Discussion
Le portail de la maison de la famille Collet était grand ouvert, Romi pénétra donc à l'intérieur et se gara dans la cour. En sortant de la voiture, elle avisa Damien et Valens, armés de bâton en bois, s'entraîner l'un contre l'autre au combat. Ils s'arrêtèrent lorsque la jeune femme s'approcha d'eux.
‑ OK, pause, fit Valens tout transpirant.
‑ Vous n'êtes pas fatigués ? demanda Romi.
‑ On a eu un jour de repos et on s'entraîne presque tous les matins depuis des années, répondit Damien. Je te conduis ?
Romi suivit Damien à l'intérieur de la maison. Ils pénétrèrent dans la cuisine située sur leur gauche, descendirent une petite marche, traversèrent un couloir, passèrent devant une première porte et s'arrêtèrent devant la seconde. Le jeune homme frappa et entra. Ils se retrouvèrent dans une chambre assez grande et lumineuse, elle était munie d'un lit d'hôpital, d'une table et de plusieurs fauteuils. Dans l'un d'eux était assise la grand-mère de Damien en train de tricoter. Elle offrit un sourire ensoleillé à ses deux visiteurs.
‑ Mémé, voici. Romi, je t'en ai parlé hier.
‑ Oui, bien sûr. Asseyez-vous.
‑ Je ne reste pas, fit Damien.
‑ Ah oui ? Alors va me chercher du thé et de la confiture.
Damien soupira et sortit de la pièce. La vieille dame rigola.
‑ J'adore mes petits-enfants. Assieds-toi, assieds-toi. Romi c'est ça ? Quel joli nom.
La jeune femme s'assit en face de la grand-mère.
‑ Tu es seule, n'est-ce-pas ? Tu n'as pas emmené tes gardiens avec toi ?
‑ Mes gardiens ?
‑ Tes esprits, si tu préfères. Gardiens est le nom qu'on leur donnait quand j'étais jeune, j'aime les appeler ainsi mais je me fais toujours engueuler. Vois-tu, je me fais vieille alors tous les jours, je vérifie si je peux toujours les voir. Tu dois être au courant ? Le jour où je ne le pourrais plus sera le jour de ma mort. Mais parlons d'autre chose, veux-tu ? Tu n'es pas venu là pour ça.
Romi fit un sourire poli.
‑ Tu es la petite-fille de Madeleine, n'est-ce-pas ?
‑ Oui. Vous vous connaissiez ?
‑ Bien sûr ! A l'époque, toutes les grandes familles de chasseurs d'esprits connaissez de près ou de loin ceux qui étaient dotés de la vue. C'était important, tu sais.
La porte s'ouvrit et Damien entra avec un plateau muni de deux tasses, de brioches et d'un pot de confiture.
‑ De la fraise ! Goûte, Romi, elles viennent du jardin.
Damien sortit de la chambre. La grand-mère se servit.
‑ Avant, nous étions beaucoup plus nombreux dans cette maison. C'est mon père qui a fait construire des chambres en plus dans le grenier pour pouvoir loger tout le monde. Cette chambre-ci servait pour les gens de passage. Mais où en étions-nous... ? Oui ! Les enfants.
Quels enfants ? Aurait voulu demander Romi. Par peur de casser le fil de la pensée de la grand-mère, elle se tut.
‑ Ce n'est plus vraiment pareil de nos jours, pas vrais ? Il y a soixante ans, plus même, lorsqu'un enfant était doté de la vue, personne ne les comprenait, ils se faisaient interner ou pire encore. C'est là que les chasseurs d'esprits intervenaient, il fallait être très vigilant et rapide. Dès qu'on avait des soupçons sur des gamins, on se faisait passer pour des médecins venu « les soigner de leur mal ». Ça ne fonctionnait malheureusement pas tout le temps. Pour les parents qui voulaient bien nous confier leur progéniture, on les logeait ici quelques jours ou quelques semaines, le temps de leur expliquer ce qu'il se passait, de leur dire que c'était normal et de leur apprendre à vivre avec. Lady Rose était l'une des leurs.
Romi haussa les sourcils, c'était le mot de passe du site des chasseurs d'esprits.
‑ Qui est-ce ? Elle vient du Royaume-Unie ?
‑ Du tout ! Elle s'appelait Rose-Marie, elle était toujours très coquette et faisait languir les nombreux prétendants qui venaient la voir, d'où le surnom. Mais tu ne connais pas l'histoire ?
Romi secoua la tête.
‑ Alors laisse-moi te raconter. Lady Rose... on ne savait pas qu'elle allait tourner ainsi, elle avait eu une enfance difficile, personne dans sa famille n'était doté de la vision, mais elle était toujours souriante et énergique. A ce moment-là, un groupe secret avait été monté, les membres ne dénigraient pas les chasseurs d'esprits, ils n'étaient justes pas d'accord avec nos méthodes qu'ils considéraient trop douces et trop gentilles. Ils voulaient faire payer ceux qui ne voyaient pas les esprits et qui s'en prenaient à nous, et ça le plus rapidement possible. Comme ce groupe pouvait être dangereux, on a fait une descente pendant l'une de leurs réunions. C'est là qu'on a eu la surprise de voir Rose parmi eux, c'est également ce soir-là qu'on a découvert qu'elle avait un nombre incalculable d'esprits et qu'elle nous l'avait toujours caché. On a pu discuter avec elle, elle nous a laissé le choix mais on n'arrivait pas à s'entendre et elle s'est énervée. Il y avait deux-trois familles de chasseurs d'esprits avec nous, elle nous a balayés. On s'est pris la première vague et on a subi d'énormes pertes, puis les autres chasseurs d'esprits sont arrivés pour nous aider et enfin, ta grand-mère. A cette époque elle hésitait à travailler avec nous, comme elle nous aidait souvent, quelqu'un a eu la bonne idée de l'appeler. Je me souviendrais toujours de sa venue, elle est arrivée, juchée sur un gros oiseau noir, elle a levé les bras et une dizaine d'esprit à déferlé sur l'ennemi.
Aki ? se demanda Romi.
‑ On savait tous, contrairement à Rose, que Madeleine était bien entourée, elle nous a été d'une grande aide ce soir-là. Beaucoup n'aurait pas été d'accord avec ce que je vais te dire ; sans elle, je pense qu'on n'aurait pas pu gagner. Lady Rose a été défaite, les chasseurs l'ont emmenée et on ne la plus jamais revu. Suite à ça, beaucoup d'entre nous ont pris conscience que chasser les esprits était beaucoup plus dangereux que ce qu'ils pensaient et qu'ils jouaient réellement leur vie, alors ils sont partis. Et comme pour en rajouter, les hautes familles ont commencé à mettre des règles ce qui a conduit à quelques révoltes. J'ai trois enfants, si Isabelle n'avait pas pris la suite, notre famille serait tombée dans l'oubli. Quant à Madeleine, elle faisait partie des privilégiées, puisqu'elle nous avait sauvés, certaines règles n'avaient pas été appliquées à elle, elle a donc pu garder tous ses esprits. Au final, elle ne nous a jamais rejoint, elle a préféré rester libre. Tu lui ressembles, tu sais. Tu ne comptes pas travailler pour nous ?
‑ Non, vos méthodes ne me plaisent pas.
La grand-mère sourit.
‑ Pourtant, tout comme elle, tu es ici, ni l'alliée, ni l'ennemie des chasseurs. Votre relation tient à très peu, mais comme tu as la même personnalité que Madeleine, on reviendra toujours vers toi. Mes petits-fils m'ont raconté cette aventure avec l'esprit sans bras. Tu es venue sur un oiseau noir, n'est-ce pas ? Tu as donc renouvelé les contrats avec les esprits de ta grand-mère.
Romi hocha la tête.
‑ Ne t'en fais pas, cette information ne sortira pas d'ici, je pense que tu as fait une bonne chose. De toute façon tu es tranquille, peu de personnes ayant affronté lady Rose sont vivantes et je pense que personne ne sait que Madeleine a eu une petite-fille capable de voir.
La grand-mère se renfonça dans son fauteuil.
‑ Je ne sais pas si j'ai autre chose à te raconter, je ne pense à rien actuellement. Tu reviendras me voir si tu as des questions.
Romi quitta la chambre. Elle retrouva Damien dans l'entrée, il prit une enveloppe sur le meuble à côté de la porte et la tendit à la jeune femme.
‑ Tiens, c'est la récompense pour l'esprit de samedi, on l'a partagé en quatre, voici votre part.
‑ Il y en a pour Raphaël ? Il n'a rien fait.
Les lèvres du jeune homme se relevèrent légèrement.
‑ C'est vrai mais il a quand même risqué sa vie, il aurait pu ne pas nous suivre.
Ils sortirent.
‑ Au fait..., dit Romi, c'était qui ceux qui ont débarqué avec leur voiture noire samedi soir ?
Damien poussa un petit soupir.
‑ C'est assez compliqué. Les chasseurs d'esprits sont une espèce d'organisation, ceux qui sont venus sont une équipe spécialisée dans la récupération d'esprits, tu peux les reconnaître grâce à leurs runes sur leurs mains, ils étaient accompagnés de personnes pour les protéger. Ceux que j'ai appelé pour la victime sont également spécialisés, leur but a été de... « berner » le Samu pour que les infirmiers l'emmènent dans un de nos hôpitaux privés et qu'il se fasse soigner en tant que victime d'un esprit. Et ceux qui ont payé la récompense ce sont ceux d'en haut, des gens qui supervisent tout ce petit monde pour que tout soit fait rapidement et parfaitement, ce sont eux qui contact les gens et qui ont le plus de boulot.
‑ Et vous, dans tout ça ?
‑ Certains nous placent tout en bas de la pyramide mais nous sommes un maillon indispensable de la chaîne. Nous sommes beaucoup plus libres que n'importe quelle équipe et surtout, nous sommes la définition même de chasseur d'esprits. Sans nous, ils ne sont rien. Et parmi nous, il y a des familles plus importantes et influentes que d'autres, ma grand-mère me dit souvent qu'on en faisait partie il y a longtemps, qu'on avait beaucoup plus de travail que maintenant.
‑ Et tu as attendu tout ce temps pour me dire ça.
‑ Au bout d'un moment, il le faut bien. Si ça continue, vous allez vous faire connaître et il vaut mieux savoir les grandes lignes pour contrer ceux d'en haut.
‑ Tu ne les aimes pas ?
‑ Ma famille n'a aucun problème avec eux, toi, ça reste à voir. Je me demande comment finirait une rencontre entre toi et les grandes pontes de cette petite organisation.
Romi reprit sa voiture et alla à l'agence. Elle s'assit au bureau, en face de Raphaël, s'accouda à la table et donna l'enveloppe de Damien à son copain.
‑ C'est la récompense pour l'esprit de samedi.
Raphaël compta le butin.
‑ Il y a trois cents euros ! Ça paye plutôt bien chez les chasseurs... Pourquoi tu fais cette tête ? Il s'est passé quelque chose ?
‑ J'ai absorbé beaucoup trop d'informations d'un coup.
Romi lui expliqua tout ce que Damien et sa grand-mère lui avait raconté. Le jeune homme en siffla d'étonnement.
‑ Ah ouais, ce n'est pas rien. Je ne pensais pas qu'il y avait tout ça, je croyais que les chasseurs d'esprits n'englobaient que quelques familles comme celle de Damien et que ça n'allait pas plus loin.
‑ J'en sais rien... Aki ?
Le tanuki apparut à côté de la fille.
‑ C'est toi qui as porté ma grand-mère quand elle s'est retrouvée face à lady Rose ?
Aki hocha la tête.
‑ Qu'est-ce que tu comptes faire ? demanda le tanuki.
Romi fit un grand sourire.
‑ Je pense juste que je suis contente d'être libre et je le suis encore plus d'avoir monté cette agence avec toi, Raph !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro