Dix ans plus tôt
Depuis sa naissance, Romi voyait les esprits. Ils étaient là, partout autour d'elle, ils pouvaient vivre dans les arbres, les greniers ou dans les terriers et ils pouvaient revêtir différentes formes, humaines ou non. La fille avait très vite compris qu'elle était la seule, exceptée sa grand-mère, à les distinguer.
Les esprits lui avait fait passer une enfance assez difficile, personne ne pouvait la croire quand elle disait qu'il y avait des fées dans son jardin ou un fantôme dans les toilettes de l'école. Lorsqu'elle avait entendu sa tante et quelques adultes parler de psychologues sans chercher à comprendre, Romi avait appris à se taire. Ils avaient alors mis ça sur le compte de son imagination de petite fille.
Elle ne savait pas ce qu'elle aurait pu devenir si sa grand-mère n'avait pas été là. Si cette dernière n'avait pas également eu la capacité de voir les esprits et si son meilleur ami, Raphaël, ne l'avait pas cru, elle se serait sûrement renfermée sur elle-même tout en se convainquant qu'elle devenait folle.
Seulement, sa grand-mère, sa confidente, n'était plus de ce monde depuis peu. Elle était seule. Raphaël n'avait que douze ans, que son amie puisse voir ou non les esprits n'était pas sa préoccupation première.
Un soir, pendant le dîner, les parents de Romi parlaient de la maison de sa grand-mère. Au bout de quelques minutes, son père sortit :
‑ Si ton frère n'en veut pas, il va falloir la vendre.
Romi pinça les lèvres, sa mère soupira. Elles avaient toutes les deux beaucoup de souvenir dans cette maison, mais si l'une ne voyait que ça, l'autre regardait le côté pratique et économique.
‑ Il va falloir débarrasser les lieux.
‑ Quoi ?! s'écria Romi.
‑ On ne peut pas garder la maison si personne n'y habite, fit son père, ça revient à trop cher, surtout qu'il va peut-être falloir faire des travaux si on veut la revendre.
La fille fit la moue. Cette conversation était beaucoup trop sérieuse pour elle. Si ce n'était qu'une question d'argent, il suffisait simplement...
‑ ... que j'en gagne !
Romi serra le poing en regardant le ciel. Assis à côté d'elle, Raphaël dirigea lentement ses yeux dans sa direction.
‑ Ça ne doit pas être compliqué, ajouta-t-elle, avec internet, on a tout.
Raphaël plissa les yeux.
‑ De l'argent, j'en ai.
Romi regarda son ami, sa famille était aisée et ce n'était un secret pour personne.
‑ Je sais. Mais ça m'aide pas, tu vois.
‑ Je veux dire par là que je peux payer.
‑ Tes parents le peuvent.
‑ J'ai mon propre argent !
‑ C'est celui de tes parents.
‑ Ils me l'ont donné, alors j'en fais ce que je veux.
La fille regarda Raphaël avec espoir et lâcha d'une petite voix :
‑ Ils ne voudront jamais.
‑ Bien sûr qu'ils ne voudront pas.
Un ange passa.
‑ On y va ce week-end.
‑ J'essayerais de faire quelque chose pour toi.
‑ T'es trop sympa.
‑ Oui, beaucoup trop.
La sonnerie de début de cours retentit.
Samedi, très tôt dans l'après-midi, alors que Romi aurait largement préféré rester à la maison et jouer à son jeu vidéo, la voilà qui était en train de ranger des verres dans un carton le plus soigneusement possible. Ses parents étaient là ainsi que son oncle, sa tante, son cousin et sa cousine. A chaque fois qu'un placard était vidé, un pincement au cœur survenait. C'était encore beaucoup trop tôt pour elle, et pour sa mère également qui s'était isolée avec son père dans sa chambre de jeune fille.
Vers seize heures, au moment de la pause, Romi ne put s'empêcher de regarder son téléphone, Raphaël ne se manifestait pas. Alors c'était comme ça qu'il comptait l'aider ? Sa mère s'approcha d'elle et posa une enveloppe à son nom devant ses yeux.
‑ Je l'ai trouvé dans le tiroir de sa table de nuit, à mon avis, ça fait un moment qu'elle y est.
La fille s'empressa de l'ouvrir. A l'intérieur, la lettre n'était pas longue, elle était truffée de mots gentils et rassurants qui faillirent la faire pleurer. Mais ce qui l'intriguait le plus, c'était la petite clef que sa grand-mère avait glissée dans l'enveloppe ainsi que ces phrases de fin : « Je t'ai laissé quelque chose dans le grenier, il s'agit d'un coffre, tu le trouveras facilement. Tous les bibelots qui s'y trouvent te reviennent de droit, ne laisse personne d'autre se servir, tu comprendras vite pourquoi. »
‑ Vas-y, lui dit son père qui avait lu par-dessus son épaule.
Romi n'était que très peu allée au grenier, ce n'était pas spécialement un endroit qui l'attirait, elle se souvenait surtout d'un lieu sombre et rempli d'araignées. C'est donc avec un peu d'appréhension qu'elle en ouvrit la porte. Une fois la lumière allumée, l'endroit lui parut moins sinistre et plus petit que dans ses souvenirs.
La fille regarda autour d'elle. Sa grand-mère n'avait pas menti, le coffre était facile à trouver, il avait été placé dans un coin près de la porte. Romi s'agenouilla doucement et ôta les clips qui retenaient le couvercle fermé, curieuse de voir ce qu'elle allait y découvrir. Le coffre n'était pas plein, il y avait plusieurs objets, des feuilles recouvertes de runes et de langages différents et des cahiers de tous types.
Plusieurs carnets à couverture marron lui firent de l'œil, elle en retourna un et remarqua qu'une étiquette y était collée. Il était marqué : « Informations esprits. » Romi écarquilla les yeux et l'ouvrit. Sur chaque page était noté un nom et en-dessous toutes les caractéristiques qui se rapportaient à l'esprit en question, elles tenaient parfois en une phrase, d'autres en plusieurs paragraphes mais la fille sentait que derrière chaque mot les sentiments de sa grand-mère perçaient.
Elle referma le carnet.
‑ Mais alors... ça veut dire que...
Tout ce qu'il y avait dans ce coffre était relatif aux esprits !
Romi se mit à fouiller mais elle n'avait aucune idée de ce à quoi tous ces objets servaient. Elle tomba au final sur un faux livre avec une serrure au milieu, elle allait utiliser la clef qu'elle avait trouvée dans l'enveloppe lorsqu'elle entendit quelqu'un monter l'escalier. Elle remit tout en place et ferma le coffre au moment où sa mère se montra à la porte.
‑ Tu as trouvé ?
‑ Oui.
‑ Qu'est-ce que c'est ?
‑ Des... objets de collection. On le ramène à la maison ?
Ils eurent du mal mais ils y parvinrent.
Le soir, une fois seule dans sa chambre, Romi s'intéressa de nouveau au contenu du coffre et plus précisément au faux livre qu'elle avait découvert. Elle y inséra la clef, ouvrit le coffret et y trouva plusieurs paquets de cartes à jouer dont un qui était vierge. Elle en prit quelques-unes pour les observer. Comme avec les carnets, il y avait le nom d'un esprit en plus d'un dessin, souvent grossier, certaines étaient marquées d'une croix rouge. Elle prit également les quelques feuilles que sa grand-mère avait calées au fond de la boîte.
En les dépliants, elle remarqua qu'il s'agissait d'instruction quant à l'utilisation des objets qui se trouvaient dans le coffre. Romi lut le tout en diagonale, se promettant de se pencher dessus plus tard. Ce qui l'intéressa surtout, ce fut la dernière partie : « Si tu as trouvé ce mot ça veut dire que tu as vu les cartes qui allaient avec. Chacune d'elles contient un esprit, dangereux ou non, si tu veux plus de détails, invoque Aki. Pour cela... »
Romi se dépêcha de finir de lire et fouilla dans les cartes pour trouver celle d'Aki. La photo représentait un espèce de raton laveur, une pipe en main et qui semblait flotter au-dessus du sol. La fille souffla, mit la carte devant elle et prononça :
‑ Aki, moi, fille des esprits, je t'invoque.
La carte se troubla un instant et le raton laveur apparut devant elle, sur son lit. Il y eut un moment de flottement puis l'animal fini par dire :
‑ Qui es-tu ? Un voleur ? Je ne suis pas chez Madeleine...
‑ C'était ma grand-mère.
‑ C'était... ? Ah, je vois.
Il fit un sourire triste, tira sur sa pipe et continua :
‑ Nous le pressentions, son énergie vacillait, ça fait très longtemps qu'elle ne nous avait pas appelé. Comment t'appelles-tu ?
‑ Romi.
‑ Madeleine nous avait parlé de toi, elle t'a donc donné ses affaires. Que comptes-tu faire ?
La fille regarda autour d'elle et haussa les sourcils.
‑ Je... ne sais pas.
‑ Tu peux faire ce que tu veux, nous libérer, nous emprisonner, nous utiliser... en tout cas, sache que nous t'obéirons tous tant que tu nous auras sous ton contrôle. Évite juste de toucher aux cartes qui ont une croix rouge, on ne sait jamais.
‑ Pourquoi ?
‑ Madeleine a emprisonné à l'intérieur les esprits qui étaient dangereux pour les êtres humains. Si tu veux, tu peux les brûler, les déchiqueter ou je ne sais quoi. Si la carte est détruite nous mourrons définitivement. Quant à nous autres, nous sommes là parce que nous le voulons.
‑ Tu veux dire que tu as été emprisonné volontairement ?
‑ Oui et non, nous sommes libres.
‑ C'est compliqué.
‑ Je ne vois pas en quoi. Au fait, tiens, je pense qu'elle te revient.
Le raton laveur claqua ce qui lui servait de doigt et tendit un anneau argenté à Romi.
‑ Euh... merci.
‑ C'était la bague de ton grand-père, les esprits l'avaient donnés à Madeleine pour qu'il puisse également nous voir. Ne la perd pas, c'est un objet rare.
La fille la mit dans le coffret avec les cartes. Il y eut un silence puis la fille bafouilla :
‑ Et maintenant ?
L'esprit tira sur sa pipe.
‑ Prends ton temps pour réfléchir, nous vivons plusieurs siècles, ce n'est pas quelques mois ou quelques années de plus qui vont nous faire quelque chose, à part alimenter notre ennui.
Suivant ce que lui demanda le raton laveur et selon ses instructions, la fille rappela Aki. Le calme revint dans la chambre, Romi regarda autour d'elle et prit son portable, il fallait absolument que Raphaël voit ça ! Elle passa la soirée à lire les carnets de sa grand-mère, elle tria également les cartes normales de celles qui avaient une croix rouge et elle les enferma dans le coffret en forme de livre à double tour.
Le lendemain après-midi, les parents de Raphaël emmenèrent leur fils à la maison de Romi. Celle-ci le conduisit directement dans sa chambre et ferma la porte à clef derrière lui.
‑ J'ai une bonne nouvelle, fit son meilleur ami avant même que la fille puisse placer un seul mot.
Romi attendit qu'il continue.
‑ J'ai réussi à convaincre mes parents pour la maison de ta grand-mère. Je ne recevrais plus d'argent de poche, ou plutôt, cet argent ira directement sur la maison. Comme c'est moi qui vais payer, je t'impose une condition.
‑ Encore heureux, fit Aki que Romi avait invoqué avant que le garçon n'arrive. C'est une sacrée belle fleur qu'il te fait là.
‑ Qu'à nos dix-huit ans, ou un peu plus tard, on y habite tous les deux ensemble. Mes parents sont en train de discuter avec les tiens. Alors ?
La fille sauta au cou de Raphaël.
‑ Tu l'as vraiment fait ?
‑ Je te l'avais dit. Les mères ne peuvent rien refuser à leurs enfants. Enfin, là, c'est surtout mon père qui a vu je ne sais quoi de bénéfique. J'ai pas tout compris.
‑ Tu n'es pourtant pas fils unique.
‑ Ça n'a rien à voir.
Romi se détacha de lui, elle alla prendre quelque chose sur son bureau et revint se planter devant son ami.
‑ A mon tour. Tu vas être surpris.
Elle mit un bras dans son dos, l'autre tendu devant elle et s'inclina légèrement.
‑ Très cher, voulez-vous... ?
Elle ouvrit son poing pour découvrir l'objet qu'elle tenait.
‑ Une bague ?
‑ Passe-la à ton doigt.
Raphaël s'exécuta. Lorsqu'il releva la tête, il eut effectivement une surprise de taille. Il écarquilla les yeux.
‑ Il y a un raton laveur sur ton lit !
Aki recracha sa fumée.
‑ Je suis un tanuki ! Ne t'avises plus jamais de me confondre, jeune homme !
‑ Il parle...
‑ Tu peux le voir ? C'est un esprit. Je suis tellement contente !
‑ Ça ressemble donc à ça... ?
‑ Hé oh ! Je suis là je te rappelle ! s'exclama Aki. En attendant, je trouve que c'est un beau remerciement de la part de Romi, j'espère qu'aucun de vous deux ne le regrettera...
Romi et Raphaël se regardèrent en souriant.
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