La bijouterie
« J'ai une grande nouvelle à t'annoncer. »
Raphaël fit la grimace. Il aimait sa sœur, à n'en pas douter, après tout, elle avait énormément fait pour lui et il n'avait jamais eu l'occasion de la remercier. Seulement, cette même sœur avait un défaut que d'aucun pouvait considérer comme une force, elle était impulsive. Le début de cette phrase n'annonçait rien de bon. Il continua de lire le mail que Tiphanie venait de lui envoyer.
« Dans deux semaines, à la rentrée donc, une nouvelle bijouterie dont j'aurais la charge va ouvrir dans la rue piétonne du port. Ce n'est l'affaire que de quelques années puisque, comme tu le sais, je vais succéder à papa et je ne pourrais pas tout faire en même temps. Papa a insisté pour que je me fasse la main et pour que je rencontre du monde dans ce milieu.
C'est là que j'ai pensé à toi. Vois-tu, certaines de mes journées sont plutôt chargées, tu n'es pas sans savoir que je suis devenue l'effigie de la marque et j'assiste aux défilés de mode, alors pour m'aider, j'ai décidé de t'embaucher à mi-temps, je sais que tu as besoin d'argent et que tu es pris par ton agence.
Je t'ai envoyé l'exemple du contrat que j'ai fait rien que pour toi, tu es libre de venir quand tu veux, à l'heure que tu veux tant que tu fais l'ouverture avec nous et que tu fasses un minimum d'heures par semaine. Je n'ai pas besoin de te dire que, même pour du mi-temps, tu seras mieux payé que n'importe quel employé au bout de quelques mois.
Réfléchis à la proposition avant la semaine prochaine, je compte organiser une petite fête. »
Bouche bée, Raphaël fixa l'écran pendant quelques secondes avant de s'enfoncer dans son siège.
‑ Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Romi tout en sirotant son café.
‑ Ma sœur me propose un job. Je serais tranquille et ça nous ferait des économies mais je vais retourner dans ce que je voulais quitter. Je ne crois pas avoir le droit de refuser... lis le mail.
Pendant que Romi lisait, Raphaël envoya à Tiphanie : « Je n'ai pas tant d'expérience que ça, tu sais ». Sa sœur lui répondit presque immédiatement : « Tu accompagnais papa tous les week-ends, contrairement à moi. Tout m'est tombé dessus d'un coup, tu le sais, je m'y étais préparée en faisant les bonnes études mais c'est toi qui es le plus à même de me seconder. »
‑ Accepte ! s'écria Romi, le faisant sursauter. Tu pourras faire comme avec l'entreprise, travailler le matin et venir ici l'après-midi, tu n'es même pas obligé d'y aller tous les jours. Et puis c'est ta sœur, elle sera compréhensive.
‑ Hmm... tu as raison. Je lui répondrais demain, la nuit porte conseil.
Raphaël n'eut pas vraiment besoin de la nuit pour arrêter sa décision, son choix était déjà fait. Le lendemain, il envoya un SMS à Tiphanie pour lui dire qu'il acceptait. Ils se donnèrent rendez-vous plus tard pour en discuter.
La semaine passa et le samedi arriva. Accrochée au bras costumé de Raphaël qui mourait de chaud, Romi avait mis la robe et le collier que lui avait offerts Tiphanie pour son anniversaire, elle n'avait rien de plus habillé que ça.
‑ C'est où, exactement ? demanda la jeune femme.
‑ Ne t'inquiète pas, tu vas le savoir très vite.
Effectivement, loin devant eux, un attroupement s'était formé devant l'une des boutiques de la rue piétonne. Ils s'approchèrent. Tiphanie, flanquée d'un garde du corps, était en train de répondre à des journalistes.
‑ A cause du centre commercial qui a été construit il y a quelque temps au centre-ville, beaucoup de boutiques ferment et font faillites, vous n'avez pas peur que votre bijouterie finisse comme toutes les autres, à mettre la clef sous la porte ?
‑ Ce que vous dites est vrai, nous avons aussi ouvert une boutique de luxe dans le centre commercial. Ici, il y en aura pour toutes les bourses. La saison des touristes est passée et nous comptons faire preuve d'ingéniosité pour attirer les clients.
Tiphanie se tourna vers son frère, une lueur dans les yeux. Raphaël grimaça.
‑ Mais laissez-moi donc vous présenter mon frère, Raphaël. Il travaillera ici avec moi.
Le couple se retrouva devant les journalistes, Romi fit de son mieux pour garder un sourire parfait, elle avait déjà entendu quelque part qu'il ne fallait pas montrer ses dents.
‑ Vous étiez l'héritier de la famille, n'est-ce pas ?
‑ Vous êtes bien renseigné, c'est exact.
‑ Pourquoi revenir ici après avoir abandonné votre statut ?
Raphaël eut un rictus. Ce genre de situation ne l'avait absolument pas manqué.
‑ Ma sœur m'a fait une proposition et je suis venu l'aider, c'est tout. Si vous voulez voir la fratrie en action, revenez un matin, quand la bijouterie sera ouverte, nous vous y accueillerons avec plaisir. A présent, veuillez nous excuser, nous sommes pris par la demoiselle ici présente.
Il se tourna et entra dans la bijouterie, deux femmes accrochées à ses bras.
‑ Le sauveur, fit Tiphanie une fois la porte refermée.
Tous les invités se tournèrent vers eux, il y avait les employés, évidemment, mais aussi des artisans, des joailliers, des vendeurs et des collaborateurs. Cela faisait beaucoup de monde pour une si petite boutique. L'oiseau de Victor se vit dans l'obligation de rester au plafond, Romi en sourit.
‑ Pour toutes les bourses, répéta Raphaël. Quel mensonge.
‑ Tu exagères. Ici il y en aura pour tous les prix, pas besoin de claquer trois fois le salaire minimum dans un bracelet, avec un tout petit peu d'économie, n'importe qui pourra s'acheter un bijou pour un anniversaire, Noël ou je ne sais quoi.
Tous les invités étaient maintenant présents. Certains vinrent saluer Raphaël, Tiphanie, elle, alla porter un toast. Le jeune homme glissa à l'oreille de Romi :
‑ Je suis là pour le coup de com', ça le fait de dire qu'un frère et une sœur vont travailler main dans la main, ça va attirer quelques clients mais peut-être que ça va en rebuter d'autres. Tu vas voir qu'elle va m'appeler dans un instant.
Raphaël eut raison, Tiphanie l'invita à la rejoindre pour dire quelques mots. Le discours se termina. Ils passèrent de longues minutes à discuter, un verre de champagne dans une main, des petits fours dans l'autre. Quelques bijoux étaient déjà installés dans les vitrines pour attirer les collaborateurs, Romi en fit le tour pour s'occuper.
‑ Je pensais vraiment que c'était plus cher que ça, fit-elle à Raphaël. Dans la boutique où Tiphanie m'avait emmené pour le collier, ce n'était pas les mêmes prix.
‑ C'est normal, il y a trop de monde pour sortir les pièces les plus coûteuses. Et puis... tient, je ne t'ai jamais raconté l'histoire de la marque.
La jeune femme fixa son copain.
‑ Vas-y, je suis tout ouïe, c'est pas comme s'il y avait autre chose à faire.
Raphaël sourit et commença un récit qu'il connaissait par cœur pour l'avoir entendu de nombreuses fois :
‑ C'est mon arrière-grand-mère qui a ouvert la première boutique à l'entre-deux-guerres, elle faisait ses propres bijoux, elle avait besoin de s'occuper et avec tout ce qu'il se passait, les femmes étaient plutôt demandeuses dans le quartier. Elle a commencé à les vendre à ses voisins, puis en ville. Ma grand-mère a très vite pris le relais, elle a pu embaucher quelques personnes dont des artisans. Quand mon père était gamin, il en était fier, il aimait passer tout son temps à la boutique mais il s'ennuyait, ce n'était pas son truc de fabriquer des bijoux. Un jour, en passant devant la devanture d'un magasin, il a vu des créations magnifiques. Ça brillait de partout. Il a alors mis toutes ses économies dans l'achat de joyaux. Ma grand-mère lui a réservé une place dans sa boutique même s'ils n'étaient pas nombreux à croire que ça allait se vendre. Et pourtant, à côté des bijoux de tous les jours que fabriquait ma grand-mère, certains achetaient les pièces rares et uniques quatre fois le prix que faisait ma grand-mère habituellement. Mon père a alors ouvert une deuxième boutique, de luxe cette fois-ci, puis une troisième, une quatrième... mais il n'a jamais oublié la boutique d'origine, alors de temps en temps, il en ouvre une comme celle-ci où n'importe qui peut venir.
‑ Même si parfois, l'homme qui garde toujours l'entrée rebute les gens, lança Tiphanie qui venait de les rejoindre.
‑ Tu tombes bien, nous allions partir.
‑ Déjà ?
Tiphanie passa son bras autour du cou de son frère et l'emmena à l'écart.
‑ Dis-moi, avec Romi, ça fait longtemps que vous habitez ensemble et sûrement un an que vous êtes en couple.
‑ Non, beaucoup moins.
‑ Si tu veux, je te donne une bague pour lui offrir.
Raphaël repoussa sa sœur.
‑ Quoi ?! Qu'est-ce que tu racontes ?
‑ Tu ne comptes pas la demander en mariage ?
‑ Si ! Enfin... pas maintenant. C'est beaucoup trop tôt ! Tu devrais plutôt penser à toi.
Tiphanie soupira.
‑ Je ne crois plus au prince charmant, tu sais.
‑ Tout le monde peut trouver quelqu'un, j'ai un... disons un ami difficile à approcher, il ne sourit jamais, parle très peu de lui et il est très sérieux. Apparemment, sa relation avec la fille qu'il a rencontrée se passe bien, il doit avoir un an de plus que toi, alors tu vois.
La jeune femme leva les yeux au ciel.
‑ Depuis quand mon frère est aussi chiant ?
‑ Depuis toujours, pourquoi ?
Tiphanie lui enfonça son talon dans le pied. Raphaël commença à regretter de travailler pour elle.
Après avoir salué tout le monde, ils sortirent par la porte de derrière pour éviter les quelques journalistes qui attendaient toujours devant. Une fois dans la voiture, le jeune homme lança :
‑ Ai-je fais le bon choix ?
‑ Mais évidemment que oui ! On n'aura plus de soucis à se faire de ce côté-là. Tu vas te débrouiller comme un chef.
Raphaël la regarda et sourit.
‑ Oui, tu as raison. Je t'aime.
‑ Qu'est-ce qui te prend, tout à coup ?
Le jeune homme démarra la voiture.
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