Discussion et sortie
Romi était tranquillement en train de jouer sur sa console à moitié couchée sur le canapé tandis que Raphaël finissait son gratin. Il mit le plat au four, se tourna vers sa copine et s'exclama :
- Qu'est-ce qu'il fait encore là, celui-là !
Romi leva les yeux de son jeu et suivit le doigt de son copain qui pointait Jack, l'esprit vampire, assis en face de la jeune femme. Romi haussa les épaules.
- Il ne m'a pas demandé de le renvoyer et sa présence ne me dérange pas.
La télévision était allumée sur les informations en continu. Romi ne les regardait jamais, alors pour rester informé, Raphaël laissait l'écran tourner en fond lorsqu'il faisait le ménage, ou comme ici la cuisine. Un fait divers attira leur attention, une journaliste annonçait le suicide d'une fille de douze ans dans un collège.
- Elle voyait les esprits, annonça Romi.
- Comment tu sais ça ?
- Ils l'ont mis sur le site des chasseurs.
- Alors ils le savaient ? Et ils n'ont rien fait pour l'aider ?
- Ils ont peut-être essayé. Elle était jeune, elle était peut-être perdue, ses parents étaient peut-être trop derrière elle pour laisser des inconnus l'approcher... il y a un tas de raisons.
Une voiture se fit entendre dans la cour. Raphaël regarda par la fenêtre de la cuisine et Romi posa sa console, étonnée.
- C'est la voiture de mon père ! s'exclama le jeune homme. Qu'est-ce qu'il fait là ? Il est peut-être venu trois fois. Est-ce que par hasard... ?
Il ne termina pas sa phrase mais sa présence ici était sûrement due à ce qu'il s'était passé sur le bateau. Il fit la grimace et Romi se leva pour l'accueillir. Ils se saluèrent et échangèrent quelques banalités. Rémi, le père, s'assit sur le canapé et refusa les boissons qu'on lui proposa. Raphaël demanda :
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Je n'ai pas le droit de venir rendre visite à mon fils ?
- Je te connais trop pour savoir que ce n'est pas le cas.
Son père soupira.
- Je me demandais quand est-ce que tu allais grandir.
Raphaël leva les yeux au ciel et Romi vida entièrement l'air que contenaient ses poumons.
- Je me disais que cette histoire d'agence allait durer quelques années pour l'expérience et qu'en voyant que ça ne servait à rien vous alliez arrêter.
- Ça ne sert pas à rien.
- C'est des conneries tout ça. Libre à vous d'y croire ou non, mais de là à en faire un métier...
- Tu ne sais pas ce que tu dis.
- C'est bizarre, il n'y a que les marginaux qui s'enferment là-dedans.
- Tu as un discours rodé, hein ? Tout ce qui t'intéresse c'est la réputation de notre nom de famille.
- Que diraient les clients s'ils savaient ? Si vous fermez votre agence je pourrai te trouver du travail, Romi.
- Voilà, on y est. Tu as déjà embauché toute la famille, la tienne et celle de maman, et tu les as tous enrichi, ce qui veut dire qu'ils te doivent tous quelque chose. Et maintenant, tu veux faire pareil avec nous ? Ça te déplaît tant que ça que je me sois éloigné de vous ?
- Ce n'est pas ça. C'est pour vous aider.
Romi bouillonnait de l'intérieur. Si Rémi ne s'en était pas aperçu, ce n'était pas le cas de Raphaël qui lançait de temps à autre des coups d'œil en direction de Jack. Le vampire s'était levé et avait retroussé ses lèvres sur ses longues canines, prêt à bondir. K, quant à lui, sous l'émotion grandissante de sa maîtresse, était apparu à ses côtés sans que personne ne lui demande rien, par habitude, et il se demandait sérieusement s'il devait posséder la jeune femme pour la soulager et éviter le pire.
Ce n'était pas la première fois que Romi était en proie à ce genre d'émotions. Il s'agissait là d'un mélange ou l'énervement avait clairement le dessus. Son cœur battait dans ses oreilles, son cerveau semblait être sur le point d'exploser, lui causant un subite mal de tête, son souffle devenait de plus en plus fort et elle serrait la mâchoire dans une tentative désespérée de se dominer.
Ces paroles, elle les avait entendues des dizaines de fois. « Bizarre » était le mot favori de ceux qui aimaient se moquer. Il y a dix ans, elle se serait enfuie pour aller pleurer et tenter de se calmer. A présent, elle était plus assurée, plus puissante et donc plus dangereuse, comme en témoignait le comportement de Jack.
Elle prit une inspiration. Au même moment, quelqu'un frappa à la porte, coupant net le cri qu'elle voulait pousser. Elle s'y rendit en grandes enjambées et ouvrit. Damien attendait derrière. Il sourit et entra. Il se dirigea directement vers le père de Raphaël dont il serra la main.
- Damien Collet.
- Rémi Varin, le père de Raphaël. Vous êtes amis ?
Damien ne se départait pas de son sourire, le même qu'il avait servi à Romi et Raphaël le jour de leur rencontre.
- Disons plutôt collègues.
Rémi soupira.
- Je vois, de l'influence. Vous croyez en tout ça ?
- Je n'y crois pas, je le sais. Les esprits existent et je les vois.
- Si c'est ce que vous pensez...
- Ce que je pense...
Damien désigna la télé que personne n'avait éteinte et qui repassait le suicide de la fille de douze ans. Il s'approcha lentement de Romi sans détacher ses yeux de ceux du père de Raphaël.
- Je pense qu'avec ce genre de paroles on arrive à ce genre d'action. Vous n'êtes pas le bienvenu aujourd'hui, j'aimerais parler aux propriétaires. Vous pourriez nous laisser, s'il-vous-plaît ?
Rémi les salua non sans quelque réticence et quitta la maison. Raphaël laissa sa tête tomber sur le comptoir de la cuisine.
- Je suis dans la merde...
Romi, qui n'avait pas dit un mot depuis de longues minutes, attendit que la voiture s'en aille avant de souffler :
- Si tu n'avais pas été là...
- Je sais, fit Damien en jetant un coup d'œil à Jack qui s'était assis, rassuré. J'ai senti ton énergie en entrant dans la cour, j'ai tout de suite compris qu'il y avait un problème. Mais c'est moi qui dois vous remercier. Sans toi Romi, je n'en serais sûrement pas là aujourd'hui. Ça me tue de me le dire, mais merci à toi aussi, Raph.
Le jeune homme décolla son front du comptoir, lui laissant une jolie marque rouge.
- Arrête, je vais gerber.
Romi sourit.
- Il dit ça mais il ne t'avouera jamais qu'il s'inquiétait pour toi.
Raphaël fit la grimace et ajouta :
- C'est drôle, tu as l'air plus mature, Damien.
- Tu trouves ? Tu n'es pas le seul à me dire qu'il y a quelque chose de changé.
Le portable de Raphaël sonna, il le prit, sourit, accepta l'appel et dit avant même que l'interlocuteur n'est eu conscience qu'il avait décroché :
- Ma chère sœur, si tu m'appelles c'est que tu sais pour père.
- Oui, je sais.
- Tout ?
- Tout. C'est pour ça que je vous invite à sortir ce soir pour vous changer les idées pour la fin de ces vacances.
- On aura un ami avec nous.
Raphaël raccrocha et sourit à ses deux compagnons.
Damien était comme Romi, et comme tous ceux qui voyaient les esprits en général, il sortait rarement et évitait de se mêler à la foule. Il savait, passé la barrière de sa maison, qu'il pouvait croiser un esprit à chaque coin de rue. Assis sur la banquette d'une table à côté de Romi, il observait déjà l'une des conséquences d'être lui, une dizaine d'esprits s'étaient introduits dans le bar, attirés par l'énergie des deux jeunes gens. Même si Raphaël avait sa bague, il n'était pas concerné.
Romi prit une gorgée de son verre et le reposa. Damien et elle étaient seuls à leur table. A peine étaient-ils arrivés que Tiphanie avait fait la connaissance avec les personnes assises au bar puis avec la table d'à côté. Raphaël l'avait naturellement suivi. A présent, presque tout le bar discutait avec entrain près du comptoir et faisait quelques pas de danse. Romi et Damien ne se parlaient pas, la jeune femme était plutôt mal à l'aise et le jeune homme observait, prêt à toute éventualité. En tout cas, c'est ce qu'il croyait.
Sur la table, il y avait plusieurs verres abandonnés dont un, à moitié vide, qu'un tout petit esprit ressemblant à un nuage avait entrepris d'escalader. Il testait tranquillement ses dons d'équilibriste sur le rebord du verre mais perdit vite l'équilibre et tomba dans la bière.
- Ah ! fit Romi.
- Alors toi aussi tu as vu ?
L'esprit, englué dans le liquide brunâtre, ne coulait pas mais avait visiblement du mal à remonter la paroi collante.
- Il faut faire quelque chose, dit Romi.
- Oui.
La jeune femme pensait au bien-être de l'esprit, Damien à celui des humains.
- Je pourrais aller aux toilettes, commença-t-elle, et en passant, donner un coup de coude au verre pour le faire tomber.
- Alors, non seulement le verre est au milieu de la table mais en plus les toilettes se trouvent de l'autre côté.
- Bon... euh... Ah ! Je sais. Tu vas faire semblant d'aller aux toilettes. Comme je dois te laisser passer, on va se lever ensemble et donner un coup dans la table sans faire exprès. Avec un peu de chance, ça va marcher.
- Je ne suis pas sûr. Ce n'est...
Damien n'eut pas le temps de finir sa phrase. Une main s'empara du verre et un homme but avidement son contenu, l'esprit avec. Il retourna ensuite avec les autres sous les yeux ronds des deux jeunes gens.
- Oh mon Dieu ! lança Romi. Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qui va se passer ?
- J'en sais rien ! Je n'ai jamais poussé l'expérience jusqu'à avaler moi-même un esprit.
L'homme, qui ne se sentait pas du tout observé, se passa plusieurs fois le doigt sous le nez puis éternua. Deux pattes et une tête sortirent de sa narine droite. Sous le regard ébahi des deux amis, le petit esprit gesticula dans tous les sens et réussit finalement à se sortir du pétrin. Il virevolta dans les airs, visiblement offusqué.
- J'aurais préféré ne jamais voir ça..., fit Romi.
Les deux jeunes gens se regardèrent et éclatèrent de rire. Tiphanie s'approcha d'eux.
- Ne vous amusez pas dans votre coin, rejoignez-nous.
Damien se leva.
- Ça ira. Je vais prendre l'air.
- Je te suis.
Ils sortirent du bar et s'adossèrent à une barrière en fer. L'air était frais, il faisait bon. L'odeur de l'alcool était derrière eux et le silence de la nuit leur faisait du bien. Le petit esprit qui avait été éjecté de la narine de l'homme les avait suivis, Romi mit sa main en cloche sous lui. Il sembla lui sourire, il remonta son bras tendu et alla se lover sous les cheveux de la jeune femme.
- Il veut se sécher, fit Damien.
- T'es dégueulasse !
Le jeune homme rigola. Raphaël avait raison, il avait changé.
- J'ai eu la version de K mais pas la tienne. Tu l'as vécu comment cette année ?
- Euh... elle a été... rapide. Tu t'en doutes, pour moi il ne s'est pas passé un an, j'ai comme... dormi. Ça a duré des mois et je ne m'en suis pas rendu compte.
- Ça t'a pas fait bizarre ?
- Un peu, si, mais à part Nadjya et Erick, il n'y a pas grand-chose qui a changé.
- Donc ça va ? Si j'avais été toi, j'aurais peut-être pas supporté.
- Oui, ça va. Et puis... j'ai revu Émilie depuis.
- Celle que tu as sauvée à l'hôpital ?
Damien hocha la tête, quelque peu timide. Romi coula un regard explicite dans sa direction que le jeune homme capta instantanément. Il pinça les lèvres.
- Oui ! Voilà. Tu es la seule à le savoir alors ne va pas l'ébruiter.
- Ne t'en fais pas pour ça. Je suis contente pour toi.
Romi se décolla de la barrière.
- Je ferais mieux d'y retourner, Raphaël va s'inquiéter. Courage, allons affronter le monde, on reviendra dans un quart d'heure.
- C'est ça, tous les quarts d'heures, on reviendra pour un quart d'heure.
Les deux amis se sourirent et retournèrent dans le bar. Le petit esprit qui s'était logé contre la nuque de Romi s'en était allé.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro