L'enlèvement
Un sac de course en main, Romi parcourait les rayons de la supérette en espérant sincèrement n'avoir rien oublié. Certes, elle marquait toujours sur une feuille ou sur son portable ce dont ils avaient besoin, mais comme par magie, il manquait souvent quelque chose dans le frigo. Même après cinq ans à vivre seuls dans cette maison, ils avaient encore du mal à s'organiser correctement.
C'était la fin de la journée et la jeune femme était bien contente de ne pas avoir beaucoup d'articles à acheter. Elle passa à la caisse et alla mettre son sac de course dans sa petite voiture. C'est en refermant le coffre qu'elle remarqua que quelque chose n'allait pas.
Elle était seule sur le parking et à cette heure-ci, ce n'était pas normal. Pire, les voitures avaient beau circuler, les passants discuter et les oiseaux chanter, elle n'entendait rien, comme si elle se trouvait dans une bulle et que seul le son de ses gestes parvenait à ses oreilles. Elle fit un pas en arrière, le cœur battant.
Elle aperçut du mouvement à côté d'elle mais n'eut pas le temps de réagir. Une forme transparente bleue fondit sur elle. Romi perdit conscience.
Assis au bureau de l'agence, Raphaël s'étira. Voilà déjà deux mois que Najya avait accepté de travailler pour eux et ils n'avaient fait appel que très peu à ses services, le jeune homme se sentait un peu coupable. Il se leva de sa chaise et ferma l'agence pour la soirée.
De retour à la maison, il remarqua que la voiture de Romi n'était toujours pas là. Il ne s'en étonna pas vraiment, c'était dans son habitude de prendre son temps. Il ouvrit la porte et tomba nez à nez avec Yui qui ne le quittait que rarement lorsque sa copine n'était pas avec lui.
- Il y a quelque chose qui cloche, dit-il. J'ai une sensation inhabituelle à propos de Romi.
Raphaël passa à côté du renard.
- Elle doit avoir rencontré un esprit sur sa route.
- Non, si c'était le cas je ne le sentirais pas, sauf si elle était en danger.
- Attendons un peu, je suis fatigué, Yui, laisse-moi me reposer cinq minutes.
Le renard fixa durement Raphaël. Romi lui avait donné un ordre, veiller sur lui, et il ne pouvait s'y dérober sous peine de subir la colère de sa maîtresse.
Lorsque Romi reprit ses esprits, elle était attachée à une chaise. En vérité, elle savait qu'elle n'avait pas vraiment perdu conscience, elle était trop réveillée pour ça. Elle venait plutôt de se faire posséder et c'était différent d'avec K. En cherchant bien, elle pouvait même se souvenir de son trajet jusqu'ici, comme dans un rêve.
Elle se trouvait dans une cuisine en bazar, une lumière jaune éclairait l'endroit et les meubles étaient tous de couleur foncée. Non loin d'elle, des hommes parlaient.
- C'est la première fois que je vois un esprit aussi fatigué que toi.
- Tu ne peux pas tous les voir et moi à peine, alors ne parles pas sans savoir.
- La ferme !
- Tu n'es pas mon maître, ne me cherches pas !
- Leni, arrête ! fit une autre personne. Raconte-nous.
- Je ne peux pas la posséder normalement, elle s'est protégée, elle est puissante et son esprit semble déjà... appartenir à un autre que moi, on va dire.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Je ne peux pas vous expliquer plus clairement, c'est surtout une sensation. En tout cas, ne comptez pas sur moi pour la posséder de nouveau, je ne pourrais pas tenir plus d'une heure.
- Ça tombe bien, ce n'est pas ce qu'on veut. Je vais en fumer une, je reviens.
- Je t'accompagne.
Romi entendit du mouvement puis une porte se fermer. Par réflexe, elle bougea ses mains mais ses poignets étaient bien liés entre eux et ses chevilles bien attachées aux pieds de la chaise.
- Je ne leur ai pas dit.
La jeune femme sursauta. Leni, l'esprit qui l'avait possédé, venait de lui parler à l'oreille. Il était de couleur bleu clair, presque transparent, il avait deux longs bras ballants. Son corps, presque aussi grand que ses bras, se terminait en pointe, à la manière d'un fantôme de dessin animé, sa tête était allongée et deux bosses sortaient de son crâne tel un bonnet d'âne.
- Pas dit quoi ?
- Ta grand-mère, Madeleine, elle me dit quelque chose. Elle était maligne, puissante, intelligente... Enfin, je ne pense pas que ces bons à rien la connaissent.
- Tu aimes ton maître, à ce que je vois.
L'esprit sourit. Les hommes n'avaient pas menti, il semblait vidé de toute énergie. Il pointa un endroit du doigt.
- Tes contrats sont là-bas.
Romi regarda dans la direction indiquée. Sur un tabouret à côté d'un four était posée sa sacoche, trop loin pour qu'elle ne puisse l'atteindre.
- Pourquoi tu me le dis ?
- Tu l'aurais sûrement remarqué. Je sais ce qu'ils veulent, si tu t'allies à eux, ils réussiront, sans aucun doute. Tu vois, je n'ai pas envie de mourir, c'est pour ça que j'ai accepté leur contrat. Maintenant que je t'ai rencontré, je doute, tu pourrais aisément courir à la perte des esprits. Peut-être que j'exagère, mais s'il y a bien une chose dont je suis sûr, c'est que je préfère ne pas t'avoir comme ennemi. Fais-les marcher, débrouille-toi comme tu veux, mais n'accepte rien de leur part. Ils ne vont pas tarder à revenir, je te laisse.
L'esprit s'en alla, laissant Romi avec encore plus de questions. Elle fixa sa sacoche et essaya de se concentrer, si certains arrivaient à appeler leurs esprits par la pensée, pourquoi pas elle ? Après tout, elle l'avait déjà fait, même si ce n'était pas dans le même lieu.
Raphaël devenait de plus en plus nerveux. Il n'arrivait plus du tout à se concentrer sur le livre qu'il avait décidé de lire en attendant Romi. Il claqua la couverture et se leva. Le soleil commençait à se cacher.
- Yui, tu as raison. Je prends la moto, tu me suis ?
Le renard blanc sauta immédiatement sur ses pattes, prêt à chercher sa maîtresse. Raphaël se rendit tout de suite à l'endroit où sa copine avait l'habitude de faire les courses. Il se gara non loin de la voiture de Romi, entra dans la supérette mais ne la trouva pas. Quand il émit l'idée de la chercher dans d'autres magasins du quartier, Yuilhan répliqua que cela ne servirait à rien, il ne la sentait nulle part ailleurs.
- Je la perds sur le parking.
- Tu ne peux pas te téléporter sur elle ?
Il secoua la tête.
- Elle ne doit pas avoir ses contrats, je ne la perçois pas comme d'habitude.
- Ça, ce n'est pas normal. Qu'est-ce que je fais ? Tu crois que j'avertis Valens ?
Le renard mit sa tête face au vent.
- Je ne sais pas, ça me semble être juste mais je ne les aime pas. Si seulement Aki était là...
Aki était encore pris avec son araignée et Romi avait beau se concentrer, elle n'arrivait pas à appeler un seul de ses esprits.
- C'est bon ? Tu es réveillé ?
La jeune femme sursauta une nouvelle fois, elle était tellement concentrée qu'elle n'avait pas entendu les hommes entrer. Ils étaient deux, comme elle l'avait deviné.
- Pourquoi je suis là ? Qu'est-ce que vous me voulez ?
- Tu connais Erick Vidal, pas vrai ?
Bien sûr que Romi le connaissait, comment aurait-elle pu oublier l'homme qui les avait ligotés, elle, Raphaël et les classeurs d'esprits, à côté d'une porte donnant sur le monde des esprits qu'il voulait détruire pour qu'il n'y ait plus aucun esprit sur terre ? Romi souffla. Les paroles de Leni étaient plus claires à présent.
- OK... vous êtes ses sbires, c'est ça ? En tout cas, vous avez les mêmes méthodes de persuasion...
La claque partie tellement vite que la jeune femme ne la vit pas venir. Le deuxième homme poussa celui qui venait de la frapper.
- T'as décidé de jouer au con ? On n'est pas là pour ça !
L'homme croisa les bras.
- Je veux juste qu'on en finisse avant que les autres débarquent !
- Bravo ! Bonne méthode, vraiment !
Romi bougea sa mâchoire, sa joue la brûlait. Celui qui ne l'avait pas frappé se tourna vers elle.
- Puisque tu connais Erick, ça va nous faciliter les choses. Tu sais ce qu'on veut et tu sais qu'on aimerait bien t'avoir dans nos rangs.
- J'ai déjà refusé une fois, ce n'est pas maintenant que je vais accepter. Je vous comprends mais vous n'utilisez pas le bon procédé.
- Alors quoi, hein ? s'énerva l'homme à la claque. Si tu as une autre solution, dis-la nous ! On est tout ouïe !
- La ferme, bordel ! Bon...
L'homme se pencha sur elle.
- On savait que tu allais refuser. Demain, on t'emmène ailleurs. En attendant...
Il lui attrapa le menton et la fit respirer dans un masque rattaché à une bonbonne.
- Qu'est-ce que c'est ? Du gaz ? demanda-t-elle une fois qu'on lui eut retiré le masque.
- Évidemment, quoi d'autre ? Les autres ne vont pas tarder, allons au salon.
Romi ne tarda pas à se sentir mal, sa tête se mit à tourner et son champ de vision à se réduire. Elle tomba très vite dans un état de semi-conscience où le temps n'avait plus aucune signification. Elle entendit une porte s'ouvrir plusieurs fois, des exclamations, des voix, beaucoup de voix, qui lui semblaient à la fois lointaine et très proche, pas mal de va-et-vient, aussi. On passa à côté d'elle, des rires fusaient, les voix des femmes surplombants celles des hommes. L'une des deux personnes qui l'avaient enlevé lui remit le masque sur le nez.
Romi avait comme une envie de vomir.
Un bruit très fort la tira de cette transe quelques secondes, la porte venait de voler sous l'assaut d'hommes en noir. La jeune femme n'arrivait pas à voir les visages, seulement des jambes. Elle entendit aussi des cris. Deux personnes entrèrent dans la maison après toutes les autres, ils semblaient beaucoup plus calmes. Deux paires de jambes s'approchèrent d'elle et un jeune homme lui souleva le menton.
- Elle est dans le coaltar. Tu l'as détache ?
- C'est bien elle ?
- Oui, je l'ai senti.
Une fois les mains déliées, plus rien ne retenait Romi. Elle bascula sur le côté. Le jeune homme la rattrapa.
- Oula ! Al, porte-la.
Ses pieds furent détachés. Une nouvelle paire de jambes arriva et elle fut soulevée de sa chaise.
- Dans la voiture.
- Ma sacoche..., réussit à dire Romi.
- Je crois que je l'ai. Celle-ci ?
Une jeune femme, plus petite que le jeune homme mais avec les même cheveux et le même visage, entra dans son champ de vision pour lui montrer ses affaires. Romi hocha la tête et ils sortirent de la maison. Il faisait nuit, plusieurs voitures avaient leurs phares allumés et l'air frais rasséréna quelque peu Romi.
- Stan, on rentre, fit la voix du jeune homme.
Il ajouta à l'intention de Romi :
- Tu vas pouvoir dormir.
Romi ne le voulait pas, elle n'avait pas envie de rater quoi que ce soit. Seulement, une fois installée et le véhicule démarré, elle ne put lutter et ses paupières se fermèrent toutes seules.
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