Le couple écarquilla les yeux.
‑ Et ça, aussi.
Elle sortit de son sac un carnet et un stylo qu'elle donna à l'esprit.
‑ C'est quand même mieux pour communiquer.
Elle se tourna vers le couple.
‑ Cet esprit n'a absolument rien contre les humains, au contraire, je dirais. Que vous soyez là ou non ce n'est pas un problème tant que la maison tient debout. Sa seule inquiétude c'est le bébé que vous allez mettre au monde, c'est pour ça qu'il essayait de vous faire partir. J'aurais une chose à rétorquer.
Romi regarda l'esprit.
‑ Généralement, le temps s'écoule différemment pour les esprits que pour les humains, ils vivent plusieurs siècles. Ce n'est qu'un petit moment à passer pour toi, le bébé ne le restera que quelques années. Et si tu en as envie, tu pourras aider les humains, les nouveaux-nés voient les esprits pendant quelques jours.
Avant de partir, la jeune femme ajouta à l'intention du couple :
‑ Si vous avez un problème avec l'esprit revenez nous voir mais normalement, tout devrait bien se passer.
‑ Hé bien, fit Raphaël une fois dans la voiture, si les chasseurs d'esprits te voyaient...
‑ Tu fais trop confiance aux esprits, Romi, remarqua Aki. Tu n'as pas peur de les laisser seuls dans cette maison ?
‑ J'ai envie de faire confiance à tout le monde. L'esprit n'a rien fait de mal pour l'instant et si c'est le cas dans l'avenir, il aura affaire à moi.
Raphaël jeta un coup d'œil à sa copine avant de reporter son attention sur la route. Il savait qu'elle ne blaguait pas en prononçant cette phrase mais il s'inquiétait tout de même, est-ce qu'à l'avenir, Romi ne ferait pas passer les esprits avant les humains ? Il préféra ne pas y penser tout de suite et se concentra sur ce qu'il était en train de faire, conduire.
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