L'église
Tandis que Raphaël réajustait la bride de son sac, Romi reniflait.
‑ On est bientôt arrivé ? se plaignit la fille.
‑ Je ne sais pas.
‑ J'ai mal aux jambes.
‑ Je ne vais pas te porter.
‑ Si seulement...
Le jeune homme se tourna vers elle en haussant les sourcils.
‑ Tu sais que Yui peut le faire ?
Romi s'arrêta net.
‑ J'y avais pas pensé ! Enfin bon, si on croise quelqu'un, il vaut mieux continuer à pied.
Il y avait de cela deux jours, les deux amis avaient reçu un mail de la part du maire d'une commune qui se trouvait assez loin du lieu où ils habitaient. Son histoire était simple, cela faisait des années qu'à minuit pile, le son d'une cloche surgissait d'une église en ruine qui se situait tout en haut d'une falaise. D'après ses dires, le son de cette cloche avait toujours existé, il n'y avait pas une seule fois ou il ne l'avait pas entendu.
Les deux compagnons avaient volontiers accepté de voir ce qu'il se passait et étaient à présent en train de grimper pour rejoindre la falaise. Une fois à son sommet, ils découvrirent que le maire ne leur avait pas menti, pour être en ruine, l'église était en ruine. Seuls l'autel et le mur du fond étaient encore à peu près visibles et la nef reconnaissable. Il n'y avait plus de tour et plus de cloche. Les deux amis en firent vite le tour.
‑ Bon, il n'y a pas de doute, je crois, fit Raphaël. Yui ?
Le renard apparut à côté de lui.
‑ Un esprit habite cette église mais... il y a quelque chose qui m'échappe...
Yuilhan alla renifler l'autel.
‑ J'ai l'impression qu'il est coincé là-dedans.
‑ Coincé ? répéta Romi.
Si le renard avait des épaules, il les aurait haussées.
‑ Plaçons la tente, proposa le garçon, J'aimerais me poser. On verra bien ce qu'il se passera à minuit.
Même en faisant les choses tranquillement, les deux compagnons s'ennuyèrent très vite, c'était l'automne et le soleil se couchait tôt. Ils furent plutôt heureux lorsque minuit arriva, tous les deux campés devant l'église, le cœur battant, ils attendaient que le gong retentisse.
A minuit pile, une scène sans pareille se dévoila devant leurs yeux. Les murs de l'église se dressèrent, la cloche sonna le tocsin et des flammes vinrent lécher la bâtisse. A l'intérieur, ils purent entendre les cris de dizaines d'hommes et de femmes ainsi que des coups frappés contre la porte. C'était insupportable.
Cela ne dura pas plus d'une minute, le silence revint sur la falaise et cette vision d'horreur disparut, laissant place aux ruines et à la nuit que deux lampes torches tentaient de percer. Le premier à parler fut Aki.
‑ Une boucle. L'esprit d'ici est prisonnier dans une boucle. Ce qui vient de se passer était réel, du moins il y a de cela quelques siècles, l'esprit aimait sûrement les humains qui venaient, le choc de l'incendie a fait qu'il ne s'en est jamais remis. Cette scène défile donc inlassablement.
‑ C'est horrible..., fit Romi, les larmes aux yeux.
‑ Qu'est-ce qu'on doit faire ? demanda Raphaël la voix modifiée par l'émotion.
‑ Le libérer.
‑ J'avais compris mais comment ?
‑ Et bien, si même l'effondrement de l'église n'a rien pu faire...
Il jeta un coup d'œil à Romi qui comprit. C'était à elle de trouver.
Ils passèrent une nuit assez courte, ils eurent du mal à s'endormirent et lorsqu'ils se réveillèrent, ils étaient épuisés par leur sommeil agité. La fille n'avait pu s'empêcher de pleurer et s'était finalement endormie très tard dans les bras de son meilleur ami. Au réveil, elle sentit poindre un mal de tête. Ils prirent un café et un bon petit-déjeuner sans trop quitter la tente, le brouillard les entourait et il faisait très froid.
Peu de temps après, ils firent une petite promenade aux alentours pour se dégourdir les jambes. Raphaël parlait de tout et de rien mais il faisait face au mutisme de Romi qui était perdu dans ses pensées. De retour à la tente, la fille se décida à dire d'une petite voix :
‑ Je crois que j'ai une idée.
Le jeune homme sauta sur l'occasion.
‑ Ah oui ?
‑ Tu peux aller m'acheter des fleurs à la ville, en bas ?
‑ Quoi ? Pourquoi ?
‑ Parce que je n'ai pas envie de faire l'aller-retour.
‑ Non, pourquoi des fleurs ?
‑ Pour les offrir sur l'autel. C'est une mauvaise idée ? J'ai pas trouvé mieux.
‑ On ne perd rien. Tu me revaudras ça.
Raphaël redescendit alors de la falaise pendant que Romi, un stylo en main, notait sur un carnet le rituel qu'elle allait faire sous l'œil attentif d'Aki. Lorsque le garçon revint avec en main un bouquet de fleurs légèrement malmené par son expédition, la jeune femme faisait les cent pas devant la tente. A sa vue, elle lui sauta dessus.
‑ Parfait ! Faisons-le.
‑ Quoi, déjà ? Je n'ai même pas le droit à un remerciement ?
Romi l'ignora. Elle souffla et, le bouquet dans ses bras, s'avança dans la nef. Elle se mit à genoux devant l'autel, posa les fleurs dessus et mit ses mains devant elle.
‑ Toi qui habites en ces lieux, viens à moi.
Sans résultat, Romi répéta sa phrase. Après quelques secondes, elle sentit de l'air dans ses cheveux, elle appliqua alors le conseil que Aki lui avait dit et qui était un pari assez risqué si l'esprit n'était pas de leur côté. Elle plaça un pentacle qu'elle avait préalablement dessiné sur l'autel et, tout en gardant un doigt dessus, prononça :
‑ Esprit, je te libère de ta prison.
Elle croisa les doigts, sans le nom de l'esprit, cette technique était plutôt instable. Néanmoins, cela marcha, le papier sous sa main prit feu et un fantôme, dans un cri assourdissant, sortit de force de l'autel et vint flotter au-dessus du bouquet. La fille sourit. Fantôme, c'était le bon mot, l'esprit devant elle avait la couleur et la texture du brouillard, seul un masque carré blanc ou étaient dessinés des yeux et une bouche le rendait réel.
‑ Comment t'appelles-tu ?
‑ Une humaine ? Je suis Seren.
Il fondit sur Romi et s'arrêta à un centimètre de son visage, la fille recula le buste, Raphaël se hâta vers elle.
‑ Toi, qui es-tu ?
‑ Je m'appelle Romi. Tu sais à quelle époque on est ?
L'esprit regarda autour de lui.
‑ Tu n'as plus rien à faire ici, dit Aki, ce qui s'est passé est terminé depuis longtemps, tu n'as plus à t'inquiéter. Tu es libre alors profite.
Seren se dirigea vers l'avant de l'église, les deux amis le suivirent.
‑ C'est étrange, je me sens... hors de mon corps.
Seren virevoltait par-ci par-là, curieux de son nouvel environnement. Il s'arrêta au bord de la falaise et regarda la ville en contrebas, surpris et nostalgique à la fois. Aki se rangea à côté de lui.
‑ Qu'est-ce que tu vas faire, à présent ?
‑ Je ne sais pas. Le tour du monde ? Je crois que j'ai beaucoup de choses à rattraper.
‑ Tu vas être déçu par ce que les gens sont devenus.
‑ Ne l'écoute pas, s'exclama Romi qui préférait ne pas trop s'approcher du bord. A part les idiots qui sont nombreux, ce monde est super.
Le fantôme se tourna vers elle.
‑ Et puis... Tu sais quoi ? Si tu le veux, tu n'as qu'à nous rejoindre, nous sommes une grande famille, tu ne te sentiras plus jamais seul.
Seren regarda Aki qui hocha la tête en souriant.
‑ C'est d'accord, fit l'espèce de fantôme, tu peux prendre mon nom.
Romi courut chercher un bâton et dessina, dans la terre, un pentacle. Au milieu, elle y plaça une carte vierge.
‑ Très bien, Seren, moi, fille des esprits, je te demande d'entrer à mon service, je te promets de te garder libre et de ne jamais te faire de mal.
‑ J'accepte.
L'esprit fut aspiré par la carte, Romi la récupéra.
‑ Seren, moi, fille des esprits, je t'invoque.
L'esprit réapparut devant eux.
‑ Parfait ! lança Romi en rangeant la carte avec les autres.
‑ On peut rentrer, maintenant ? demanda Raphaël. J'en ai un peu marre de cet endroit.
‑ Bien sûr. Je peux récupérer le bouquet ?
Son meilleur ami fit un grand sourire.
‑ Avec joie.
Seren fit le chemin du retour avec eux.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro